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Au moment où l'autonomie du
développement national est devenue, à l'échelle planétaire, un objectif
incontournable, en Algérie et jusqu'au 15 avril 1999, on lui tournait le dos. La
préoccupation lourde n'était pas l'édification d'institutions crédibles,
encore moins le respect des lois et de fait, celui du citoyen qui était brimé, mais le recours à des artifices institutionnels. Cela était dû au fait que l'activité politique était l'apanage de personnages n'ayant aucun souci, si ténu soit-il, de l'Etat. Le désordre était tel qu'y mettre de l'ordre ne pourra être qu'une tâche titanesque, donc de la dimension d'un titan. En effet, à la mort du président Boumédiéne, l'Algérie avait encore des chances de gagner le pari. Elle jouissait encore d'un consensus exceptionnel. Elle était encore forte d'une élite compétente et engagée pour qu'aboutisse l'effort national. Elle disposait encore d'une richesse abondante. Elle s'inscrivait encore dans l'environnement économique international comme un marché stratégique. Mais, à pas de loup, sa dynamique de développement a été mise à mal par l'absence d'un projet politique qui tiendrait la route. Incapables de perfectionner l'organisation des institutions, ses nouveaux dirigeants ont favorisé l'émergence d'une administration qui, au lieu de prendre en charge les préoccupations de la société, a choisi de l'abandonner à ses instincts destructeurs. Frustrée dans sa grande ambition, celle qu'a sacralisée Novembre 1954, elle a, tout bonnement, basculé d'une amorce de développement prometteur, vers des archaïsmes des plus «inhibants». Après avoir bien décollée, elle s'était mise à perdre de l'altitude. Profondément abîmée, il y était très difficile de regarder vers l'avenir. Le futur y était totalement indéterminé. La délinquance politique, la délitescence sociale et la déliquescence culturelle avaient fait qu'elle se soit placée dans une logique d'exclusion, (déphasage culturel et isolement économique), telle qu'elle était au 15 avril 1999, condamnée par l'évolution mondiale à l'arriération porteuse de toutes les frustrations, de toutes les brimades, de tous les intégrismes. Elle était devenue un faubourg malfamé du monde. Conséquence, l'Etat algérien était potentiellement candidat à l'implosion. L'expérience algérienne était donc morte du manque de souci de l'Etat généré par un système politique épique, (digne d'une épopée), composé d'un pouvoir qui décidait et qui ne gérait pas et d'un pouvoir qui gérait et qui ne décidait pas, (un pouvoir administratif, judiciaire et législatif fusible, pare-choc, jetable). Cela dit, les deux pouvoirs baignaient dans l'insolite. Ils refusaient d'admettre que la République est cette communauté à la gestion de laquelle sont supposés prendre part tous les citoyens. L'un comme l'autre, ils ont préféré se subdiviser en connexions de réseaux occultes, liées entre elles par un intérêt commun, le profit. Elevant les commis de l'Etat au rang de sous-traitants, ils se limitaient à «faire des affaires». Les partis politiques nés de la Constitution de 1989 n'étaient qu'un ingrédient de décoration, «khodrafokaâcha» et leur Nord magnétique n'était que la récupération de la misère sociale pour grossir leurs audiences électorales et sans plus. L'intérêt national, ils l'avaient relégué à un ordre accessoire. Quant à l'élite, elle s'était forgée une nouvelle mission, fonctionner en accessoires du régime politique et tenir le rôle de législateur de la cour. Si elle ne se taisait pas et laissait faire, ses réactions étaient feutrées et marquées d'arrière-garde. L'Etat accroissant chaque jour son déficit en matière de légitimité et creusant davantage le fossé qui le séparait déjà de la population, avait fait que celle-ci, blasée et abusée, n'ait plus d'intérêt pour la cité. Le citoyen, incité alors à considérer que la République s'arrêtait au seuil de sa porte, il s'était mis à contribuer, par des comportements complices, à la promotion de l'échec algérien. L'inconsistance des projets politiques qui avaient été offerts aux Algériennes et aux Algériens, n'ont pu avoir un effet mobilisateur, ce qui a permis à la médiocrité de s'ériger en norme, aux bataillons d'opportunistes et aux sous-sociétés boutefeux, mutilées intellectuellement et mal armées culturellement, en modèle de caste politique qui, renaissant de ses cendres, avait fait que le vice se moquait de la vertu. Quant aux Algériennes et aux Algériens qui ne pouvaient composer avec «le farfelu», ils étaient taxés de persona non grata. Exclus, ils se sont désintéressés de la chose publique. Des cortèges d'erreurs, des atouts gaspillés, des expériences déçues, le passe-droit, le favoritisme, le clientélisme, le régionalisme, le sectarisme, les stéréotypes discriminatoires, la démission des pouvoirs publics, la corruption, le marché parallèle, l'enrichissement spontané, tout cela, l'un dans l'autre, a généré la déconvenue populaire. Celle-ci a favorisé l'épanouissement exponentiel des tricheurs, des faussaires, des laissés pour compte et surtout, l'émergence des exclus du partage de la rente qui, faisant miroiter la fin d'un joug malfaisant, promettaient de donner un coup de pied dans la fourmilière. Conséquence, une démobilisation sociale s'étant, peu à peu généralisée, avait débouché sur la dérive que nous connaissons avec son lot de morts et ses flots de larmes. Tout ce beau monde soucieux de grossir ses rangs, tentait d'embrigader les Algériennes et les Algériens en donnant le coup de grâce à ce qu'ils recèlent encore comme capital vertu. Jouant sur leur sensibilité et sur celle des jeunes en particulier, (dans leur majorité déçus et désemparés) et prétendant, à coup de prêches incendiaires, restaurer la dignité, la solidarité et l'égalité inspirées par l'Islam, il avait fini par réveiller la part obscure du religieux et par réactiver les ressorts simplistes de la passion pour en faire une arme politique, un moyen de mobiliser les égarés en une impitoyable machine à tuer. Conséquence, libérée, la frustration de la population accumulée, des années durant, dans ses entrailles, a fait en sorte que son besoin d'exister, s'exprime par une violence aveugle. Jusqu'à la démission du président Zéroual, le pouvoir en Algérie relevait des caprices de tous ceux qui détenaient un semblant d'autorité. Une autorisation, la délivrance d'une pièce d'Etat civil, une facilité administrative, un contrat d'étude, l'accès à un bien, dépendaient du bon vouloir du moindre agent public, grand ou petit. La confusion se répandait de plus en plus avec la bienveillance voire la complicité des hauts de la sphère. Corrompus et corrupteurs, conjuguant alors et sans retenue leurs appétits féroces, accéléraient la destruction des valeurs, des normes de référence et du droit. Moralité, la gangrène était manifeste. Au 15 avril 1999, il n'y avait plus de règles et de déontologie. Il n'y avait que des amis, des compromis, des arrangements rétribués, des dessous de table, des commissions à l'étranger. Il n'y avait plus de repères. D'ailleurs, des repères on s'en «foutait». C'était le règne de la combine, de l'incertain, de l'aléatoire, de l'injustice. On monnayait ses prérogatives, sans pour autant déroger à l'ordre établi. Le mot d'ordre était «Koul bla ma twakkel». L'important était d'assurer ses arrières. Le fonctionnaire honnête était de plus en plus isolé dans un corps inerte où on ne prenait des décisions qu'en contrepartie. Le clivage était criard entre un peuple anonyme et un panel puissants, forts d'une autorité dont ils disposaient comme bon leur semblait et qui avaient accès à tout ce qui était refusé à la masse, entre une minorité qui avait trouvé le moyen de vivre à l'aise et une population réduite à l'indigence voire, à l'indigénat. La chasse gardée des postes de responsabilités et l'argent mal acquis, avaient accru le sentiment d'injustice et de frustration. La passivité politique et la perversion de ceux qui étaient en charge de la chose économique, avaient fait en sorte que des pans entiers de la société n'aient plus de perspectives. Les ressources étaient mobilisées au profit de ceux qui étaient forts de tous les liens et qui disposaient, sans vergogne, de tous les moyens pour assouvir leurs lubies. Au 15 avril 1999, l'Algérie livrée aux séditions falsificatrices des cleptomanes pervers et démesurément boulimiques et aux séductions pernicieuses des mégalomanes confondant le bien avec leur volonté, était défigurée. De la banqueroute programmée de l'économie nationale, de la médiocratisation affichée d'une administration oligarchique, de la clochardisation patente de la société, de la privatisation délibérée de ses repères civilisationnels et de ses symboles ancestraux, du renversement impénitent des valeurs, du mépris infligé à la morale et au civisme, de l'outrage à la dignité, de la corruption et de la malversation, il était fait l'expression d'une loi. Au 15 avril 1999, l'Algérie donnait l'impression d'un pays qui courait dans tous les sens, d'un pays ulcéré par la clanisation du régime, la partition sauvage, la banalisation du crime contre le genre humain, l'absence de la pérennité de l'Etat, l'abus d'autorité, l'exclusion, le discours-illusion. Au 15 avril 1999, l'Algérie était fracturée. La croissance économique et sociale y était bloquée, l'industrialisation y était arrêtée, l'école y était sinistrée, la corruption y avait gangrené l'appareil de l'Etat et celui de la justice en particulier. La création de l'emploi y avait régressé à pas de loup. Le pouvoir en panne de stratégie, ne pouvait trouver une sortie de crise et mettre fin à la violence multiforme déchaînée qui y sévissait. Le libéralisme et la démocratie affichés, y étaient porteurs de tous les désordres. La pauvreté y était franche. Des pans entiers de la société, faute d'écoute, s'y étaient résignés à gérer leur misère au quotidien. Le peuple abandonné sur la pente de la débrouillardise, y subissait par l'entremise du terrorisme administratif qui s'érigeait en mode de gestion, le joug des barons. Il sombrait dans la tourmente. Au 15 avril 1999, il n'y avait plus d'équilibre entre le passé et l'avenir, entre l'Islam originel et l'Islam «préfabriqué sur mesure», entre l'iniquité et la justice sociale. Cette régression y était-elle une fatalité ? Sinon, comment expliquer que le pays qui semblait, à l'orée de l'indépendance, résolu à arracher sa place dans la tribune des nations et où les défis s'agençaient dans des allures grandioses, a-t-il pu déboucher sur un échec magistralement réussi ? Comment et par quelle funeste dynamique ce pays, aux élites modernistes, s'était-il laissé envoûter par une répréhensible tentation moyenâgeuse ? Tout se tient dans cette mutation provoquée par des politiciens profanes et des gestionnaires bon marché pour enfoncer l'Etat algérien dans l'aléatoire, l'irrationnel et le chaos. Au plan historique et à la mort du président Boumediène, les effets pervers qui avaient commencé à éclore de son vivant, avaient pris des dimensions alarmantes et ont fini par détraquer la machine à développer le pays qu'il avait mis au point, au prix de sa vie. En effet, le régime, insouciant, incapable et velléitaire, jouisseur et accaparateur et qui avait coopté son successeur, s'était contenté à continuer à faire, comme à l'accoutumée, dans la gestion à sens unique, à l'emporte-pièce, sans lien social. A cette débilité politique avait adhéré tout un attelage mercenaire, (un tout-venant d'intellectuels, de financiers et de négociants), qui s'était particularisé par une absence de lucidité et de conviction chronique et pour lequel, l'attrait du pouvoir et de la domination était irrésistible. Avaient apparu alors, l'esquive devant le travail, la tricherie comme moyen de survie, l'arrivisme comme finalité, l'hypertrophie bureaucratique comme mode de gestion, la fuite en avant comme solution et autant de dynamiques négatives qui, s'autofécondant à la faveur d'un déni d'Etat manifeste, s'étaient exacerbées jusqu'à atteindre leur paroxysme. Conséquences, des antagonismes et des conflits avaient débouché sur une perversion tous azimuts. Moralité, la société algérienne qui était tantôt flagellée par l'espérance, tantôt par la désillusion, a fini par passer d'une société légendaire à une société qui, faute de mieux faire, s'était résolue à tricher avec les pesanteurs bureaucratiques et les asphyxies réglementaires. Face à cet éclatement belliqueux, la guerre des chefs allait consacrer l'impasse, l'instabilité politique et de fait, la précarité sociale, exponentiellement préjudiciable pour l'avenir du pays. D'ailleurs et parce qu'ils considéraient que l'avènement du 15 avril 1999 représentait une menace pour la situation de la rente, ils refusaient que soit mis fin à la médiocratisation des pratiques et des comportements et que la population se défasse de sa léthargie. Exploitant la fibre régionalistique et tribale par laquelle se distinguent hélas la plupart de nos concitoyens, ils appelaient alors, clairement et sans retenue, le peuple à s'en accommoder e t à en faire la tendance lourde dans leurs choix électoraux. C'était donc une question de chefferie de la secte plutôt qu'une question de projet de société. Que le citoyen se mobilise, cela n'était pas utile, que la jeunesse s'y implique cela n'était pas nécessaire. Des militants intègres, engagés et compétents, disaient-ils, les représenteront dans les «rassemblements», (les assemblées). Les marchandages politiques et les compromis nés à la faveur de la constitution de 1989, biaisant le débat sur un projet de société porteur d'avenir et créateur de renaissance, des sectes, politiquement primaires, faisant route séparément ou en coalition et préoccupées à explorer des gisements électoraux et sans plus, n'avaient rien trouvé de mieux à faire que surfer sur les malheurs des Algériennes et des Algériens à coup de discours-passion et de discours-carottes. Ces derniers, quand à eux, n'ayant rien trouvé à opposer à leur condition «d'exilés» que de s'organiser dans une sorte de grève perpétuelle, qui en était le fer de lance, brandie sous toutes ses formes. A propos de la réconciliation nationale. Alors qu'elle devrait être un cadre de dialogue et de concertation, un programme pour sauver l'Algérie profondément balafrée, alors qu'elle devrait rapprocher les projets de société et les conceptions politiques et idéologiques, elle prenait, à tout bout de champ, de nouvelles définitions. (A titre d'illustration, un programme de mise en œuvre élaboré par l'un, était systématiquement pour l'autre une atteinte inadmissible à son éthique politique). L'important était, en tout état de cause, le pouvoir. Le reste était le benjamin de leurs soucis. A propos de ce projet. Les idées émises çà et là, à l'exception de celles de feu Boudiaf, étaient le type même des notions pièges. Les uns, à l'instar du MSP, appelaient à une réconciliation nationale qui bradera les principes de la République, (démocratie, transparence, Etat de droit, alternance et programmes avant-gardistes), au profit de ce qu'ils appellent «l'islamisme modéré»*. Les autres, à l'instar du PT, du FFS, du FLN, (génération Sant'Egidio), qui, faisant dans des tractations en coulisses, surfaient sur les déboires du peuple épuisé par des combats d'arrière-garde, tentaient, faute de mieux, de maintenir l'Algérie sous le joug de l'ancien régime. D'autres, à l'instar de NAHDA, faisant dans le radicalisme pur et dur, voulaient purement et simplement livrer l'Algérie aux forces obscurantistes. D'autres encore à l'instar du RCD qui, faisant dans ce qu'ils appellent «la rupture salutaire», rejetaient toute approche de compromis et de dialogue, même si l'Algérie devait être mise à sac, par une guerre civile qui prenait du pas. Vaille que vaille, les uns comme les autres s'étaient limités à théâtraliser le drame qui dévorait le pays. Ce qui était certain, c'est que la réconciliation nationale n'était pas perçue comme un processus salvateur devant mettre un terme à la violence qui s'affichait implacable au quotidien et désarmer les forces du pire. *Islamisme modéré : il n'y a pas d'islamisme modéré et d'islamisme radical. L'un comme l'autre sont une réduction, une péjoration de l'Islam originel, valeur absolue et civilisation universelle. L'un comme l'autre sont une excroissance de l'intégrisme religieux. Au 15 avril 1999, le pays a échappé à un péril extrême. Le spectre de l'effondrement de l'Etat avait pris forme. La folie criminelle des uns, les calculs égoïstes des autres, faisant le jeu des ingérences extérieures, ont menacé l'Etat d'éclatement et la nation de disparition. Des pans entiers des institutions étaient en phase de rupture avec la légalité constitutionnelle. La sécurité des biens et des personnes leur échappait. Les atteintes à son égard étaient manifestes. Les démons de la violence et de la division avaient orchestré une tragédie dont seuls les plus humbles acquittaient le tribut. Le gaspillage et les détournements des moyens de la collectivité étaient légion. Le travail, l'effort et la rigueur s'étaient gravement altérés. Le mérite, en tant qu'investissement, était relégué à un second ordre. La dépendance de la ressource énergétique était aliénante. La configuration des relations économiques dans le cadre de la mondialisation, de l'accélération du progrès technologique et de l'intensification de la concurrence entre les nations, était un handicap, un facteur de régression supplémentaire. Le monde du travail souffrant de l'incompétence des managers, n'offrait pas un cadre adéquat à l'initiative, à la création de la richesse, à la prospérité pour tous. (A propos des managers. La plupart d'entre eux, emboîtant le pas à la scélératesse des sous-sociétés perfides en place, (politiciens, administratifs, leurs sous-traitants et leurs ayants droit), ne pouvaient pas faire avec l'omniprésence du futur où il faudra compter avec ses incertitudes et prendre acte de ses enjeux et de ses défis. La précarité des conditions socioprofessionnelles, les mises à la retraite anticipée systématiques et la contractualisation débridée aggravaient le chômage. (Le FMI s'érigeant en tuteur posait le problème du pilotage de la croissance économique, en termes de qualité, entre autres par la promotion de stratégies de développement appropriées et par la réhabilitation du mérite). Au 15 avril 1999, l'Algérie était sous l'emprise de normes et de références qui n'ont jamais été les siennes. Au 15 avril 1999, la société algérienne était donnée en pâture au bon vouloir d'aventuriers qui, se targuant de porter l'indépendance économique, le nationalisme sourcilleux, la justice sociale, (alors qu'ils n'étaient, en vérité, que leur face hideuse), voulaient en faire une offrande à l'erreur. Les valeurs faites de liberté, de dignité et de raison, étaient en phase de sombrer dans un passéisme des plus rudimentaires, nourri à la fois par le discours sectaire des uns et moribond, des autres. Au 15 avril 1999, l'inadéquation système / société était éloquente. Les contradictions s'étaient accumulées. Le discours s'était usé. Faute de capacité et de volonté de bien faire, on raccommodait. Conséquence, l'Algérie était devenue un ghetto de l'absurde, un espace où régnait une schizophrénie collective. Alors que la préoccupation nationale devrait appeler à l'irréversibilité du processus d'ouverture dicté par la mondialisation et que le bon sens recommande, d'ailleurs, les dispositions institutionnelles et juridiques n'allaient pas dans ce sens. Des humanoïdes aux visées hégémoniques et dont le souci était de comptabiliser des alliances, souvent contre nature, (le pouvoir et l'argent étaient l'enjeu de la cause), n'admettaient pas que l'empreinte qu'ils avaient imprimée au mode de gestion qui était le leur, soit transgressée, quand bien même ça aurait pu être une nécessité pour inscrire l'Algérie dans une perspective de croissance civilisationnelle mondiale. L'essentiel était donc prohibé puisque l'Etat était en phase d'être privatisé. En effet, le débat de sortie de crise en vogue devant être sanctionné par une convention cadre qui mettrait le Fis à l'abri de toute persécution, était initié, sans pour autant que les fondements du problème à débattre aient été circonscrits consensuellement. Il était orchestré par des courants politiques sponsors de la combinaison islamo-conservatrice et les tenanciers de la violence et qui ne s'opposeront pas à l'émergence d'un Etat islamiste, pour peu qu'ils en arrachaient une parcelle de pouvoir, d'où leur tiédeur à pourfendre le terrorisme et leur ardeur à pleurer le Fis. Volte-face, tergiversations, puis abdication pure et simple devant cette thèse, voilà les seuls faits glorieux dont pouvaient se prévaloir la classe politique algérienne et son élite périphérique à un moment crucial où la vie nationale était marquée par une grande confusion. Les uns, sous l'emprise d'une espèce de narcose, «gouverner coûte que coûte», ne trouvaient pas meilleur dérivatif que de tirer sur les cordes de l'identité nationale et d'appeler le peuple algérien, mille fois apostasié, à trouver son salut en se fondant dans leurs rangs. Les autres se targuant du pouvoir de dévitaliser cet instinct d'assisté qui le garrotte, s'auto proclamaient les architectes incontestés de l'expérience républicaine algérienne, alors qu'ils n'en étaient et qu'ils n'en sont, (aujourd'hui encore), que la face inversée et appelaient à son parachèvement, sous leur emblème. Cependant, tant les uns que les autres et parce qu'ils sont le cocktail de l'échec algérien, ils s'étaient investis dans la récupération d'une base sociale désemparée et dont les ambitions dépérissaient en désirs épars. Cette dernière préoccupée par son instinct de conservation fortement ébranlé par les hordes qui semaient la mort et la désolation, a tranché sur un maximum. Confier son destin à celui qui l'aidera à retrouver son génie d'antan. Au 15 avril 1999, la rupture promise par le discours de feu président Boudiaf du 14 janvier 1992, était, malgré les efforts du président Zéroual, sans cesse remise en question. L'idéologie islamo-conservatrice, support de tant d'exclusions et de déviations et dont les promoteurs reproduisaient, à profusion, les malentendus et entretenaient l'illusion en se dissolvant dans un chantier permanent d'innovations sans mémoire, était systématiquement relancée. «Les promoteurs de cette idéologie, ne peuvent prétendre, à supposer qu'ils soient le peuple élu de Dieu, à une place honorable, sans rompre avec la médiocrité et sans faire l'effort de se hisser au niveau des espérances de la société» -Président Abdelaziz Bouteflika- Au 15 avril 1999, le pouvoir occulte, (celui qui décidait et qui ne gérait pas), et par souci de perdurer, voire de s'éterniser, cultivait l'hésitation pour entretenir le vide politique qui sévissait. La nécessité de sauvegarder l'irréversibilité des fondements républicains, n'était pas la préoccupation de l'heure. La priorité était de négocier la stabilité de l'Etat, de jour en jour menacée, quitte à promouvoir la jonction avec le Fis qui paraissait comme un atout à jouer. Alors que l'opacité de la vie politique en Algérie s'épaississait, alors que ceux qui l'animaient, s'évertuaient toujours à brouiller les cartes, à torpiller l'histoire et à manipuler les valeurs et les constantes nationales authentiques, en en faisant une sorte de valeurs boursières politiques, des organisations criminelles internationales, sponsorisant des sectes d'algérianoïdes en mal de larmes, de sang et d'agent, continuaient à alimenter le malheur des jeunes pour mieux s'en servir. Ce qui était à craindre, c'est que si cette dérive persistait, les institutions nationales encore valides, à l'instar de l'armée nationale populaire, menaceraient d'effondrement à leur tour. A propos des jeunes. Parce que marginalisés politiquement, exclus socialement et délestés de leurs repères par une déculturation programmée, ils étaient affectés en priorité. Leur disqualification les avait mis à la merci d'aventuriers qui les ont transformés en victimes expiatoires, dans une guerre qui n'était pas la leur. Au 15 avril 1999 et alors que les Algériennes et les Algériens, meurtris par la profondeur de la crise, exprimaient leur lassitude face à l'arbitraire nourri par les uns et par les autres qui se faisant les vigiles zélés du présent et de l'avenir du pays, les réduisaient à un état d'ilote et continuaient et au mépris du désarroi sévissant, à s'ériger en pôle d'idées forces, en conscience nationale. Au 15 avril 1999, l'Algérie était un pays qui courait dans tous les sens, où la mort se jouait à guichets fermés. Elle était un ghetto de l'absurde. Elle était en proie à de dures épreuves marquées par le déchaînement des pactisans de la haine et de la division, par la détresse de larges couches de la population qui s'abreuvaient à la lie de la précarité et de l'angoisse et par le désarroi de milliers de jeunes en échec scolaire, confrontés au chômage et l'absence de perspectives d'intégration et exposés au spectacle de la dégradation des valeurs. Des pratiques aventuristes avaient exacerbé les frustrations et les antagonismes au sein de la société, fissuré sa cohésion, affaibli l'Etat, dégradé la confiance de la nation en elle-même, dévoyé la réalisation du droit de chacun à la dignité. Au 15 avril 1999 et subissant le diktat du dogme et à la faveur d'une stérilité éducative et culturelle qui disait son nom, on se contentait de rechercher ailleurs qu'en nous-mêmes, une façon de vivre notre foi pourtant millénaire. La régression qui nous assiégeait était telle que le monde nous avait «vomis», c'est aussi simple que cela ! Au 15 avril 1999, la disponibilité financière de l'Algérie entretenait une croissance de façade. La rente pétrolière, «privatisée», créait l'illusion du décollage économique et social. La production hors hydrocarbures négligée et même reléguée à un rôle accessoire et le crash pétrolier de 1986, révèleront l'ampleur du désastre. La crise économique algérienne est le produit d'une option doctrinale de la centralisation de la décision. En conséquence et sous la houlette d'une économie dirigée, les entreprises publiques vivaient au jour le jour. Soutenues par le Trésor public, elles ne craignaient pas la sanction budgétaire. Assistées, elles devenaient, peu à peu, sans capacité réelle de décision. Dès lors, la référence à la notion de productivité, de compétitivité et au respect des délais et des normes de qualité, devenait de plus en plus absente. Le déficit en matière de productivité et d'engagement allant crescendo, l'auto suffisance prenant de plus en plus de distance, le recours à l'importation s'imposait de mieux en mieux comme si c'était voulu et planifié. Le programme anti pénurie de Chadli, (PAP), s'inscrivait fatalement comme la condition sine qua non de la survie de l'Etat. De dirigée et soumise à l'interventionnisme du FMI, l'économie nationale devenait de plus en plus aléatoire, de plus en plus incertaine. Le monopole du commerce extérieur qui saignait déjà les caisses de l'Etat, allait passer aux mains de ceux qui, forts de tous les liens, s'étaient inventés les ayants droit du système politique. Avec la promulgation de la loi portant autorisation d'importation sans paiement, une économie totalement incertaine céda la place à une économie souterraine générée par un commerce douteux, spéculatif. Un commerce parallèle communément appelé, «trabendo», quelque part légalisé, était devenu la chasse gardée de la fameuse mafia politico-financière qui, pour s'enrichir, endetta le pays jusqu'à le mettre à genoux Tous les indicateurs économiques étaient au rouge. Aggravation du taux de chômage qui était la résultante de la baisse des investissements productifs, (depuis 1986 ?choc pétrolier-). Inflation galopante. Appareil de production en plein marasme. Service de la dette extérieure absorbant les 2/3 du revenu des hydrocarbures. Mis à part le gouvernement Kasdi Merbah qui avait un programme économique cohérent et accordant la priorité aux investissements productifs visant à générer des postes d'emploi, ne serait-ce que pour calmer la tension grandissante, tous ceux qui lui avaient succédé, soucieux de la survie du régime, manquaient de courage politique à l'endroit de la gestion de la dette. Leurs tergiversations à cet égard ont, de mieux en mieux, servi des intérêts occultes. Maquillant l'arbitraire et l'impartialité dans un climat gluant de confusion, au moyen de cohues de lois guindées, de législations racornies et de comportements ambigus, ils avaient fait dans le replâtrage et sans plus. A suivre *Directeur de l'Education, professeur INRE, écrivain |