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A la lecture de
quelques titres et de réflexions récemment publiés dans la presse, j'ai
constaté que les mots compétence et incompétence sont prédominants.
De quelle compétence par le-t-on ? De la compétence de ceux qui restent dans le pays, confinés au fin fond d'un bureau et écartés de toute démarche constructive du pays et de l'évolution de la société. Parle-t-on de la compétence de ceux qui s'exilent dans des contrées lointaines et qui vivent de la nostalgie et des «algériennités» virtuelles ? Ou parle-t-on de ceux qui, agnosiques face à leurs échecs, gèrent la nation? L'actuel Président,1 tout comme ceux qui l'ont précédé, se plaignait récemment du manque de compétences pour gérer notre pays. L'actuel gouvernement a fait appel à des compétences étrangères. Ces étrangers se sont adaptés à notre mode de fonctionnement pour tirer profit de «la manne pétrolière». Bien que le Premier ministre ait signé une circulaire (n°680/PM du 21 décembre 2009)2 où il recommande de «réduire le recours aux bureaux d'études étrangers pour la préparation des dossiers de marchés publics, de réforme et de modernisation des services publics et des dossiers d'ouverture du capital des entreprises publiques», cela ne va pas changer grand-chose ! Qui respectera les circulaires alors que les lois de la Constitution sont régulièrement violées sans qu'aucune sanction ne soit appliquée, que le pays est géré par décret pour fuir les vrais débats concernant l'avenir de la nation, et qu'à force de voter «oui», le Parlement est devenu «une chambre d'enregistrement législative» ? On ne doit pas se plaindre que la démocratie n'est pas ancrée dans la société civile si les représentants de la loi n'ouvrent pas les portes du dialogue avec le peuple ! Il semble que cette circulaire fasse suite à une directive présidentielle3 (n°3) relative à la dynamisation de lutte contre la corruption. Ce qui signifie que la situation est grave. L'étendue des échecs des pouvoirs politiques ne se résume pas seulement à leur incapacité de profiter des compétences nationales. Cela va désormais jusqu'à attirer les incompétences et les escrocs internationaux ! Pourquoi les compétences sont-elles devenues rares dans notre pays ? Selon l'ex-ministre des affaires étrangères Lakhadre Ibrahimi4 , dans les années 1980, les représentants diplomatiques indiens ne possédaient pas de quoi recevoir des fax de leur Ministre des Affaires Etrangères. Aujourd'hui, l'Inde est l'un des géants mondiaux de l'informatique. Dans les années 1980, l'Algérie possédait des instituts d'électroniques. Aujourd'hui, nous en sommes toujours au même stade et tous les produits informatisés sont importés. Comment expliquer cette progression spectaculairement lente ? Le peuple indien serait-il plus lucide que le nôtre ? Ses dirigeants seraient-ils plus compétents que les nôtres ? Possèdent-ils davantage de ressources naturelles et financières que nous ? Il faudrait que les pouvoirs politiques quittent leurs réflexes archaïques, fassent preuve d'ouverture, et qu'après avoir mûrement réfléchi, passent enfin à des actions durables et efficaces avec la participation de tous les protagonistes. Depuis l'Indépendance, à force de cumuler les échecs, notre mécanisme de pensée est imprégné d'un sentiment d'impuissance, d'une attitude «menfoutiste» et d'immobilisme. C'est ainsi que l'inertie contamine tous les domaines touchant le quotidien des Algériens. Trois facteurs majeurs peuvent expliquer ce déficit de compétence : la marginalisation, le manque de confiance et l'instabilité législative. Depuis l'Indépendance, les pouvoirs successifs s'évertuent à occulter les valeurs de travail, le sérieux, la discipline et les connaissances à la faveur de l'irréflexion, du dogmatisme chauvin et religieux, du népotisme et de la servilité. C'est la politique de la carotte et du bâton. «Si vous êtes avec moi, je vous fais monter en grade, si vous êtes contre moi je vous marginalise et je vous ferai vivre un enfer !». Le premier danger de notre système éducatif est qu'il repose sur une erreur psychologique et pédagogique fondamentale : on s'imagine que la récitation des manuels développe l'intelligence. Dès lors, on tâche d'en apprendre le plus possible ; de l'école primaire au doctorat, l'élève ne fait qu'ingurgiter le contenu des livres. Pour lui, l'instruction consiste à réciter et à obéir. Ainsi, au lieu de former des hommes et des femmes autonomes, responsables et dotés d'un sens critique, l'école ne les prépare qu'à des fonctions où la réussite n'exige aucune lueur d'initiative. On entend généralement par personnes compétentes «des individus ayant des connaissances approfondies dans une matière et qui sont capables d'en bien juger»5 . A ce jour, la gestion de la cité et des affaires de l'Etat n'est pas forcément confiée selon la compétence mais selon l'adhésion à un groupe d'intérêt au sein du pouvoir politique. Certes, la même règle sévit dans monde et dans d'autres systèmes politiques. Mais, ce qui nous distingue en Algérie, c'est l'absence d'une vraie liberté d'expression, d'une société civile organisée, d'une opposition instituée. A cela s'ajoute le manque de vrais hommes d'Etat. Dans les pays européens par exemple, ce qualificatif est souvent mélioratif et vise à souligner la capacité de l'homme d'Etat à s'élever au-dessus des divisions partisanes pour rechercher le seul bien commun, ainsi que l'acuité de sa conscience de ses propres responsabilités. En Algérie, l'homme d'Etat devrait être respectueux de la Constitution et devrait mettre à profit le potentiel du pays pour mener à bien les objectifs au service de la nation et non pour la satisfaction de groupes de privilégiés. A l'heure actuelle, l'Algérie manque terriblement de vision claire de l'avenir : un projet précis de société et un projet de civilisation. Selon Gustave Lebon 6 : «Une civilisation implique des règles fixes, une discipline, le passage de l'instinctif au rationnel, la prévoyance de l'avenir, un degré élevé de la culture (?)». Contrairement aux idées reçues, l'échec des systèmes politiques successifs en Algérie n'est pas uniquement dû à une manipulation au sein de ce système. Il est le résultat de l'incompétence de ses dirigeants et de la classe politique, y compris l'opposition. L'incompétence est souvent le produit de l'ignorance. L'Etat algérien a formé, dans des grandes universités mondiales, des milliers de cadres qui, une fois rentrés au pays, se sont souvent vu mis au placard. Idem pour ceux qui ont été formés dans les universités algériennes. Il n'est alors plus question de se demander pourquoi les compétences quittent le territoire national, il s'agit désormais de se demander ce qu'il y a lieu de faire pour les retenir. Les compétences nationales ont trop souffert de la médiocrité de la gestion des affaires de l'Etat dans tout ce qui concerne les fonctions publiques et privées. La plupart de ces cadres subissent des injustices tout au long de leur carrière. Certains, victimes de leur propre indulgence, ont déjà été condamnés à des peines de prison pour des fautes non commises ! Comment faire confiance à un système qui récompense les incompétents et met en retraite anticipée ceux qui résistent à la médiocrité ? Comme faire confiance à un système politique où le directeur n'a même pas les connaissances rudimentaires dans le domaine qu'il gère ? Comment faire confiance à un système politique qui reproduit les mêmes erreurs depuis l'indépendance ? L'instabilité législative est un réel handicap au développement. Nous constatons que chaque gouvernement change les lois et que cette instabilité ne rassure pas les cadres pas plus que les investisseurs étrangers. C'est pourquoi les stratégies de développement n'ont jamais été menées à terme. Face à ces perpétuelles modifications, parfois brutales, les compétences ne savent pas sur quoi s'appuyer. Il faut des années pour former un régime politique, et des années pour en changer. Et l'histoire des autres nations nous a appris que les institutions n'ont aucune vertu intrinsèque ; elles ne sont ni bonnes, ni mauvaises en elles-mêmes. Bonnes à un moment donné pour un peuple donné, elles peuvent être détestables pour un autre. Selon G. Lebon, «les institutions sont les filles des idées, des sentiments et des mœurs ; on ne refait pas les idées, les sentiments et les mœurs en refaisant les codes». Le développement d'un pays ne se mesure pas uniquement à ses réalisations immobilières mais également au niveau intellectuel et culturel de son peuple. Maîtrise et savoir permettent de concevable un socle commun, enraciné dans notre propre identité et enrichi par les valeurs universelles, pour assurer et entretenir un avenir plus solide. 1 Cf. khabar-hebdo N° 566. 2 Cf. El-Watan du 5 janvier 2009. 3 Idem. 4 Cf. khabar-hebdo N° 566. 5 Larousse 2010 6 Psychologie des foules. |