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« Un vieillard assis voit plus
loin qu'un jeune homme debout » A. HASSANI
Ces peuples multimillénaires, présents autant sur toute l'aire nord-africaine, de la rive atlantique à la Libye cyrénaïque antique grecque puis romaine, et à travers de larges territoires autant sahariens, sahéliens que d'Afrique noire, restent debout et eux-mêmes, malgré les multiples colonisations, occupations et tentatives de déculturation, ou d'assimilation qu'ils ont subies. Ce sont les rares peuples du monde à garder, comme un défi à l'Histoire, le nom affligeant de Berbères (qui vient de Barbares) que les Romains appliquaient à toutes les communautés et peuples conquis qu'ils s'appliquaient à inféoder et à soumettre. Bien que leurs peuples et nation se revendiquent fièrement des Amazighs, c'est-à-dire des Hommes Libres ! Les Berbères ou Amazighs, ces peuples authentiques, braves et géniaux, n'ont jamais été battus ou conquis par les Arabes, mais séduits par la religion musulmane qu'ils ont acceptée, adoptée, défendue et conduit très Haut et très Loin, jusque dans la péninsule ibérique, devenue, grâce à eux, un phare de savoirs et d'élévation de l'Homme durant sept longs siècles. Les universités andalouses et leurs sciences et techniques rayonnaient et éclairaient les fonds les plus sombres et rétrogrades, encore, des contrées les plus reculées de l'Europe moyenâgeuse. Ce sont ces peuples berbères d'Afrique du Nord, aujourd'hui, contradictoirement, exsangue de sa jeunesse qui en fuit au péril de sa vie pour s'agripper, coûte que coûte, sur la côte nord méditerranéenne, qui ont participé, par leurs propres valeurs et les acquis de l'islam, à faire sortir les populations européennes de l'ornière historique où elles étaient plongées et figées depuis de longs siècles. Par adhésion libre et intime à l'islam, les Berbères ont été jusqu'à faire progressivement, oubli et abstraction, de leurs cultures et langues originelles amazighes, pour devenir, après quelques siècles, dans leur plus large majorité des arabophones exclusifs. D'où, et le constat anthropologique et linguistique actuels le montrent, si bien aujourd'hui, que la majorité des populations d'Afrique du Nord ne sont constituées, en fait, majoritairement, que de Berbères arabophones, qui s'ignorent le plus souvent ! Aussi, exhibant et revendiquant une parfaite adoption de l'islam et de la langue du Coran, ils vont, pour certains de leurs dignitaires, jusqu'à s'inventer des filiations imaginaires d'authentiques arabes de la descendance des Chorrafas tenant ou descendant de la famille même du Prophète Mohammed. C'est ainsi que le 3ème Président de l'Algérie indépendante, Chadli Bendjedid (1929-2012), réagissant dans un discours à une énième grosse manifestation de revendication identitaire berbère, déclarera sans tabou: « Nous, Algériens, sommes tous des Berbères que l'islam a arabisés ». Affirmation, forte, révélatrice, symbolique et certainement plus sincère que démagogique, ne découlait, au juste, que de l'esprit et définition du penseur algérien, fondateur du Mouvement des Oulémas en Algérie, le cheikh et exégète Abdelhamid Ben Badis1 (1889-1940), descendant d'une dynastie berbère musulmane fondée au Xe siècle, résumait ainsi l'identité algérienne et par extension la relation arabo-berbère de l'Afrique du Nord : « Le peuple algérien est musulman et à l'Arabité (au monde arabe et à sa culture) il se rattache ». Credo, qui avait servi à galvaniser le sentiment patriotique de résistance des Algériens en lutte à l'époque contre le colonialisme français. Mais son affirmation ou définition ne s'arrêtait pas là. Il rajouta quelques mots, en réaction à des mouvements ou tendances de revendication berbère qui risquait de compromettre la mobilisation populaire générale par la division des communautés nationales faisant, ainsi, la stratégie de l'occupant français du ?'Diviser pour régner''. Stratégie de domination, qui était, en effet, effective depuis plus d'un siècle déjà. D'où l'affirmation entière, plus ou moins occultée, pour des considérations partisanes, précise ceci : « Le peuple algérien est musulman et au monde arabe il se rattache. Et, qui dit quelque chose sur son appartenance raciale ou (ethnique) propre, (qui a disparu ou) est morte, ne fait que mentir ». Pour clore notre propos par rapport à l'objet même de cette dissertation et essai libre relatifs à ce projet de consécration et de reconnaissance internationale aux peuples amazighs par la création d'un musée de l'histoire et culture berbères à Grenade. Une image symbolique de la grandeur et bravoure de ce peuple s'impose à nous comme une évidence en la personne de Tarik Ibn Ziad2, ce grand général berbère qui a réussi, par son courage et génie propres, la pénétration des armées omeyyades dans la péninsule Ibérique. L'histoire et/ou légende de ce brave et intelligent stratège berbère décrit ce chef qui ne recule devant aucun obstacle et innove particulièrement dans les règles de l'assaut de l'époque en donnant l'ordre de mettre le feu sur ses propres embarcations transportant ses troupes, un court moment, avant de toucher les rivages ibériques, en criant à ses soldats perplexes : « La mer est derrière vous et l'ennemi est devant vous, il ne vous reste qu'à vaincre ou mourir ». Et depuis, peut-être par reconnaissance aux propres valeurs du peuple berbère, à sa combativité et à son courage devant l'adversité, on ne lui pas érigé de statue au chef berbère (voire pour cause de rejet des mythifications et des représentations humaines en Islam). Mais on a fait beaucoup mieux en choisissant la grandeur, la force et l'immuabilité de toute une montagne, proche du lieu de l'assaut victorieux, pour lui donner le nom de Djebel Tarik Ibn Ziad. Devenu Djebel Tarik (la montagne de Tarik), devenue, des siècles après et jusqu'à notre présente époque Gibraltar? Epilogue: Gisèle Halimi, grande avocate du Barreau de Tunis puis de Paris, ayant intimement soutenu la cause algérienne et défendu des détenus et résistants algériens, au prix parfois de sa vie (menacée de liquidation par l'OAS) et infatigable militante de la cause féminine en France qui reste à l'origine aussi de la loi autorisant l'IGV (interruption de la grossesse volontaire), a ces dernières années été proposée pour être consacrée au Panthéon. Que dire encore, sinon une Grande Dame, engagée, juste et tellement merveilleuse dans tout ce qu'elle entreprend et dans son jugement vis-à-vis des sociétés, des gens et de l'Histoire. Malgré, son âge avancé et ses multiples sollicitations et préoccupations pour lesquelles elle devait faire face, cette dame, écrivaine à temps perdu, a consacré ses derniers et précieux jours et ces dernières forces à l'écriture d'un dernier ouvrage. Non, ce n'est pas un testament, ou un traité de droit ou des affaires de procès qui l'ont tenue à cœur ou marquée. Non, un roman historique sur la Kahina, la cheffe militaire et reine berbère. Il est vrai, et bizarrement, ces deux femmes se ressemblaient étonnement. Juives, l'une et l'autre, berbère, certainement pour la Kahina, peut-être aussi pour Gisèle Halimi, car elle était tunisienne de vieilles racines judaïques autochtones. Elles vécurent, certainement aussi, sous le même ciel, le même climat, les mêmes paysages et humèrent, peut-être, les mêmes senteurs, comme des sœurs jumelles, séparées seulement par le temps ! Gisèle Halimi et la Kahina, dans leur espèce de cohabitation spirituelle, nous laissent une histoire et un enseignement en partage, hors du temps, des Hommes et de leurs contingences temporelles, pour nous transmettre un message subliminal ou, plutôt, un sentiment serein et libre qui résume cette relation de complicité, parfois d'amitié. Mais parfois, aussi, de tensions, et peut-être même des souvenirs de vieilles blessures cicatrisées, existant entre deux communautés et richesses ethniques et civilisationnelles, vivant en frères de lait depuis 14 siècles. Gisèle Halimi raconte la rencontre de Kahina, la cheffe militaire et reine berbère et Khaled le scribe, combattant arabe, son captif devenu son amoureux et amant, qu'elle transforme en ?'fils'' (pour lui offrir une immunité), après avoir exécuté le rituel symbolique du lait partagé, en découvrant sa poitrine en public et en lui donnant son sein, devant ses soldats et son peuple réunis. Ainsi, par le génie et truchement d'un rituel symbolique, coutumier, imaginé ou inventé miraculeusement, la cheffe berbère sauve et absous Khaled, auparavant intrus envahisseur et ennemi, et lui garantit amnistie, sécurité et hospitalité sur ses terres et parmi son peuple. Laissons Gisèle Halimi3 nous relater cette belle, miraculeuse et extraordinaire scène à caractère plus mystique qu'historique. Car à même d'expliquer la rencontre dans l'adversité des deux peuples fiers, puis leur rassemblement et fusion charnelle dans l'amour, l'amitié et la fraternité la plus durable, construite par le partage du lait nourricier plus sacré, aux yeux du peuple berbère, et plus fort encore en symbolique que ne l'est le sel partagé, traditionnellement, entre les humains : «Quatre-vingt prisonniers (arabes) accroupis à terre, sur le champ de bataille de Meskiana, la tête baissée attendent. Ils sont nobles et chefs. La Kahina veut traiter l'ennemi avec générosité, une leçon à donner aux envahisseurs barbares. Elle demande, au nom de Yahvé, qu'ils soient épargnés et renvoyés chez eux. Elle rappelle que l'armée berbère a décimé les troupes arabes. « Nous sommes le peuple élu de Dieu, la loi du talion ne nous permet pas de tuer pour tuer? ». Les chefs de tribus protestent. Certains protestent et vocifèrent. « Ça suffit, libérez-les ». Elle a élevé la voix, elle a ordonné, on lui doit obéissance. « C'est à ces gestes que l'on nous reconnaît » ! ajoute-t-elle plus bas. Le sort d'une dizaine de lanciers avait été scellé avant son arrivée. Trop tard. La Kahina ne pouvait plus intervenir. Ils devaient mourir. Ils se lèvent un à un, ils ont entendu leur sentence et s'en vont. Tantôt fermes, la tête haute, tantôt priant doucement Allah, le Tout-Puissant. L'un d'entre eux, en passant devant elle, crache : «Tu fais couper nos têtes. La tienne tombera aussi? ». Dihya (prénom de la Kahina) ne bouge pas, saisie par le froid de la lame qu'elle sent soudain sur son cou. Elle avait déjà vu sa tête dans un nuage rose un soir. Le groupe des quatre-vingts graciés prend le départ. Khaled passe devant elle, la reine se dresse. « Celui-là, non ! Qu'il ne bouge pas ! Je le prends, il m'appartient ». Il est là, debout, désarmé. Il a perdu son arc et ses flèches. Un adolescent. Des yeux brûlants et noirs, une peau sombre, une bouche immature. Le silence fige les hommes pendant quelques secondes. Puis quelqu'un bouge, vers le fond, et le groupe s'anime. Des hommes de la tribu Auréba entourent Khaled. « Il doit mourir. -Non, répond la Kahina, il ne mourra pas. Ni lui ni les autres prisonniers- Et le pacte ? ». Demande l'un d'entre eux (?). « La Kahina est au-dessus des pactes et des serments », avait-elle répondu, cinglante. Pour Anazâr, chef des Branes (tribu berbère), elle avait ajouté avec mépris : « C'est moi qui vous ai conduit à la victoire, ne l'oublie pas ». C'est alors qu'Azerwal se rapprocha de son compagnon Anazâr. Il sortit son poignard et se jeta sur Khaled. Mais la Kahina, par une brusque volte-face, lui barra la route. « C'est un ennemi qui veut nous exterminer ». Rugit l'assaillant, freiné dans son élan. « Quels que soient les crimes d'un homme, si en lui donnant le sein, une femme en fait son fils, il échappe à tout châtiment ». Elle avait parlé avec calme, en gardienne des rites. « Vous connaissez la force de cette coutume? C'est notre loi ». Khaled va vivre. Son être tout entier est submergé par cette seule idée, vivre, vivre à tout prix? Il réprime un rictus de sarcasme. Cette femme, lui donner le sein, à son âge, un sein sec, tari comme l'oued au printemps? Une femme si belle cependant, comme il n'en avait jamais vu. Sa maturité l'illuminait comme un soleil couchant. Cette force finit par l'humilier. Mais il veut vivre? Aussi, quand la reine ordonne : « Demain, rassemblez tous les chefs, je procèderai à l'adoption, selon les préceptes de nos tribus, en public », il sent le sang de sa naissance revenir, l'irriguer tout entier, l'enivrer. Vivant, il serait bientôt libre, sur son cheval, il retrouverait dans la forêt les chemins de ses frères. Allah est grand, Allah le guidera. (*) Professeur des universités Sources et références bibliographiques : (1) Abdelhamid Ben Badis est né à Constantine, le 4 décembre 1889. Il appartient à une vieille famille bourgeoise, descendant des émirs zirides, une dynastie berbère musulmane fondée au Xe siècle par Bologhine ibn Ziri. Les Ben Badis sont une famille constantinoise de souche ancienne, avec plusieurs siècles de présence continue dans la ville et une participation à la vie publique. Son père, Mohamed Mustapha (1868-1951), est un gros propriétaire terrien dans la région et l'un des notables les plus influents de la ville de Constantine et de ses environs, délégué financier et membre du Conseil supérieur, bachagha et Grand-croix de la Légion d'honneur. (2) Tariq ibn Ziyad, né au VIIe siècle au Maghreb, et mort vers 720 à Damas, est un stratège militaire et gouverneur omeyyade d'origine berbère. Il est avec Tarif ibn Malik et Munuza, l'un des principaux acteurs de la conquête musulmane de la péninsule Ibérique. Il est principalement connu pour avoir mené, depuis les rives du nord de l'actuel Maroc, les troupes omeyyades à la conquête de la péninsule Ibérique. Depuis cette victoire, le détroit de Gibraltar porte son nom: le mot « Gibraltar» vient de l'arabe «djebel Tariq» («djaballâriq», signifiant la « montagne de Tariq». (3) La Kahina, par Gisèle Halimi, pp 27-29, réédition, Barzakh, Alger, 2017 ; Plon, Paris, 2006 (Kahina, terme sémitique signifiant prêtresse, voire proche de Cohen). L'Alhambra de Grenade (époque faste d'El Andalous, Espagne |