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Le risque émerge
lorsque la validité des informations dont on dispose sur une situation est
nulle, incertaine, ou incomplète. Le concept de risque est un concept moderne. Il
tente d'anticiper et de rendre contrôlable les décisions imprévisibles prises
par la société civile.
La nouveauté dans la tentative de mesure des risques tient au fait que des décisions actuelles déterminent les conséquences globales futures. Pour influer sur ces conséquences globales de long terme, les seuls recours sont les alliances globales et le multilatéralisme. La coopération transnationale conduit à une perte d'autonomie mais à un gain de souveraineté. Quant à l'évaluation du risque global, elle se fait grâce : à l'intelligence économique, à la veille stratégique, à l'observation du «prix du risque» sur les marchés, aux agences de rating, à l'identification des typologies (de risques et de crises), aux modèles économétriques (modélisation de l'occurrence des risques pour les détecter avant la crise) et au risque-pays (analyse des causes structurelles et sociopolitiques des crises). LES FONDEMENTS DE L'ANALYSE DES RISQUES SELON MANDELBROT La géométrie fractale propose de discerner des formules mathématiques dans le chaos de phénomènes aussi variés que la forme des montagnes, la turbulence des gaz ou les fluctuations des cours de Bourse. Il s'agit de passer d'une science classique «lisse» à une étude du «rugueux». En analyse financière moderne, les prix ne sont pas prévisibles mais leurs fluctuations peuvent être décrites par les lois mathématiques du hasard: le risque devient mesurable et donc gérable. Mandelbrot distingue 3 formes de hasard : Le hasard bénin, il représente une régularité à grande échelle, par exemple le mouvement Brownien relève du hasard bénin. Le hasard lent : ici les lois de probabilités classiques sont applicables, mais le fait de savoir si le système va devenir régulier est inutile tellement le système évolue lentement. Le hasard sauvage : il se caractérise par 2 symptômes : ? Écart exceptionnel par rapport à ce qui est considéré comme la norme. Il s'agit de l'effet NOE. ? Les variables successives (restant dans la norme) ont une persistance directionnelle qui rend la formation de la moyenne impossible: il s'agit du problème d'interdépendance appelé effet JOSEPH. L'Effet «Noé» dépend de la taille des événements: variations violentes et «queues de distribution» épaisses : discontinuité brutale. L'Effet «Joseph» marque l'interdépendance des variations de cours sur une longue période et traduit la «mémoire» des événements violents: il dépend de l'ordre des événements (régularité des crues de certains fleuves). Le modèle multi fractal combine (effet Noé + effet Joseph): la volatilité se concentre en fonction de la dépendance. QUELLES SONT LES PRINCIPALES ACTIVITES D'UNE BANQUE ? Nous pouvons considérer que l'activité traditionnelle d'une banque est organisée autour de trois métiers principaux : ? Ce que l'on va appeler ?l'intermédiation-transformation? : il s'agit de transformer une ressource à court terme en ?crédits à long terme emploi long?. Cette activité génère des risques de taux, de liquidité et de crédit. ? Gérer des actifs financiers pour son propre compte (risques de marché) ou pour celui de clients (risques opérationnels et de réputation). ? Mettre en place des financements structurés et spécialisés pour de grands corporate à base d'ingénierie financière et fiscale (risque de crédit ou de contrepartie). A chaque activité correspond donc un risque. QUELS SONT LES PRINCIPAUX RISQUES D'UNE BANQUE ? LES RISQUES DE MARCHE Au sens du règlement 97-02 du Comité de la réglementation bancaire et financière (CRBf 97-02), il s'agit des «risques de perte dus aux changements de prix et de taux de marché, de corrélations entre actifs et de niveaux de volatilité.» Ces risques portent aussi bien sur les portefeuilles du trading book que sur ceux du banking book et aussi bien sur des positions cash que sur des positions sur produits dérivés. En gros, ce risque est celui qu'un investisseur subit (le risque que ses investissements perdent de la valeur). LES RISQUES DE CONTREPARTIE Le risque de contrepartie, c'est le risque de ne jamais revoir l'argent que vous avez prêté. Dit en termes plus professionnels, c'est ?le risque de perte sur une créance ou un titre?. Il va dépendre de la probabilité de défaut (par exemple la Grèce a-t-elle plus de chance de faire défaut que les Etats-Unis ?) et du montant non recouvré en cas de défaut (les banques vont-elles perdre 50%? 70%? 100% de leur mise si la Grèce fait défaut ?). Donc quand une banque a des positions sur un pays souverain de la zone euro, elle supporte à la fois un risque de marché (hausse des taux, donc baisse des cours) et naturellement un risque de contrepartie. LES RISQUES OPERATIONNELS ET D'ACTIVITE Les risques opérationnels (RO) sont les risques de perte résultant : ? De l'inadaptation ou de la défaillance de procédures, personnes, systèmes internes (affaire Kerviel par exemple). ? D'événements externes (catastrophes naturelles, terrorisme, incendie, agressions, changement législatifs et réglementaires, etc.). LES RISQUES DE GESTION DE BILAN - OU RISQUES ALM Une banque doit utiliser l'argent disponible à court terme pour le prêter à long terme à ceux qui ont besoin de financement. Ce sont les seuls agents qui peuvent transformer des ressources court terme (dépôts à vue et comptes courants des clients) en crédits à moyen et long terme à l'économie. «(?) l'horizon des agents qui ont des besoins de financement est de plusieurs années (financements à long terme de projets industriels), tandis que l'épargne des ménages doit être liquide et de court terme. Cette différence dans l'horizon de temps ne rend pas l'échange toujours possible. C'est là que le financement intermédié apparaît et que les banques interviennent. Les banques établissent le pont nécessaire entre les ménages et les entreprises et accumulent des positions dites de transformation.» De part sa position particulière d'intermédiaire financier et de transformateur de ressources courtes en emplois longs, la banque voit son bilan exposé aux risques liés à un déséquilibre entre ses ressources et ses emplois (déséquilibres en termes de nature de taux et en termes d'échéances). ? Il s'agit donc de gérer le risque de liquidité qui contraint la banque à trouver des ressources supplémentaires pour poursuivre le refinancement de ses emplois/crédits à long terme et pour honorer le remboursement des emprunts échus ; ? Il s'agit également de gérer le risque de taux de l'ensemble du bilan commercial et financier et de se couvrir contre des évolutions défavorables. Nous allons faire un zoom sur ce risque de taux. On sait que les deux risques majeurs de taux d'intérêt à gérer dans un établissement bancaire sont les suivants : ? Risque de hausse des taux courts avec un renchérissement des conditions de refinancement des emplois long terme à taux fixe. ? Risque de baisse des taux longs avec une rentabilité plus faible de la banque commerciale sur la production future de crédits à taux fixe. Ce risque est le risque majeur d'un établissement financier. Il existe heureusement des instruments dérivés de couverture du risque de taux long qui permettent de générer quasi systématiquement des gains de marge nette d'intérêt dans un environnement de taux longs bas et de compenser le manque à gagner sur la production de crédits à taux fixe. Malheureusement les banquiers ont plus tendance à couvrir leur risque à la hausse des taux courts que leur risque à la baisse des taux longs : il faut dire que les consensus de marché et scénarios budgétaires prévisionnels ont depuis toujours un biais systématiquement haussier sur la croissance et l'inflation, donc haussier pour les taux courts et longs. Au passage, le politiquement correct est souvent mis en défaut? Et puis très souvent, les positions de couverture du risque de taux long sont difficiles à justifier d'un point de vue comptable. Les normes IFRS sont souvent conçues par des régulateurs qui ne sont pas des spécialistes de la gestion d'un bilan bancaire. Face à la pression de commissaires aux comptes qui pourraient requalifier de ?spéculation? ces opérations de couverture et de préservation du résultat futur, les banquiers peuvent ? malheureusement à juste titre ? s'abstenir de se couvrir. Or, il s'avère que la justification de la macro-couverture est évidente d'un point de vue économique et financier. ? Enfin, troisième risque à gérer : le risque de change porté au bilan. Ce risque est matérialisé par la détention de ressources et d'emplois dans des devises différentes, ce qui pourra occasionner des pertes significatives en cas d'évolution défavorable de cours de change. ACCORD DE BALE III La réforme dite de « Bâle III », qui constitue la réponse du Comité de Bâle à la crise financière, vise principalement à : ? renforcer le niveau et la qualité des fonds propres (« tier one et core tier one ») ; ? mettre en place un ratio de levier (« leverage ratio ») ; ? améliorer la gestion du risque de liquidité par la création de deux ratios de liquidité (ratio de liquidité à un mois « Liquidity coverage ratio » et ratio de liquidité à un an « Net stable funding ratio ») ; ? renforcer les exigences prudentielles concernant le risque de contrepartie. Elle vient compléter une première série d'amendements à l'accord de Bâle II intervenue en juillet 2009 relatifs au risque de marché visant à : ? renforcer le suivi des activités de marché (introduction d'une mesure de risque supplémentaire IRC ; alignement du traitement des positions de titrisation sur celui du portefeuille bancaire). Cette partie entrera en vigueur dès le 31 décembre 2011. À ces réformes micro-prudentielles visant à renforcer la résilience propre des établissements de crédit, s'ajoutent des propositions de nature macro-prudentielle, en cours d'élaboration, visant à réduire la pro cyclicité (ex : coussin de capital contra cyclique) ainsi que le risque systémique. L'Accord de Bâle III comprend un ensemble de mesures destinées à renforcer la résilience des grandes banques internationales ainsi que des mesures spécifiques sur le risque de liquidité. Ces deux textes ont été publiés le 16 décembre 2010. Une version révisée de l'Accord de Bâle III complétée sur le risque de contrepartie a été publiée le 1er juin 2011. Sa mise en œuvre sera progressive : ? les premières mesures entreront en vigueur le 1er janvier 2013 ; ? l'ensemble des mesures devront être appliquées au 1er janvier 2019. LE NANTISSEMENT PAR DES ACTIFS DEJA HYPOTHEQUES : UN PROCEDE LEGAL Le nantissement des titres à l'anglo-saxonne pourrait bien faire replonger le système financier. En effet, le risque auquel il est confronté est bien plus important que celui de la Grèce. C'est ce que révèle l'examen de la faillite du courtier américain MF Global. Chez les Anglo-saxons, la double hypothèque est parfaitement légale. Cela peut paraître étrange, car ce type d'opération est interdit dans plusieurs législations (en particulier française). Ce processus consiste à mettre en garantie des actifs qui garantissent déjà d'autres opérations. En 2007, le FMI estimait que cette forme de levier représentait la moitié de l'activité du système de shadow banking. SHADOW BANKING Les principaux intervenants de ce système bancaire ?fantôme? sont les organismes de crédit non bancaires, ainsi que les organismes de placement collectif monétaires et les banques d'investissement qui les financent. Par extension, le secteur rassemble l'ensemble hétérogène d'intermédiaires financiers qui composent le circuit des transactions financières effectuées «hors bilan». Particulièrement développé aux États-Unis depuis les années 1980, ce dispositif a eu une incidence profonde sur l'ensemble du système financier mondial. Peu ou pas régulé et à l'origine d'une grande opacité concernant la localisation des risques et l'exposition des agents bancaires traditionnels, il a été un facteur important de contagion du risque systémique, particulièrement durant la crise économique de 2008. La définition la plus courante du shadow banking se résume ainsi : activité de banque, menée par des entités qui, ne recevant pas de dépôts, ne sont pas régulées en tant que banques et donc qui ne sont pas soumises à la réglementation bancaire et en particulier aux réglementations Bâle I et Bâle II (minimum de fonds propres que doit détenir une banque pour garantir sa solvabilité). Le shadow banking ou «banque d'affaires» désigne les établissements qui échappent à toute une partie de la législation censée protéger les déposants. En juillet 2010, le FMI a établi un nouveau rapport sur ce danger. Selon cette institution internationale, il s'agit de 5 000 à 10 000 milliards de dollars. Même si la récente faillite du courtier américain MF Global est passée relativement inaperçue, elle met néanmoins en lumière les dangers de la ré-hypothécation. QU'EST-CE QU'UNE HYPOTHEQUE ? Une hypothèque est un bien qu'un emprunteur livre en gage de sécurité de sa dette. L'emprunteur garde toujours la propriété de son bien mais ce dernier devient «hypothétiquement» sous le contrôle du créancier qui peut en prendre possession si l'emprunteur fait défaut. Cette notion, qui est en général bien comprise lorsqu'on parle d'immobilier, varie un peu lorsqu'elle est appliquée au monde bancaire. Par exemple, vous placez 100 euros sur votre compte courant. La banque doit conserver 10% de cette somme. Elle peut prêter 90 euros. Mais ces 90 euros de prêt deviennent à un moment donné un dépôt. Donc la banque peut prêter 90% de ces 90 euros. Et ainsi de suite... Les courtiers et organismes d'investissement, comme les banques, nantissent les actifs de leurs clients pour assurer leurs propres échanges, leurs propres emprunts et leurs propres opérations. Les actifs en dépôt auprès d'un courtier peuvent être vendus si les investisseurs ne parviennent plus à payer les appels de marges ou si les titres perdent de leur valeur. L'EFFET DE LEVIER Il faut savoir que plus l'effet de levier d'une banque [ratio entre ses fonds propres (l'argent qu'elle détient réellement) et ses actifs (l'argent qu'elle a prêté + les créances douteuses)] est important, plus la banque est fragile. La règle 15c3-3 de la SEC autorise les courtiers à ré-hypothéquer les actifs de leurs clients à hauteur de 140% (2,4 fois) les engagements de leurs clients. Les actifs sur les comptes de courtage peuvent être utilisés et réutilisés. Les actifs ré-hypothéqués deviennent le maillon d'une chaîne, où le passif d'une entreprise devient l'actif d'une autre. Au Royaume-Uni, les courtiers peuvent nantir jusqu'à 100% des dépôts de leurs clients. Et ils ne s'en sont pas privés. C'est pourquoi des firmes telles que MF Global, Goldman Sachs, Canadian Imperial Bank of Commerce,Royal Bank of Canada, Crédit Suisse Group AG, Wells Fargo & Co. et Morgan Stanley ont établi des fonds de placement au Royaume-Uni, hors de la juridiction américaine. Non seulement cela leur permet de contourner la loi et les limites de leur activité aux Etats-Unis, mais cela crée potentiellement encore plus de levier et de rendements élevés. Imaginez maintenant que quelque chose se passe mal et qu'il y ait une panique dans le monde du shadow banking. En effet, les actifs ré-hypothéqués sont donnés en garantie contre des emprunts. Alors que ces actifs garantissaient déjà un emprunt, ils sont nantis (mis en garantie) pour d'autres emprunts. Ils ne supportent pas une, mais deux transactions d'emprunt distinctes - une pour le compte de l'entreprise et une pour le compte de l'emprunteur. Il faut aussi savoir que les transactions d'actifs ré-hypothéqués sont totalement hors bilan. Il est donc extrêmement difficile de tracer ce qui bouge, où et quand. Le manque de transparence empêche également de déterminer où va l'argent. Cette notion de «hors bilan» ne se réfère pas uniquement au «shadow banking», mais aussi à la titrisation et à la spéculation sur les produits dérivés tels que les CDS (Crédit Default Swaps). La connaissance de ces outils financiers (comprendre les CDS) qui symbolisent à eux seuls le «mythe du veau d'or» auquel tous les banquiers et investisseurs, y compris les États, vouent un culte d'adoration «satanique», nous permet de comprendre pourquoi la qualification des emprunts a évolué de «complexes» à «structurés», puis «toxiques» et aujourd'hui «interdits»? ou presque. CONCLUSION Après la faillite de MF Global, régulateurs, avocats et législateurs doivent maintenant déterminer quels actifs ré-hypothéqués sont effectivement nantis dans de multiples transactions, dans de multiples juridictions avec de multiples chambres de compensation. Sans apparition dans les bilans, cela va être très compliqué de déterminer qui détient quoi. Voici selon Reuters une listes de sociétés avec leurs actifs ré-hypothéqués en 2011: Canadian Imperial Bank of Commerce (72 milliards de dollars), Royal Bank of Canada (53,8 milliards de dollars ré-hypothéqués sur 126,7 milliards de dollars disponibles), Goldman Sachs Group Inc. (28,17 milliards de dollars), Oppenheimer (15,3 milliards de dollars), JP Morgan Chase & Co. (546,2 milliards de dollars), Morgan Stanley (410 milliards de dollars), Crédit Suisse Group AG (353 milliards de dollars). Nous en sommes à près de 1 500 milliards de dollars - et ce n'est qu'une liste partielle. La presse grand public rapporte que les liquidités européennes s'assèchent avec la crainte d'un défaut de paiement. Mais les médias nous cachent-ils quelque chose ? Nous ne sommes pas là dans une théorie conspirationniste, mais on peut facilement imaginer que les garanties sous-jacentes ont été ré-hypothéquées tant de fois entre l'Europe et les Etats-Unis que la valeur réelle du risque pourrait être 4 fois supérieure à la valeur divulguée au public. Bien entendu, les leaders européens et américains nient ce risque. Mais la réalité revient à la charge : la croissance de l'OCDE a été acquise par excès de levier et de spéculation au cours des 20 dernières années. Comme en témoigne leur volatilité, les marchés deviennent maintenant plus pessimistes et nerveux en raison d'une nouvelle menace qui plane sur la finance, potentiellement aussi nuisible que celle causée par ces mêmes CDS en 2008. *Consultant en management Principales références - Mory Doré : professionnel des marchés financiers depuis plus de 20 ans; - Georges Ugeux : PDG de Galileo Global Advisors et a été Executive Vice President International du New York Stock Exchange (de 1996 a 2003); - Philippe Herlin : chercheur en finance, chargé de cours au CNAM; - Benoît Mandelbrot : chercheur reconnu mondialement pour ses travaux sur ce qu'on appelle couramment la théorie du chaos et inventeur de la géométrie des fractales; - Simone Wapler et Giovanni Etelbert. |