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Le débat
économique national s'est enrichi depuis peu,à la faveur de l'adoption de la
LFC 2009, d'un terme nouveau :
le nationalisme économique. Celui-ci revient, de façon récurrente, dans le débat suscité par certaines des mesures de protection adoptées dans la LFC 2009. Si pour certains, ces mesures ne sont rien d'autre que des prémices à une remise en cause de l'orientation libérale suivie jusque-là par les pouvoirs publics en matière de choix économiques, pour d'autres, par contre, elles ne sont qu'un juste retour à la « normale », une prise de conscience tardive de la nécessité de veiller à la protection des intérêts économiques du pays. Peut-on conclure pour autant que la position des uns va à l'encontre des intérêts du pays et qu'à contrario, la position des autres est de nature à préserver et consolider ces mêmes intérêts ? La réponse à l'interrogation n'est pas aisée, tant les amalgames et les malentendus sont nombreux quant au contenu à conférer à la notion de nationalisme économique. Entretenus pour des raisons qui relèvent davantage de l'idéologie ou d'intérêts économiques immédiats, ces malentendus et amalgames fournissent cependant l'opportunité de réhabiliter le débat dans sa faculté d'orienter la réflexion loin des sentiers battus et de formuler de nouvelles propositions, de nouvelles politiques, en rupture avec celles que préconisent les porte-voix du discours officiel. Dans ce qui suit, nous nous proposons d'apporter quelques éléments de réflexion qui, pour fragmentaires qu'ils sont nécessairement, n'en ont pas moins l'ambition d'apporter une contribution au débat sur ce que devrait recouvrer, en termes de configurations concrètes, une politique économique à vocation nationale. Au regard de l'aspect formel du déroulement des événements, aspect qui en l'occurrence n'est pas sans intérêt, quelques faits méritent d'être relevés. Le premier élément a trait à la façon dont s'est effectuée l'irruption dans le débat public de la notion de nationalisme économique. Le moins que l'on puisse dire à ce sujet est que les mesures prises dans le cadre de la LFC ont surpris beaucoup de monde, tant par leur caractère inattendu, imprévu, dans la forme que par leur aspect pour le moins invraisemblable dans le fond. Le caractère subit et invraisemblable du changement, car cela en est un, est symptomatique du malaise, maîtrisé ou étouffé pendant longtemps, qui a dû affecter les milieux qui participent à la conception de la décision économique. Il est également et surtout révélateur de l'insoutenable légèreté avec laquelle la question économique est appréhendée par la sphère de délibération politique dans notre pays. Cette légèreté dans la conduite effective des affaires économiques importantes du pays confère à la politique économique une inconstance sans égal dans l'histoire économique du pays. Le second élément porte sur la manière dont le changement a été pris en charge par le discours. Le caractère subit et surprenant de celui-ci nécessitât que l'on recourût à un discours tout à fait nouveau, une rhétorique en totale rupture avec celle qui a porté à bras le corps la politique d'ouverture tous azimuts, menée une décennie durant. C'est ainsi que, subitement, du jour au lendemain, le nationalisme économique s'est érigé dans le discours en mot d'ordre, un leitmotiv justifiant et légitimant la nouvelle action économique de l'Etat, se substituant ainsi aux notions d'ouverture, de marché, de liberté d'entreprise ? etc. Bref, l'expression « nationalisme économique » s'est transformée en l'intitulé d'une nouvelle doctrine économique dont le but n'est rien de moins que de remédier aux effets induits par celle du libre échange. Bien que nous ne soyons qu'au début du processus, il semble qu'il faille s'attendre, sur le plan de l'évolution de la sémantique du discours, et sauf accident de parcours, à d'autres changements dans un avenir proche. L'ampleur de versatilité dans le changement, l'inconstance de ce dernier, son manque de cohérence, ? sont autant d'éléments qui donnent raison à L. Addi lorsque, dans une de ses nombreuses réflexions sur le fondement idéologique de la politique économique de l'Etat en Algérie, il résume la situation en écrivant que l'Etat algérien n'a pas de doctrine économique (pas de doctrine économique cohérente, cela s'entend), mais simplement un projet politique qu'il se propose de réaliser par des moyens économiques. Il n'est dès lors pas étonnant d'observer la facilité déconcertante avec laquelle cet Etat passe, en l'espace de quelques mois, et avec le même personnel politique aux commandes, du libéralisme le plus débridé au dirigisme le plus stérile. L'histoire de la réforme économique en Algérie a plus de 20 ans. Bien que ce temps soit suffisamment long pour conférer à l'apprentissage en matière de réforme une maturité à même de soustraire le changement aux tentations d'un retour en arrière, il semble que cela ne soit pas le cas de la réforme en Algérie. Entamée suite au contre-choc pétrolier de 1986, la réforme a été essentiellement orientée vers l'ouverture des frontières et le démantèlement tarifaire. A l'issue d'un long processus, marqué par des contingences politiques diverses, force est de noter qu'elle est aujourd'hui dans l'impasse. Faut-il continuer dans la même voie, celle du libéralisme débridé, ou faut-il au contraire se ressaisir, pendant qu'il est encore possible, et revoir ce qui a été fait jusque-là ? Telle est, nous semble-il, la question que les initiateurs de la LFC 2009 ont dû se poser avant d'en fixer les mesures phares. Par-delà la dimension symbolique et politique qu'il incarne, le mot d'ordre de nationalisme économique révèle surtout la reconnaissance (tardive) de l'échec de la politique d'ouverture sans discernement, entreprise par le pays durant ces deux dernières décennies. L'espace économique national est devenu le lieu où se déversent, sans contraintes et sans limites, toutes sortes de marchandises venues d'ailleurs pendant qu'en même temps, des centaines d'entreprises nationales, publiques et privées, fermaient, faute de pouvoir tenir face à la concurrence étrangère. De cette politique d'ouverture a résulté, entre autres, l'explosion du chômage, véritable fléau social qui menace plus que jamais la cohésion nationale. Quel sens conférer à la notion de nationalisme économique dans le contexte particulier de l'Algérie ? Quel contenu peut recouvrer cette notion au regard de ce qui fait encore la spécificité de l'économie algérienne, à savoir son caractère fondamentalement rentier ? Il est évident que la réponse à ces questions exige que l'on se prononce sur la pertinence de l'architecture institutionnelle générale qui a servi de support aux changements entrepris durant ces deux dernières décennies. Dans l'impossibilité de cerner rapidement l'ensemble des composantes sur lesquelles est fondée une telle architecture, nous nous contenterons ici d'en évoquer quelques-unes unes des principales caractéristiques. La première de ces caractéristiques est que, dans ses premières phases, l'ouverture externe fut décrétée dans un contexte historique particulier, tant sur le plan politique qu'économique. En d'autres termes, la mesure revêtait davantage le caractère d'une contrainte imposée et subie, que celui d'un choix mûrement réfléchi. Le contexte ayant beaucoup et favorablement changé dans le temps, on se serait logiquement et légitimement attendu sinon à des sursauts, du moins à des remises en question, des recadrages ou des atténuations en matière d'ouverture. Non seulement il n'en fut rien, mais le désarmement économique du pays est allé crescendo, pour culminer avec la signature de l'accord d'association avec l'union européenne. La seconde caractéristique est que le mouvement de libéralisation externe ne s'est pas accompagné d'une véritable libéralisation interne. L'inadéquation entre les dimensions externe et interne du changement a créé un tel déséquilibre que l'ouverture s'est révélée dans les faits comme une capitulation économique pure et simple. Il est en effet difficile d'interpréter autrement l'ouverture de l'espace économique national lorsque, à l'échelle interne, l'essentiel des configurations institutionnelles qui étaient à l'origine des blocages internes est maintenu en l'état. Il en est particulièrement ainsi de l'entretien d'un rapport salarial de type clientéliste dans le secteur public, seul compartiment productif où une dynamique industrielle pouvait être enclenchée, le secteur privé étant davantage incité à demeurer cantonné dans les activités de captage de rentes. La troisième caractéristique est que sur le plan strictement interne, l'action économique de l'Etat semble s'être essentiellement intéressée à la définition de la meilleure configuration institutionnelle à même d'assurer la pérennité, sur le moyen terme, du régime économique en place, c'est-à-dire le régime rentier. Autant par la façon dont il a géré les contraintes monétaires que budgétaires, le pouvoir politique a produit une architecture fondée sur l'impératif exclusif de garantir, sur une plus ou moins longue échéance, des capacités de financement de l'économie indépendamment de la conjoncture pétrolière future. En somme, l'Etat semble avoir profité du raffermissement durable et soutenu des cours du pétrole sur le marché mondial pour se doter de capacités financières suffisamment importantes pour se mettre à l'abri de la nécessité de recourir à des ajustements douloureux quand nécessité se fera d'arbitrer entre les différentes contraintes économiques et sociales. La libéralisation entamée au lendemain de la crise de la fin des années 80 a fini par donner corps à un nouveau mode de régulation dont la vocation essentielle est de perpétuer le caractère rentier du régime de croissance. Un examen approfondi des configurations concrètes des différentes formes institutionnelles de la régulation (concurrence, rapport salarial, budget, monnaie, insertion internationale) est à même de montrer une incompatibilité manifeste entre les régulations partielles, ce qui traduit l'absence d'un projet économique national. C'est, par ailleurs, l'absence d'un projet économique national politiquement assumé qui confère au nouveau mode de régulation son caractère incohérent et ambigu. En privilégiant l'ouverture externe sous ses différentes formes (désarmement douanier, politique de change, IDE, accords de libres échanges, surévaluation du dinar, ?), la nouvelle régulation relègue la dimension interne de l'ajustement au second plan. Ce faisant, elle crée les conditions objectives pour une perpétuation du régime rentier et exclut, du même coup, toute perspective de construction d'une économie productive. C'est à la lumière de ce qui précède que l'irruption, dans le débat public, du mot d'ordre de nationalisme économique doit être analysée. Fondamentalement, il s'agit là d'une prise de conscience du fait que le pays est allé trop loin dans l'ouverture externe et qu'il est urgent qu'un compromis institutionnel nouveau, qui soit en conformité avec l'impératif de sauvegarde de l'intérêt bien compris du pays, soit défini et construit. Dans le contexte politique actuel, le risque est cependant grand de voir certaines forces, politiques ou sociales, nostalgiques d'un ordre révolu, monopoliser le processus de construction du nouvel échafaudage institutionnel, après s'être chargée, seules, de sa conception, de telle sorte que le contenu du compromis envisagé prenne les contours d'un retour en arrière, d'une réhabilitation de l'étatisme stérile dont le pays continue encore de nos jours à subir certains des effets. En d'autres termes, il est à craindre que, les disponibilités financières aidant, le nationalisme économique ne se révèle dans les faits comme synonyme de la consécration des pratiques qui font l'essence même du populisme et du clientélisme. La réhabilitation de l'activité industrielle, pour ne prendre que cet exemple, ne paraît pas être aujourd'hui un objectif réalisable si l'on continue à en envisager la concrétisation par le biais du secteur public. Traversé continuellement par la logique clientéliste, ce dernier est foncièrement inapte à construire des arrangements organisationnels internes à même de lui permettre de survivre dans un environnement institutionnel externe plus que jamais hostile. Fautes de subventions budgétaires, le secteur public n'est point viable, à fortiori dans un environnement où, du fait de l'exacerbation de la concurrence (relativement à la situation qui a prévalu jusque-là), les organisations sont amenées à fonctionner à la marge. Certaines des mesures préconisées ces derniers temps en matière de politique industrielle nous incitent à penser que c'est bel et bien d'un retour en arrière qu'il s'agit. Effacer les dettes des entreprises publiques structurellement déficitaires, les maintenir artificiellement en vie, laisser filer leur découvert sans réagir, en sont quelques-unes unes des meilleures illustrations. Quels seraient, dans les conditions actuelles, les composantes constitutives d'une politique économique à vocation nationale ? A cette question, on ne peut répondre que par un simple exposé générique. Une politique à vocation nationale consisterait à définir une architecture institutionnelle d'ensemble qui protège l'espace économique national de la concurrence externe, mais sans annihiler l'efficience de la structure incitative interne. Cette dernière, en déterminant dans une grande mesure les choix économiques faits par les différents agents de la croissance, demeure la source première des performances économiques. La structure incitative interne doit présenter une configuration qui stimule les activités productives au détriment des activités de recherche de rentes. Ainsi, il y a lieu, en particulier, de veiller à ce que l'économie nationale soit prémunie contre le fameux syndrome hollandais. La politique de change, composante essentielle du mode d'insertion internationale de l'économie nationale, doit avoir pour souci premier d'insérer son contenu dans le cadre d'une politique de croissance de l'activité productive interne, ce qui, en l'occurrence, passe par une stabilisation du taux de change effectif réel de la monnaie nationale, seul moyen de contrarier les effets du dutch disease. Il s'agit là d'un préalable qui conditionne l'aboutissement de tout effort d'amélioration de la compétitivité des entreprises nationales et donc la réussite de toute politique de diversification. L'intoxication pétrolière pouvant survenir par d'autres canaux, il convient également de faire en sorte que les arbitrages budgétaires de l'Etat ne fassent pas la part belle à l'impératif, politique, de la distribution au détriment de l'impératif économique de l'accumulation. Les dépenses budgétaires qui accroissent la compétitivité de l'économie (dépenses en équipement, éducation et formation, santé) doivent prendre le dessus sur les différentes subventions à caractère distributif. L'expérience de certains pays, qui ont réussi l'objectif de s'industrialiser, a montré qu'une politique industrielle volontariste est tout à fait compatible avec la mobilisation du secteur privé. Dans certains cas, c'est même l'alliance capital privé ? Etat qui a constitué l'élément moteur du décollage économique. Cependant, préconiser une telle alliance dans le contexte présent de l'Algérie, c'est manifestement sous-estimer le poids du conformisme idéologique dans le processus de prise de décision. Source de blocage du changement institutionnel, le conformisme idéologique trouve son expression la plus éclatante dans l'entretien, à coup de milliards de dinars de subventions, d'un secteur public structurellement déficitaire1 . Par ailleurs, et contrairement à une idée très répandue, le nationalisme économique ne se réduit pas à une politique sectorielle qui consisterait à définir des « stratégies » de branche en fonction d'avantages comparatifs virtuels. Si l'action volontariste de l'Etat en matière industrielle s'est souvent traduite par des échecs cuisants, c'est sans doute parce que, dans la conception des politiques industrielles, on a souvent privilégié l'aspect technique, physique, au détriment de la dimension éminemment sociale de l'activité industrielle. En effet, par-delà son aspect morphologique, l'industrialisation est avant tout une dynamique sociale dans laquelle les configurations que prennent les rapports sociaux jouent un rôle clé. Outre la dimension interne qui, souvent, est insuffisamment prise en charge lorsque l'on évoque la question du contenu à conférer au nationalisme économique, il y a également lieu de situer le débat dans le contexte général qui prévaut à l'échelle externe. Ce dernier se caractérise par un approfondissement inédit des relations économiques internationales, situation habituellement désignée par le terme de «mondialisation». Du point de vue de la collectivité nationale, le nationalisme économique peut être appréhendé comme une réponse à un processus mal vécu d'ouverture et de libéralisation externe. Dans ce contexte, il est normal que, à l'échelle interne, certains groupes sociaux et économiques livrent une lutte en vue d'obtenir du gouvernement une redéfinition à leur profit du droit, de la fiscalité, ? bref des arrangements institutionnels domestiques conformes à leurs intérêts particuliers. Leur action est souvent légitimée par un discours dans lequel la mondialisation est présentée sinon comme une chance, du moins comme une fatalité à laquelle on ne peut que se résigner. La mondialisation apparaît ici comme un obstacle qui rend vaine toute initiative qui tente de rendre crédible l'entreprise de s'industrialiser sur une base nationale. Ce discours ne résiste cependant pas à l'épreuve des faits de l'histoire économique récente. L'observation des années 90 et 2000 montre une diversité des trajectoires économiques à l'échelle internationale et que, loin de conduire à la généralisation d'un modèle d'économie de marché, l'approfondissement des relations économiques internationales (c'est-à-dire la mondialisation) suscite au contraire un raffermissement des compromis institutionnels nationaux. Le raffermissement des compromis institutionnels nationaux, qui se manifeste par la coexistence de trajectoires nationales contrastées, explique sans doute pourquoi la mondialisation n'a pas entraîné la synchronisation des conjonctures macroéconomiques, comme le prévoyaient les économistes qui pensent que désormais l'accumulation opère à l'échelle mondiale. La crise financière de 2008 en est une illustration parfaite puisque, au moment où la croissance battait de l'aile dans toutes les économies occidentales, la chine et certains pays dits émergents continuaient d'enregistrer des taux de croissance fort enviables. Face à la mondialisation, ou ce qui s'apparente à une ouverture imposée de l'extérieur, la gamme de choix politiques de l'Etat demeure, en dépit de ce qui peut être dit, très large, d'autant plus que, contrairement à ce qu'enseigne les théories orthodoxes du commerce international, les relations internationales ne se résument pas à des relations marchandes mais font souvent intervenir de façon déterminante des négociations d'Etat à Etat. A l'instar notamment de la monnaie et du budget, presque toutes les composantes de l'insertion internationale d'un pays font en effet l'objet d'arbitrages politiques. Il en est particulièrement ainsi de la politique de change (régime et taux), du tarif douanier, des accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux ? etc. Pour conclure, et pour rester dans l'ambiance du moment qui se prête opportunément aux métaphores footballistiques, on peut dire que la mondialisation se joue à domicile ? tout autant qu'à l'extérieur, lors notamment des négociations commerciales internationales dont beaucoup se soldent par des échecs. *Universitaire 1- Selon des chiffres publiés récemment dans la presse nationale, le découvert bancaire de la seule SNVI atteint le chiffre de 60 milliards de DA !!! |