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NEW YORK - Nous
avons tant de choses à célébrer pour cette nouvelle année. L'arrivée de vaccins
sûrs et efficaces nous permet d'entrevoir une lumière au bout de ce tunnel de
la pandémie, même si les mois prochains risquent d'être terrifiants. Fait tout
aussi important, le président colporteur de mensonges, incompétent et mesquin
des États-Unis sera remplacé par un homme au caractère diamétralement opposé.
Mais pour autant, nous ne devons pas nous faire d'illusions : le président élu Joe Biden devra faire face à son lot de difficultés une fois investi de ses fonctions. Les lourdes séquelles laissées par la présidence de Trump ne vont pas disparaître du jour au lendemain, tout comme celles laissées par la pandémie, dont l'administration sortante s'est si peu souciée. Le traumatisme économique ne va pas disparaître en un claquement de doigts, et sans une aide globale à cette heure de grande détresse - en particulier en faveur des administrations d'État et locales - les dures épreuves que nous endurons risquent de perdurer. Les alliés de longue date de l'Amérique, bien entendu, vont accueillir d'un bon œil le retour d'un monde dans lequel les États-Unis incarnent la démocratie et les droits de l'homme, et coopèrent au niveau international dans la lutte contre les pandémies et le changement climatique. Mais une fois encore, chacun sait à quel point la face du monde a radicalement changé. Les États-Unis se sont révélés être en fin de compte un allié peu fiable. Certes la Constitution américaine et ses 50 États ont survécu et ont protégé la démocratie américaine contre les impulsions les plus néfastes de Trump. Mais le fait que 74 millions d'électeurs américains aient voté en faveur de quatre ans de plus d'une administration aussi grotesque nous fait froid dans le dos. Que nous réserve la prochaine administration ? Pourquoi les autres devraient-ils se fier à un pays qui risque de répudier toutes les valeurs qu'il représente dans à peine quatre ans ? Le monde ne saurait se réduire à la simple approche transactionnelle de Trump. La seule façon d'aller de l'avant consiste à mettre en œuvre un multilatéralisme véritable, au sein duquel l'exception américaine soit subordonnée de manière authentique à des intérêts et des valeurs communes, à des institutions internationales, ainsi qu'à une forme d'État de droit à laquelle les États-Unis ne sauraient faire exception. Cela représenterait une réorientation de première importance pour les États-Unis, eux qui ont longtemps occupé une posture hégémonique et qui occupent à présent une place définie par leurs partenariats. Une approche de ce genre n'aurait rien d'inédit. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont aperçus qu'il était dans leur intérêt de céder une part de leur influence à des organisations internationales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Malheureusement, l'Amérique n'a pas poussé ce processus aussi loin qu'il aurait fallu. Alors que John Maynard Keynes a appelé, dans sa grande sagesse, à créer une monnaie mondiale - une idée qui s'est concrétisée par la suite sous la forme des droits de tirage spéciaux (DTS), les États-Unis ont réclamé un droit de veto au FMI et n'ont pas conféré à ce Fonds tous les pouvoirs nécessaires. Quoi qu'il en soit, une grande part de ce que Joe Biden va pouvoir accomplir une fois investi de ses fonctions va dépendre des résultats des élections du second tour pour les deux sièges sénatoriaux à pourvoir dans l'État de Géorgie le 5 janvier. Mais même dans le cas d'un Sénat récalcitrant, le président dispose d'une énorme influence sur les affaires internationales. Biden aura les moyens de faire sans plus tarder beaucoup de choses lui-même. Une priorité sera celle de la relance économique post-pandémique, qui ne sera forte qu'à condition d'être forte partout. Nous ne pouvons pas compter sur la Chine cette fois-ci pour jouer un rôle dans le soutien de la demande, comme elle a pu le faire suite à la crise financière mondiale de 2008. En outre, les pays en développement et les pays émergents manquent des ressources nécessaires au déploiement de programmes de relance économiques massifs que les États-Unis et l'Europe ont fourni à leurs économies. Ce qu'il faut, comme la Directrice générale du FMI Kristalina Georgieva l'a fait remarquer, c'est une émission massive de droits de tirage spéciaux (DTS). Près de 500 millions de cette « monnaie » mondiale pourraient être émis du jour au lendemain, à la seule condition que le Secrétaire du Trésor des États-Unis approuve cette mesure. Alors que l'administration Trump bloque une émission de DTS, Biden pourrait donner le feu vert à cette mesure, tout en donnant son aval à des propositions existantes du Congrès en vue d'augmenter grandement le montant de ces émissions. Les États-Unis pourraient ensuite rejoindre les autres pays riches qui ont déjà alloué leur dotation de fonds aux pays dans le besoin. L'administration Bien peut également aider à mener l'effort de restructuration de la dette souveraine. Plusieurs pays en développement et marchés émergents sont déjà confrontés à des crises de la dette, et bien d'autres risquent de se retrouver dans la même situation. Les États-Unis n'ont jamais eu autant d'intérêts en jeu dans la restructuration de la dette mondiale. Durant les quatre années qui viennent de s'écouler, l'administration Trump a rejeté les faits scientifiques élémentaires et a bafoué l'État de droit. Ainsi, l'ambition visant à rétablir les normes des Lumières est une autre grande priorité. L'État de droit international, ainsi que la science, ont tout autant d'importance que la propre prospérité des États-Unis en tant que tels dans le système de l'économie mondiale. En matière de commerce, l'Organisation mondiale du commerce nous offre un socle sur lequel nous allons pouvoir reconstruire. À ce jour, l'ordre du jour de l'OMC dépend trop de questions de pouvoir politique, mais cela peut changer. La candidature de Ngozi Okonjo-Iweala au poste de directrice générale de l'OMC bénéficie d'un large soutien. L'affectation d'Okonjo-Iweala, éminente ancienne ministre des Finances nigériane et ancienne vice-présidente de la Banque mondiale, n'a été retardée que par l'administration Trump. Aucun système commercial ne peut se passer d'une méthode d'arbitrage des différends. En refusant la nomination de nouveaux juges au sein du mécanisme d'arbitrage des différends de l'OMC en remplacement des départs à la retraite, l'administration Trump laisse cette institution dépourvue du quorum nécessaire et paralyse son fonctionnement. Néanmoins, bien que Trump ait fait tout ce qui était en son pouvoir pour affaiblir les institutions internationales et l'État de droit, il a également à son insu ouvert la porte à une amélioration de la politique commerciale des États-Unis. Par exemple, la négociation à nouveaux frais par l'administration Trump de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avec le Mexique et le Canada s'est largement débarrassée des dispositions relatives aux investissements, qui étaient devenues l'un des aspects les plus nocifs pour les relations économiques internationales. À présent, le Conseiller au Commerce nommé par Trump, Robert Lighthizer, emploie le temps qui lui reste à son poste pour réclamer des sanctions « anti-dumping » à l'encontre de pays qui fournissent des avantages à leurs pays en faisant fi des normes mondiales sur l'environnement. Étant donné que j'ai inclus une proposition de ce genre dans mon livre de 2006 Making Globalization Work, il semble y avoir à présent de nombreuses raisons d'espérer un nouveau consensus bipartite sur le commerce. La plupart des actions décrites ci-dessus n'ont pas besoin d'une action du Congrès et peuvent être menées à bien dès les premiers jours de l'entrée en fonction de Biden. Donner suite à ces objectifs aura de nombreux effets bénéfiques et permettra de réaffirmer l'engagement de l'Amérique en faveur du multilatéralisme, tout en nous faisant oublier le désastre des quatre années écoulées. Prix Nobel d'économie - Professeur d'Université à Columbia University, économiste en chef au Roosevelt Institute et ancien vice-président principal et économiste en chef de la Banque mondiale. Il a publié dernièrement People, Power, and Profits: Progressive Capitalism for an Age of Discontent (Penguin, 2020). |