|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
NEW
DELHI ?La COP28 qui vient de se clore à Dubaï est l'occasion de réfléchir sur
l'objectif de ces sommets internationaux à fort bilan carbone. Au lieu d'être
une grande messe cynique, ce type de réunion pourrait servir de plateforme pour
avancer sur la voie des changements requis pour limiter les pires conséquences
de la crise climatique.
Pour y parvenir, les responsables politiques doivent arrêter de se chamailler sur l'expression de leurs engagements nationaux dans un futur lointain, bien au-delà de la fin de leur mandat, et s'intéresser en priorité aux actions concrètes destinées à libérer des fonds en faveur de la politique climatique dans les pays en développement. Les pays à faible revenu attendent encore le financement relativement faible promis il y a plus d'une dizaine d'années pour leur politique climatique, au point que cet engagement paraît chimérique. Mais même dans le cadre institutionnel de l'économie mondiale, il existe des moyens peu coûteux de renforcer ce financement. L'utilisation du droit de tirage spécial ou DTS, l'avoir de réserve du FMI, en est l'exemple type. Comme je l'ai déjà indiqué, le DTS pourrait servir à financer les efforts d'adaptation et d'atténuation du réchauffement climatique dans les pays en développement. L'allocation par le FMI de 650 milliards de dollars de DTS en août 2021 a servi de bouée de sauvetage aux pays à faible revenu lors de la pandémie de COVID-19. Mais ces DTS ont été distribués en fonction des quotes-parts des pays au FMI qui dépendent essentiellement de leur PIB. Aussi les pays à faible et moyen revenu n'ont-ils reçu qu'un peu plus de 200 milliards de dollars. Malgré cela, les DTS se sont avérés être une source cruciale de devises étrangères. Les pays riches qui n'avaient pas besoin des 400 milliards de dollars de DTS qui leur ont été alloués auraient dû réorienter ces ressources vers des fonds climatiques ou des banques régionales de développement. Malheureusement - et inexplicablement - ils ne l'ont pas fait. Et même s'ils l'avaient fait, cette réorientation aurait alourdi le fardeau de la dette des pays en développement. Le DTS n'étant pas une devise, mais plutôt une créance potentielle sur une devise, il fonctionne comme une unité comptable au sein du FMI et n'entraîne pas de frais d'émission. Le DTS est conservé uniquement en tant que réserve, son allocation n'est donc pas considérée comme un prêt du FMI et de ce fait ne donne pas lieu à remboursement. Ce n'est que lorsqu'un pays convertit une partie de ses avoirs en DTS en devise de réserve qu'il doit payer le taux d'intérêt annuel basé sur les taux d'intérêt de la dette à court terme libellée dans les cinq monnaies qui sous-tendent le DTS : le dollar, l'euro, le yen, le yuan et la livre sterling. À 4,1 %, il est nettement inférieur aux taux que les banques multilatérales de développement offrent généralement aux pays à faible revenu. L'émission de DTS est un moyen relativement peu coûteux et pratique de fournir des réserves de change aux pays surendettés. C'est pourquoi, avec plus de 140 personnes et organisations, j'ai signé une lettre appelant les dirigeants mondiaux présents à la COP28 à prendre en compte les DTS existants et futurs pour aider les pays qui en ont besoin à atteindre leurs objectifs climatiques et les Objectifs de développement durable des Nations unies. Une nouvelle émission de DTS allégerait immédiatement les difficultés des pays confrontés à des problèmes de balance des paiements - en particulier les pays en développement qui doivent faire face simultanément au surendettement et à la crise climatique. Une émission régulière et périodique de DTS en phase avec la croissance du PIB mondial pourrait leur apporter une certaine flexibilité en terme de politique budgétaire et de taux de change. Il leur serait alors plus facile d'investir dans des projets touchant au développement et au climat. Mais il faut d'abord changer la façon dont les DTS sont alloués. Etant basés sur les quotas du FMI, ils sont alloués de manière disproportionnée aux pays riches qui contrôlent les monnaies de réserve mondiales. Or ces pays n'en ont pas besoin, il est donc peu probable qu'ils les utilisent. Afin de mettre en place un système plus équitable, le récent rapport du Conseil consultatif de haut niveau sur un multilatéralisme efficace (dont j'étais membre) propose plusieurs réformes visant à garantir que les nouvelles émissions s'adressent essentiellement aux pays à revenu faible et intermédiaire. L'un des moyens d'y parvenir consiste à doubler ou tripler les quotes-parts du FMI pour les pays les plus pauvres. Cette stratégie serait sans aucun doute plus efficace et plus utile, car elle garantirait l'utilisation d'une plus grande part des liquidités internationales - par contre elle ne répondrait pas de manière adéquate aux vulnérabilités et aux besoins spécifiques de chaque pays. Pour cela, le FMI pourrait recourir à des allocations ciblées. Ces allocations seraient accordées aux pays concernés en fonction de leur exposition au réchauffement climatique, de la détérioration des termes de leurs échanges commerciaux, de la volatilité des flux de capitaux et d'autres facteurs externes qui échappent à leur contrôle. Cela suppose sans doute d'amender les statuts du FMI. Ce n'est pas un obstacle insurmontable, notamment si les principales parties prenantes de l'organisation comme les pays du G7 soutiennent cette mesure. Curieusement, les pays riches n'envisagent pas cette option, alors qu'elle ne leur coûterait rien. Par ailleurs, si le G7 et d'autres pays riches veulent réellement retrouver un peu de légitimité morale, ils devraient tout d'abord réorienter leurs DTS vers les pays à faible revenu. Ces transferts doivent être inconditionnels et ne pas s'ajouter à la dette des pays en développement. L'inefficacité des fonds dédiés comme le fonds pour aider les pays à renforcer la résilience et la viabilité est de plus en plus manifeste. Ce fonds supposé lever 50 milliards de dollars n'en a levé que 30 jusqu'à présent, et n'en a déboursé qu'une petite fraction. En outre, les préoccupations concernant les retards, les critères relatifs à la sélection des bénéficiaires et les conditions liées aux prêts compliquent encore la situation. Il serait facile de développer des mécanismes plus simples et plus efficaces de redirection des DTS qui exigeraient seulement le payement de leur taux d'intérêt. Il est surprenant qu'une telle solution, simple, sans inconvénient et pratiquement gratuite ait si peu de défenseurs. Les pays du G7 se lancent souvent dans des discussions futiles sur le mélange des finances publiques et privées, une stratégie qui n'a pas encore généré les milliers de milliards de dollars promis pour le financement de la politique climatique. Ils devraient plutôt s'intéresser à l'émission de DTS, une mesure facile à mettre en œuvre. Ils pourraient ainsi faire progresser la lutte contre le réchauffement climatique et orienter l'économie mondiale sur un chemin plus équitable et plus durable. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz *Professeur d'économie à l'Université du Massachusetts à Amherst, membre de la Commission sur l'économie transformationnelle du Club de Rome, et coprésidente de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises |