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Suite et fin
UNE REBELLION ARMEE ORGANISEE DE LONGUE DATE Sur le territoire turc lui-même, la minorité arménienne, voulant constituer son Etat dans le nord de l'Anatolie, avait entrepris, avec l'aide et l'armement de la Russie tzariste, de se former en armée, de lancer des attaques contre les forces de l'ordre turc et de mener des opérations de massacre de la population musulmane, dont la plus infâme est le sac de la ville de Van en avril 1915 (et la fuite de 80.000 civils musulmans et appelée en turc Büyük Kaçgan : la grande fuite). Voici ce qu'en écrit Justin Mc Carthy dans : «La Rébellion arménienne à Van (Salt Lake City, University of Utah Press, 2009), cité par Jeremy Salt dans l'ouvrage mentionné plus bas : «Du 16 au 18 mai 1915, les Arméniens ont pillé et brûlé tout ce qui restait des maisons musulmanes et des bâtisses du gouvernement dans la ville. A l'exception de certains vieillards et de très jeunes enfants, les hommes et les femmes musulmanes furent massacrés. Les survivants, la majorité d'entre eux des femmes, ont donné un récit des massacres, en précisant la liste des meurtres de ceux qu'ils connaissaient et des victimes fonctionnaires publics comme autorités religieuses» (pp. 63-64). Comme le précise Jeremy Salt dans un ouvrage, comportant une biographie de 24 pages et 427 titres de publications consultées, intitulé : «La Déstructuration du Moyen-Orient, une histoire du désordre occidental dans les terres arabes (University of California Press, Berkeley, 2008), la révolte arménienne n'avait rien de spontané et avait été organisée depuis longtemps, sans doute avec l'aide de la Russie tzariste avec laquelle l'Empire ottoman était alors en guerre depuis près de deux siècles, lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Voici les détails que fournit ce chercheur qui maîtrise parfaitement la langue turque : «Dans la première moitié de 1915, l'insurrection arménienne dans les provinces de l'Est s'était intensifiée. Aux alentours d'avril, les provinces de Van, Bitlis, Erzeroum et Sivas avaient glissé dans le chaos total, que confirmaient les rapports en provenance des autorités militaires et provinciales, rapports sur des batailles rangées, des attaques contre les gendarmeries, des embuscades contre les convois d'approvisionnement et des soldats blessés, et la coupure des lignes télégraphiques. Ce qui se produisait ne pouvait plus être décrit comme un soulèvement spontané : c'était une rébellion générale, orchestrée par les Dashnaks (groupe dissident arménien), et encouragée par la Russie? Les armes entre les mains des rebelles incluaient les armements les plus récents en mitraillettes, fusils, bombes et de larges stocks de munitions, plus le creusement de tunnels entre les maisons, donnant la preuve que la préparation du conflit s'était effectuée sur une longue période et que le soulèvement n'était pas simplement une réponse de type défensif à l a répression ottomane », (p.60) Alors que leur pays était encerclé de tous côtés et qu'ils étaient menacés eux-mêmes d'extermination, les Turcs ont-ils eu tort de réagir avec vigueur contre les insurgés armés par un pays ennemi décidé à effacer leur trace dans la région qu'ils occupaient depuis près de mille ans ? La réponse à cette question se trouve, mutatis mutandis, dans la répression féroce des manifestants du 8 Mai 1945 par les autorités coloniales en Algérie, et évidemment dans les massacres qui ont suivi le soulèvement populaire du 20 Août 1955 dans la région de Skikda, qui a donné l'occasion à Aussaresse de mettre en application sa théorie de la répression totale !) RETOUR AUX EVENEMENTS DU 8 MAI 1945 On connaît la réaction des autorités politiques et militaires coloniales aux manifestations pacifiques à Sétif, à Guelma et en Petite Kabylie, le 8 Mai 1945, manifestations qui, même lorsqu'elles ont tourné à la violence, étaient le fait d'Algériens désarmés. Ces manifestations, qui n'avaient ni l'organisation, ni l'ampleur, ni l'armement des Arméniens, ni le soutien étranger dont ils bénéficiaient, dans un pays en guerre totalement encerclé par des ennemis décidés à faire la «peau aux Turcs» dont le peuple était menacé d'annihilation programmée, ont entraîné la répression que l'on sait, et maintenant amplement documentée. Supposons que les autorités coloniales avaient eu affaire à une rébellion d'une telle ampleur sur le territoire algérien en 1944, alors que la Guerre Mondiale n'était pas encore terminée et que le territoire métropolitain de l'époque était encore sous occupation nazie ! Au vu des massacres du 8 Mai 1945, on peut imaginer que le nombre de morts algériens aurait dépassé les 25.000, chiffre quasi-officiel des victimes de la répression aveugle par les forces armées d'un pays qui venait tout juste de sortir d'une guerre et du côté des victorieux, même s'il avait subi une occupation humiliante de 5 années. Par définition, les lois mémorielles sont fondées sur une vision unilatérale des évènements historiques du passé. Les politiques, pour atteindre les objectifs du moment qu'ils estiment indispensables à leur maintien au pouvoir, prennent fait et cause pour une seule partie, et passent sous silence les faits reportés par l'autre partie, l'exception ayant été évidemment le tribunal de Nuremberg, où on a laissé les acteurs donner leur version des évènements, même si, comme l'a probablement bien dit un des condamnés à mort de ce tribunal, c'était la justice des «vainqueurs» qui était appliquée. UNE LOI HYPOCRITE MOTIVEE PAR DES CONSIDERATIONS GEOSTRATEGIQUES Cette loi, qui prend en charge les doléances d'une minorité et ignore les circonstances des évènements en cause, n'a pour autre motivation que de «remettre à sa place» un pays qui, au cours de ces récentes années, a amorcé une renaissance extraordinaire, digne d'admiration comme de respect et d'imitation, renaissance conduite par un parti de tendance islamique. Une telle renaissance fausse évidemment l'équilibre régional et introduit une nouvelle note dans le système conçu pendant et après la Première Guerre mondiale, pour que le Moyen-Orient demeure, à jamais, une zone de turbulence, de grande misère et de guerres incessantes. La prospérité et la montée en puissance de la Turquie, qui s'en sort mieux que ses anciennes possessions, bien qu'elle n'ait pas bénéficié des largesses de l'Union européenne, devient un danger et la Turquie est «un empêcheur de tourner en rond,» qu'il faut rapidement mettre au pas avant qu'elle ne constitue une force majeure capable de neutraliser l'influence des puissances extérieures. Il est étrange qu'une autorité publique algérienne ait décidé d'intervenir dans une affaire de relecture biaisée d'évènements historiques, dans lesquelles l'ancienne puissance était partie prenante active (voir l'accord secret de partage du Moyen-Orient signé entre Sykes, Picot et Sazanov de 1916, et lire sur ce thème l'ouvrage de David Fromkin : «Une paix pour mettre fin à toute paix, la chute de l'Empire ottoman et la création du Moyen-Orient», Avon Books, New York, 1999), affaire montée de toutes pièces, à objectifs stratégiques clairs n'ayant rien à voir avec les échéances électorales dont les enjeux ne valent pas une loi qui officialise une présentation tendancieuse et incomplète de l'histoire d'un évènement tragique, certes, mais dont les dimensions sont ramenées à leur juste niveau lorsqu'on sait que la Turquie était alors engagée dans une guerre de survie nationale, et a perdu, du fait de cette guerre, et de la famine liée au blocus des alliés, plus de six millions de personnes, dont un million neuf cent mille morts et blessés militaires, le reste étant des civils tués par la faim, les maladies et les «dommages collatéraux,» comme les massacres commis par les hommes armés arméniens contre les Turcs musulmans ! BREF RETOUR SUR NOTRE HISTOIRE Cette intervention, qui ne rimait à rien, aussi inattendue qu'inopinée puisqu'elle s'implique dans les relations entre deux Etats ennemis au moment des faits en cause, c'est-à-dire en 1915, a donné lieu à une affirmation totalement contraire aux thèses fondamentales du mouvement nationaliste algérien, affirmation sur l'histoire des relations entre les Ottomans et les Algériens de 1515 à 1830. Il n'est pas nécessaire de s'étendre sur cette partie de notre histoire, tellement les faits sont connus, mais seulement de les rappeler à grands traits : 1- Les Ottomans n'ont ni projeté ni programmé l'extension de leur empire au-delà de l'Egypte, à l'époque en cause : il serait difficile, si ce n'est impossible, de trouver un seul document ottoman officiel prouvant un intérêt quelconque de la Sublime-Porte dans l'ouest de la Méditerranée, région stratégiquement couverte par l'alliance franco-ottomane scellée entre François 1er et Soliman-le-Magnifique, dès le début du XVIe siècle ; 2- Les frères Arroudj and Kheirredine ont commencé leur carrière, au début du XVIe siècle, en faisant le transport, vers les côtes maghrébines, des Moriscos, ou Musulmans d'Espagne, soumis au massacre et aux campagnes de conversion forcées menées par les autorités religieuses catholiques espagnoles, sur instruction de la Papauté ; 3- Le succès de ces frères dans cette opération a conduit les notables et souverains, tant du royaume des Zyanides, en proie à une guerre de succession et à la tentative de domination espagnole, que des Hafsides, à leur demander d'intervenir pour les aider à se protéger de l'invasion et de l'occupation par les Espagnols, d'abord sous la conduite du Cardinal et régent d'Espagne Ximénès, le grand maître de l'Inquisition espagnole et l'infâme ordonnateur de l'autodafé de plus de trente mille manuscrits arabes de Grenade, et le chef de l'expédition de Mai 1509, qui avait abouti à l'occupation espagnole d'Oran - qui devait durer plus de deux siècles et demi, - ensuite sous la conduite de Charles-Quint, empereur du Saint Empire romain germanique ; 4- Ayant réussi à arrêter la progression de l'occupation espagnole, Hussein, survivant à la mort de son frère, tué au combat en 1517 par les troupes espagnoles qui occupaient alors Tlemcen, a proposé à l'Empereur ottoman de l'aider à combattre les Espagnols, et de lui reconnaître le gouvernement de l'Algérie, - dans lequel s'était effondré le pouvoir des Etats hafside et zyanide, et qui était alors plongé dans l'anarchie - en contrepartie d'une indemnité annuelle. A signaler que le roi François 1er a fait intervenir son ambassadeur à Istanbul pour que cette suzeraineté de l'Empire ottoman soit reconnue sur l'Algérie (mentionné entre autres par de Grammont dans son Histoire de la Régence d'Alger). 5- Tant les beglierbeys que les pachas triennaux qui ont régné sur le pays pendant un siècle, que les Deys qui les ont remplacés, avaient une autonomie totale dans la gestion du pays comme dans leurs relations extérieures : et ceci est attesté par les historiens algériens (Mahfoudh Kaddache ; voir «Et l'Algérie se libéra, 1954-1962», « Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951», «L'Algérie des Algériens, de la Préhistoire à 1954» ; et étrangers comme E. Cat (Voir son «Histoire de l'Algérie, Tunisie, Maroc», Editions Carbonel, Alger, 1889) ; 6- Le nombre de soldats ottomans stationnés en Algérie n'a jamais dépassé les 12.000, et encore concentrés dans les grande villes algériennes : Tlemcen, Mascara, Médéa, Alger, Constantine, à comparer avec les 123.000 soldats en moyenne stationnés sur le territoire national de 1830 à 1963 - en dehors du pic de 1954 à 1962 de plus de 1 million de membres des forces de l'ordre colonial, toutes catégories confondues; 7- Les Ottomans n'ont tenté ni d'imposer leur langue, ni de déposséder les Algériens de leurs terres, et ont accepté le système tribal de l'époque pour le contrôle des populations rurales ; 8- Alors que les autorités coloniales ont justifié leur occupation et leur violente répression des soulèvements des Algériens contre leur invasion, et leur refus de reconnaître l'indépendance de l'Algérie par le fait que l'Algérie n'était la terre de personne («res nullius» en terme juridique), qu'il n'y avait plus d'Etat depuis la chute des Royaumes zyanide et hafside, les nationalistes algériens ont toujours, avec preuves à l'appui, démontré que l'Algérie était, entre 1515 et 1830, un Etat souverain, reconnu par des accords internationaux, et que donc elle avait droit au recouvrement de son indépendance ; 9- Parler «d'occupation ottomane» pour un haut responsable «politique» pour qualifier la période de 1515 à 1830, c'est du même coup donner a posteriori la légitimité à l'occupation coloniale, rejeter les thèses fondamentales du nationalisme algérien, pratiquement conduire le gouvernement algérien à faire amende honorable auprès des l'ancien colonisateur, et lui reconnaître tant la légitimité de ses répressions des soulèvements , que la force légale des lois et règlements qu'il a mis en œuvre pour s'emparer des biens mobiliers et immobiliers des Algériens et les mettre à la disposition de ses propres concitoyens, y compris les confiscations de terres pour la colonisation ou en punition des révoltes algériennes ; 10- Il ne resterait plus, comme conséquence logique de cette déclaration, qu'à faire voter par le Parlement algérien une loi reconnaissant les bienfaits du colonialisme. Mais suivant cette logique révisionniste, la boucle ne pourrait être bouclée que lorsque seraient poursuivis, pour crimes contre l'ancienne puissance coloniale, les Algériens qui ont pris part à la lutte de libération nationale et que le cimetière d'El-Alia serait transformé en lotissements ; 11- D'autre part, si un pays utilise, à des fins politiques, des évènements qui se sont produits dans un autre pays, mettant ce dernier en position politique et morale difficile, pourquoi cet autre pays ne qualifierait-il pas de génocide les actes et faits de l'ancienne puissance coloniale, ne faisant d'ailleurs que reprendre mot pour mot les déclarations des dirigeants de la guerre de libération nationale (voir, entre autres, les déclarations de Youcef Ben Khedda en 1961 (Lire son livre «L'Algérie à l'indépendance, la crise de 1962, Alger, Dahlab 1997). (Voir aussi le document préparé par le ministère de l'Information du GPRA en 1960 sur les camps de regroupement : plus de 20 pour cent de la population algérienne y était parquée de force entre 1955 et 1962 ; et la politique génocidaire coloniale ainsi que différents articles sur le même sujet dans la publication du FLN : ALN de guerre : El Moudjahid, et évidemment la déclaration du présent chef de l'Etat sur le génocide culturel colonial) ? 12- Si la colonisation avait eu pour but de faire bénéficier les Algériens des progrès de la civilisation moderne, notre pays aurait été, dès juillet 1962, à un niveau technologique égal, si ce n'est supérieur, à celui du Japon, dont la période de modernisation a commencé quelque 34 ans après le début de l'occupation coloniale de notre pays, et nous serions maintenant exportateurs de produits industriels à haute contenance technologique, au lieu de continuer à compter sur l'expertise étrangère pour la construction et la gestion de nos routes, de nos chemins de fer, de nos métros, de nos aéroports, et pour l'exploitation de notre pétrole ! 13- Les Ottomans nous ont donné ce qu'ils étaient capables de nous donner : la protection contre les fanatiques chrétiens de la période et le maintien de notre culture et la diversité de nos langues, toutes régions incluses ! Que serait-il advenu du peuple algérien, de sa culture et de ses langues si cette dernière colonisation avait duré 322 ans au lieu de 132 années ? La puissance coloniale pouvait nous donner plus. Elle a décidé, parce que c'était dans son intérêt, de nous maintenir dans un état d'infériorité intellectuelle et technique pendant 132 années ; et nous continuons à subir les conséquences désastreuses de ce système ; même si nos dirigeants sont en partie responsables de l'état de subordination de notre pays à l'égard de l'étranger pour la couverture de ses besoins de consommation comme pour la technologie ! En conclusion, il est étrange, à quelques mois du cinquantième anniversaire de notre Indépendance, qu'une haute autorité du pays pousse le révisionnisme historique jusqu'à rejeter une thèse fondamentale du Nationalisme algérien, thèse encore enseignée dans nos écoles, qu'elle reprenne la thématique historique coloniale et s'en prenne à un pays qui, depuis longtemps, a renoncé à exercer une influence quelconque sur nos affaires intérieures comme internationales, et rappelle, pour justifier son étrange intervention, un insignifiant vote négatif (par quelle mathématique distordue peut-il mériter la même condamnation que les souffrances subies par les Algériens pendant 132 ans des mains du colonialisme moderne ?) qui date de cinquante ans, et qui, de toute façon, n'a joué lourd ni dans les évènements ni dans l'issue du combat nationaliste, et n'a rien changé au cours de l'Histoire, grâce, faut-il le rappeler ?, à la résolution et à l'héroïsme du peuple algérien, comme à la perspicacité, pour ne pas dire au génie politique, des dirigeants de la guerre de libération nationale, pourtant pendant longtemps victimes de l'ostracisme officiel, et dont on a même tenté, en vain, d'effacer les noms de notre Histoire et de notre conscience collective ! Maintenant, apparemment, on veut aller encore plus loin : délégitimer la résistance populaire contre les envahisseurs et légitimer l'invasion et l'occupation coloniales comme ses crimes contre le peuple algérien ! La question fondamentale qui se pose est, en mots finaux : jusqu'à quel niveau de renoncement à notre Histoire, les autorités publiques sont-elles prêtes à s'abaisser pour plaire à l'ancienne puissance coloniale et s'attirer sa bonne volonté et son appui dans cette phase délicate que traverse notre pays ? Toutes les options sont ouvertes et toutes les possibilités sont sur la table ! Mais, dépasser les épreuves de l'Histoire, ce n'est pas l'effacer de notre mémoire ou la réécrire au goût des impératifs politiques du moment. Pour quelque peuple que ce soit, le droit à l'Indépendance est également le droit absolu à son Histoire ! Renoncer à l'un, c'est renoncer à l'autre ! Et une fois que ce pas de renonciation est franchi, l'étiquette «nationaliste» tombe en déchéance ! |