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Ghaleb Bencheikh
est un personnage flamboyant, mais pas du tout nourri de cette flamboyance
d'apparat de circonstance que l'on rencontre chez les opportunistes qui
s'affichent savants.
Trop humble et trop modeste jusqu'à déranger ceux qui savent qu'il maîtrise ses sujets à la perfection. Sans doute est-ce la raison qui l'a prédestiné à remplacer l'ancien ministre Jean Pierre Chevènement à la tête de la Fondation des Musulmans de France, et ne remplace pas Chevènement qui veut. La fluidité de son savoir et sa connaissance profonde de l'Islam et de toutes les autres religions ont fait de lui une personnalité incontournable pour qui veut s'enrichir de la science de la religion. Par sa franchise souvent déroutante, il ne s'affiche pas comme un rempart aux idées reçues et aux préjugés mais préfère la pédagogie et l'argumentaire pour corriger les fausses et mauvaises compréhensions des donneurs de leçons. Son crédo ? Oser le beau ! S'élever par le dialogue, le rationnel, pour faire comprendre que le vivre ensemble est un exercice humain passionnant quand il débouche sur la paix des hommes. Le Quotidien d'Oran.: Pouvez-vous nous préciser le rôle de la fondation à la tête de laquelle vous venez d'être investi ? Ghaleb Bencheikh.: Le rôle de la fondation s'articule autour de trois axes principaux. Ce sont l'éducatif, le culturel et le social. Tout d'abord, j'ai toujours pensé et suis convaincu que les maîtres-mots pour contrecarrer les dérives fondamentalistes islamistes et dirimer les thèses salafistes sont éducation, instruction, science et connaissance, acquisition du savoir et ouverture sur le monde, éprouver l'altérité et notamment l'altérité confessionnelle, le tout accompagné d'une inclination pour les valeurs esthétiques. Oser le Beau ! Les belles-lettres et les beaux-arts, ainsi que la poésie et la musique sont au programme du polissage de l'âme et de l'élévation de l'esprit. Q.O.: N'y a-t-il pas un chevauchement d'attributions entre le Conseil Islamique des Musulmans de France et la Fondation des Musulmans de France ? G.B.: En réalité, il y a un « Yalta » entre la Fondation et le CFCM (conseil français de culte musulman), c'est son appellation, alors qu'il est plus judicieux de le dénommer CIMF (conseil islamique des musulmans de France) comme vous l'avez souligné... la ligne de partage serait entre le culte et la culture. Au CFCM de gérer les questions exclusivement cultuelles et à la Fondation de s'occuper de toute une gamme d'activités et de projets culturels, éducatifs et sociaux. Cela décrit un spectre depuis l'aide prodiguée aux études islamologiques par l'octroi de bourses aux étudiants préparant des thèses de doctorat en islamologie. Cette discipline doit recouvrer ses lettres de noblesse pour devenir une discipline de prestige afin d'en finir avec l'orientalisme qui fut en grande partie au service de l'œuvre coloniale, jusqu'à l'animation d'ateliers du discernement et d'éveil à l'esprit critique pour les jeunes écoliers. Comme vous le constatez, nous œuvrons inlassablement dans le champ de la connaissance et de la prise en charge éducative et sociale de la jeunesse musulmane, en aidant, par exemple, les scouts musulmans à monter leur jamboree... Je n'oublie jamais que le fondamentalisme est le culte sans la culture. Q.O: Y-a-t-il une collaboration entre la Fondation, le Conseil islamique et les mosquées de France ? G.B.: De fait, oui, il y a une collaboration réelle en ce sens que nous contribuons à la formation des aumôniers et nous complétons la formation des imams dans sa partie « profane ». Il est nécessaire qu'un imam puisse intégrer dans son cursus de formation les apports des sciences humaines et c'est ce que nous faisons par des allocations afin de préparer les diplômes requis. L'imam doit être en France aussi très au fait de l'histoire des institutions et avoir une grande connaissance de la laïcité et de ses vicissitudes à travers l'histoire contemporaine. Il doit faire sien l'héritage culturel français qu'il alliera au patrimoine islamique. Aussi l'imam en France ne profèrera-t-il plus jamais de billevesées et d'arguties incongrues au contexte français. Il sera bien formé et instruit et un jour nous aurons des imams académiciens siégeant sous la Coupole, à l'instar des évêques ou des rabbins. Q.O.: La fondation a-t-elle des rapports avec les pays musulmans ? G.B.: Bien qu'elle soit une fondation de l'islam de France, elle commence à établir des liens d'amitié et de coopération qu'elle consolide avec les représentations diplomatiques accréditées en France et avec des institutions similaires dans les pays musulmans. Q.O.: Quelle perception ont d'elle les musulmans de France ? G.B.: J'ai la faiblesse de croire que la perception qu'ont d'elle les musulmans de France est très favorable et positive. Il y a un grand espoir qui est fondé sur la Fondation. C'est pour cela que nous ne pouvons pas décevoir toutes ces attentes, ni trahir la confiance investie en cette institution. D'autant plus que sa vocation est de former et d'aider le citoyen français musulman et même celui qui réside en France de renouer avec l'humanisme d'expression arabe qui a prévalu en contexte islamique à travers l'histoire et qui a sous-tendu une civilisation impériale. Notre mission sera remplie lorsque les musulmans de France - qui n'arrivent pas à assumer sereinement leur islamité dans une période marquée par les attentats - auront recouvré dignité et fierté. Ils vivront pleinement leur tradition religieuse et spirituelle d'une manière apaisée et harmonisée. Q.O.: Quelles sont ses relations avec les musulmans de France ? G.B.: Ce sont des relations fondées sur la confiance, le respect et le dialogue. En outre, la Fondation est au service de tous ceux qui parmi les musulmans de France sont animés d'une bonne volonté. Il y a des appels à projets que nous finançons et personne n'en est interdit. Il y a un conseil d'orientation qui « tamise » les demandes puis il décide de leur recevabilité dans la transparence et l'équité. Il n'y a - et n'y aura - aucun arbitraire. Q.O.: Et avec les autorités françaises ? G.B.: Là aussi, les relations sont empreintes d'estime et de cordialité dans le respect de la législation en vigueur. Les rencontres avec les responsables politiques se déroulent toujours dans un cadre de courtoisie républicaine. Q.O.: La Fondation n'a-t-elle pas une indépendance limitée de par sa structure juridique ? G.B.: Le droit positif peut évoluer et le statut juridique pourrait changer. Pour l'instant, l'Etat est représenté au conseil d'administration de la Fondation par trois ministères au plus haut niveau. Ce sont les ministères de l'Intérieur, de la Culture et de l'Education nationale. Ces représentants-administrateurs nous aident par leurs conseils judicieux et avisés. Ce ne sont pas des contrôleurs? Il n'y a pas de droit de veto dans le conseil d'administration. Dans l'absolu, la Fondation « appartient » à ses créateurs et fondateurs. Ce sont les mécènes qui ont consenti à la doter financièrement. Je cite en premier les entreprises SNCF, ADP et CDC Habitat. Q.O.: Où en est l'islam en France aujourd'hui ? G.B.: L'islam de France est en pleine « restructuration ». Je crois que cette phase est dans le cours naturel des choses. Elle est nécessaire mais elle est venue tardivement. Elle aurait pu advenir bien avant. Il se trouve qu'elle a lieu en ce moment, et cela ne sert à rien de se lamenter sur ce qui n'a pas été fait. Donc, il faut l'accompagner avec calme et détermination pour le bien commun et pour l'intérêt moral des musulmans de France dans le respect de la laïcité caractéristique des institutions républicaines françaises. |