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Dans
deux précédentes contributions, dédiées au patrimoine culturel immatériel (PCI)
(1), nous avons porté un regard critique sur l'état de mise en œuvre, par
l'Algérie, de la convention de 2003 pour la sauvegarde du PCI(2), en faisant
ressortir des décalages et anachronismes et les conséquences qui en procèdent.
De cet examen nous avons relevé que l'édifice conceptuel du PCI s'adosse, d'une manière ou d'une autre, à une approche objectiviste et individualiste, davantage folkloriste, privilégiant la logique de l'inventaire et des listes, sans retour nécessaire aux producteurs et détenteurs de la tradition. C'est une option stratégique pour certains Etats, qui leur garantit, le plus surement, la maîtrise du produit sans passer nécessairement par la reconnaissance formelle du producteur, au risque de s'établir dans des situations incertaines aux relents idéologiques et politiques. Nous avons vu comment cette convention avait introduit un «flou» sur la question des communautés, en élargissant le spectre aux groupes et aux individus, pour laisser libre choix aux Etats-parties de décider du statut des producteurs et détenteurs de la tradition. Cette alternative n'est en fait qu'un palliatif et non une solution d'un problème qui, loin d'être technique, met en opposition deux manières de concevoir le PCI : la première, relevant de l'idéologie individualiste, celle qui domine, jusque-là, opère par hiérarchisation et fragmentation (logique des inventaires et listes), et la seconde, portée par un discours éthique mais sans principes d'action, usant d'une approche holistique, qui prône les vertus de la diversité biologique et culturelle, si essentielles aux communautés dites «autochtones», «indigènes» ou «locales». L'enjeu essentiel, dans cette équation, réside dans le déséquilibre des forces, en faveur de l'approche individualiste, qui réfute toute légitimité juridique au caractère d'indivisibilité de l'intérêt commun de la communauté, en n'envisageant cette dernière, le cas échéant, que sous le prisme de l'individuation - l'individu considéré comme fondement unique de la production du droit. Dans la perception individualiste, la communauté n'est saisie qu'en tant que somme des individus qui la composent. Le droit ne s'exprimant, dans ce cas, qu'à travers les individus constitutifs, distingués par l'autonomie de leur pensée et de leur action. Nous comprenons, dès lors, cette hésitation de la convention de 2003 à introduire une définition explicite de la communauté dans le corps de son texte, la renvoyant à un «Glossaire du patrimoine culturel immatériel»(3), qui suggère quatre types de définitions : «1- la communauté au sens large, caractérisée par une identité ou un comportement communs. 2- la communauté autochtone liée à un territoire. 3 - la communauté culturelle qui se reconnaît par contraste avec d'autres communautés, du fait d'une culture propre (la nation pouvant être considérée comme une communauté culturelle). 4 - la communauté locale qui vit dans un lieu déterminé». Lorsqu'on scrute le corpus doctrinal des droits culturels (4), nous réalisons que la dimension collective de la communauté est bien reconnue en droit international. Des droits culturels internationaux ont été consacrés comme droits fondamentaux et davantage confortés par un élargissement du concept même de culture (5).C'est la mise en œuvre effective de ces droits qui est, cependant, contrariée et détournée de ses objectifs par le dispositif «sacro-saint» du droit individuel. Les droits collectifs demeurant enchâssés dans l'étui du droit individuel. Si nous évoquons, ici, avec quelque insistance, les aspects normatifs relatifs à l'intérêt commun indivisible de la communauté, ce n'est point pour convoquer les insuffisances, certes réelles, de la convention de 2003, en privilégiant une approche sur une autre. Cette convention constitue en soi «une avancée considérable par rapport à la Recommandation très controversée qui l'a précédée». Nous reprenons, ici, le point de vue pragmatique de l'anthropologue américain Richard Kurin, qui fit remarquer, toutefois et d'une manière agile, qu':«Etant donné le sujet abordé et la nature des traités internationaux, la perfection est un vœu pieux. Néanmoins la volonté des Etats membres et des experts d'agir en faveur des cultures et des traditions menacées l'a emporté sur leur crainte de provoquer des dommages involontaires ou de ne rien faire du tout?»(6). Nous retenons, ici, pour le besoin du sujet, l'idée de «dommages involontaires». De quels dommages s'agit-il ? Nous savons que la convention de 2003 ne traite que les aspects liés à la sauvegarde du PCI, qui sont davantage programmatiques que normatifs, incitant les Etats-parties à engager des actions d'identification, de documentation et de promotion du PCI, enles encourageant à créer des organismes de documentation, de recherche et de valorisation, pour faciliter l'accès le plus large possible au PCI. Cette convention ne se préoccupe pas de la dimension juridique du PCI, notamment les aspects liés à la propriété et aux avantages qu'elle peut procurer, considérant que ceux-ci ne relèvent pas de son champ de compétence, les renvoyant à l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et à ses agences affiliées (7). C'est dans l'entre-deux du champ programmatique de la sauvegarde (Convention UNESCO de 2003) et du champ normatif de la protection intellectuelle (Conventions OMPI), que se trouve la pierre d'achoppement, l'objet même de nos questionnements. Cet entre-deux constitue un véritable hiatus qui sépare deux mondes distincts, deux manières différentes d'envisager le PCI. Pour contenir le sens de cet entre-deux, prenons l'exemple de l'inventaire et des listes du PCI. Lorsque nous élaborons ces inventaires et constituons ces listes, sous les auspices de la convention de 2003, nous ne faisons pas autre chose que placer des éléments du PCI, dans le domaine public, privant ses détenteurs et producteurs des opportunités, notamment économiques, qui peuvent en découler. Une aubaine pour les folkloristes et autres ethnologues qui, de toute façon, ont toujours rangé les expressions culturelles traditionnelles et le «folklore» dans le domaine public. Versé (on dit aussi tombé) dans le domaine public, signifie le libre accès à l'utilisation ou la reproduction, sans rémunération (droit d'auteur) et sans autorisation préalable (droit moral). La boucle est ainsi bouclée, d'une part, le silence observé par la convention de 2003, sur les aspects de propriété et d'autre part, le refus de l'OMPI de reconnaitre l'indivisibilité de l'intérêt commun de la communauté. Les conséquences de ce hiatus auraient été d'un moindre effet, circonscrits à la seule convention de 2003, s'ils n'avaient des incidences autrement plus «sérieuses» sur les autres domaines d'intérêt du PCI, couverts, notamment par la convention des Nations Unies sur la diversité biologique de 1992 (8) et la convention UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005 (9), deux instruments normatifs internationaux aux enjeux géopolitiques et géostratégiques manifestes, par le fait même des nouvelles catégories de compréhension qu'elles introduisent : les droits des communautés et populations dites autochtones et les droits de l'homme. En considération de l'étendue du sujet, nous n'avons traité, dans cette contribution, que la partie relative à la diversité biologique. Celle sur la diversité culturelle suivra. En examinant la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992, nous réalisons que la dimension communauté est envisagée à contre-sens du principe de l'individuation, si cher à l'idéologie folkloriste. L'indivisibilité de l'intérêt commun n'est plus considérée comme un obstacle cognitif, qu'il faudrait contenir et réduire, mais constitue l'argument phare, qui fonde le principe de l'indissociabilité de la conservation, de l'utilisation durable et de l'amélioration des ressources biologiques. C'est le sens même de l'alinéa 12 du préambule de la CDB : «un grand nombre de communautés locales et de populations autochtones dépendent étroitement et traditionnellement des ressources biologiques sur lesquelles sont fondées leurs traditions». La CDB nous place dans une nouvelle posture épistémologique, mue par de nouveaux rapports de force mondiaux et l'émergence d'un autre mode de pensée, porteur d'une «inquiétude» et d'une prise de conscience planétaires, face une «menace imminente» sur la santé de la planète, par le fait démontré d'une croissance économique débridée. Une conception nouvelle du développement est alors préconisée : le «sustainable development» ou «développement durable» (10), un paradigme qui intègre, désormais, dans une sorte d'»économie verte», les contraintes écologiques et sociales à l'économie, en «répondant aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs». Que s'est-il passé au juste ? Subitement et contre toute attente, la communauté, considérée, jusque-là, comme une survivance, la trace d'un passé révolu, tendant à disparaitre par la logique même du «progrès» et la doctrine libérale individualiste (11), va acquérir de nouvelles vertus, au regard du rôle qu'il lui sera conféré, celui de «gardienne» et de «garante» de la diversité biologique. Une reconnaissance «soudaine», dont l'arrière-fond est fondamentalement économique, celui de la création d'un marché de la biodiversité et des ressources génétiques (12), dont la communauté constituerait le noyau d'articulation. L'idée de marché avait germé, une dizaine d'années plutôt, dans les milieux de l'industrie biotechnologique, intéressés par le brevetage du vivant et les opportunités offertes par les ressources végétales et animales, notamment dans les domaines pharmaceutique, de la cosmétique et de l'agroalimentaire. Le processus marchand consistant à appliquer les règles de l'offre et de la demande à la biodiversité, en garantissant l'opérativité des mécanismes de régulation, par l'organisation de la «bioprospection»(13), la limitation des effets de la biopiraterie et la possibilité offerte à chaque acteur et partie prenante d'exploiter ses avantages comparatifs. L'idée force étant l'institution d'un modèle de conservation de la biodiversité, partant des principes de l'exploitation commerciale. Pour actionner le mécanisme de l'offre et de la demande, les concepteurs de cette idée vont mettre en vis-à-vis deux protagonistes, les fournisseurs (14) et les utilisateurs (15) de la biodiversité, dans une relation de «partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques», appelée par abréviation»APA» (16). Elle a pour but essentiel de «garantir l'accès aux ressources génétiques pour les pays du nord et permettre aux pays du sud de contrôler cet accès et d'en tirer des avantages» (CDB, art.1). Il y a lieu de retenir ici le sens et la portée du découpage politico-territorial envisagé par la CDB, entre pays du nord et pays du sud, pour légitimer le système APA en tant que mécanisme de rétribution et de compensation des communautés, en contrepartie de leur apport en connaissances traditionnelles, dans le cadre du processus d'exploitation des ressources génétiques. Or, ce découpage est loin d'être le reflet d'une réalité biogéographique; la répartition des ressources génétiques est indépendante de l'organisation géopolitique du territoire, elle dépend de facteurs géodynamiques externes, notamment climatiques (latitude, altitude, balancement atmosphérique), qui sont sujet à d'incessants changements. Dans ce découpage, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et les Etats-Unis, pays également pourvoyeurs en biodiversité et particulièrement imprégnés par la dimension communautés traditionnelles, ne se situent pas dans le compartiment sud. Le découpage nord-sud ne couvre pas, par ailleurs, l'océan mondial, qui répond à d'autres significations territoriales. Les concepteurs du découpage sud-nord ont ciblé les régions potentiellement riches (17) en biodiversité, situées autour de la bande équatoriale. Ils ont en établi une cartographie qui fait ressortir, d'un côté, les «gardiens» des ressources BIOLOGIQUES (pays du sud) et, de l'autre, les «utilisateurs» des ressources GENETIQUES (les pays du nord En 2010, une vingtaine d'années après l'adoption de la CDB, un protocole additionnel est venu renforcer le mécanisme APA, le Protocole de Nagoya (18). Il vise les ressources génétiques (RG), considérées comme valeurs utilitaires à mettre sur le marché. Son but est de mettre en connexion dynamique les fournisseurs (communautés locales, paysannes et autochtones) et les utilisateurs (firmes pharmaceutiques, agro-industrie?). Mais en quoi la communauté est-elle si déterminante dans ce dispositif marchand, qui va dépasser le cadre même de la CDB, pour se placer sur d'autres terrains de négociation et de nouveaux paradigmes non encore clairement énoncés ? (19). Dans le paradigme du développement durable, la communauté est envisagée dans une signification quasi «écosystémique», comme agent actif de la conservation de la biodiversité, par le fait même de son mode d'organisation traditionnelle, ses règles de droit communautaire, s'exerçant aux échelles de la famille, du clan, de la tribu ou de toute autre forme d'organisation de type communautaire. Nous sommes loin du «flou» conceptuel de la Convention de 2003 pour la sauvegarde du PCI. Il ne s'agit pas de groupes ou d'individus, ni de médiateurs experts et autres scientifiques, la communauté est investie dans sa conformation «biotopique» et sa signification écosystémique(20). C'est dans cette compréhension qu'un lien est établi entre la communauté, porteuse de connaissances traditionnelles et la biodiversité : «?Lorsque les communautés, les langues et les pratiques disparaissent en même temps que les peuples autochtones et locaux, c'est la vaste bibliothèque des connaissances accumulées parfois pendant des milliers d'années, qui est perdue à jamais» (21). Par ses connaissances, innovations et pratiques traditionnelles, la communauté va jouer un rôle essentiel dans le nouveau modèle d'exploitation des ressources génétiques, en se plaçant comme lieu d'articulation du mécanisme APA. Mais qu'entendons-nous par connaissances traditionnelles ? Il n'y a pas, jusque-là, de consensus international sur le concept. Seule l'OMPI a tenté une définition : «les connaissances, le savoir-faire, les techniques et les pratiques qui sont élaborés, préservés et transmis d'une génération à l'autre au sein d'une communauté et qui font souvent partie intégrante de son identité culturelle ou spirituelle» (22). Le Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore de l'OMPI, plus pragmatique, les a rangées en deux catégories de savoirs : les savoirs traditionnels relatifs à la biodiversité et les savoirs relatifs aux arts, tel l'artisanat ou les expressions du folklore. Le Protocole de Nagoya ne couvre que les savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques,(procédés et techniques traditionnels), qui relèvent d'un corpus immatériel quasi insaisissable, ne se prêtant pas à l'objectivation requise pour déterminer une hauteur de bénéfices et d'avantages dans le processus APA. L'un des articles du document de Nagoya (23) prône même l'usage de «protocoles communautaires», pour assurer la conformité du processus «APA» aux normes de régulation sociale des communautés concernées, ce qui présuppose la reconnaissance de ces communautés. C'est là une difficulté de taille, qui affecte les mécanismes mêmes du consentement préalable donné en connaissance de cause (CPCC) et des conditions convenues d'un commun accord (CCCA). Traditionnellement fondue dans les actifs de la culture et du patrimoine culturel (24) les connaissances traditionnelles se voient convoquées sur le terrain de l'exploitation commerciale, en vertu d'un nouveau principe régissant la diversité biologique. La biodiversité passant de patrimoine commun de l'humanité à préoccupation commune à l'humanité (CDB, Préambule). Une préoccupation, au sens de l'inquiétude et de la responsabilité, qui va lier l'érosion de la diversité biologique à la perte continue et croissante des connaissances traditionnelles, par le fait des pressions économiques, sociales et culturelles de la mondialisation. C'est dans cette compréhension que s'entend, aujourd'hui, la «conservation de la biodiversité et des savoirs associés ». L'«érosion» - au sens sédimentaire du terme - de la diversité biologique, est mise en corrélation analogique avec la «perte» des connaissances traditionnelles. Un pas est franchi, qui va mener à une confusion des genres : diversité biologique devenant synonyme de diversité culturelle. (sujet que nous traiterons en seconde partie). Au regard de la CDB, la communauté est sollicitée à l'échelle de la conservation «in situ» (25) de la biodiversité, c'est-à-dire sur les lieux mêmes d'exercice des connaissances et innovations traditionnelles. L'»in situ» est considéré comme espace écosystémique, jouant le rôle d'une banque de gènes de plein air, qu'il s'agira de préserver dans la perspective d'une exploitation commerciale potentielle. C'est en cela que la communauté est qualifiée de «gardienne» et de «garante» de la conservation de la biodiversité, la «gardienne du Temple», en langage métaphorique, qui n'a, cependant, aucun moyen d'accès à l'espace «ex situ» des pays du nord, ce lieu du traitement génétique de la biodiversité (laboratoires, centres de recherches). C'est le sens même de l'article 8 (j) de la CDB à l'endroit de la communauté : «sous réserve des dispositions de sa législation nationale, respecte, préserve et maintienne les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnel présentant un intérêt pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique et en favorise l'application sur une plus grande échelle, avec l'accord et la participation des dépositaires de ces connaissances, innovations et pratiques et encourage le partage équitable des avantages découlant de l'utilisation de ces connaissances». Quelle est la place des connaissances traditionnelles dans le dispositif marchand ? Par leur nature, ces connaissances sont à la base même de la compréhension des propriétés biologiques et génétiques des ressources naturelles et de l'identification des opportunités d'obtention de produits ou de services utiles (médicament, cosmétique, pratiques et techniques agricoles et environnementales). Elles constituent, dans le processus de négociation, une partie essentielle pour la construction de projets de bioprospection, censés engendrer de la valeur ajoutée. Or, à la différence des savoirs scientifiques formels, couverts par le système de protection intellectuelle, les connaissances traditionnelles, de statut informel, ont cette spécificité d'avoir été accumulées et transmises, oralement, de génération en génération, selon des codes et des protocoles spécifiques, qui se refusent à l'appropriation individuelle et donc à la protection juridique par le système de la propriété intellectuelle. Les connaissances traditionnelles font partie d'un stock d'informations (données incorporelles) qui procède d'une vision holistique du monde, d'une cosmologie communautaire qui se situe à l'opposé même du droit naturel moderne. Elles ne se prêtent pas à la pondération comme actifs commerciaux. Elles constituent des valeurs vivantes inestimables et non appropriables. Comment les intégrer, alors, dans le calcul économique, pour y déterminer des avantages et un partage équitable ? Comment pondérer la valeur d'un savoir traditionnel (ex. vertus médicinales d'une plante), qui remonte à plusieurs milliers d'années, fixer son étendue géographique et identifier ses détenteurs ? La valeur, l' étendue géographique et l'identité des détenteurs de la biodiversité, sont les trois principales lézardes de la CDB, que le Protocole de Nagoya a tenté de colmater, en s'établissant, non pas sur le terrain du consensus multilatéral, mais en sollicitant directement les Etats-parties, comme énoncé dans l'article 5.5: «Chaque Partie prend les mesures législatives, administratives ou de politique générale, selon qu'il convient, afin que les avantages découlant de l'utilisation des connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques soient partagés de manière juste et équitable avec les communautés autochtones et locales détentrices de ces connaissances. Ce partage s'effectue selon des conditions convenues d'un commun accord» (26). Le Protocole de Nagoya est venu pour corriger et lever les «incertitudes» de la CDB en organisant et encadrant le marché par des mécanismes d'accompagnement, de type juridique et institutionnel. Il conféra aux Etats-parties, chacun «selon qu'il convient», une mission conceptuelle et définitionnelle, qui est parfois très malaisée voire même risquée par ses prolongements incertains (politiques, identitaires). Les Etats sont, par ailleurs, placés dans une situation paradoxale, qui, d'une part, leur reconnait la souveraineté sur leurs ressources naturelles(27) et d'autre part, exige d'eux le consentement préalable des communautés (28). Il faut bien saisir, ici, la différence entre ressource biologique (RB) (29) considérée dans sa physicalité (végétale, animale, microbienne) et sa fonction écosystémique et dont la protection incombe à l'Etat souverain, et ressource génétique (RG) (30) prise dans son immatérialité, comme information à potentialité économique, qui renvoie à l'utilisateur. C'est dans ce stock d'informations que siègent, en proportions variables, les savoirs scientifiques formels, éligibles au système de protection de la propriété intellectuelle et donc brevetables et les connaissances traditionnelles, informelles, qui ne sont pas des actifs protégeables par le système de la propriété intellectuelle et donc non brevetables. La notion même de propriété est absente dans la pensée communautaire. Le propre des connaissances traditionnelles est qu'elles ne s'expriment pas sous la forme d'attributs mesurables, mais se présentent en qualité d'idées et de valeurs, portées par les mémoires collectives et individuelles des communautés. Elles ne souscrivent pas aux dispositions du droit d'auteur mais expriment tout son contraire. Les connaissances traditionnelles sont incompatibles avec les droits de propriété intellectuelle, dans ce sens où elles procèdent d'une logique de perpétuation d'un patrimoine détenu collectivement et transmis oralement et par le geste, de génération en génération, pour garantir la continuité des significations culturelles et/ou religieuses. Les connaissances traditionnelles ne peuvent ni être fixées dans le temps, ni renvoyées à une exclusivité des droits, car leurs origines peuvent être très anciennes. Elles ne sont pas appropriables et ne ressortent pas d'une logique de gain économique. Elles peuvent être circonscrites à un territoire ou partagées entre plusieurs. La communauté, elle-même, ne pouvant être précisément délimitée, car en évolution et en constantes transformations. A la lumière de cet examen critique de la convention de la CDB et du Protocole de Nagoya, notamment les aspects liés aux communautés et aux connaissances traditionnelles, il se dégage l'idée d'une nécessaire revisite du sujet, dans la perspective d'un renouveau paradigmatique et d'une approche holistique pour un rééquilibrage du rapport fournisseur/utilisateur, au regard, d'une part, des avancées conceptuelles, notamment les nouveaux objectifs du développement durable (ODD) dans le cadre de l'Agenda 2030 et, d'autre part, des progrès enregistrés dans les domaines des sciences biologiques, de la biotechnologie et surtout de l'informatique avec la «révolution des métadonnées», dont l'ultime aboutissement est l'information du séquençage numérique sur les ressources génétiques (ISN) (31). Le débat semble aujourd'hui se déplacer de l'orbite de l'»in situ», pour s'établir préférentiellement en «ex situ» (32) La relation fournisseur/utilisateur relève, désormais, d'une nouvelle formulation. Les utilisateurs peuvent, désormais, accéder à l'information génétique sans passer, nécessairement, par l'étape bioprospection et donc sans «s'encombrer» du dispositif APA. Les chercheurs auront ainsi la possibilité d'accéder aux données biologiques, stockées dans les bases de données constituées, sans recourir à la bioprospection et parfois même sans procéder eux-mêmes au séquençage(33).Les séquençage systématique sont réalisés dans les laboratoires de biologie moléculaire en pays du nord. La systématisation du séquençage a bouleversé l'ordre des échanges fournisseur/utilisateur, appelant une nécessaire revue du dispositif APA. Il se pose, aujourd'hui, la question du statut juridique de l'SIN. Faut-il l'inclure dans les obligations APA ou le laisser en libre accès ? Il va de soi que les pays du nord prônent son libre accès, arguant des avantages sociétaux qu'il peut procurer, notamment en matière de sécurité alimentaire et de santé. Les pays du sud considèrent, quant à eux, que l'ISN fait partie intégrante du matériel génétique et qu'elle doit, par conséquent être soumise aux obligations APA. Pour rappel, avant l'adoption de la CDB, les ressources biologiques étaient considérées comme patrimoine commun de l'humanité et étaient donc gratuits et de libre accès. Que s'est-il passé depuis? Il a été relevé, par les pays en développement, un déséquilibre dommageable entre, d'une part, le libre accès et la gratuité des ressources biodiversifiées et, d'autre part, la mise sous brevets exclusifs des produits mis au point à partir de ces ressources. Cette relation d'inégalité et d'injustice a suscité la controverse entre les pays du nord, privilégiés par l'accès libre et la gratuité des ressources génétiques et les pays du sud, qui ne peuvent accéder aux ressources génétiques modifiées, car brevetées. Pour remédier à cette situation il a été négocié le changement du concept «patrimoine commun de l'humanité» en «préoccupation commune de l'humanité», de manière à conféré le droit souverain national sur les ressources biologiques. Un objectif qui a été concrétisé par la CDB. Il a également été négocié, mais en vain, la limitation des droits protégés par le brevet. Les règles de droit sur le brevet, tels qu'établies par la convention de Paris sur le droit international en matière de brevets, n'ont pas été modifiées. La CDB considérant qu'ils ne rentrent pas dans son champ d'application. Devant cette situation de fait accompli, d'aucuns se sont essayés à établir des brevets ou des droits sui generis, qui traduiraient au mieux les pratiques technologiques en matière de conservation et de mise en valeur des ressources génétiques. De même qu'ils se sont essayés à établir des formes de droit de protection de la propriété intellectuelle sous des formes sui generis. Le problème demeurant entier, sans la reconnaissance la reconnaissance formelle de l'indivisibilité de l'intérêt commun de la communauté et des connaissances traditionnelles. N.B. Dans cette contribution nous n'avons pas évoqué, le Traité international des ressources phylogénétiques et agricoles (TIRPAA)(34) sa relation au Protocole de Nagoya, ainsi que les autres instruments multilatéraux qui ont été mobilisés dans le cadre des négociations sur la diversité biologique, tels le GATT (General Agreement on Tarrifs and Trade (remplacé par l' OMC (Organisation mondiale du commerce à partir de 1995) et l'UPOV ( Union internationale pour la protection des nouvelles variétés végétales). Tous ces instruments ont favorisé la protection des droits de propriété intellectuelle relatifs aux formes de vie et le respect à l'échelle planétaire de ces droits et des technologies connexes. * Docteur Renvois: (1) Le patrimoine culturel immatériel : valeurs locales et cadre national. Le Quotidien d'Oran du 06 août 2022. Le patrimoine culturel immatériel en Algérie : du local à l'universel. Le Quotidien d'Oran du 14 mai 2022. (2) Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003, Paris, 29e session de la Conférence générale de l'Unesco. Adoptée en 2003 et entrée en vigueur en 2006. (3) Glossaire de 2002 : Patrimoine culturel immatériel, élaboré lors de la Réunion internationale d'experts à l'UNESCO du 10 au12 juin 2002, sous la direction de Wim van Zanten, Commission nationale néerlandaise pour l'UNESCO, La Haye, Pays-Bas, août, 2002. (4) Les droits culturels sont des droits fondamentaux, fondés sur les articles 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), tous deux adoptés de 1966. Ces droits couvrent les droits civils et politiques, les droits économiques sociaux et culturels. (5) «La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances.» in Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982. (6) Richard Kurin, 2004. La sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel selon la convention de l'UNESCO de 2003 : Une évaluation critique. Pp.68-79. In Museum international 221-222, Ed. UNESCO. (7) Organisation mondiale de la propriété intellectuelle est une institution spécialisée des Nations unies, vréée le 14 juillet 1967 et dont le siège est à Geneva (Suisse). Elle a pour mission de stimuler la créativité et le développement économique en promouvant un système international de propriété intellectuelle, (8) Convention sur la diversité biologique, Rio de Janeiro, 5 juin 1992. C'est un traité international entré en vigueur en 1993, ayant trois objectifs principaux : la conservation de la diversité biologique ; l'utilisation durable des composants de la diversité biologique ; et le partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation de ressources génétiques. (9) Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Paris, octobre 2005. (10) Selon la définition du rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies, dit rapport Brundtland, Développement durable (en anglais : sustainable development,) est un concept du développement qui «répond qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs». Il est envisagé dans une perspective de long terme en intégrant les contraintes environnementales et sociales à l'économie. (11) La Communauté est entendue, ici, davantage dans le sens anglo-saxon, «Communauty», proche de la définition du philosophe allemand Ferdinand Tönnies, dans son ouvrage «Communauté et société en 1887», comme «groupe social caractérisé par l'attachement, l'affection qu'a l'individu, envers sa famille (lien de sang), son village ou son quartier et ceux qui y habitent (lien d'amitié) et les pratiques coutumières et religieuses y existant». (12) Un marché, né à la fin des années 1980, du fait des progrès enregistrés dans le domaine de la biotechnologie et du brevetage du vivant, qui ont rendu possible l'utilisation lucrative des substances naturelles, notamment dans les secteurs de la pharmacie, de la cosmétique, de l'agroalimentaire. (13) L'examen et l'étude des éléments constitutifs de la biodiversité dans un champ ecosystémique pour un objectif scientifique, économique, ou visant à la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité suivant les principes de la Convention sur la diversité biologique. (14) fournisseurs Ce sont les États, disposant de droits souverains sur les ressources naturelles situées sur leur territoire, qui mettent en place les conditions d'accès à ces ressources, pour une utilisation durable du point de vue de l'environnement. C'est eux qui gouvernent le processus du consentement préalable donné en connaissance de cause et des conditions convenues d'un commun accord, de l'accès et du partage équitable des avantages. Ils ont, selon la législation en vigueur, la possibilité d'associer d'autres personnes ou entités, telles que des communautés autochtones et locales, à la négociation des dispositions régissant l'accès et le partage des avantages. La participation des communautés autochtones et locales étant requise en cas d'accès à des connaissances traditionnelles associées à des ressources génétiques (15) Ce sont les parties, (Jardins botaniques, instituts de recherche, laboratoires de recherche pharmaceutique, agricole et des cosmétiques, collectionneurs?), qui partage avec les fournisseurs, les avantages retirés des ressources génétiques en termes de recherche fondamentale au de développement de nouveaux produits commerciaux. (16) Procédé juridique, institué par la Convention sur la diversité biologique (CDB) et le Protocole de Nagoya, destiné aux utilisateurs de ressources génétiques et des connaissances traditionnelles qui leur sont associées, favorisant la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité. (17) la notion de richesse, prise ici, dans le sens quantitatif, occulte la dimension qualitative. Dans les régions arides et désertiques, les ressources naturelles ne sont pas regardées pour leur potentiel de diversité, celui-ci étant faible. C'est leurs propriétés de résistance et d'adaptation aux conditions extrêmes, qui leur confère de l'importance. 18) Le Protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation à la Convention sur la diversité biologique, est un accord additionnel complétant la Convention sur la diversité biologique, adopté le 29 octobre 2010 à Nagoya, au Japon, et est entré en vigueur le 12 octobre 2014... Il est le deuxième protocole à la Convention sur la diversité biologique. Il fait suite au Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques. (19) La translation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) vers les Objectifs du Développement Durable (ODD), avec l'introduction d'autres indicateurs que le PIB pour mesurer le bien-être et les progrès humains, l'élimination des inégalités et l'accent sur une gouvernance efficace. Les ODD sont universellement applicables à tous les pays. La compartimentation sud-nord est supprimée. Les ODD furent adoptés en Septembre 2015 et mise en œuvre depuis Janvier 2016. (20) Une expérience intéressante a été effectuée dans cette perspective d'identification des espaces écosystémiques dans leur relation aux établissements humains, dans le cadre du projet FEM/PNUD et Ministère de la Culture, intitulé, dans sa première phase (2003-2010) «Conservation et utilisation durable de la biodiversité d'intérêt mondial dans les deux parcs nationaux du Tassili et de l'Ahaggar». (21) Déclaration universelle de l'UNESCO de 2001 sur la diversité culturelle. (22) D'un point de vue méthodologiques, ces connaissances ont été classées en deux catégories : les savoirs traditionnels au sens large, qui «couvrent les connaissances proprement dites ainsi que les expressions culturelles traditionnelles, y compris les signes distinctifs et les symboles associés aux savoirs traditionnels» et les savoirs traditionnels au sens strict, qui «désignent les connaissances en tant que telles, en particulier celles qui résultent de l'activité intellectuelle exercée dans un contexte traditionnel et comprennent le savoir-faire, les pratiques, les techniques et les innovations». (23) Article 12 de la CDB sur les connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques. (24) Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. (25) Les ressources génétiques «in situ» se trouvent dans les écosystèmes et habitats naturels. Elles peuvent provenir de la vie sauvage, de la faune domestiquée et de plantes cultivées. (26) Conditions convenues d'un commun accord (MAT) entre les fournisseurs de ressources génétiques et les utilisateurs, qui régissent les conditions d'accès et d'utilisation des ressources, ainsi que le partage des avantages entre les deux parties. (27) Protocole de Nagoya : Art. 6. 2. «Conformément à son droit interne, chaque Partie prend, selon qu'il convient, les mesures nécessaires pour s'assurer que le consentement préalable donné en connaissance de cause ou l'accord et la participation des communautés autochtones et locales sont obtenus pour l'accès aux ressources génétiques, dès lors que leur droit d'accorder l'accès à ces ressources est établi».Article 7. «Conformément à son droit interne, chaque Partie prend, selon qu'il convient, les mesures appropriées pour faire en sorte que l'accès aux connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques détenues par les communautés autochtones et locales soit soumis au consentement préalable donné en connaissance de cause ou à l'accord et à la participation de ces communautés autochtones et locales, et que des conditions convenues d'un commun accord soient établies». Article 12.1. «En mettant en œuvre les obligations qui leur incombent en vertu du présent Protocole, les Parties, en conformité avec leur droit interne, tiennent compte, s'il y a lieu, du droit coutumier des communautés autochtones et locales ainsi que de leurs protocoles et procédures, pour tout ce qui concerne les connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques». (28) Le consentement préalable donné en connaissance de cause (CPCC) est l'autorisation donnée par l'Autorité nationale compétente d'un pays à une personne ou une institution voulant à des ressources génétiques, dans un cadre juridique et institutionnel requis. (29) La Ressource biologique inclut des ressources génétiques, des organismes ou des parties de ceux-ci, des populations ou d'autres composants biotiques et écosystèmes ayant une valeur ou présentant un potentiel d'utilisation pour l'humanité. (30) La Ressource génétique désigne le matériel génétique provenant de plantes, d'animaux et de microbes présentant une valeur d'utilisation potentielle. Le Matériel génétique : désigne, quant à lui tout matériel d'origine végétale, animale, microbienne ou autre, contenant des unités fonctionnelles d'hérédité (31) L'Information de Séquençage Numériques (ISN) sur les ressources génétiques procède d'une technologie de traitement biochimique de molécules séquentielles tels l'acide désoxyribonucléique (ADN), l'acide ribonucléique (ARN) et les protéines (acides aminés). (32) Les ressources génétiques «ex situ» sont celles qui se trouvent en dehors de leur écosystème ou habitat naturel (dans un jardin botanique, une banque de données ou une collection commerciale ou universitaire. (33) Les progrès biotechnologiques sont arrivés à l'utilisation de faibles échantillons de matériel tangible pour extraire et reproduire chimiquement ou par modification biologique des composés bioactifs. Cette situation a considérablement réduit le recours aux bioprospections «in situ» et donc aux communautés et à leur connaissances traditionnelles. (34) Traité international sur les ressources phylogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (TIRPAA/Traité international) procédant d'un système multilatéral de l'APA distinct de celui de Nagoya. Comment traiter l'interface entre ces deux systèmes, et est la question de l'heure ? |