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«Si vous manquez de poudre, nous vous en enverrons; si vous n’avez plus de pain, nous partagerons le nôtre avec vous, mais tant qu’un de nous sera vivant, vous n’entrerez pas dans Constantine.»Hadj-Ahmed Bey
L’expédition de Constantine 1837 est décidée par Louis Philippe 1° et le chef de son gouvernement le Comte Molé à l’été 1837. Comme Charles X en 1830, avec l’expédition d’Alger, le roi des français cherche à redorer le blason de son armée en vengeant l’expédition de Constantine de 1836. Après avoir fait aboutir un compromis par le traité de la Tafna du 30 mai 1937 avec l’Emir Abdelkader et le général Bugeaud puis pacifié les provinces de l’Ouest, le gouvernement Molé voulait mettre fin à tout prix à la gouvernance d’Ahmed Bey. Tous les militaires illustres, «la fine fleur» de l’armée française, une des plus fortes d’Europe, se donnent rendez-vous pour prendre part à la revanche, guidés et mus par un instinct de vengeance : les deux fils du roi, le Duc d’Orléans et le Duc de Nemours, le général Valée et à leur tête le général Damrémont. Tous les corps militaires de France étaient présents et dotés de 600 voitures, et 3000 chevaux et mulets. L’armée comptait un effectif de 11 000 hommes environ dont 7 500 combattants. Des officiers de tous les corps de France étaient venus grossir les Etats Majors. Comme officiers d’ordonnance, des officiers de toutes les nations d’Europe avaient sollicité et obtenu la faveur de suivre cette expédition. Enfin, pour imiter l’expédition d’Egypte, une commission scientifique, composé de naturalistes, littérateurs(1), artistes peintre (2), archéologues, devaient accompagner l’armée en marche sur Constantine. Ahmed Bey, après le traité de la Tafna, renforça tout le pourtour de la muraille qui protège la ville de Constantine, la face Ouest et surtout les abords du pont d’El Kantara. De nouveaux créneaux étaient percés dans les remparts sur plusieurs étages en divers points. Il fit appel aux chefs de tribus et à tous les dignitaires pour renforcer son armée et notamment sa cavalerie et ses fantassins. Toutes les tribus contribuèrent à renforcer les rangs, même les tribus les plus redoutés : la tribu Ouled Abdenour qui mit au service du Bey ses vaillants guerriers, les Segnias fournissent cavaliers, chevaux, chameaux, bêtes de somme, l les Hannechas, les Haractas, accoururent eux-aussi, les tribus des Aurès, du Sahel, de Skikda, de Jijel et de Collo, enfin les tribus du Beylek de l’Est était là. Appuyé par ce renfort et sans attendre, le Bey lança l’assaut sur le poste opérationnel de Medjez Amar. L’attaque durera 3 jours du 23 au 26 septembre 1837. La marche sur Constantine L’armée française se réunit dans le camp de Medjez Amar établi sur les bords de la Seybouse, en avant de Guelma, à moitié chemin de Annaba à Constantine. Placée sous les ordres du général Damrémont, gouverneur général, avait pour chef d’Etat Major le Maréchal de camp Perrégaux. La 1° brigade, celle d’avant-garde était commandé par le Duc de Nemours, les 2° 3° et 4° étaient sous les ordres de Trézel et Rulhières ; le général Valée commandait l’artillerie et le général Rohault de Fleury, le génie. Le départ de Annaba des brigades françaises a été fixé le 1° octobre 1837 à 7 heures. Ils se groupèrent à Ras-El –Akba. Le 2 octobre, ils prenaient la direction d’Oued-Zenati. Ils sont attaqués le soir même par les troupes d’Ahmed Bey qui les suivaient. Le 3 octobre, ils campèrent à Ain-Regada. Le lendemain ils levèrent le bivouac. De nombreux incendies de meules de paille et de douars allumés par les algériens dans le dessein de détruire les ressources dont peut s’emparer l’ennemi. Ils campèrent ensuite près de Bordj- Mehris (Ain-Abid). Le 5 octobre, les français arrivèrent à la Soumaâ du Kroubs. Ils tombèrent dans une embuscade lors du passage d’Oued-Hamimime. L’engagement fut farouche et se termina avant la nuit. Ils dressèrent ensuite leur bivouac à El-Méridj. L’arrivée devant Constantine Le 6 octobre, l’expédition coloniale arrivait devant Constantine. Les convois se placent sur le versant du plateau du Mansourah. Dès leur arrivée, la ville leur lança une quantité de bombes fort bien dirigées. Les assiégés se ruèrent sur l’arrière-garde des envahisseurs avec fureur. C’est une nuée de cavaliers qui s’acharne sur eux tandis que la ville redoublait le feu de ses canons. La brigade Rulhières passa le Rhumel pour aller occuper le Koudiat-Aty qui avait été choisi comme zone d’attaque. Le combat dura néanmoins jusqu’à la nuit pour reprendre le lendemain à la pointe du jour. Les cavaliers algériens foncèrent sur le plateau du Mansourah et ne lâchèrent prise. Ils continuèrent à harceler l’ennemi par des fusillades incessantes. Leurs attaques se renouvellent sur les arrières du Mansourah et sur le Koudiat-Aty. Ils revenaient avec un acharnement sans exemple se jeter sur les lignes ennemies. La ville envoyait sans cesse sur les sites précités des bombes dont les éclats causaient des pertes. Le général De Damrémont avait fait sommer la Place de se rendre. Il envoya un jeune soldat du bataillon porter ses conditions. Ce jeune brave arriva sous les murs de la ville à travers une grêle de balles et se fit hisser par-dessus les remparts, ses propositions à la main. La nuit se passa à attendre et, par un hasard heureux, l’envoyé du gouverneur revint sain et sauf de sa mission, mais n’apporta aucune réponse. Elle arriva le lendemain seulement ; elle était ainsi conçue : «Si vous manquez de poudre, nous vous en enverrons ; si vous n’avez plus de pain, nous partagerons le nôtre avec vous ; mais tant qu’un de nous sera vivant, vous n’entrerez pas dans Constantine.» Cette réponse tomba comme la foudre sur la tête du commandement en chef Damrémont et de son chef d’Etat-major, le général Perrégaux qui décidèrent d’attaquer la ville avec diligence, sinon la défaite serait pire que celle de 1836, elle serait fatale. Ils donnèrent l’ordre au général Vallée, chargé des batteries du Coudiat Aty d’agir de ce côté. Toutes les positions ennemies multiplièrent leurs tirs sans relâche sur les points stratégiques de la ville. Les constantinois, à leur tour et sans répit n’arrêtèrent guère leurs assauts fructueux qui se soldèrent par la mort du gouverneur général, commandant en chef Damrémont tué en même temps que son chef d’Etat Major, le général Perrégaux. L’assaut de la ville La journée du 12 octobre était marquée par un bombardement intensif qui parvint à faire une brèche dans la muraille. L’armée qui vient de perdre son chef, menacée de manquer de vivres et de munitions, se lança à corps perdu dans la bataille. Toute la journée, les bombes, les obus se succédaient sans intervalle. La brèche grandissait à vue d’œil. L’artillerie des assiégés répondait coup sur coup. L’équipement de guerre français n’ébranla ni la ténacité ni l’obstination des guerriers algériens décidés plus que jamais, devant le déferlement des troupes coloniales, de lutter jusqu’au dernier souffle. Le 13 octobre, c’était un vendredi. Le général Fleury déclara : «Mauvais présage !» En arrivant sur la brèche, au lieu de pouvoir pénétrer dans la ville, comme on le croyait, la première colonne est arrêtée par un 2° mur d’enceinte. C’est un mur de feu que l’on a devant soi. Les français entrés dans la ville sont arrêtés par une mitraille infernale. Les assiégés, beaucoup plus nombreux, s’élancent de toute part sur les envahisseurs que la mitraille a surpris et arrêtés. Lamoricière suivi d’un renfort, arrive pour voir les constantinois poussant ses soldats l’épée dans les reins tombant les uns sur les autres, pèle- mêle avec les officiers, enfin un désordre épouvantable. Toutes les forces de Lamoricière se concentrèrent sur Bab-El-Djabia. Au moment où un des battants de la porte céda, les habitants exécutèrent l’ordre de leur chef en mettant le feu aux explosifs qui couchèrent bon nombre de soldats ennemis après une énorme explosion. Les français qui ont conservé leurs membres et qui ont pu sortir des décombres fuient vers la batterie et descendant la brèche en criant : «Sauvez-vous mes amis, nous sommes perdus, tout est miné, n’avancez pas, sauvez-vous !» Environ 300 zouaves furent mis hors de combat. Lamoricière fut lui-même grièvement blessé et presque aveugle. Le capitaine Saint Arnaud raconte : «Quand je vois ces figures brûlées, ces têtes sans cheveux, sans poils dégoutantes de sang, ces vêtements en lambeaux, tombant avec les chairs, quand j’entends ces cris lamentables, je vois ces fuyards entraîner toute la 2° colonne qui encombrait la brèche, des hommes tombant dans cette mare de boue et de sang, quel carnage ! On donnait la mort ou on la recevait avec cette rage du désespoir. Les assiégés cherchaient peu à se sauver et ceux qui se retiraient, profitaient de tous les accidents de mur pour faire feu sur nous... J’ai vu là bien des morts que me rappelaient la bataille d’Austerlitz.» Le lieutenant colonel Lamoricière succomba à ses blessures, suivi du colonel Combe qui reçut deux coups de feu. Les algériens abandonnèrent la porte et le combat devint plus opiniâtre. Sidérés par la perte inattendue de leur commandant en chef, furieux, déchaînés et aveugles, les français pénétrèrent dans la ville grâce à la 5° colonne mettant à feu et à sang la ville. Ils n’épargnèrent aucune personne trouvée sur leur chemin. Ceux qui échappèrent à ce funeste carnage, aux cruautés et aux horreurs de l’expédition française avaient tenté, par les ravins impraticables une fuite impossible. La terreur, précipitant leurs pas, les avait rendus encore plus incertains, et bien des femmes, bien des enfants avaient péri de cette horrible manière. Un spectacle affreux : environ 200 femmes et enfants gisaient brisés sur les rochers. Le précipice resta le seul exécutoire pour échapper aux cruautés et horreurs des troupes coloniales. L’assaut se transforma en une bataille farouche dans les rues, guerriers femmes et enfants y furent impliqués. Quelle scène ! quel carnage ! Quel spectacle ! racontait un témoin, le docteur de l’expédition française Sédillot: «s’offrait à nos yeux plusieurs rangs de cadavres superposés dans la boue et les décombres… Les blessures béantes montraient qu’elles étaient faites à bout portant et dans des luttes corps à corps». Les canonniers algériens furent tués sur leurs pièces après s’être défendus avec rage. Chaque habitant concourait à la défense des remparts. Des kabyles, des mozabites, des femmes furent tués les armes à la main. Des juifs qui aidaient les canonniers périrent près des batteries. «La résistance farouche des constantinois fut aussi glorieuse que l’attaque !» racontait Saint Arnaud dans ses lettres. Puis se succédèrent des actes de vandalisme et de barbarie qui se multiplièrent. Les assaillants se mirent à piller nourriture, habits (burnous), tapis, couvertures, argent pris dans les coffres… Le pillage exercé d’abord par les soldats, s’étendit ensuite aux officiers. Dans toutes les maisons, le pillage était facile .Il s’est trouvé, comme toujours, que la part la plus riche et la plus abondante était échue à la tête de l’armée et aux officiers. Ces scènes durèrent 3 jours. L’infanterie était gorgée de butin. Nous trouvâmes dans la ville une grande quantité de blé, d’orge, de paille, de viande et depuis le 13 octobre nous vivions dans une sorte d’abondance. Le soir, un messager remit au général Rulhière, nouveau commandant de la place, une lettre dans laquelle les autorités de la ville faisaient acte de soumission. Le Bey Hadj Ahmed qui crut jusqu’à la dernière minute que la ville allait tenir bon, dut se rendre à l’évidence que la bataille était perdue. «De grosses larmes lui perlèrent aux joues», racontait un témoin. Il réussit à sortir de la ville à cheval suivi de Bengana et de quelques partisans fidèles. Il demeura fidèle, dévoué à la défense du pays puisqu’il préférera se déplacer entre les Aurès et le Sahara, incitant les tribus à la résistance jusqu’à ce que ses capacités physiques le trahissent et qu’il se rende le 5 juin 1848 ; il fut assigné à la résidence surveillée à Alger jusqu’à sa mort le 30.8.1851. Il avait 65 ans. Selon ses désirs, il fut inhumé au mausolée de Sidi- Abderrahmane « el-Thaalibi» à Alger. Quant à son vaillant colonel Ben –Aissa, dont le courage à défendre la ville aurait cependant mérité un meilleur sort, parvint lui aussi à quitter la ville, blessé, accompagné de son fils qui a combattu à ses côtés durant tout le siège de la ville. Ce début de la colonisation française fut une guerre de génocide suivie par l’expropriation des terres et l’application du Sénatus-consulte de 1863, puis par la loi Varnier de 1874, l’extradition et la déportation massive des membres influents des tribus vers des destinations inconnues , lointaines telle la Nouvelle-Calédonie et la Guyane pour étouffer les voix des insurgés. Ce qui n’a pas empêché à Fatma-N’Soumer (1854), à Ouled-Sidi-Cheich (1863), à El-Mokrani (1871), à Bouamama (1881-1908)… de mener des insurrections héroïques à la tête de milliers de révoltés algériens contre la colonisation française. -(1) les auteurs du ministère de la guerre :Charles Férauld- docteur Baudens -(2) Les peintres : les campanes de Constantine ont été faites d’après les esquisses des capitaines Genêt et Pajol . Leur production comprend 44 peintures à l’huile et aquarelles. Références bibliographiques -St - Arnaud, lettres (1832-1854) -Ernest Mercier: les 2 sièges de Constantine -E. Vallée: Le centenaire de Constantine -Mécheri Hadj Aissa Leila: Expéditions et résistance du constantinois |