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Boudiaf
a reçu l'accord des responsables de l'extérieur. Bouchaib
et Souidani, munis de fausses identités, sillonnent
la région pour établir des contacts avec les anciens activistes de l'O.S. Une
vingtaine de groupes de choc sont créés sous le slogan «l'unité et le sacrifice
(le Djihad)». Boudiaf réussit à convaincre la plupart des responsables malgré
les critiques et les menaces des Messalistes et des Centralistes. Et c'est le
25 juin 1954 (et non le 25 juillet comme l'affirme Yves Courrière) que se tient
au Clos Salembier la réunion du groupe des 21 ou 22
si l'on inclut Derriche Ali, le propriétaire des
lieux lequel n'a, toutefois, pas assisté au déroulement des travaux. Les
premiers arrivés sont Benaouda, Bentobal,
Zighout, Souidani et Bouchaib. Au matin tout le monde était au rendez-vous.
Boudiaf, Ben M'hidi, Ben Boulaid
font tour à tour l'historique du Parti. Le principe de la lutte armée est
adopté. Boudiaf est élu coordonnateur du groupe. La phase de la structuration,
de l'armement et de l'instruction commence. Les anciens de l'O.S. partisans de
la troisième voie se démarquent des «attentistes» du MTLD. Il s'agira de
convaincre les militants de se rallier au mouvement insurrectionnel. Une tâche
à laquelle s'attèle le groupe des 22 dont Boudiaf, Ben Boulaid,
Didouche Mourad, Bouchaib, Souidani et Larbi Ben M'hidi pour
la région d'Alger considérée comme le centre névralgique contrôlé par les
centralistes et les messalistes. Et ce sera une rude entreprise pour les
«lourds» de l'O.S. Le C.R.U.A. créé le 23 mars 1954 à parité égale entre l'O.S.
et les centralistes (deux de chaque côté), soit quatre membres, fut mal
accueilli par les messalistes qui se voyaient affaiblis n'aura duré que 02
mois. Les 22 s'organisent et mettent en place une stratégie. Bouchaib fera partie de la zone 4 (Algérois) dirigée par Bitat assisté également de Bouadjadj
Zoubir et Souidani Boudjema. Le club des 9 a suivi dans l'ensemble le même
itinéraire : PPA, MTLD et O.S. Un climat conflictuel régnait alors au sujet de
l'initiative du C.R.U.A. Hocine Lahouel, accompagné
de Yazid cette fois-ci, veut rééditer son coup de Constantine à Blida. Alerté
par Bouadjadj, Boudiaf se rend à Blida entouré de Bouchaib et Souidani. Dans la
ferme des Souidani, assez proche, étaient entreposées
des bombes et une grande partie des armes. Ils suivent le discours de Lahouel. Ce dernier, issu de l'Algérois, était centraliste
comme la plupart des militants de ce secteur. Lahouel
pense que les membres du CRUA vont trop vite. Boudiaf prend la parole pour
appeler à l'union et à la mobilisation de tous en réclamant une aide financière
pour se procurer des armes avant de sortir suivi de ses deux compagnons, Bouchaib et Souidani. Dans la
nuit du 31 octobre au 1er novembre, les objectifs ciblés sont attaqués. Bouchaib a pour mission de récupérer les armes de la
caserne Bizot de Blida. Bitat
se charge d'assurer la sécurité à l'extérieur. Après les opérations, Bouchaib part se réfugier à Chebli
puis à Montpessier où il coordonnera les groupes de
Blida qui multiplient les attentats spectaculaires contre les fermes, les
récoltes, les vignobles ainsi que contre les indicateurs de la police. Il
s'occupe également de l'entraînement des djounoud.
Les années de prison et les désillusions de l'indépendance A l'arrestation de Bitat dit «Si Mohamed», il lui est proposé de prendre le commandement de la zone 4 d'Alger. Recherchés par les militaires et connus des services, Bouchaib et Souidani refusent tous deux la responsabilité et restent dans le périmètre de Blida qu'ils maîtrisent mieux. Donné par un militant torturé, Bouchaib est arrêté un matin du mois de septembre 1955 dans un refuge près de Boufarik. Il subira pendant plus de 10 jours de terribles sévices, mais il résiste et ne dénonce personne. Il est incarcéré à la prison de Blida. A la veille de son jugement, il est destinataire d'une lettre envoyée de l'extérieur qu'il doit lire devant le tribunal des forces armées d'Alger. Il est condamné à 20 ans de travaux forcés puis transféré à la maison de Barberousse. Dans le milieu carcéral il rencontre Bitat Rabah, un certain Habbachi et plusieurs compagnons. Le groupe organise et sensibilise les détenus quant à la nécessité de se «solidariser», de respecter les préceptes de l'Islam dont la prière. Bouchaib est désigné président du comité de prison. Il est dans la même cellule que Moufdi Zakaria l'auteur de l'hymne national. En 1958 est conduit par avion à la prison d'Oran et enfermé au carré des condamnés à mort. Lors d'une visite médicale on découvre qu'il traîne une affection pulmonaire contractée à Barberousse. Atteint d'une polynévrite, il est évacué sur l'hôpital civil d'Oran et soigné sous surveillance policière. Libéré au cessez-le- feu, il retourne à Blida où il renoue avec ses anciens compagnons. Le colonel Sadek l'ex-chef de la wilaya 4, l'envoie en Tunisie pour des soins. Apprenant son arrivée, des personnalités telles que M'hamed Yazid, Ben Bella, Benkhedda, Bentobbal et Boussouf, lui rendent visite à l'hôpital de Tunis. Après sa convalescence il rejoint Oran et prend position pour le bureau politique présidé par Ahmed Ben Bella. Il est nommé commissaire politique du Parti à l'échelle de l'Ouest et s'entoure d'anciens militants de l'O.S. Elu député en 1965 il quitte toutes fonctions au lendemain du coup d'Etat du 19 juin. En 1992 il aide Boudiaf, placé à la tête du HCE, à structurer le RPN ( rassemblement patriotique national) lequel Parti disparaîtra avec l'assassinat de son fondateur. Bouchaib sera sollicité pour présider la commission d'enquête sur la mort de son vieux compagnon avant de cesser définitivement toute activité militante à la fin des années 90. Il a habité jusqu'à son décès un modeste appartement à Oran où il a vécu avec son épouse, sœur du moudjahid Mohamed Fartas, ancien wali de Tiaret, disparu en 1964. En parcourant la vie de Ahmed Bouchaib j'ai découvert un fervent nationaliste, un activiste hors pair et un homme à la foi inébranlable. Bouchaib a consacré 14 ans de sa jeunesse -entre 1948 et 1962- à la lutte contre l'occupant français. Le fugitif qui écumait les fermes de la Mitidja aura connu les affres de la prison après avoir participé au déclenchement de la révolution, puis fut contraint à la retraite au lendemain du «sursaut» historique de 1965. Un destin qu'il partage avec ces valeureux acteurs de révolution dont l'héroïsme n'a pas, paradoxalement, servi à les prémunir des règlements de comptes qui ont fait rage une fois la souveraineté acquise. Bouchaib c'est un peu l'homme traqué. D'abord par les Allemands lors de son évasion d'un camp de prisonniers. Ensuite les Français après l'attaque de la poste d'Oran et enfin les censeurs de l'Algérie libre qui le soupçonnaient, jusqu'au milieu des années 80, de sympathie à l'endroit de l'opposition Ben Belliste. Il retournait souvent les week-end se ressourcer auprès de ses vieux amis témouchentois dont Bouhadjar dit ?'Oran matin'', Tayeb Kkoucha, Benkada Bachir dit Kiki, Benfodda Kouider ?'Bekka'', Briki Djelloul et tant d'autres avec qui il s'asseyait au café «Moustache» pendant qu'une voiture de la sécurité le surveillait de loin. Une quarantaine d'années passée l'ennemi aux trousses. Esquiver les coups, résister à l'adversité, toujours se glisser entre les mailles du filet était devenu sa seconde nature. Et les nombreux compagnons de lutte qui sont venus de partout, pour assister à l'hommage qui lui a été rendu à Ain Témouchent le 29 mai 2010 par la Fondation Emir Abdelkader, en savent un bout. Une reconnaissance qui vaut son pesant d'estime et de respect. Dans ses dernières volontés, Ahmed Bouchaib a demandé à être enterré dans sa ville natale où reposent ses proches. Il décèdera le 23 janvier 2012 des suites d'une longue maladie et inhumé, ainsi qu'il l'a souhaité, au cimetière Sidi El Hadj Belabbes d'Ain Temouchent en présence de nombreux simples citoyens de la ville et des anciens militants de la Mitidja qui lui vouaient un profond respect. Le dernier des grands activistes du PPA et du combat libérateur s'en est allé à jamais, un matin de janvier. Mais il est entré dans la postérité en écrivant une page de l'histoire nationale et en donnant son nom au premier centre Universitaire d'Ain Temouchent. Enfin, ce fut pour moi un grand honneur d'avoir, à la demande de sa famille, transmis à l'un de ses proches parents une copie de cette biographie dans le cadre de la procédure de baptême du centre Universitaire d'Ain Temouchent. Elle a nécessité de longues recherches vu l'itinéraire singulier et captivant de ce moudjahid qui connut une longue traversée du désert. Il avait pour lui une richesse si rare, la conscience du devoir accompli. Combien d'hommes, aujourd'hui, peuvent se prévaloir d'un tel réconfort ? *Auteur N.B.: Cette biographie a été le résultat d'une longue recherche menée auprès des proches et anciens compagnons de vie et de lutte de Ahmed Bouchaib et notamment le récit recueilli par Mrs Rouina Karim et Boukorra Boucif sur l'itinéraire du défunt sur lequel je suis revenu à l'occasion de mes rencontres informelles avec Ahmed Bouchaib que j'ai pu côtoyer lors de ses fréquentes venues à Aïn-Temouchent. |