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La création des
nadis, ou cercles, fut un moment un acte fondateur de la modernité en Algérie.
C'est pour cela qu'il est utile aujourd'hui de s'intéresser à l'étude de ce
phénomène qui a marqué l'évolution de la pensée politique en Algérie au début
du XXème siècle.
1re partie Phénomène de l'élite, ce mouvement est à appréhender comme un processus de mobilisation mais aussi de résistance face à l'hostilité coloniale. C'est dire aussi que le mouvement, allant vers la libération du joug colonial, a eu à franchir des étapes jusqu'à la révolution. Pour progresser et vivre librement dans la dignité, l'élite algérienne allait, au début du XXème siècle, commencer par occuper l'espace en créant ses propres lieux d'identification à la modernité et en instaurant le modèle des nadis dans les vieilles cités (Alger, Tlemcen, Constantine?). C'est là un fait historique, culturel et politique important qui a marqué le début de l'ère nouvelle. L'expérience du mouvement associatif des nadis a constitué dans les vieilles cités un mouvement important. Secoué par le choc colonial, le mouvement nationaliste, pour ses nécessités d'action, devait créer ses propres moyens, d'où, il faut le souligner, le rôle des nadis qui, dans un élan politico-culturel, vont naître et agir en faveur du progrès des arts et de la culture avec une certaine modernité. C'est à travers ces lieux de l'élite que va s'affirmer l'identité mettant en valeur les référents historiques liés à la personnalité algérienne. C'est dans ce contexte que se font jour des personnalités de l'élite du mouvement des ?'Jeunes Algériens?'. La culture de l'identité sera en sorte le prétexte, le ?'lieu'' ou encore le ?'territoire'' où va s'organiser la résistance et tout l'art de vivre la modernité qui va se manifester dans la cité. Les éléments de l'avant-garde de l'élite vont être les vedettes de la mode, nouvelle tendance, où ?'al-kam?', ?'al-barnati'', ?'al-klah'', ?'chèche?'? traditionnels seront troqués contre la chéchia ottomane, les stambouliotes? La culture était devenue une manifestation de la vie, un langage politique des jeunes de la classe des ?'Fetyans?' et des ?'Effendis''. Ce style, ou encore cette nouvelle manière de vivre, était inspiré des ?'Jeunes-turcs'' dont le mouvement était animé par l'avant-garde éclairée de la société civile indépendante parmi, notamment, la frange les premiers lettrés formés à l'école franco-arabe. Les nadis, ou cercles, étaient, au plan politique, devenus les lieux de l'engagement patriotique de la nouvelle élite de la cité, avec le théâtre, le sport, la musique en toile de fond. Cette modernité, représentée par les cercles, allait vivre pendant plus de cinquante années dans une sorte d'art de l'association, une très belle aventure du jeune patriotisme algérien. A l'indépendance, l'élan patriotique ?'Jeune Algérien'' a perdu de son actualité étant donné le contexte nouveau, certes différent, qui pose encore aujourd'hui la problématique du rôle de l'élite et de son engagement. Ces foyers associatifs étaient des lieux efficaces et féconds dans le jeu des influences politiques, culturelles et religieuses. Ils ont eu l'effet d'une petite révolution qui a marqué l'éveil de la conscience nationale et la ?'démocratisation'' de la vie culturelle, politique et sociale. Certains d'entre eux comme le premier nadi fondé en 1904 les ?Jeunes-Algériens'' affichait déjà, en 1910, au-dessus de son parvis et dans ses documents d'adhésion son caractère nationaliste, ?'Nadi chabiba wataniya al-djazaïria'' (Cercle de la jeunesse nationaliste algérienne). Dans cet éveil, il faut noter la place éminente occupée par le théâtre, la musique, les débats d'idées dans le mouvement de ces cercles du renouveau pendant les durs moments de la colonisation. LE PHENOMENE LE L'ELITE AU DEBUT DU XXEME SIECLE EN ALGERIE Ces relais modernes allaient favoriser des moments forts de cristallisation de la parole et des premières expériences politiques. En tant que lieux du patriotisme, ils ont quelque peu fait évoluer l'activité historique des ?'Masriyas'', des ?'Fondouks'', des ?'Doukkans?', ces ?'Homes'' qui, par le passé, se prêtaient traditionnellement aux rencontres et aux échanges privés, au cœur de la vieille médina. Le courant moderniste des cercles ou nadis est né à l'aube du XXème siècle en Algérie sous l'influence des courants réformateurs, en agitation notamment en Turquie. Cette expérience fut particulièrement intéressante s'identifiant à des courants qui entendaient faire accélérer les évolutions dans le monde musulman sous domination coloniale. Si l'impact du mouvement labellisé ?'Jeunes-Algériens'' auxquels les colons attribuaient une influence panislamique, était encore réduit au début du XXème siècle, il a par contre figuré comme un mouvement beaucoup plus vaste qui a mobilisé dans le monde arabe sous domination des personnalités de la génération des premiers libéraux musulmans formés à l'école anglo-arabe ou franco-arabe. Fascinés par le courant de la jeune garde politique nationaliste et révolutionnaire des ?'Jeunes-Turcs'', les mouvements ?'Jeunes Algériens'', ?'Jeunes Egyptiens'', ?'Jeunes Tunisiens'' étaient souvent définis comme des lobbys avec un style de vie et un comportement qui a inauguré le courant de la société civile dans le monde arabe. Le mouvement ?'Jeune musulman'' présentait partout de grandes similitudes se calquant sur bien des points jouant sur l'attrait de la langue arabe et du costume. Il était partagé entre réflexions sociétales et politiques. En liens étroits, les Jeunes de ce mouvement étaient porteurs du même message glorifiant le progrès et le savoir. Leurs idées s'ajustaient partout ou presque à travers le monde musulman sous domination à toutes les questions aux plans à la fois religieux, intellectuel et politique. C'est dans les nadis que l'esprit du progrès va s'enflammer dans une sorte d'esprit de résistance. Ces espaces de bouillonnement ont fait leur preuve et devaient subir la réaction politique totalisante qui a entrainé leur fermeture dès l'indépendance acquise. En focalisant l'analyse, on remarquera que le mouvement des ?'Jeunes-Musulmans'' a instauré dès le XIXème siècle une vie politique et aussi l'exception d'un pluralisme qui n'existait pas encore dans leurs pays. La vie associative qu'ils ont générée avec ses apports et ses croisements d'idées fut un indicateur objectif de sa vitalité, affirmant déjà son existence politique. C'est par le biais des cercles créés sous l'effet de la loi coloniale de 1901 que le courant ?'Jeune Algérien'' allait entrer de plain pied dans les préoccupations du pays et du monde musulman. C'est au beau milieu de ses espaces que naîtront des personnalités issus des milieux les plus éduqués au milieu d'une société traditionnelle en alerte tout juste après la destruction du célèbre collège d'étude du moyen âge arabe ?'Tachfiniya?' dont, entre autres, Abdelkader al-Midjaoui, Bénali et Larbi Fekar, Messali Hadj, Abdelkader Mahdad? Bardé de diplômes, Bénali Fekar était considéré comme un avant-gardiste du mouvement des Jeunes musulmans. Juriste, journaliste au Temps (actuel Le Monde), le Courier, le Matin de Paris? et auteur, il était le plus titré arabe et algérien de son temps (docteur en droit es sciences politiques, juridiques et économiques, lauréat de la faculté de droit de Lyon). Son étude savante sur l'usure en droit musulman est souvent citée en référence par les spécialistes en islamologie dont le Hongro-allemand Ignace Goldziher ou encore l'économiste français Maxime Rodinson? Son frère Larbi, instituteur, est fondateur du premier journal bilingue (arabe-français) ?'Jeune algérien'' du nom d'El Misbah à Oran, en 1904. Au début au XXème siècle, l'historien William y voyait déjà là, à travers cet engagement, ?'l'existence d'un parti de la civilisation et du progrès?' (Ch.R. Ageron, Les Algériens musulmans et la France -1871-1919). Les ?'Jeunes Algériens'' qui ont affronté l'hostilité coloniale sont considérés comme fondateurs de la modernité au XXème s. Les deux frères seront à la fois dans l'engagement et dans l'action pour le combat moderniste arabe et musulman des nouvelles élites. Leurs racines cordouanes irriguées par la pensée d'Ibn Hamz, Mahieddine Ibn Arabi? leur père étant, avec Cadi Choaîb, Moulay Driss ben Tabet?, un des réformistes issus de la tradition de la ?'Tachfiniya?'. Les deux frères s'imposaient comme des échantillons représentatifs du combat générationnel des ?'Jeunes musulmans'' en Algérie et à travers le monde musulman avec Mustappha Kamil Pacha en Egypte, Abdelmadjid Zaoueche en Tunisie ? LES EXEGETES-PREDICATEURS OU FAQIHS, LES INTELLECTUELS MODERNISTES ET LE PATRIMOINE Les exégètes ou cadis épris de culture et les intellectuels modernistes étaient pour la plupart d'ascendance traditionnelle de savants ou d'érudits formés dans la tradition de la célèbre médersa ?'al-Tachfiniya''. Il existait à Tlemcen d'excellentes écoles et une communauté où l'islam est vécu comme une ferveur religieuse, loin d'être bigote, tournée vers les valeurs morales familiales et l'éducation des enfants, remarque le juriste Bénali Fekar dans son livre ?'L'œuvre française en Algérie jugée par un Arabe'' (conférence, Rouen, 1905). Construite au XIVème siècle sous le règne du roi zianide Abou Tachfin Ier, cette dernière fut détruite, comme on le sait, au début de l'occupation coloniale française sous prétexte d'urbanisme et cela, dans le but de mettre fin au renouvellement des élites traditionnelles dans la vieille cité des Zianides. Certes, cette ancienne capitale figurait parmi les villes les plus importantes du Maghreb où la société policée, aux antipodes des traditions langagières rugueuses, a connu, au moyen âge arabe, un haut degré de civilisation. Elle était à la hauteur des grandes et vieilles cités, Fès, Bédjaia, Tunis? Haut lieu du savoir, elle comptait quatre grandes prestigieuses médersas d'Al-Matmare, Al-Yacoubiya, Tachfiniya, al-Eubbad, Ouled al-Imam, qui ont formé d'illustres savants dans les sciences profanes et religieuses à l'époque médiévale, voire le mathématicien Saïd al-Okani, al-Hafidh ibn Marzouk, Benyoucef Sanoussi? dont le savoir eut une influence tant au Maghreb qu'en Andalousie et dont il est temps de ranimer et de s'approprier la pensée. Avec la destruction de la médersa at-Tachfiniya (un bijou architectural du moyen âge arabe) la culture allait se réfugier alors dans les écoles libres qui furent créées. Nous citerons par là l'école du célèbre cadi djama'a tilimsan, Choaïb Aboubekr à Bab al-Djiad (quartier des coursiers) s'illustrait par les noms d'autres faqîhs dont Mohamed Beghdadi, Mohamed Benyoucef, Mohamed Benyamina, Mohamed Belbachir fils de Abdelkaoui de Ghris?Les autres écoles étaient animées par les maîtres d'écoles, cheikh Mohamed Bouaroug al-Azhari à la mosquée de Sidi Djebbar, celle de cheikh Ahmed Yellès Chaouche à Ghars Didou, du Faqîh Mohamed al-Harchaoui à derb Hlaoua, de cheikh Mohamed Bendahmane à la médersa d'el-Eubbad? La démolition de cette médersa qui avait rang d'université à l'image de la Zitouna et d'al-Qarawiyyin allait, certes, décider aussi le départ de cette ville de nombreux savants vers Fès. La capitale des Idrissides bénéficiera grâce à leur présence d'une impulsion nouvelle donnée aux études du Fiqh. Le plus bel exemple est donné par cheikh Abdelkrim al-Midjaoui, père de Abdelkader, mort à Alger en 1913, qui a compté parmi ses disciples à la Qarawiyyin de Fès la pléiade des premiers exégètes-réformistes marocains dont Abdelhaï Doukkali, cheikh Mohamed Guenoun, cheikh Djaafar al-Kettani, cheikh Abdelouahid Bensouda? Le XXème est le début d'une phase active dans le processus de reprise historique. Il fut marqué aussi par l'entrée en jeu de personnalités distinguées au plan de la réforme. En dehors de Cadi Choaïb Aboubekr fils de Ibn Abdeldjelil auteur du ?'Tenbih al-anam'', déjà cité, il y eut encore cheikh Abdelkader Midjaoui qui rencontra le réformateur, inspirateur du groupe égyptien al-Manâr (le Phare) cheikh Mohamed Abdou, en 1903, le professeur et auteur, homme de réflexion et d'action, Ghaouti Bouali (1863-1932), Ahmed Bensmaïl, auteur de l'encyclopédie ?'Madjami'i'', mort en 1936 au Caire?Il mobilisera partout l'élite à Tlemcen, Constantine, Alger avec Cadi Choaïb Aboubekr, Mohamed Bensedira, Abdelhalim Bensmaïa, Mustapha Belkhodja, Mohamed Ben Mouhoub? A suivre... * Enseignant-chercheur et auteur. Auteur et producteur (Conférence colloque international sur les musiques anciennes. Ministère de la Culture, Alger 2015). Bibliographie : - Florilège histoire, art et politique. El hassar Salim, El hassar Mohamed al-Amine (Dalimen, Alger, 2011) - Les Jeunes Algériens et la mouvance moderniste. Les frères Larbi et Bénali Fekar El hassar Bénali. Paris, 2013. - Le rêve moderniste en Algérie au début du XXème s. El hassar Bénali(Paris, 2013). - Les Algériens musulmans et la France (1873-1919). Charles-Robert Ageron P.U.F de France, 1968. |