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Qu'il soit turc, maltais, égyptien, libanais, marocain ou tunisien, chaque cinéma développe ses problématiques particulières. Parmi les deux ou trois cents films produits dans le monde arabe ces dernières années, les bons films font cruellement défaut. La plupart, sans consistance, ne sont que des navets insignifiants qu'il faut s'empresser d'oublier. Avant de parler du plus ancien et du plus prolifique de ces cinémas, qui est bien entendu celui de l'Egypte, rendons hommage aux cinéastes palestiniens qui, dans des conditions particulièrement pénibles, pour ne pas dire très risquées, témoignent de la réalité sordide de leur quotidien. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce sont deux histoires d'amour sublimes, sur fond de guerre et d'oppression israélienne, qui ont marqué les esprits ces dernières années : «Intervention divine» d'Elia Suleiman (un mélange parfaitement réussi de style, de poésie et d'action dans une atmosphère surréalisante) et «Le Mariage de Rana» que Hani Abou-Assad aurait très bien pu intituler : «A la recherche de Khalil, le bien-aimé dans Jérusalem occupée» (1). Deux oeuvres magnifiques, éminemment politiques, et qui mettent du baume dans les coeurs. Signalons également, sur le même registre, «La Cueillette des olives», premier grand film de Hanna Elias, et sur le thème de la sensibilisation des enfants au 7ème art, «Un Billet pour Jérusalem» de Rashid Masharawi, un film sur l'attente, un sentiment palestinien par excellence. Masharawi, qui avait réalisé auparavant «Couvre-feu», «Longues journées à Gaza» et «La Saison de l'amour», vient de signer «Laila's Birthday», où le quotidien maussade d'un juge palestinien, devenu chauffeur de taxi, faute d'être payé par le gouvernement. Une comédie burlesque pour dire l'absurdité, à la manière d'un Buster Keaton, qui vient de remporter un prix au JCC (Carthage) et le prix de la ville d'Amiens au 28e FIFA. Côté documentaires, citons enfin «Décombres» de Abed El Salam Shehada, un film sur la destruction de Gaza par les chars israéliens, «La Chambre noire à Jérusalem» de Akram Safadi, sur l'occupation de la ville, «C'est pas une vie» de Alia Arasoghi et «Le Défi» de Nizar Hassan, sur la malvie du peuple palestinien. Le constat à faire sur cette cinématographie est que nous sommes loin des films «militants» des années 70 qui stimulaient le combat et aidaient à la mobilisation, mais qui en définitive ne prêchaient qu'aux convaincus. Pour mieux faire comprendre la résistance du peuple palestinien et faire passer leurs messages au niveau d'un large public, les cinéastes palestiniens d'aujourd'hui sont convaincus de la nécessité d'utiliser politiquement et avec subtilité le cinéma au lieu de faire des films dits politiques. Même préoccupation et même démarche stylistique chez les jeunes cinéastes libanais. Dans ce pays, la caméra a remplacé la kalachnikov. La guerre, qui a dévasté quinze années durant le pays, est demeurée très présente dans les esprits. La plupart des fictions et documentaires y puisent leurs scénarios. De Jocelyne Saab (années 80) et de Randa Chahal Sabbag (1999), nous avons gardé en mémoire deux beaux films: «Lettre de Beyrouth» de la première et «Civilisés» de la seconde. Avec Maroun Baghdadi «Beyrouth ô Beyrouth» (1975) et «Hors la vie» (1991), c'est toute la réalité libanaise qui se profile avec finesse et délicatesse, c'est l'histoire prise à contre-courant, avec les symboles qui sont renversés. Citons, enfin, Jean Chamoun avec son excellent «L'Ombre de la ville» (2000) ou l'histoire d'un garçon qui s'éveille à la guerre et Bohrane Alaouié dont on n'est pas près d'oublier «Kasf Kassem». La jeune génération commence à se manifester et à s'imposer avec Ziad Douéiri, Ghassan Sahlab et Danielle Arbid. Avec «Dans les champs de bataille», cette dernière, qui avait réalisé auparavant «Démolition» et «Seule avec la guerre», nous replongeons dans les absurdités de la guerre civile. Même préoccupations chez Michel Kammoun dans «Ombre» (1996) et chez Ghassan Salhab dans «Beyrouth fantôme» son premier long métrage et dans «Terra incognita» 2002. En dépit du nombre très restreint de films réalisés en Syrie, ce pays s'impose par la qualité de ses films. La production a démarré dès 1928 avec Ayyüb Badri. Plus tard, Mohamed Chamel et Ali Al-Arnault, qui peuvent être considérés comme les véritables pionniers, réalisèrent des films qui furent censurés. Sous mandat français, les obstacles dressés par l'administration coloniale bloquèrent toute velléité de création cinématographique. Il a fallu attendre l'indépendance pour un véritable départ. Aujourd'hui encore, les films syriens ne sont pas diffusés hors de leurs frontières. Seuls les festivals nous donnent l'occasion d'apprécier cette production et de faire la connaissance des auteurs. Parmi ces derniers, émergent nettement Marwan Haddad, Nabil Maleh et Omar Amiralay et plus récemment Samir Zikra «L'Incident du demi-mètre», Raymond Boutros «Quelque chose brûle», Abdelatif Abdelhamid «Les Nuits du Chacal», «Messages verbaux» et «Remontée de la pluie». Mentionnant enfin Mohamed Malass (2), qui a réalisé d'excellents films. Notons au passage «Les Rêves de la Cité» et surtout «La Nuit» où il raconte l'histoire de son père parti combattre aux côtés des Palestiniens. Le succès que connaît ce cinéma dans les grands festivals (3) ne doit pas cependant faire oublier la censure qui pèse sur la création artistique dans ce pays. De «La Chanson du coeur», premier film arabe parlant, réalisé par Mario Volpi et produit par les frères Bahna, à «Chaos», le dernier film de Youcef Chahine, en passant par «Hôtel Manouchian» et d'autres films encore, c'est tout le parcours du cinéma arabe sur un siècle qui est décrit. Si les films des années 70 se sont penchés sur l'oppression politique et ceux des années 80 sur l'irruption de nouvelles couches sociales, la production de la dernière décennie s'est focalisée sur le terrorisme islamique. Arme antiterroriste efficace dans un pays où plus de la moitié de la population est illettrée, le cinéma sensibilise plus le public que les autres médias. Sans oublier Salah Abou-Seif, Niazi Moustapha, Kamal Al-Cheikh, Ali Badakhane, Henri Barakat, Chadi Abdelsalam, il nous faut saluer Chahine (4), le plus talentueux des cinéastes, dont la renommée est internationale depuis «Gare centrale» et « Ciel d'enfer». Qu'il chante l'amour du pays dans «La Terre», qu'il use de la métaphore pour symboliser la liberté dans «Le Moineau», qu'il montre l'effort victorieux des hommes dans «Le Choix», écrit par Naguib Mahfouz, qu'il pointe l'intégrisme islamiste dans «L'Emigré» (1995) ou qu'il sorte de l'obscurité médiévale Averroès le philosophe, dans «Le Destin» (1997), Youcef Chahine, couronné au Festival de Canne, a constitué à travers son oeuvre un patrimoine artistique inestimable pour l'humanité. Ces films - sur la guerre, sur la défaite, sur la fatalité de l'échec, sur la misère sous toutes ses formes, sur le système policier, sur les blocages culturels - sont une réussite, parce que l'auteur a su mettre l'artifice de l'art au service des «vérités voilées par les chimères du réel». On aurait souhaité des plus importants studios du monde arabe (270 millions d'habitants) des films sur Al Khawarizmi le savant, Ibn Khaldoun l'historien, Al Farabi, le mathématicien, Al Farazi, le physicien, Al Makdisi, l'astronome, Al Abbadi, le chimiste, Ibn Sina, le philosophe... Encore faut-il une imagination fertile, un esprit créateur, et surtout une liberté d'expression et des moyens appropriés. Ce qui fait cruellement défaut dans cette contrée. L'exemple cinématographique maghrébin est à cet égard le plus frappant. Mal connu, pour ne pas dire méconnu sur son propre territoire, le cinéma a perdu sa capacité à alimenter les débats collectifs. Balbutiantes, fragiles, en comparaison à celles des voisins du Nord, les structures cinématographiques ne brillent guère par leurs productions. Notes: 1) «Intervention divine» a été programmé par Arte le 11/10/2004. «Le Mariage de Rana» a remporté l'Antigone d'Or, le prix de la critique et le prix du public au 24 Festival du Cinéma méditerranéen de Montpellier. 2) Mohamed Malass vient de présider le jury du 20ème Festival de Carthage. 3) Aux prestigieux Festivals du Caire, de Damas et de Carthage, s'est ajoutée une Biennale consacrée spécialement aux cinémas arabes qui se tenait à l'Institut du monde arabe à Paris. Depuis deux années, elle a été suspendue. 4) La cinémathèque d'Oran rend, cette semaine, un vibrant hommage au plus prolifique des cinéastes arabes, qui vient de tirer sa révérence. |