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Pour le ministre de l'Habitat, c'est quand tout va que le bâtiment va et
non pas le contraire. Dans cette interview, Noureddine
Moussa évoque les raisons qui l'obligent à inverser le sens d'une dialectique
universelle.
Le Quotidien d'Oran.: Pourriez-vous nous dire, en premier, combien de programmes de logements ont été inscrits de 1999 à ce jour ? Pour quels objectifs et pour quels besoins ? Nouredine Moussa: Si vous parlez de tous les programmes initiés par l'Etat ou de tout le parc qui a été construit, l'Algérie a livré 1 690 000 logements de 1999 à 2009. Si vous rajoutez à cela les livraisons en 2010 et 2011, à savoir 404 000 logements-je rappelle qu'en 2010, nous en avons livrés 191 000 et en 2011, 213 000 autres-nous dépassons alors allégrement les 2 100 000 logements de 1999 à fin 2011. Nous avons un objectif quinquennal. Mais je me dois de noter que la construction de logements doit suivre un processus. Vous ne pouvez pas arrêter un programme pour commencer un autre. Je rappelle que le délai de réalisation d'un logement est globalement entre 24 et 30 mois, en général, c'est plutôt 24 mois parce que nous avons réduit considérablement ces délais dans notre pays. Il y a une dizaine d'années, ces délais étaient de 5, 7 et même jusqu'à 10 ans pour voir un programme livré. Pour que les logements soient livrés en 2011 par exemple, il fallait les mettre en chantier en 2009 ou au plus tard début 2010. Cela veut dire que les programmes de logements se superposent. La construction est un processus lent. Pour monter le programme quinquennal 2009-2014, nous avons compté les 800 000 logements qui étaient en cours de lancement à fin 2009 et rajouté 1.200 000 nouvellement programmés pour obtenir un total de 2 millions de logements. Je rappelle aussi que lors du Conseil des ministres du 2 mai 2011, le président a décidé de rajouter 450 000 logements (200 000 logements publics locatifs (LPL), 200 000 logements ruraux et 50 000 LPL pour le compte des jeunes). Il serait donc insensé de penser qu'on peut arrêter un programme pour en commencer un autre. Quant aux besoins, ils ne se mesurent pas en chiffres mais en fonction du niveau de confort que les pouvoirs publics veulent garantir au citoyen. Nous sommes dans un espace géopolitique du bassin méditerranéen et tous les pays qui sont autour de nous agissent de la sorte, c'est-à-dire qu'ils évaluent le taux d'occupation par logement. Aujourd'hui, nous avons un parc qui dépasse 7,5 millions de logements pour une population de 36 millions d'habitants. Si on fait la division, on a un niveau de confort globalement, dans l'absolu, de 5 personnes par logement, à savoir un couple et trois enfants, peut-être un peu moins. Il y a évidemment chez d'autres pays, d'autres niveaux de calcul comme celui du taux d'occupation par pièce. Mais là, c'est le top. On n'en est pas encore là. Il faut admettre, en premier, que les déclins de programmes de logements remontent à 1986. On n'a pratiquement rien construit depuis cette date. Les véritables programmes n'ont été lancés qu'en 2003-2004. C'est cette accumulation ? pratiquement deux décennies ? qui a fait que le rattrapage est devenu de plus en plus difficile. Des efforts considérables sont déployés à cet effet. Aucun pays n'a lancé autant de programmes. Nous avons réalisé des programmes énormes. Mais si on revient aux statistiques 2008 de l'ONS, on a autour de 340 000 mariages par an et la plupart, près de 60%, voudraient disposer de leur propre logement. C'est une demande annuelle à laquelle on doit ajouter les déficits antérieurs et l'éradication de l'habitat précaire. La tâche est donc énorme. Pour régler ce problème de l'offre et de la demande, il nous faut un peu plus de temps. Q.O.: Il est normal que les couples veulent habiter seuls? N.Moussa: Bien sûr ! D'ailleurs, pour régler ce problème de déficits, nous avons changé un peu notre méthode de travail. Nous ne lançons aucun programme si les études ne sont pas terminées. Parce qu'un projet mal étudié ou une étude non terminée nous fait perdre de l'argent et du temps. C'est pour cela que nous avons lancé massivement des études en 2010-2011 pour en avoir un bon portefeuille et lancer ainsi les programmes dans de meilleures conditions. Nous avons eu de bons résultats, preuve en est, les livraisons durant ces deux dernières années que j'ai citées plus haut. Nous avons aussi lancé, en 2011, 325 000 logements. C'est un chiffre jamais égalé. Nous sommes sur une courbe ascendante. Nous nous sommes fixé comme objectif la réalisation de 270 000 logements chaque année. D'ici à la fin du quinquennat, nous devrons livrer 1 200 000 logements. Q.O.: L'on affirme qu'en 2010, il y a eu 1300 mouvements de contestation dont une grande partie contre le manque de logements. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? N.Moussa: Je me dois de rappeler le décret 08-142 du 11 mai 2008 fixant les règles d'attribution du logement public locatif (LPL), ce qu'on appelait avant le logement social. Il faut absolument clarifier ce qui conditionne son attribution. Le décret en question définit à cet effet quatre critères. Le premier est lié au niveau des revenus du postulant et celui de son conjoint, le deuxième aux conditions d'habitat, le troisième à la situation familiale et personnelle et le quatrième à l'ancienneté de la demande. Par exemple, si vous habitez la commune depuis moins de 5 ans, votre demande est rejetée. Si vous êtes marié, si vous avez des enfants, si votre mère habite avec vous, si votre revenu se rapproche des 24 000 dinars, tout ça est compté en points. Vous avez ainsi des points qui doivent répondre au barème de cotation fixé par la réglementation. Il est évident que la somme de ces points diffère d'une personne à une autre et celle qui en a le plus passe avant. En plus, comme je l'ai déjà dit au début, il faut que les gens sachent que la construction du logement prend du temps. En principe, tout le monde doit prendre connaissance du contenu de ce décret pour bien comprendre les conditions et les critères d'attribution du logement social. Q.O.: Pourquoi alors les listes des acquéreurs sont-elles très souvent contestées? Sont-elles établies par des personnes qui ne connaissent pas ce décret ou ne connaissant pas leur commune ? N. Moussa: Les listes sont élaborées par une commission dans laquelle siège le chef de daïra. Mais l'élément le plus important dans cette commission, c'est le maire. Pour connaître les conditions d'habitation des demandeurs, le maire enjoint à la commission de se déplacer chez eux plusieurs fois, à n'importe quelle heure et n'importe quel jour. Il faut que la demande réponde à des critères précis qui doivent être constatés sur les lieux. Mais vous savez qu'on conteste tout dans ce pays. On ne peut continuer à contester la crédibilité ou la bonne foi de tous ces gens qui travaillent. Le problème aujourd'hui, c'est qu'il y a une rupture de confiance entre les citoyens et les responsables. Q.O.: Pourquoi ne pas vous appuyer dans vos enquêtes sur des comités de quartiers par exemple. N. Moussa: On y a pensé mais vous savez comment ça se passe sur le terrain. Il est impossible de trouver un consensus! Impossible ! Q.O.: Ou alors des députés ? N.Moussa: Vous allez mettre des députés dans des commissions ? Mais il y a les élus locaux dedans! Q.O.: Mais les députés ne sont-ils pas des élus qui doivent participer au règlement des problèmes des citoyens de la wilaya qui les a élus ? N.Moussa: Pour le moment, il y a des élus même dans la commission de recours qui est présidée par le wali. Il y a le président de l'APW ! Q.O.: Ne pensez-vous pas que les citoyens s'insurgent contre les passe-droits dont les auteurs se passeraient des critères ? N'ont-ils pas le droit de dénoncer des pratiques de corruption ou de clientélisme qui émailleraient des opérations de distribution de logements ? N.Moussa: Je n'accuse personne ! Les nombreuses fois où nous avons évalué le dispositif mis en place pour mener convenablement ces opérations, nous avons constaté qu'il était bon et qu'il ne fallait pas le changer. En tout cas, le dispositif de contrôle nous semble bon ! On se demande comment des membres de la commission peuvent-ils être corrompus ? De quel niveau de responsabilité sont-ils ? Et à quel moment peuvent-ils être corrompus ?!? Parce que pour corrompre, il faut corrompre toute la commission ! Q.O.: Est-ce que les citoyens connaissent l'existence des dispositifs de contrôle et de recours ? N.Moussa: Bien sûr ! Y compris les journalistes ! Le décret a été publié dans la presse ! Je rappelle qu'il y a des contrôles a posteriori qui s'effectuent sur les listes, il y a aussi des contrôles de l'Etat par des institutions lourdes, c'est-à-dire la Cour des comptes. Comment peut-on remettre en cause la crédibilité de tout ce monde ? C'est parce qu'un citoyen n'a pas eu de logement qu'il va crier que tout le monde est corrompu sauf lui ? Il faut avoir des preuves quand même ! La corruption a son cadre de traitement, non ?!? Q.O.: Mais les contestations existent bien ? N. Moussa: Il y a certainement des gens qui se sentent lésés. Mais ma conviction est que la majorité des gens qui attendent savent que le processus de construction d'un logement demande du temps, qu'il y a des déficits mais que les programmes existent. Sinon, quelle est la meilleure preuve qui peut montrer que l'Etat est engagé à régler ce problème ? Pour vous dire que l'Etat peut régler les problèmes de tous les Algériens, ce n'est pas possible. Aucun Etat ne l'a fait. Mais la volonté politique est immense ! 4 700 milliards de dinars pour le logement et l'urbanisme, c'est-à-dire 60 milliards de dollars, ce qui représente 17,4 % des 286 milliards de dollars alloués à ce plan quinquennal. C'est énorme ! Quand je le dis dans des rencontres à l'étranger, les gens ont tendance à ne pas me croire. Mieux encore, dans le programme de 2 450 000 logements inscrits, il y a un million de logements publics locatifs. Un million, ce n'est pas rien ! Si vous comptez 40 logements à l'hectare, vous savez combien de foncier il faut mobiliser pour mettre ce programme sur le terrain ? Ce million de LPL, c'est pour les citoyens ! Les 900 000 logements ruraux, c'est pour eux également ! Le logement rural leur permet en plus une accession à la priorité. D'ailleurs, avec l'installation des voies de communication et ce qu'on a réalisé comme électrification et gaz, certaines régions demandent le rural. Avec ce programme, on finira par atténuer d'une manière très forte le problème du logement. Mais il est évident qu'on ne pourra pas régler tous les problèmes en même temps. Q.O.: Il en existe un depuis des années, celui des épargnants CNEP à qui l'Etat a promis des logements AADL. Qu'en est-il de son règlement ? N.Moussa: Le directeur général de la CNEP a eu récemment à s'expliquer sur cette question puisque c'est son programme à travers sa filiale Assurimo. L'Etat algérien a engagé en 2001 et en 2002, 55 000 logements AADL (20 000 en 2001 et 35 000 logements en 2002) qu'il devait financer entièrement par le Trésor public. Il devait financer un logement à un prix et le vendre à 140 millions sur 25 ans à taux zéro avec en sus une avance de 28 millions de centimes. Ce qui n'est même pas un remboursement à la valeur absolue du dinar au temps T. Il s'est alors rendu compte que ça coûtait trop cher et que c'était trop lourd à supporter par le Trésor public. Il a décidé de transférer ces programmes sur concours bancaire puisqu'il y avait des liquidités au niveau de la CNEP et dans les autres banques. La CNEP devait travailler avec AADL pour qu'elle lui remette les listes des bénéficiaires. Comme la demande la plus forte sur le foncier se trouve au niveau des grands pôles urbains, Alger, Annaba, Constantine?, c'est-à-dire là où il y a la rareté du foncier, la CNEP n'a pas pu démarrer ces programmes. D'ailleurs, elle n'a pu lancer à travers cette formule à Alger que 4 000 logements, 2 000 à Reghaïa et 2 000 à Rouiba. Q.O.: Ces explications ont-elles été données aux concernés ? N. Moussa: Ça été fait ! Tout le temps ! Mais personne ne veut écouter ! La CNEP a lancé ce programme à Mostaganem, à Bouira, à Oran-on est en train de l'attribuer-, mais pas à Alger parce qu'il y a un problème du foncier ! Q.O.: Beaucoup de ceux qui ont déposé des dossiers auprès de ADDL n'ont toujours pas eu leur logement. Comment expliquez-vous ces retards ? N. Moussa: Pour ce qui est de AADL, je rappelle que ça été un programme global de 55 000 logements répartis sur 24 wilayas. Le plus gros de ce programme, plus de 50%, soit 25 400 logements, a été implanté à Alger. Le problème est qu'à l'époque, en plus des dossiers qui ont été retenus pour le programme des 55 000 logements, on a continué à en recevoir de nouveaux sans pour autant qu'on ait de nouveaux programmes. ADDL a reçu, ainsi, un surplus de près de 183 000 dossiers par rapport au nombre de dossiers qu'elle pouvait satisfaire. Pour toute la formule AADL, il y a eu à près 25 000 dossiers qui ont été éliminés pour des raisons d'inéligibilité. Les 25 400 programmés au début de son lancement ont été réglés et 142 000 dossiers sont restés en instance. Mais il faut savoir que les propriétaires de ces derniers dossiers n'ont jamais rien payé. Personne n'a rien payé ! Pas un sou ! Ils ne l'ont pas fait, bien sûr, parce que AADL savait qu'elle ne pouvait pas honorer ses engagements. Il est vrai que dans l'accusé de réception qu'ils ont reçu, il est dit que leur demande a été enregistrée mais pour des programmes futurs. Et depuis, il n'y a jamais eu de nouveaux programmes AADL. Ils viennent manifester leur colère mais ils n'ont pas d'argument juridique. Il faut savoir que construire 142 000 logements, c'est construire Sétif à Alger ou à Constantine ! Ce n'est pas évident ! Q.O.: Ceux qui protestent estiment qu'ils ont été abusés parce qu'ils n'ont pas eu de logement alors qu'il leur a été promis. Leur avez-vous fait d'autres propositions pour l'acquérir ? N. Moussa: Il y a d'autres formules ! Qu'ils déposent des dossiers au niveau des daïras où ils habitent pour avoir des LPL au lieu de venir protester devant le ministère. Le ministère ne donne pas de logement, il élabore la politique du logement ! En plus, ils pensent que AADL a continué à donner des logements à des personnes qui ont déposé des dossiers après eux. Ce n'est pas ça du tout ! Il faut savoir que le jour où le programme AADL a été décidé, ses responsables ont ouvert plus de 80 bureaux à Alger pour que les gens puissent déposer leurs dossiers. Ils ont utilisé tout ce qu'ils avaient comme potentiel à Alger, des régies des OPGI, des agences foncières et autres. Ils ont mis les dossiers dans des cartons pour les transférer vers AADL. Avec la pression qu'il y avait à cette époque et la nouveauté de la formule, les choses n'ont pas été très faciles à gérer. Et c'est dans la gestion de ces dossiers et non pas dans leur traitement, qu'il y a eu quelques cafouillages. Ils ont commencé à ouvrir les cartons sans pour autant suivre un ordre chronologique précis. Ceux qui avaient déposé leur dossier par exemple dans le bureau numéro 29 pouvaient passer avant ceux qui l'ont fait dans le bureau numéro 1? Q.O.: Les dossiers n'étaient-ils pas classés selon la date de leur enregistrement ? Est-ce que ce n'est pas une question d'organisation ou plutôt de désorganisation? N. Moussa: A l'époque, le classement des dossiers n'était pas primordial. L'essentiel était qu'ils soient réglés. C'est peut-être un problème d'organisation. Oui, mais il n'y a pas eu de mauvaise foi. Q.O.: Ne fallait-il pas les inscrire sur des registres par ordre d'arrivée ? N. Moussa: Il y a avait des registres avec des huissiers de justice même. Mais, à l'époque, sous l'effet de l'urgence, était-il possible de savoir qui des 183 000 dossiers (qui n'étaient pas numérisés) était le premier ou était le dernier ? Il fallait agir vite, ouvrir les cartons et répondre aux demandes ! Leur classement importait peu. Q.O.: Lors de la dernière réunion avec vos cadres, vous avez fait part de procédures contraignantes dans la réalisation des programmes. De quel ordre et de quelle nature seraient-elles ? N. Moussa: Ceux qui croient que construire c'est facile n'ont qu'à s'y exercer un peu. Notre erreur est justement d'avoir pensé que tout un chacun peut être constructeur ou entrepreneur, et on a tout le pays qui est non terminé. Construire est une affaire assez complexe, notamment quand il s'agit de construire des complexes immobiliers. Avoir de l'argent est une condition nécessaire mais loin d'être suffisante. Si on n'a pas de foncier, on n'a rien. On doit avoir des entreprises en quantité suffisante et avec la compétence requise. Il nous faut des bureaux d'études, une industrie de matériaux de construction, de la main-d'œuvre. On dit d'ailleurs « quand le bâtiment va, tout va ». Mais moi je dis que c'est quand tout va, que le bâtiment va. Q.O.: Mais vous avez initié des programmes sans réunir les conditions de leur réalisation ? N. Moussa: On ne peut pas les réunir toutes ! On n'a pas toutes ces conditions ! On est obligé de faire avec ce qu'on a. Nous avons 34 000 entreprises en Algérie. Elles étaient 22 000 au début du programme 2005-2009. 18 000 d'entre ces 34 000 sont des entreprises de catégorie 1, c'est-à-dire des entreprises qui emploient moins de 10 travailleurs. Je ne parle pas d'encadrement ni de main-d'œuvre. Est-ce qu'avec moins de 10 travailleurs, ces entreprises sont capables de construire un bâtiment ? Q.O.: Les entreprises sont, en principe, soumises à des cahiers des charges ? N. Moussa: Trouvez-moi en Algérie 100 coffreurs, 100 ferrailleurs ou 100 plombiers ! Q.O.: Pourquoi on ne les a pas ? N. Moussa: On ne les a pas parce que tout le pays est en chantier. Et les entreprises qu'on a ne peuvent pas prendre en charge tous ces programmes. Q.O.: Vous ne travaillez pas en collaboration avec le ministère de la Formation professionnelle ? N. Moussa: Bien sûr que si ! Mais il faut trouver des gens qui veulent se former. Ceci étant, il y a beaucoup de centres de formation qui le font. Nous assurons aussi nous-mêmes des formations par apprentissage au niveau de nos chantiers. Nous avons ainsi réussi à former 75 000 personnes durant le quinquennat passé, mais c'est nettement insuffisant. Il faut savoir que pour construire un logement, il faut 1,5 à 2 fois 2 emplois. Ce qui veut dire que pour un million de logements, on doit employer 1,5 à 2 millions de personnes. Q.O.: Et on ne peut pas les trouver dans un pays où il y a 70% de jeunes ? N.Moussa: Non, on ne les trouve pas. Le paradoxe est quand je vais dans les wilayas, les entreprises de construction me disent qu'ils ont un problème de main-d'œuvre et les populations un problème de chômage. C'est antinomique, mais c'est la réalité parce que le travail du bâtiment est assez difficile. Et dans une ouverture comme la nôtre où le commerce fait bien vivre, une bonne partie des jeunes choisissent la possibilité la plus facile. Nous nous sommes rapprochés des confédérations et des associations d'entrepreneurs pour leur demander de créer les meilleures conditions possibles pour que les gens viennent vers le bâtiment. Lorsque le travailleur se sent considéré dans son entreprise, il est bien rémunéré, il a les conditions de sécurité qu'il faut, je pense qu'il accepte de travailler sans problème. Malheureusement, nos entreprises n'ont pas tout ça. Plus de 90% des entreprises avec lesquelles nous travaillons sont des entreprises privées. Nous essayons de les sensibiliser sur la nécessité d'avoir une bonne organisation de chantier, des bases de vie dignes de ce nom, des tenues de sécurité, une bonne rémunération, une bonne prise en charge de la main-d'œuvre. Ce sont ces conditions qui font que les gens retournent vers le bâtiment. Q.O.: Les spécialistes reprochent à l'Etat de reproduire les schémas des cités-dortoirs des banlieues parisiennes sans mesurer les dangers susceptibles d'être couvés par une aussi forte promiscuité sociale. Les constructions algériennes en général semblent d'ailleurs ne répondre à aucune norme d'urbanisme? N. Moussa: Qu'est-ce qu'il faut faire? Construire des villas à tout le monde? Q.O.: Est-ce uniquement un problème de foncier ou alors il faut construire vite même si ce n'est pas bien ? N. Moussa: Dans toutes les grandes agglomérations, on fait des concentrations. Mais lorsqu'on a un foncier suffisant, on s'étale. A Laghouat, à Ouargla, à Ghardaïa, à Illizi, on fait des constructions au rez-de-chaussée ? Q.O.: On a vu des immeubles à Ouargla? N. Moussa: Oui parce qu'on n'a pas d'assiette foncière à Ouargla. On a dû aller à 5 km pour faire le nouveau pôle urbain qui est bloqué par des histoires d'inondations. Il a fallu que le ministère des Ressources en eau nous construise une digue de protection pour qu'on puisse implanter des logements. Q.O.: Paris est en train de détruire ses cités-dortoirs? N. Moussa: C'est vrai? Q.O.: Les nôtres n'ont même pas les commodités qu'il faut pour répondre aux besoins de leurs habitants, des centres commerciaux avec parking, par exemple? N. Moussa: Dans les plans d'aménagement, en général dans la programmation de l'occupation spatiale, on prévoit tout. Pour mille logements, on programme 4 écoles primaires, 2 CEM, un lycée, une poste, un centre de santé? L'urbanisme commercial est aussi prévu puisqu'on l'a introduit dans la programmation spatiale par le biais d'un décret qu'on a signé avec le ministère du Commerce. Il est pris en charge dans les programmes qu'on est en train de réaliser. Je vous concède qu'on va peut-être un peu trop vite dans la construction du logement par rapport aux autres investissements publics. Il est vrai que ça nous est arrivé de construire mille logements sans que l'école soit prête. Il y a peut-être un réglage à faire. Q.O.: Vous avez une convention avec le MTIC pour installer la fibre optique dans les cités. Où en est le projet ? N. Moussa: La fibre optique a été installée en 2008 au niveau de la cité Mokhtar Zerhouni à Bab Ezzouar sur instruction du président de la république. D'ailleurs, il n'y a pas une seule parabole. La fibre optique existe aussi dans une autre cité à Aïn Benian. Nous voulons aujourd'hui la généraliser parce que les TIC sont considérées comme un service public qu'il va falloir prévoir au même titre que l'eau, le gaz ou l'électricité. Nous avons finalisé le dossier, nous allons bientôt le signer avec le MTIC pour qu'on puisse travailler ensemble et prévoir ces installations en même temps que la construction, pour ne pas avoir à casser après. Q.O.: Le collège national des architectes vous reproche de n'avoir pas vraiment appliqué la loi 08-15 concernant les constructions non achevées. Il conforte sa remarque par des chiffres éloquents. Auriez-vous des précisions à ce sujet ? N. Moussa: Je ne sais pas d'où ils tiennent ces chiffres et qui c'est ce collège? Q.O.: Il est présidé par Abdelhamid Boudaoud? N. Moussa: J'aime bien Abdelhamid Boudaoud comme architecte. Même si j'entends parler de ce collège, il n'a aucune base juridique. Et je n'ai jamais vu de congrès de ce collège. Les gens s'érigent comme responsables de collèges, responsables des architectes et autres. Les architectes ont un seul ordre qui est défini par le décret législatif de 1994. Pour le moment, il y a une instance qui est présidée par M. Benboulaïd Khaled. Quand bien même ce serait cette instance qui aurait donné ces chiffres, elle n'aurait pas les moyens de faire un recensement de ces constructions. Le recensement ne peut pas être fait par les architectes de ce collège parce qu'ils l'ont bien dit, il faut avoir les moyens de l'Etat pour pouvoir voir le nombre exact de ces constructions sur le terrain. J'adore les architectes. Ce sont mes amis. Abdelhamid Boudaoud lui-même est un bon architecte que je respecte beaucoup comme individu. Mais parler avec certitude de ce recensement fait partie de la prétention de ceux qui s'impliquent là où ils ne doivent pas s'impliquer. Q.O.: Le paysage est complètement défiguré par les constructions illicites. Y aurait-il moyen d'y mettre un terme ? N. Moussa: Nous avons constaté quatre cas de constructions illicites, le non-respect du permis de construire, l'inexistence même de ce permis, l'inexistence de l'acte de propriété, l'inexistence et le non-respect en même temps du permis de construire et de l'acte de propriété. On a créé un cadre juridique pour ces quatre cas. Cas qui étaient aussi balisés par le fait que ces constructions étaient réalisées sur les PDAU. Les autres catégories de constructions illicites (érigées sur des terres agricoles, minières?) sont gérées par d'autres textes. Nous avons donc créé un cadre juridique qui oblige les gens à aller déclarer leurs constructions pour qu'ils puissent les exploiter. C'est donc un système déclaratif qui permet d'avoir un certificat de conformité. A condition, bien sûr, que celui qui en fait la demande ait terminé sa construction. Il est vrai qu'il y a peut-être une lenteur dans cette opération. On a constaté que ça a mieux marché en 2011 qu'en 2010. On a réceptionné 100 000 dossiers dont le tiers a été traité. Nous venons de signer une instruction interministérielle avec les ministères de l'Intérieur et des Finances pour, en premier, prendre en charge toutes les constructions réalisées par des organismes publics (OPGI, EPLF, agences foncières?). Ceci, pour alléger la procédure qui est parfois contraignante. Nous sommes en train de travailler avec d'autres ministères, sur une instruction qui concerne les autres catégories de constructions pour aussi alléger la procédure qui décourage parfois. L'objectif de la démarche est de donner un aspect esthétique à nos villes et à nos villages mais sans aller jusqu'à exercer des pressions sur des pères de famille qui n'arrivent pas à terminer leur construction. La loi a produit ses effets. Malheureusement, dans un pays en chantier, on a beaucoup de peine à distinguer les constructions qui sont bloquées des constructions qui sont en train d'être réalisées. Q.O.: Le cadastre a-t-il été fait à travers l'ensemble du territoire national ? N. Moussa: On aimerait bien que tout le cadastre soit fait pour qu'on puisse y voir clair. Dans les villes, je crois qu'il est presque terminé mais, dans le monde rural, ce n'est pas encore fait. Mais, pour que les choses soient claires, le ministère de l'Habitat n'est pas le ministère du cadastre encore moins le ministère du foncier. On construit là où on nous demande de le faire. Comme nous sommes dans une situation où il faut construire beaucoup et vite, le gouvernement a été obligé de déclasser, en mai 2011, des terres de 9 600 hectares pour pouvoir implanter un programme de 500 000 logements. Le décret de ce déclassement a été signé en juillet 2011. Il a aussi décidé de déclasser des terrains qui sont classés «terres agricoles » mais qui n'ont jamais été travaillées. Ce sont des pôles urbains de 600 hectares qui ont été déclassés à Alger, l'un à Baraki, un second à Aïn El Malha et un autre à Ouled Fayet. Ce qui nous permet d'entrevoir une extension maîtrisée de la ville. Nous sommes en train de faire des études sérieuses sur ces pôles avec le CNERU (Centre national d'études et de recherches en urbanisme) (l'ex-Cadat). Un travail qui a pris beaucoup de temps parce que nous voulons faire quelque chose de bien. L'étude est en train d'être finalisée pour nous permettre d'implanter des programmes d'habitat. Le CNERU va être le bureau d'étude aménageur de référence chargé de planifier le développement urbain. Q.O.: La décision du déclassement réglerait-elle aussi le problème des terres agricoles de la côte ouest ? N. Moussa: Ce sont des terrains à haute valeur économique. Vous savez qu'un hôtel comme le Sheraton emploie 1 100 personnes alors que le même espace de 5 hectares emploie 2 personnes. C'est comme ça qu'on fait les études d'impact et d'opportunités sur la société. Q.O.: Le choix est donc vite fait? N. Moussa: Ceci est toute une autre histoire. Moi, je vous parle du développement du logement pour lequel je pense que nous faisons les choses de mieux en mieux. Dans nos plans d'aménagement, nous prévoyons tout ce qu'il faut pour une vie communautaire harmonieuse. Je pense qu'on va vers de meilleures conceptions architecturales urbanistiques parce que nous avons la possibilité d'intervenir sur de grands espaces où la planification spaciale devient plus sérieuse et plus facile. Mais il faut que tout le reste marche pour que le logement marche. Encore une fois, quand tout va, le bâtiment ne peut qu'aller. |