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« Une nation qui fait appel au
concours d'autres nations pour résoudre un problème qui lui est propre montre
sa faiblesse et méconnaît son indépendance » Samuel Ferdinand-Lopes
Après des siècles d'engourdissement, les peuples maghrébins reprennent conscience de leur passé glorieux, de leur aliénation présente et de leurs forces potentielles futures. Les difficultés économiques, le malaise social, l'impasse politique, le règne de l'immoralité ne sont pas étrangers à ce réveil des peuples maghrébins et musulmans. Ce qui frappe d'emblée l'observateur, c'est la jeunesse des mouvements contestataires dans la quasi-totalité des pays où la démocratie est absente. Le phénomène contestataire contemporain est le produit de toutes les tensions, les traumatismes et les frustrations accumulées durant ces dernières décennies. Les mouvements de protestation traduisent le désarroi d'une population privée d'idéal et de perspectives d'avenir dans un contexte de crise politique et de contradictions économiques. Partout dans le monde les jeunes aspirent à participer plus activement à la gestion des affaires politiques et économiques. Cependant dans la plupart des pays de l'Afrique du Nord, les systèmes sont sclérosés empêchant le renouvellement des élites et la renaissance des idées. La jeunesse arabe et musulmane ne veut plus d'un Etat comme un legs du colonialisme ou comme un instrument hégémonique occidental. Ce qu'elle désire par-dessus tout c'est d'un Etat de droit ouvert sur le monde fondé sur une morale et animé par des dirigeants honnêtes et compétents élus en toute liberté sur la base d'un programme clair et d'un échéancier précis et sur la base duquel ils seront appelés à être jugés. Dans les sociétés traditionnelles, avant l'avènement de l'islam, les dirigeants arabes étaient soit des chefs de tribus, soit des chefs de clans jouissant de la même autorité que les rois et une obéissance totale leur était due en temps de guerre comme en temps de paix. Les Arabes avaient avec leurs parents ainsi qu'avec leur clan des relations profondes, l'esprit de clan était leur raison de vivre ou de mourir. L'esprit de société qui régnait au sein de la tribu était exacerbé par le tribalisme. Les chefs de tribus s'arrogeaient une part considérable du butin. Les tribus arabes furent constamment jalonnées de troubles et de désordres. Les guerres intestines incessantes firent des peuples arabes et musulmans des proies faciles pour des invasions étrangères. C'est l'islam qui a unifié les tribus arabes et c'est sous sa bannière qu'ils se sont libérés du joug colonial. L'Algérie contemporaine s'insère dans un ensemble géographiquement plus vaste plus prometteur qu'est le Maghreb des peuples qui s'étend du Maroc jusqu'en Lybie et historiquement plus lointain remontant aux Phéniciens, aux Romains, aux Arabes et aux Turcs. Les pays de la région ont tourné le dos à leur passé ancestral commun et les Etats veillent à l'intégrité géographique présente. Alors que le mur opposant des idéologies s'est effondré en 1989, de nombreux murs séparant des peuples se sont élevés depuis, en Amérique, en Russie, au Moyen-Orient, au Maghreb. Eternel dilemme : se combattre ou s'entraider, se faire tuer par l'autre ou s'allier à l'autre ; échange de balles (la guerre) ou échange de sœurs (la paix) entre Maghrébins de race berbère et de religion musulmane vivant sur un même espace géographique depuis des millénaires envoûtés par le miroir aux alouettes que représente l'Europe. Chacun veille à sa petite épicerie en empêchant l'implantation d'un supermarché salutaire pour l'ensemble des peuples de la région par l'ouverture des frontières, la diminution drastique des dépenses militaires, la construction d'une économie complémentaire, la constitution d'un front uni contre la politique de division des puissances étrangère qui a fait ses preuves depuis l'effondrement de l'empire ottoman. Le Maghreb des peuples renaîtra-t-il de ses cendres ? Le Maghreb est une terre convoitée par les puissances étrangères et des peuples à asservir par leurs propres élites pour la prospérité et la sécurité de l'Occident triomphant. Le Maghreb a connu plusieurs envahisseurs tout au long de son histoire. Le dernier en date est la France. La colonisation a émietté la région pour en faire la propriété des Etats qui vont en faire une propriété privée. Les Etats africains dans leur configuration actuelle sont les produits de la décolonisation opposant des monarchies aux républiques, des dictatures militaires aux régimes laïcs, des Berbères aux Arabes, les Marocains aux Algériens, des Tunisiens aux Libyens. Le Maghreb dans sa configuration actuelle, est une création de la colonisation française qui a tracé ses frontières pour en faire un « socle de la France » laquelle a façonné les mentalités des autochtones en les dressant les uns contre les autres (les Kabyles contre les Arabes, les harkis contre les fellagas, les illettrés contre les lettrés, les musulmans contre les musulmans !) et en inculquant au colonisé qu'il est inférieur au colonisateur, qu'il soit marocain, algérien, tunisien ou libyen. L'un ne peut se définir que par opposition à l'autre. Par conséquent un colon ne peut être qu'un privilégié par rapport aux indigènes ; le colonisé est dépourvu de tout droit, c'est un être inférieur constamment soumis et humilié, en état de carence permanente. Du statut de l'indigénat au statut de citoyen, que de chemin à parcourir, que d'obstacles à franchir, que de pièges à éviter. Le passage de la soumission aux autres au contrôle de soi-même et de la domination à l'autonomie est une œuvre de longue haleine qui exige patience et persévérance. A un moment où la planète tend à être un village africain, le Maghreb des peuples doit renaître de ses cendres. C'est un impératif politique, économique et social majeur. Que serait-il devenu le Maghreb aujourd'hui si la conférence de Tunis s'était tenue comme prévue en 1956 ? Que ce serait-il passé si les peuples maghrébins s'étaient soulevés comme un seul homme face à un ennemi commun ? Peut-être que le problème des frontières ne se serait-il pas posé ? Tout nous unit, notre géographie, notre histoire, notre religion, nos réalités, nos rêves. Malheureusement, comme disait Ibn Khaldoun : « les Arabes se sont mis d'accord pour n'être jamais d'accords » faisant ainsi le jeu des puissances dominantes depuis la nuit des temps tombant dans le jeu de la division mené par les puissances pour mieux les dominer et exploiter leurs richesses naturelles et minières en toute impunité. « Les armées ne suffisent pas pour sauver une nation, tandis qu'une nation défendue par le peuple est invincible » aurait dit Napoléon Bonaparte du haut des pyramides d'Egypte. Du Maghreb des Etats au Maghreb des peuples, l'espoir serait-il permis ? Le hirak algérien ouvre la voie. Les jeunes manifestants qui n'ont pas connu la colonisation scandent « selmya-selmya », « khaoua-khaoua », des messages de paix et de fraternité. La France n'occupe pas leur cerveau. L'islam n'est pas inscrit sur leurs fronts, ni au bas d'une carte mais enfoui dans leurs cœurs meurtris. La modernité qu'ils recherchent, elle est faîte de science, de technique, de justice et de liberté. Elle n'est pas dans les apparences et les faux-fuyants Un vent nouveau souffle sur le Maghreb. Il est jeune, doux, paisible et prometteur. Malheureusement, une hirondelle ne fait pas le printemps dans un monde de faucons. Le pétrole est un champ magnétique qui attire les grandes puissances. C'est de l'eau bénite pour les économies occidentales florissantes et un purgatoire des sociétés musulmanes décadentes. Quant aux Arabes, des fantômes cherchant une place parmi les vivants, ils ont perdu leur cheval, il est peut-être mort de soif dans le désert gorgé de pétrole. Il ne leur reste que la selle pour se consoler en attendant l'appel du muezzin pour se donner bonne conscience. L'histoire est un éternel recommencement et la géographie une source intarissable de conflits et de convoitises. |