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1. Les grandes monnaies et les monnaies convertibles et non-convertibles dans le monde Un article de Harold James publié par Project Syndicate 1995-2015, et repris par la tribune.fr sous le titre " Les conséquences mondiales de l'isolement de la Russie ", le 10 janvier 2015, bien qu'il soit éclairant à plus d'un titre, mérite cependant d'être précisé. Dès le début de l'analyse, l'auteur souligne la fragilité à la fois de l'économie russe et du système économique et financier mondial. Il écrit : " La crise qui affecte actuellement la Russie, et en particulier l'effondrement du rouble, révèlent toute la fragilité non seulement de l'économie russe, mais également de l'ordre international existant, ainsi que des fondations de la pensée contemporaine autour de la viabilité économique et politique. En effet, la crise russe n'était pas censée se produire - et l'isolement croissant du pays ôte à la Russie toute influence véritable sur les mécanismes actuels de gouvernance mondiale. LES ECONOMIES EMERGENTES ONT TIRE LES LEÇONS DES CRISES Après la crise de la dette en Amérique latine dans les années 1980, et la crise financière asiatique de 1997-1998 (qui a également affecté la Russie), les économies émergentes se sont résolues à trouver le moyen d'éviter que l'expérience ne se reproduise. Elles ont ainsi identifié trois démarches clés permettant de gérer les risques associés à la mondialisation financière moderne : accumuler un épais matelas de réserves susceptible d'amortir d'éventuelles attaques spéculatives ; éviter que ne se creusent d'importants déficits de la balance courante (les excédents servant à accumuler des réserves) ; veiller à maintenir de faibles dettes publiques et privées extérieures. Les économies émergentes ont par ailleurs tiré certaines leçons de gouvernance, admettant une nécessité d'amélioration de la transparence et de lutte contre la corruption. Responsables politiques et institutions financières ont également axé considérablement leur attention sur la détermination d'indicateurs susceptibles de constituer des alertes. JUSQU'EN 2014, TOUT ALLAIT BIEN... Jusqu'en 2014, la Russie se portait relativement bien à tous ces égards. Aucun signal d'alarme ne semblait retentir. En 2013, la dette extérieure du secteur publique s'élevait à seulement 3,8 %, la dette extérieure totale des secteurs public et privé atteignant un niveau raisonnable de 30,2 % du PIB. Au printemps dernier, les réserves de change du pays s'élevaient à un confortable montant de 472 milliards de dollars, soutenues par un excédent de balance courante substantiel ; enfin, selon la Banque centrale de Russie, le total des actifs russes à l'étranger atteignait 1 400 milliards de dollars, supérieur à un passif de 1 200 milliards de dollars. Que s'est-il donc passé ? L'une des difficultés réside sans doute dans l'impossibilité de mobiliser facilement ces actifs en période de crise. Comme l'ont récemment souligné plusieurs économistes de la Banque des règlements internationaux, en premier lieu desquels Claudio Borio et Hyun Song Shin, les soldes d'actifs financiers reflètent bien souvent une utilisation du secteur étranger destinée à créer davantage d'intermédiation - système propice à une fuite des capitaux à grande échelle. Ceci semble particulièrement se vérifier s'agissant de la Russie. En d'autres termes, les entreprises russes utilisent les capitaux qu'elles lèvent à l'étranger pour accumuler des actifs, qu'ils ne rapatrient ensuite pas nécessairement. " Si Harold James, dans ce préambule et dans la suite de son analyse, donne une vision réelle de la crise financière et monétaire de la Russie et les frictions entre les grandes puissances et celles qui cherchent à émerger, en l'occurrence la Russie, non sur le plan nucléaire la Russie l'est déjà, mais en puissance financière et monétaire, il faut relever que la crise du rouble qui a lien avec la crise ukrainienne n'a fait en réalité qu'anticiper une crise à la fois économique, financière, monétaire et pétrolière " déjà programmée par les tenants même de l'ordre économique et financier mondial ".Ceci est une première chose. La deuxième chose, c'est que ce qui se passe aujourd'hui ne doit absolument pas étonner. En réalité, " le monde vit une guerre financière et monétaire permanente ", sauf que cette guerre est sourde, peu visible, peu ressentie, et ses effets ne se voient que lors de graves crises économiques et financières. Et le monde en a vu. Les plus récentes, de 1987, passant par 1990, 1991, 1992? 2007, 2008 à la crise monétaire de la Russie, en novembre 2014. Comme d'ailleurs les crises pétrolières qui ont toutes parties liées avec les guerres financières et monétaires entre les puissances. Le problème du monde, aujourd'hui, est qu'il est dominé par quatre grandes puissances monétaires, les États-Unis, l'Union européenne monétaire, le Royaume-Uni et le Japon. La Suisse à un degré moindre. Ce sont les monnaies de ces pays et leurs fluctuations qui conditionnent l'évolution l'économie mondiale. Toutes les autres monnaies convertibles et non convertibles dépendent des fluctuations de ces grandes monnaies. Sur les marchés des changes dans le monde, cesont ces quatre monnaies qui sont dominantes, et sont généralement échangées. Quant aux autres monnaies convertibles (won coréen, rouble russe, real brésilien, etc.), leurs valeurs dépendent essentiellement des réserves de change que disposent leurs banques centrales respectives. Des monnaies secondaires, pour ainsi dire subalternes puisqu'elles dépendent du niveau des réserves en dollars, en euros, en livres sterling, en yens et accessoirement en franc suisse et en or-métal. Des monnaies qui ne sont en fin de compteque des images des paniers de monnaies et des réserves de change de chaque pays émetteur de monnaies locales convertibles ou non sur les marchés monétaires. Des monnaies dépendantes des quatre grandes monnaies mondiales. 2. Les attaques spéculatives, des armes redoutables comparables aux armes de destruction massive Comme il l'a dit si bien l'auteur, " Tout allait si bien? pour la Russie ", que s'est-il passé pour la Russie ? La chute des prix du pétrole a été vécue par tous les pays exportateurs de pétrole sans grands problèmes, sauf pour la Russie. Certes, il y a cette inquiétude sur la chute rapide et surtout incompréhensible du pétrole. Nombre d'arguments ont été avancés pour expliquer cette baisse, cependant il demeure que les pays pétroliers qui ont de fortes réserves de change n'ont pour l'instant pas vécu de crise comme celle qu'a vécue la Russie, à la fin de l'année 2014. Pour avoir une idée de la situation mondiale, il est intéressant de revenir à l'analyse de Harold James. LA SPECULATION COMME ARME POLITIQUE: UNE CONSTANTE AU XXEME SIECLE Une situation similaire est survenue au cours des années qui précédèrent l'explosion de la Première Guerre mondiale. À l'époque, la proximité des relations diplomatiques entre la France et l'Allemagne facilitait la circulation de montants de capitaux substantiels ; mais les périodes de tensions internationales, telles que la crise marocaine de 1911, suscitèrent des attaques spéculatives qui mirent en lumière l'isolement croissant de l'Allemagne. Dans l'entre-deux-guerres, et en particulier dans les années 1930, caractérisées par la désintégration de l'ordre sécuritaire mondial, ces attaques spéculatives devinrent un véritable outil de manipulation politique. En exerçant une pression financière sur la France, l'Allemagne nazie espéra notamment qu'elle induirait des crises budgétaires et de crédit, qui contraindraient le pays à réduire ses dépenses militaires. UN ORDRE MONDIAL DANS LEQUEL LA RUSSIE PERD SA PLACE L'une des principales caractéristiques de l'ordre mondial instauré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale réside dans l'interaction qui fut établie entre les systèmes de gouvernance économique et sécuritaires, les cinq mêmes puissances occupant les sièges permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies et, au cours de la dernière génération, du comité exécutif du Fonds monétaire international. Ceci contribua à contrer les attaques spéculatives motivées par des raisons politiques, ainsi qu'à restaurer une stabilité financière et monétaire mondiale. L'URSS ne visera jamais l'adhésion au FMI. La Russie, elle, le fera en 1990 - obtenant un siège au comité exécutif. Elle sera par la suite intégrée au G8, ainsi qu'au dernièrement constitué G20. Voici désormais la Russie exclue, au moins temporairement, du G8, le pays ayant effectivement été rétrogradé au statut de pays observateur lors du dernier rassemblement du G20 à Brisbane. Autrement dit, l'ordre mondial est aujourd'hui refaçonné - dans lequel la Russie perd sa place.» Ce qu'affirme Harold James, ce sont les attaques spéculatives opérées par les systèmes financiers des grandes puissances monétaires occidentales qui se révèlent être des armes redoutables comparables aux armes de destructions massives. Pour avoir une idée des pertes que ces attaques ont occasionnées à la Russie qui a perdu en cinq mois environ 50 milliards de dollars US - selon les données occidentales - prenons la réalisation de l'autoroute Est-Ouest (distante de 1500 kms), en Algérie. La réalisation a duré plus de dix ans - des années 2000 au début des années 2010. Elle a coûté environ 10 milliards de dollars. Comparativement au coût de l'autoroute Est-Ouest algérienne, la Russie aurait perdu une perte franche de 7500 kms d'autoroute, avec tous les ouvrages d'art en ponts, viaducs, murs de soutènement de remblais, etc., qui sont comptabilisés dans ce coût. Et une perte non seulement en termes financiers mais aussi en création d'emplois. Ce qui est considérable. Une autre évaluation des pertes russes par les attaques spéculatives. Prenons le coût de construction d'un appartement en Algérie, évaluons-le à 5 millions de dinars algériens, ce qui en soi est déjà une somme considérable. Converti en dollars (au cours de 100 dinars pour un dollar), le prix d'un appartement est de 50 000 dollars. En perdant 50 milliards de dollars, la Russie a perdu la réalisation de 1 million de logements. Et là aussi en pertes financières et en création d'emplois. Force donc de dire que les pays du monde, en particulier hors-Occident, redoutent une " attaque spéculative " dont les effets, comme on le constate pour la Russie, sont destructeurs. 3. L'Hégémon monétaire mondial Tout d'abord, comme on l'a souvent écrit, " les crises économiques, financières et monétaires participent à la rénovation architecturale du monde ". Sinon, pourquoi les crises ? " Il n'y a de crise que parce qu'il faut qu'il y ait une crise, que parce que la crise participe d'une manière ou une autre à l'évolution du monde. " Si le monde était sans crise, il n'y aurait pas eu évolution, le monde aurait été statique. Or, le sens de l'humanité se trouve dans cette dimension (dynamique) d'être. Quant à la spéculation financière, elle est inhérente à l'homme. L'homme spécule pour savoir, pour gagner. En toute existence, il y a une spéculation d'exister. Pour décrocher un examen, un travail, pour espérer d'allonger son existence? Et toute visée spéculative dans le bon sens représente un plus pour l'existence. De la même manière, on spécule sur les produits dérivés, dans les Bourses. Qu'un taux de change d'une monnaie se déprécie, et on spécule sur elle. Que l'on perde ou l'on gagne, cela relève des aléas du jeu économique. En loterie, on écrit des chiffres sur un bulletin dans l'espoir de gagner. Même dans les sciences, on spécule pour découvrir une loi, une formule. La spéculation est inhérente à la nature de l'homme. " Souvent l'homme spécule sans savoir pourquoi il spécule. " Bien sûr, on a attribué à la spéculation un sens étendu, mains il est non moins vrai. Rappelons Georges Soros qui a spéculé sur la livre sterling, un 16 septembre 1992 ? N'a-t-il mis en ballotage plusieurs de ses milliers de milliards de dollars en empruntant de la livre pour ensuite la revendre, et par ce jeu d'emprunt-vente-remboursement, n'a-t-il pas obligé la Banque d'Angleterre à sortir la livre du système monétaire européen ? " Georges Soros se savait-il qu'il allait devenir l'homme qui a fait tomber la livre sterling " ? Si son attaque spéculative sur la livre lui a permis d'enregistrer un gain financier considérable, il aurait pu aussi perdre des sommes colossales. Mais cela a fait partie de ses défis, somme toute humains. La France qui faisait face, dans les années 1990, à des attaques spéculatives sur le franc, n'a dû son sauvetage qu'à l'aide financière de l'Allemagne ? Une Allemagne, naguère ennemie, a racheté massivement des francs sur les marchés, et de ce fait a fait échec aux spéculateurs. L'effet de la spéculation s'est retourné contre les spéculateurs qui ont perdu des sommes considérables au profit de l'Allemagne et de la France. L'Homme ne peut savoir ce qui en découlera de ses défis spéculatifs. De même, les crises asiatiques, brésiliennes et russes ont, malgré les pertes, été mises à profit par ces pays qui ont subi la crise. La fuite des fonds de pensions américains, européens, des assurances, etc. - une autre forme d'attaque spéculative -, ont, à cette époque, permis aux pays occidentaux d'enregistrer des dividendes considérables dans le sens que les pays attaqués ont vu leurs monnaies fortement se déprécier puis dévaluées sous l'égide du FMI - réajustées à leur nouvelle situation macroéconomique eu égard aux fuites des capitaux. Ceci étant, qu'en est-il réellement d'une " attaque spéculative " dans un sens le plus général du terme ? Tout d'abord il n'y a " de spéculation que s'il y a matière à spéculer ". Qu'il s'agisse de fonds spéculatifs, banques, etc., qui anticipent, par exemple, une dépréciation d'une monnaie d'un Etat, et qu'ils empruntent une quantité importante de cette monnaie, et qu'en la convertissant, par exemple, en euro ou en dollar, ils investissent ces emprunts en Europe, aux États-Unis, ou ailleurs qui offre un taux d'intérêt plus élevé, donc plus intéressant. Et c'est ce qu'on nomme communément le " Carry Trade ", qui est un procédé financier très prisé pour les spéculateurs. Le Carry Trade consiste à jouer sur le différentiel de taux d'intérêt entre deux pays, et entre deux devises. Un spéculateur s'endette dans une devise à faible taux d'intérêt pour placer ces fonds empruntés dans une autre devise à taux d'intérêt supérieur. Le problème du Carry Trade est qu'il peut se transformer en " attaque spéculative ". En effet, si le surplus issu de la conversion de cette monnaie sur les marchés, effectué par le spéculateur, est important, et qu'il commence à affecter la monnaie de l'Etat visé, en la dépréciant, le spéculateur aura à gagner doublement. D'abord par le gain généré par son placement dans un autre Etat qui offre un taux d'intérêt supérieur, ensuite, en remboursant son emprunt à l'échéance avec une monnaie locale dépréciée, ce qui lui permettra d'enregistrer un autre gain financier. Evidemment, une spéculation ne se transforme en «attaques massives» que si le «système financier et monétaire d'un Etat est jugé fragile, et dont la devise est susceptible d'être dépréciée». Ou encore, un cas rare si le système financier d'un Etat est en conflit avec le pouvoir financier mondial, i.e. l'Occident. Et, comme on l'a énoncé, l'Occident est principalement constitué de quatre grandes puissances monétaires qui sont les États-Unis, les 19 Etats de l'Union monétaire européenne, le Royaume-Uni et le Japon. Que l'on peut appeler l'«Hégémon monétaire mondial». Et les 170 Etats du reste du monde sur les 193 Etats que comptent les Nations Unis ont toutes leurs monnaies dépendantes des monnaies de l'Hégémon par leur ancrage et les réserves de changes. 4. Le mécanisme des «attaques spéculatives » Pour comprendre la gravité d'une «attaque spéculative», partons d'un cas concret. Qu'un spéculateur (Hedges funds, Entreprises financières, assurances, etc.) emprunte, par exemple, auprès de la Banque de Russie ou du système bancaire russe " 1 milliard de dollars ", qui lui remet 30 milliards de roubles au taux d'intérêt de 10% et au taux de change de 30 roubles pour un dollar. Et que ce fonds convertit sans attendre ce capital en dollars, et les réinvestit à un taux de 5% dans un autre Etat. Le spéculateur n'opte pas pour un taux d'intérêt supérieur et accepte, en suivant sa stratégie, une perte de 5%. Cette opération lui fera perdre donc 5% d'intérêt du capital. A l'échéance de l'emprunt, il doit rembourser 105% du capital emprunté. Prenons le fait que ce n'est pas un Hedge fund mais plusieurs Hedges funds qui s'accordent et empruntent auprès du système bancaire russe des capitaux au mêmetaux d'intérêt et au même taux de change dollar/rouble. Supposons que l'ensemble des emprunts par les Hedges funds s'élèvent à 100 milliards de dollars soit 3000 milliards de roubles empruntés, et que ces montants en roubles sont aussitôt convertis en dollars et investis dans d'autres Etats au taux d'intérêt de 5%. Ces fonds, à l'échéance des emprunts, comme on l'a dit, doivent rembourser 105%. Donc des pertes puisqu'ils doivent payer 5% de plus sur les capitaux empruntés. Supposons maintenant que la conversion massive des roubles en dollars sur les marchés a entraîné une forte dépréciation de la monnaie russe. Et qu'à l'échéance des emprunts, le taux de change est passé de 30 à 60 roubles pour un dollar - ce qu'il est à peu près aujourd'hui -, les Hedges funds n'auront alors à rembourser au système bancaire russe que 50% du capital emprunté plus les intérêts. Les 3000 milliards de roubles empruntés, au taux de change de 60 roubles pour un dollar, ne constituent plus que 50 milliards de dollars. De même, le différentiel de taux d'intérêt de 5% au profit du système bancaire russe, rapporté au capital emprunté et au nouveau taux de change dollar/rouble, ne représente plus que de 2,5%. A l'échéance des emprunts, les Hedges funds n'auront à rembourser que 52,5% des capitaux empruntés. Les Hedges funds auront donc enregistré un gain de 47,5% du capital emprunté. Une échéance à trois mois, par exemple, amènerait la Banque de Russie a perdre 11,875 milliards de dollars sur les 100 milliards de dollars prêtés en équivalent-roubles avant la dépréciation. Une échéance sur six mois occasionnerait une perte de 23,75 milliards de dollars pour la Russie. Sans compter que les dépenses deviennent onéreuses pour financer ses importations de biens et services. Et une hausse généralisée des prix intérieurs suivie d'une forte inflation. Comme on l'avait déjà dit dans un article précédent, il se produirait,sur les marchés financiers, une véritable " ruée à la curée ". Les spéculateurs, à l'affût de bonnes affaires, se précipiteront pour" arracher chacun une part de butin de la finance russe ". La Banque centrale de Russie sera obligée de consacrer une partie de ses réserves de change pour racheter une partie des milliards de roubles en surplus sur les marchés monétaires, pour limiter la dépréciation monétaire et " augmenter son taux d'intérêt directeur pour tenter de dissuader les spéculateurs ". C'est ce qui s'est produit, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2014, la Banque de Russie a augmenté le taux d'intérêt de 6,5%, qui est passé de 10,5% à 17%. Alors que la Banque centrale avait déjà relevé drastiquement son taux directeur en début d'année, taux qui est passé de 5,5% à 10,5%. Et de nouveau dans la nuit du 17 décembre, le relèvement de 650 points de base tente de limiter l'" orchestration d'attaques spéculatives massives " par l'Occident, et les conséquences qui en découlent. Un relèvement du taux d'intérêt qui a aussi un côté négatif puisqu'il pénalise la production et l'investissement. [Cette partie a déjà été publiée précédemment, et les chiffres légèrement changés. Si elle est rappelée ici, c'est pour les besoins de l'argumentation.] 5. «La soumission» à l'Hégémon monétaire mondial ? Cette « orchestration d'attaques spéculatives massives» st une véritable arme de destruction massive de l'Occident. On comprend dès lors qu'un Occident organisé en «véritable consortium» consacre les quatre grandes puissances monétaires mondiales, les États-Unis, l'Europe monétaire, la Grande-Bretagne et le Japon, par leurs monnaies - le dollar, l'euro, la livre sterling et le yen -en véritable «Hégémon monétaire mondial» sur l'économie mondiale. La situation de crise qu'a vécue la Russie nous fait dire que ce n'est pas parce que la Russie a anticipé le passage du rouble à un cours flottant, initialement prévu au 1er janvier 2015, comme le laissent penser des économistes occidentaux, que la Russie aurait pu éviter le krach de sa monnaie. Ce n'est certainement pas un problème de date ni même de réserves de changes combien même celles-ci fussent considérables. La Chine, deuxième puissance économique du monde, premier détenteur mondial de réserves de changes avec plus de 4000 milliards de dollars, son yuan n'est toujours pas flottant. Malgré un début d'internationalisation du yuan, son taux de change reste toujours fixé par la Banque de Chine. La convertibilité totale d'une monnaie nationale, même si celle-ci requiert des interventions ponctuelles de la Banque centrale (opérations d'open-mark et maniement du taux d'intérêt directeur) sur les marchés, reste, pour sa viabilité, toujours tributaire " d'un alignement total ou partiel à la politique hégémonique de l'Hégémon monétaire mondial ". En effet, sans cet alignement total ou au moins partiel, la convertibilité d'une monnaie sur les marchés financiers internationaux est aléatoire voire impossible. Toute insoumission à l' " Hégémon mondial " ou, a fortiori " une remise en question de l'Hégémon mondial ", comme cela s'est opéré avec la politique russe en Ukraine, se traduit non seulement par des sanctions économiques et financières mais aussi par l'usage d'armes de destruction massive, i.e. des " attaques spéculatives massives ". Des attaques répétées amèneront la puissance réfractaire à l'Hégémon à subir des pertes financières considérables et à sortir sa monnaie de la convertibilité totale. Ce qui nous fait dire que l'alignement à l'hégémon mondial devient non seulement un passage obligé, mais une " condition exigible et éligible " pour tout pays qui cherche à rendre convertible sa monnaie sur les marchés internationaux. Une telle condition s'assimile, dans un certain sens, à une " loi non dite de convertibilité " imposée par le consortium monétaire mondial. Dès lors se comprend la domination de l'Allemagne sur les pays de la zone euro. Par exemple, une sortie de la Grèce est tout simplement insensée même si elle est claironnée par les partis politiques grecs anti-euro. Sans même subir des attaques spéculatives, le prix à payer pour l'économie grecque, si elle venait à sortir, serait exorbitant. En cas de sortie de la zone euro, la Grèce reviendra inévitablement à la zone euro, non pas soumise à l'Allemagne mais au consortium monétaire mondial. Les aux anti-euro comme Jacques Sapir, et nombre d'économistes en France, en Italie, en Espagne? et même en Allemagne qui appellent leurs gouvernements à sortir de l'euro, révèlent simplement leur méconnaissance de l'herméneutique du système financier et monétaire mondial. Et l'euro est une des pièces maîtresses de cette structure monétaire-monde. A voir seulement la Russie, qui a rendu totalement convertible sa monnaie sur les marchés, sans garantir ses arrières. Alors qu'une convertibilité fiable prendrait pour la Russie certainement des décennies, compte tenu de son poids économique dans le monde. Ou l'alternative :" se soumettre à l'Occident ". L'euro a demandé environ soixante ans et deux guerres mondiales pour se constituer. Ce qui n'est pas le cas pour la Russie. D'URSS deuxième pôle du monde avec un " rouble-or soviétique ", après 1945, la Russie se classe aujourd'hui huitième puissance économique du monde. Elle risque même, avec la crise du rouble et du pétrole, d'être supplantée par l'Italie et passer à la neuvième place. D'autres exemples peuvent être cités. Des voix algériennes ont appelé à une convertibilité du dinar, pensant qu'un " matelas de devises doré " que l'Algérie détient,est suffisant pour permettre à l'Algérie de passer à une convertibilité de sa monnaie. Cela aurait été possible si les prix pétroliers étaient assez stables alors que leur cours est souvent erratiques comme on le constate aujourd'hui. Combien même les prix du pétrole seraient relativement stables et les fuites de capitaux limités, il restera toujours cette condition sine qua none : la «soumission à l'Hégémon mondial, i.e. un alignement total sinon partiel à l'Occident». Ce qui signifie pour l'Algérie une ouverture de son économie, une " soumission au moins partielle tant sur le plan économique et financierque géopolitique ". L'Algérie aura à fléchir sa position sur tous les problèmes politiques du monde arabo-musulman. Par exemple, la question palestinienne, le Sahara occidental, le problème libyen, syrien, etc., une politique extérieurequi doit changer complètement et aller dans le sens de la perception de l'Hégémon. Une politique qui sera certainement rejetée par le peuple algérien.. Se comprend aussi pourquoi les pays dont les monnaies sud coréennes (won)? y compris les monnaies du BRICS, le real brésilien, le rand sud-africain ou la roupie indienne partiellement convertible, sont totalement ou partiellement alignés à l'Hégémon. Intérêts économiques obligent. Il est évident que l'Hégémon mondial ne déclenche une guerre totale qu'à celui qui cherche, par des mesures attentatoires à sa stratégie planétaire, comme cela a été le cas de l'annexion de la Crimée par la Russie et son soutien politique et militaire aux régions russophones, voisines à la Crimée, ce qui a constitué un véritable casus belli à l'Occident. Et l'Ukraine était un des pivots de sa stratégie eurasiatique, et entra dans la stratégie planétaire de l'Hégémon. Quant à l'Iran qui n'a pas de monnaie convertible et qui se cabre à l'Hégémon, il est contraint en permanence par des embargos soutenus et renforcés. Les accalmies ne sont que des périodes temporaires pour amener l'Iran à céder, comme d'ailleurs pour la Russie. 6. Résistance de la Russie et des peuples à l'Hégémon monétaire mondial Dans un article, " G20 : Poutine claque la porte et quitte Brisbane ", paru le 15 novembre 2014, il est dit que le président russe Vladimir Poutine, après avoir participé aux réunions du sommet, a décidé d'écourter sa visite. Le motif invoqué par la délégation russe a été l'intention de Poutine de dormir. En réalité, le président russe a été pointé par la vindicte de l'Hégémon et ses alliés. " Le sommet du G20 a été dominé par les fortes tensions entre les pays occidentaux et la Russie, vertement critiquée par l'Australie, le Royaume-Uni et le Canada pour son rôle dans la crise ukrainienne. Avec des accents de guerre froide, les dirigeants des pays anglo-saxons ont accusé Moscou d'être une " menace pour le monde ", désireux de restaurer la " gloire perdue du tsarisme ou de l'Union soviétique " et agresseur de pays plus petits qu'elle. De son côté, Vladimir Poutine a salué une atmosphère et des discussions " constructives " lors de ce sommet, même si " certains points de vue " de la Russie "ne coïncident pas" avec ceux d'autres pays du G20. " Il est compréhensible pour les puissances occidentales, malgré toute la situation économique extrêmement difficile dans laquelle se trouve l'économie russe, de continuer dans les invectives, d'aller presque à l'injure, comme si le désastre économique russe ne leur était pas suffisant. Il est aussi évident que l'Hégémon ne peut ne pas avoir de contrepoids dans sa politique de domination planétaire, où la monnaie n'est qu'un instrument idoine de domination. Cela aurait été contre-nature, non naturel, si à la force de domination, il n'y eut pas un contrepoids, une force résistante. La Nature elle-même réagit à sa propre nature, la Nature de l'homme réagit à sa propre nature. Une Nature ne peut être figée, comme une force ne peut être une force si elle n'a pas sa réaction. A toute force, il y a sa réaction, une force d'inertie s'oppose à la force qui la meut. De même, une force de domination n'aura son essence ou n'est d'essence que si elle est confrontée à une force opposée, évidemment, non égale, sinon, il y a annulation mutuelle, et donc pas de force. Cette approche par la physique est nécessaire pour montrer que les forces de domination des puissances ne sont pas loin des forces naturelles en jeu dans la Nature.Et si la Russie résiste à la domination occidentale, et même tire un certain succès sur l'autre camp, c'est qu'elle a su résister et résiste encore pour la simple raison que la Russie n'a pas d'alternatives. Si elle abdique dans la crise ukrainienne, c'est tout le devenir de la Russie même - donc du peuple russe - qui risque d'être hypothéqué. Car l'Hégémon occidental ne s'arrêterait pas à l'Ukraine, en cas d'abdication de la Russie. Cependant, toute position, tout choix difficile n'est pas si simple. Et comme le dit l'économiste américain, Harold James, dans son analyse. L'ELITE POLITIQUE RUSSE TABLAIT SUR L'EMERGENCE DES BRICS L'élite politique russe aspirait à l'émergence d'un nouveau mécanisme alternatif de gouvernance économique mondiale, sous-tendu par les principales économies émergentes - Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Ceux que l'on appelle les BRICS étaient censés contrebalancer un certain nombre d'institutions internationales dominées par l'Occident, en premier lieu desquelles le FMI, ainsi qu'un système monétaire centré sur le dollar. Dans une certaine mesure, ils y sont parvenus. Pour autant, l'impact de cette démarche se révèle à ce jour limité. À titre d'exemple, l'important accord gazier négocié par la Russie auprès de la Chine au mois de mai, selon des modalités favorables aux Chinois, fait intervenir des tarifs libellés en renminbi et en rouble, plutôt qu'en dollar. Or, avec l'effondrement du rouble, il faut s'attendre à ce que ces dispositions soient renégociées. De même, au mois de juillet, les BRICS ont convenu d'un " fonds de réserve d'urgence " censé " désamorcer les pressions sur la balance des paiements à court terme, conférer un soutien mutuel, et renforcer la stabilité financière. " Dans le contexte de la crise actuelle, il est toutefois peu probable que la Russie soit en mesure de faire usage de cette marge de crédit d'urgence. LA CHINE AIDERA-T-ELLE VRAIMENT LA RUSSIE? Plus récemment, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a promis assistance à la Russie. Le flou de son discours semble toutefois trahir une plus large hésitation, qui persistera sans doute jusqu'à ce que la crise soit terminée. En somme, mécanismes de gouvernance à l'occidentale et jeunes institutions des BRICS ont tous désormais tourné le dos à la Russie. À ce stade, le seul espoir de la Russie est celui d'une crise qui générerait une telle instabilité et contagion qu'elle perturberait les investisseurs et les économies émergentes au point de faire en fin de compte exploser les deux pans du système de gouvernance mondiale. " 7. La prise de conscience de la Russie des nouvelles donnes dans le monde La Russie a compris que la situation a complètement changé comme d'ailleurs la Chine, surtout depuis le retournement pétrolier en 2014. Les intérêts de la Chine et de la Russie forcément divergent. La Chine est très avantagée par la baisse des prix du pétrole, en tant que pays gros importateur de pétrole. Alors que la Russie est pénalisée. D'autre part l'accord gazier entre la Chine et la Russie, et le libellé monétaire des transactions en renminbi et en roubles affectera très peu l'Occident. 400 milliards de dollars sur plusieurs années seraient presque une " goutte dans un verre d'eau ". Les monnaies de l'hégémon seront toujours dominatrices sur le plan économique mondial. Quant au fond de réserve des pays du BRICS, il n'est qu'un " embryon ", eu égard à son capital propre, de 100 milliards de dollars, et là aussi une " goutte dans un verre d'eau " par rapport aux besoins considérables des pays-membres du BRICS. Enfin, un dernier point, la Russie a vu ses réserves de changes dégringoler de 422,7 milliards de dollars en juillet 2014 à 419,2 milliards de dollars en août 2014. Ces réserves de change russe ont continué leur dégringolade pour passer à 409,2 milliards de dollars en septembre 2014. En octobre 2014, ces réserves passent à 383,3 milliards de dollars. En novembre 2014 à 373,7 milliards de dollars. En quatre mois, la Russie a perdu près de 50 milliards de dollars. C'est énorme.Harold James a tout à fait raison. Cependant ce n'est pas comme il le dit, non que les jeunes institutions des BRICS ont tous désormais tourné le dos à la Russie, mais que ni ces jeunes institutions des BRICS ni la Chine ne peuvent la secourir pour la bonne raison que " ces pays n'ont pas de monnaies seigneuriales ". Qu'elles sont toute alignées aux monnaies de l'Hégémon monétaire mondiale. Y compris le rouble russe. Et ce " stricto sensu sur le plan monétaire et non sur le plan politique ". Combien même la Russie réinstaure le contrôle des changes, donc met fin à la convertibilité de son rouble, la valeur du rouble sur les marchés internationaux restera toujours conditionnée par le panier de monnaies auquel le rouble est rattaché et au volume de ses réserves de change. Ce qui n'est pas le cas pour les monnaies de l'Hégémon monétaire mondial qui ont une totale domination sur le monde. Cependant, il y a cet espoir comme le dit l'auteur américain, que la crise pétrolière générerait une " contre-crise ", c'est-à-dire une " telle instabilité et contagion qu'elle perturberait qu'elle perturberait les investisseurs et les économies émergentes au point de faire en fin de compte exploser les deux pans du système de gouvernance mondiale. " Ce cas de figure est néanmoins peu probable, les deux pans ne pourraient pas exploser. Par contre, les deux pans pourraient s'équilibrer. Et en s'équilibrant, ils mettraient fin à l'Hégémon monétaire mondial. Il n'est pas normal " qu'une poignée de personnes dans l'Hégémon mondial dirigent le monde ", et ordonnent des attaques spéculatives contre des nations souveraines, ou obligent des nations à s'aligner à eux. Et " cet Hégémon n'est pas l'œuvre des peuples occidentaux, mais l'œuvre de ceux qui ont la direction des finances et des monnaies dans le monde ". C'est-à-dire le pouvoir mondial de l'argent. Ce sont cette poignée de personnes qui manipulent tous les rouages des finances mondiales, font monter ou baisser les prix des matières premières, maintiennent le monde dans une guerre économique et financière permanente et silencieuse, et sont à l'origine des crises économiques et financières dans le monde. Evidemment, on ne peut occulter que cet Hégémon a un sens dans la conduite des affaires du monde, On doit comprendre qu'il est " Nécessaire " puisqu'" il Est, qu'il Existe ", mais cependant il ne saurait durer car, de plus en plus, les peuples commencent à réfléchir à leur destin, à comprendre ce qui se trame dans le monde. Aussi,si l'Hégémon est le produit de l'Histoire, il ne saurait durer à l'infini de l'Histoire. L'avènement des pays du BRICS est déjà, en soi-même, une lueur d'espoir pour les peuples, puisqu'ils auront à jouer de plus en plus de contrepoids à l'" impérialisme économique, financier et monétaire de l'Hégémon ". Précisément ce sont " ces gouttes d'eau qui vont amener le verre au trop plein, et amener une révision de l'architecture de l'économie mondiale ". Le XXe siècle a été le siècle de la décolonisation des peuples, le XXIe sera le siècle de la décolonisation des économies et des finances mondiales, et des monnaies des peuples. Une monnaie participe à l'identité de chaque peuple, elle constitue un " véhicule de lutte contre la pauvreté et de sécurité pour chaque peuple ". * Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective. |