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A Tlemcen la «djam'a» ou «madjmaa» fait partie des vieilles traditions d'éducation religieuse réservées aux femmes. Chaque zaouïa, tariqa ou voie a normalement son «madjmaa» ou cadre spirituel de regroupement pour les femmes en quête de savoir religieux ou de spiritualité dans la voie de la tariqa. Ces «djam'a» hebdomadaires se tiennent à l'endroit d'une zaouïa ou en un lieu désigné en dehors de celle-ci, voire zaouïa de Cheikh Bouchnak à R'hiba ou à zaouïa Moulay Abdelkader à la mosquée qui porte son nom à Bab el-hadid. Elles sont dirigées par des Dames de ferveur religieuse à qui le cheikh de la tariqa reconnaît le titre de Moqadma ou femme ayant la charge de diriger les «djam'a». Elles sont généralement choisies parmi celles qui ont une autorité spirituelle reconnue. A l'occasion de chaque «madjma'a» elles prononcent des sermons à caractère religieux orientés vers l'ascèse par la remémoration du nom de Dieu (dikr). Les «djam'a» commencent, généralement, par la récitation du «ouerd» ou poème initiatique de la tariqa et s'achèvent par la récitation de la «lotfiya» ou texte de louanges à Dieu. Chaque zaouïa a, généralement, sa propre lotfiya: la lotfiya de Sidi Abou Madyan, la lotfiya de Cheikh Ahmed al-Alaoui al Mostaghanemi... Les femmes qui sont affiliées de fait de par leur présence régulière à ces «madjmaa», sont appelées «faqirate» allusion faite à l'état de pauvreté mystique du soufi. Elles sont ainsi appelées parce qu'elles ont choisi la voie du dénuement devant Dieu. Il y a celles qui appartiennent au cercle interne des moussamiate ou moussami'i (chanteur - récitant). Celles-ci ont pour rôle d'animer les séances de chants spirituels ou «samaa». Certains imaginent mal que cette culture gracieuse qui s'exprime d'une manière lyrique avec un souci d'esthétique puisse s'allier au soufisme? Le soufisme correspond, certes, à la réalité d'un monde sensible avec ses symboles, son éducation... La préparation matérielle des «djam'a» revient à une femme, l'intendante, qui a la charge essentielle de veiller au bon déroulement des «djam'a». La préposée à la tâche appelée «chaoucha» accueille les invitées et reçoit également les dons nécessaires au fonctionnement des «djam'a». Parfois la «djam'a» déplace carrément son assemblée et cela à l'invitation d'une de ses membres «faqirate» ou d'une des fidèles de la zaouïa à la recherche de spiritualité et qui éprouve le besoin d'un moment de spiritualité et de lecture du Coran mais aussi de prières pour la bénédiction de sa famille et de ses enfants, dans sa maison. Un des grands moments des «djam'a» féminines et sans doute le plus attendu est la célébration de la fête de la Nativité du prophète Mohammed (QLSSSL) et cela, selon la vieille tradition des Mouloudiyate à Tlemcen. Chaque zaouïa a son répertoire de chants mystiques ou «samaa», ses «manâqibs» (titres de gloire ), ses sentences. Liberté est laissée de choisir les airs de chaque «samaa». Ce qui distingue une zaouïa par rapport à une autre c'est cette recherche mélodique «lahn» ou «rih» dans lequel sont enrobés les textes. Ce choix est dicté par le souci pédagogique de rendre prenant le chant «samaa» et cela, en vue de la réceptivité des coeurs et de la méditation. La «samaa» fait partie de l'éducation des mourides qui aspirent à la voie soufie. Le patrimoine des chants «samaa» est extrêmement riche mais peu connu du grand public. Les associations musicales et aussi certains chanteurs et interprètes y ont trouvé là, une mine de chants suffisamment apprêtés pour être, sans grands efforts, mis en partition. La première tentative de mise en musique des «samaa» de la vieille tradition de chants et de goût de Tlemcen, fut celle réalisée en 1985 par l'association «Nassim al-Andalous d'Oran» et cela, avec un grand succès. Cette expérience qui a permis à de belles chansons de quitter le milieu réservé des cercles ésotériques, celui des mourides ou aspirants à la voie soufie, fut suivie par l'association «Riad al-Andalous» de Tlemcen qui, toutes les deux ont popularisé les «samaa» tels: «Soukna Ameur billah», «Ya rahilin» de Abderahim al Borii, «Idou Iliya al-wissal» de Sid Abou Madyan, «Ya lailatin djaat bininchirah» de Abi Djamaâ Tilimsani, «Marhaban ahlan oua sahlan» de Daoudi Faroui, «ya taliban rahmati Allah» de Cheikh Ahmed Benyellés... Le lyrisme de certains «samaa» en prose dilectale rimée, l'élégance d'esprit de leurs producteurs donnent des lettres de noblesse à ce qu'on appelle la littérature populaire. Cette littérature fait partie de la spécificité profonde de la culture arabe dans notre pays. Il faut dire aussi que grâce à ces «madjama'a», les cercles, les masriyate, les associations... Tlemcen a résisté dans sa culture durant l'occupation coloniale. Le chemin est ainsi frayé aujourd'hui pour de nombreux chanteurs en quête de nouvelles productions artistiques. Il est à noter que les spécialistes dressent une frontière étanche entre le «medh» ou panégyrique et le «samaa» ou chant liturgique des zaouïa. Le corpus des chants «samaa» est, à Tlemcen, constitué de poésies des grands mystiques maghrébins, les «A'rifin» (savants qui ont la connaissance gnostique) ou «Salih» (serviteur parfait) tels Sidi Abou Madyan, Aboul Hacen Suchturi, Mahieddine Ibn Arabi et plus près de nous Ahmed Benyellés, Ahmed al-Alaoui Mostaghanemi, Kaddour Benachour Nédroumi, Mohamed Belhachimi... Nous noterons que les poètes fondateurs du haouzi, Saïd al-Mandasi, Ahmed Bentriqui dit Benzengli, Mohamed Benmsaib... ont versifié, eux aussi, dans la poésie d'inspiration mystique ou soufie dite «samaâ» nous laissant des chefs-d'oeuvres parmi lesquels nous citerons «Akikia» de Saïd al-Mandassi, «damaii sakib» et «niltou al-maram» de Ahmed Bentriqui, «hadjat bil fikr choauaki» de Mohamed Benmsaib... Dans cette différenciation ou classification, il y a surtout l'inspiration mystique qui définit les deux genres: «medh» et «samaâ». Dans l'expression de certains chants mystiques les «moussami'i» ou les «massamiate» vont très loin dans la recherche des belles mélodies avec des variantes. Les spécialistes reconnaîtront les airs puisés au répertoire des vieux chants andalous. C'est le cas des zaouïas de vieille citadinité qui ont subi l'influence du chant andalou de tradition séculaire dans cette cité, ancienne capitale maghrébine. La récitation du «samaa» est souvent alternée de «tahlilate» tout dépend du «moussami'i» et de son état d'âme ou «hal». Il était une fois où les «moussami'i» de différentes régions du pays et du Maghreb se regroupaient, une fois l'an, à Tlemcen à l'occasion du «moussem» de Sidi Abou Madyan, ce saint-savant considéré comme un pôle du soufisme maghrébin du 12e siècle. C'était là l'occasion de grandes joutes poétiques à caractère mystique en dehors des sermons et des grandes discussions sur le soufisme auxquelles donnaient lieu ces rencontres d'une culture cachée mais d'une spécificité profonde, restée vivante, et qui a besoin d'être explorée et réhabilitée . |