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« Je twisterai les mots, s'il fallait les twister pour que les enfants demain sachent qui vous étiez» (Jean FERRAT). Mme Zohra DRIF, Farida, de son nom de guerre, n'a eu nullement besoin de twister les mots pour relater l'une des périodes les plus glorieuses et les plus sanglantes de la guerre de libération, pour que la génération postindépendance, en connaissent les héroïnes et les héros aussi bien célèbres qu'anonymes. Les mots coulent de source, comme une eau limpide d'où transpercent : sincérité, humilité et émotion. L'on ne peut que saluer la force morale et le courage de l'auteure pour faire remonter à la surface, «les années de feu et de sang, refoulées au tréfonds de son être». De nombreux ouvrages parus relatent cette période. Parmi les plus importants l'on peut citer ceux des deux acteurs principaux de part et d'autre du front. Ceux de Yacef SAADI, responsable des groupes armes de la Z.A.A, puis responsable politico-militaire : «souvenirs de la bataille d'Alger»1962 et la Bataille d'Alger» (1997, 3 tomes), et celui du général JACQUES MASSU, responsable de l'appareil de répression, «la Vraie Bataille d'Alger». Un troisième ouvrage mérite d'être cité comme exemple de révisionnisme et négationnisme «la Bataille d'Alger» du journaliste Pierre PELLISSIER (Ed PERRIN 1995 et Ed TALANTIKIT. Bejaï 2012) ce journaliste, 40 ans après, et malgré la reconnaissance de la torture par ceux qui l'ont pratiquée, ceux qui l'ont ordonnée et ceux qui l'ont couverte, la nie ou à la limite la justifie. Il écrit : « il est vrai que la question» a été pratiquée ? elle n'est pas l'œuvre de la seule armée Française, en Algérie il est certain que le FLN a fait pire contre les civils Français mais plus encore contre les siens»?.il y a des explications, des circonstances des enchainements» (PP 206 ). Il continue en niant la pratique de la baignoire et explique, pour «le supplice de l'électricité». il s'agit juste de courant de téléphones de campagne» (pp 207). Parmi tous les écrits donc, le livre de Zohra DRIF, écrit avec beaucoup de simplicité sort du lot. Car en plus des événements relatés, le lecteur est plongé dans l'ambiance de ces années clinquantes, tant au plan social que culturel et surtout elle raconte «des êtres de chair et de sang dans leur vérité et leur humanité», au point qu'à la fin du récit toutes les héroïnes et les héros, de LARBI BENM'HIDI à Lalla et Yemna deviennent familier donnant l'impression au lecteur de les avoir côtoyés. «A nous «la grève des 08 jours», à MASSU sa «Bataille d'Alger». Je commencerai mon commentaire par cette affirmation de Zohra DRIF. A mon sens il s'agit là pour la première fois d'une mise au point historique et politique. Le Général MASSU impute à Yacef SAADI l'appellation de cette période par le terme «Bataille d'Alger». Ce que ce dernier réfute dans son livre (Tome 2). Rappelant que dans une lettre datée du 13 Juin 1957, par MASSU au préfet IGAME D'Alger, ce terme a été utilisé. Il signale en outre que le chroniqueur JACQUES LE PREVOST de France V (Radio d'Alger) avait utilisé ce terme. «La grève générale devait démontrer le soutien total du peuple à notre délégation à l' ONU «?le camp ennemi, gouvernement, armée, colons et ultras de «l'Algérie Française» s'y préparaient eux aussi», à leurs manière. Ainsi MASSU pour justifier la guerre totale qu'il va mener contre « les indigènes» décréta la grève «insurrectionnelle». «Massu et ses parachutistes «battus en Indochine et humiliés à Buez, invente sa «Bataille» contre une population indigène civile démunie, les mains nues?». « Une longue guerre de nettoyage ethnique en pleine Capitale» était facile pour la France de «gagner une «Bataille» contre un peuple dominé. Cette répression n'empêchera pas le succès politique de cette grève. LA PRISE DE CONSCIENCE : Comment une jeune fille de 20 ans, issue d'un milieu aisé, ayant fréquenté le lycée Fromentin, le plus prestigieux à Alger, faisant partie de l'infinie minorité des Algériens accédant aux études universitaires, s'est-elle donnée corps et âme à la révolution ? Grace à son père, le cadi de VIALAR, elle comprendra que le système éducatif ne formait que pour la France et au service de la France, et que dans le meilleur des cas elle aurait été «totalement assimilée au service de la France». Puis elle dit «on ne nait pas combattante on le devient». Enfant de VIALAR, village entouré de riches fermes coloniales, elle découvre la profonde misère des «indigènes» et leur marginalisation dan s leur propre pays. Ils étaient Ghettoïsés à l'Orée du village dans «le village nègre». A 10 ans, elle croise un homme en haillons marchant pieds-nus dans la neige .Elle découvre le dénuement de «Khalti Aicha» et «Khalti Bakhta», vivant dans une pièce exigüe, qui malgré leur pauvreté, restaient dignes et partageaient le peu qu'elles avaient avec les autres. Surtout elle découvre qu'il y avait «eux» et «nous» et ce dés l'école primaire où elle était la seule fille indigène. C'est grâce au «débriefing» culturel de sa mère, qu'elle apprendra très tôt, qu'eux étaient les Français, leur pays la France et que nous, étions les Algériens et notre pays est l'Algérie. Ce «eux» et «nous» elle le constate à Alger qu'elle visite pour la 01ère fois à l'occasion de son entrée au lycée, où se côtoyaient Alger l'européenne et ses immeubles et Alger la «musulmane» à la CASBAH. C'est au lycée qu'elle perdra son innocence ; mon amitié aussi sincère fut-elle avec les européennes, se fracasse sur le mur de la séparation entre nos conditions différentes. Cette prise de conscience continue à se forger et dés qu'elle entre à l'université en ce mois de Novembre 1954, elle sait ce qu'elle doit faire et son engagement va être total : seule l'action armée peut venir à bout du colonialisme. Elle commence alors à chercher les contacts. LES S?URS ET FRERES DE COMBAT : Toutes les Algériennes et tous les Algériens connaissent les noms des héroïnes et héros de la «Bataille d'Alger», connaissent leur courage et leurs faits héroïques, grâce aux nombreux écrits. Mais dans son livre, elle recrée et raconte les faits, les circonstances et les ambiances «mais surtout « des êtres de chair et de sang dans leur vérité et leur humanité.» Ainsi le groupe dans ses caches de la CASBAH, « savait qu'il vivait de moments hors du commun, qui rendait les liens si forts entre ses membres et chacun meilleur en soi et meilleurs envers les autres, attentifs les uns aux autres et surtout si fraternels». Larbi BENM'HIDI en bleu de chine, un regard tendre, qui dégageait une immense générosité fraternelle. Le membre de CEE jouait à «Yadass» avec Djamila. Yacef SAADI était avenant, affable et d'un abord chaleureux et fraternel. Mais c'est à ALI LA POINTE qui revient la palme. Présentée par la presse coloniale comme « le Chef de la pègre» et «grand voyou», était un boute-en-train toujours le mot pour rire. «il était brun, grand, athlétique plein de prestance et d' élégance naturelle. Son visage et ses yeux étaient encore marqués par la fraicheur de l'adolescence «. sa voix forte, claire pleine de rêves». Hassiba était «longiligne, avec le maintien altier, les cheveux d'un blond vénitien et le regard bleu», elle était encore à peine adolescente. C'est affectueusement que Zohra l'appellera notre benjamine, ou notre petite sœur. Malgré son jeune âge, ses convictions sont entières. Zohra rapporte ses paroles «je préfère mourir au combat, c'est la plus belle des morts». Danielle Mine, était si jeune qu' en la voyant Zohra pensait «Elle a encore du lait maternelle sur les lèvres». «Tout en elle était encore marqué de l'empreinte de l'enfance : son sourire, son regard, sa carnation et ses cheveux». «Son rire juvénile et cristallin nous attendrissaient et remplissaient de gaité notre chambre». Djamila BOUHIRED, «avec finesse et régularité des traits de son visage, un timbre si particulier dans sa voix, un rire franc et sonore et un sens aigu de l'humour et de la dérision». Elle devient, l'icône des peuples en lutte pour leur libération. Toutes ces héroïnes et héros, malgré leur engagement jusqu'au sacrifice suprême, restaient profondément humain avec leur force et leur faiblesse. C'est ainsi que sans fausse pudeur, Zohra DRIF, nous relate comment SI MOURAD (DEBBIH Cherif) quelque jours avant de mourir les armes à la main, lui déclarera sa flamme. LA COMBATTANTE ZOHRA DRIF DITE FARIDA Nous avons vu plus haut comment sa prise de conscience l'amènera tout naturellement, à la fleur de l'âge, à s'engager dans les groupes armées, devenant une «volontaire de la mort» : Elle n'en tire aucune gloire personnelle, trouvant que c'est dans la nature du colonisé de se battre jusqu'à la mort pour son indépendance. C'est avec courage qu'elle déposera la bombe au «Milk Bar». C'est une héroïne mais c'est aussi une jeune fille de 20 ans, qui dit «nous aimions tellement la vie». C'est avec grand courage et sang froid qu' elle déposera la bombe au «Milk Bar». Mais elle n'hésite pas dans son livre, de faire part au lecteur de ses états d'âmes et de ses peurs. En somme comme chaque être humain. Après le dépôt de la bombe elle raconte : «je me forçai à marcher normalement mais ma nuque était de plus en plus raide, ma tête semblait vouloir exploser». Après l'explosion «je tremblai de tout mon corps et réalisai que j'étais paralysée. Arrivée au refuge «je m'effondrai au bas des marches incapable de refouler mes sanglots. Elle restera humaine en disant» comment expliquer que j'étais consciente de la peur de la mort, mais la torture détruit plus que la mort». surtout quand l'on ne sait pas comment allait-on réagir à la torture. C'est en citant l'exemple de Alilou, Fidaï courageux, devenu « bleu de chauffe» suite à la torture, que Zohra DRIF fait preuve d'une grandeur d'âme, en écrivant «la torture détruit pendant, après et pour toujours» et d'ajouter «j'acquis surtout la conviction que juger le torturé c'est innocenter la torture et les tortionnaires, ce qui revient à se rendre complice des criminels et prolonger le crime, même au-delà de la mort de la victime». Quoique l'on puisse dire, cinquante années après les faits sachez que vous resterez l'une des héroïnes de la «Bataille d'Alger». Que lors de votre engagement à 20 ans, vous aviez conscience que les chances de voir l'indépendance étaient infimes. Votre livre une vraie leçon d'humanisme mais aussi comme vous le dites la voix de toutes ces femmes anonymes, qui par l'action directe ou juste par des youyous de soutien, et que l'on a renvoyées après l'indépendance à leur condition : juste de femmes. Pour votre livre, lequel se lit avec beaucoup d'émotion. Mme Zohra DRIF, Farida. Je vous dis tout simplement merci. * Professeur de Chirurgie cancerologique C.H.U.ORAN |