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Le laboratoire
?Gouvernance publique &Economie sociale' GPES (Université de Tlemcen) vient
d'organiser, le 14 de ce mois de décembre une journée d'étude sur «La
problématique de l'efficience de la politique nationale des salaires en Algérie
», à la Faculté des sciences économiques et de gestion de l'Université de
Tlemcen.
Initialement, cette journée d'étude devait être organisée conjointement avec le CREAD avec lequel nous achevons un projet de recherche sur « les inégalités salariales en Algérie » auquel nous avons adressé l'argumentaire qu'il pouvait améliorer, revoir ou ajouter des axes d'intervention. Nous leur avons même laissé le soin de choisir une date, compte tenu des nombreux engagements du Centre. Malheureusement nous n'avons obtenu aucune réponse. Devant le silence du CREAD, nous avons tenu (l'équipe de recherche) à organiser cette journée d'étude au sein du GPES où nous sommes affiliés en tant que chercheurs associés. Le GPES, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un laboratoire, créé en 2013, auprès de la Faculté des Sciences économiqueset de gestion de l'Université de Tlemcen, par le Pr. Ahmed Touil. Il regroupe un ensemble d'enseignants ? chercheurs et de doctorants, jeunes et moins jeunes mais aussi des professeurs en retraite comme c'est le cas du Professeur Boutaleb Kouider et de Beddi Nasreddine, dans le but de construire un groupe de recherche éclaté en plusieurs équipes, capable de penser et interpréter les réalités sociales, en Algérie et au-delà, et contribuer à nourrir les réflexions sur les questions qui relèvent de la gouvernance publique et de l'économie sociale. Malheureusement, il faut le dire, cette journée d'étude n'a pas connu une grande affluence, notamment l'absence des enseignants de la faculté (à l'exception de quelques un(es) et sans doute surtout des doctorants, même le Doyen et le jeune directeur actuel du Laboratoire n'ont pas fait acte de présence, pour des raisons que nous ignorons. Néanmoins, de bonnes communications ont été présentées et un débat fort animé a été ouvert avant la clôture de cette journée d'étude. C'est l'auteur de ces lignes qui a été le premier intervenant, (auteur du livre : « La politiques des salaires, fondements théoriques et expérience empirique du cas de l'Algérie ». OPU, Alger, 2013), en commençant par souligner que les salaires sont au cœur du monde du travail. Le niveau de vie et les moyens de subsistance des salariés et des familles dépendent du niveau des salaires. C'est dire l'importance de la problématique salariale. L'emploi par son aspect revenu et le salaire par son aspect pouvoir d'achat ont toujours préoccupé les théoriciens autant que les gouvernements. Les enjeux des politiques des salaires sont quasiment partout extrêmement importants. - Au plan politique, l'enjeu se situe au niveau de l'assurance de la nécessaire stabilité socio politique du pays conditionnée par la conciliation des exigences de l'économie de marché, en termes de productivité et de profit et les impératifs de redistribution équitable du revenu national (sauvegarde et amélioration du pouvoir d'achat des salariés), - Au plan économique, l'enjeu réside dans la résolution de l'équation chômage / inflation où le niveau des salaires constitue une variable importante pour l'équilibre macro-économique (problème de déséquilibre inflationniste, problème d'efficience économique) - Au plan social, l'enjeu est d'éviter une fracture sociale lié à l'amplification du phénomène de pauvreté (Problèmed'équité.) Il n'existe certainement pas de solutions faciles et d'approches singulières aux problèmes soulevés par la politique des salaires. Nombreux sont les facteurs déterminant le niveau de salaire dans un pays à un moment donné. Certains de ces facteurs sont objectifs et quantifiables, comme le coût de la vie, le niveau général des prix, le niveau général des salaires, la capacité de payement des entreprises, la classification des emplois, la part du revenu prélevé par le fisc, la situation économique générale (déficit budgétaire), d'autres facteurs plus spécifiques comme le niveau de vie recherché par les travailleurs, ou encore le pouvoir de négociation des travailleurs organisés en syndicats ou en associations. Dans la plupart des pays, l'Etat fixe non seulement les salaires de la Fonction publique mais il détermine de plus le salaire minimum interprofessionnel garantie (SMIG) qui assure à tout salarié travaillant à temps complet une rémunération au moins égale à son montant et prévoit un mécanisme d'indexation sur le prix à la consommation afin que le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes ne s'amenuise pas sous l'effet de l'inflation. L'Algérie ne fait certainement pas exception, sauf que l'application de telles dispositions ne semble pas opérante, dans la mesure où nombreux sont les problèmes relatifs à l'indexation dont les critères d'appréciation, au-delà des négociations, ne semblent guère être partagés et reconnus par tous les partenaires concernés (Etat, Employeurs et Syndicats). Que faire, toutefois, pour rendre plus efficiente la politique salariale du pays ? Il n'existe certainement pas de système idéal, ni en théorie, ni en pratique, chaque pays tente de répondre à cette problématique en respectant d'abord les principes de base sus-mentionnés fondant un optimum consensuel, ou pour une situation donnée, dans une période donnée et des conditions sociales données, il existe un système plus efficace que les autres, même en tenant compte du crédo de toute politique salariale à savoir : tenir compte de l'amélioration réelle du niveau de productivité, des performances de l'économie nationale et de l'évolution du coût de la vie. Il est, en effet, suffisamment admis que les hausses de salaire ont un caractère inflationniste dès lors qu'elles excèdent les gains de productivité d'une part ; elles ont tendance à se détruire elles-mêmes par l'effet dépressif qu'elles exercent sur l'emploi d'autre part, car les entreprises, l'économie nationale, ne peuvent supporter indéfiniment une forte divergence entre les progrès de la productivité et ceux des coûts salariaux, à moins de répercuter ces derniers dans leurs prix de vente; mais alors, c'est le «retour à la case de départ», en sachant que ce sont les titulaires de revenus fixes (les plus pauvres notamment) qui souffrent le plus du phénomène inflationniste. L'économie a ses lois... Si on augmente le pouvoir d'achat d'un côté (ce qui est légitime) il faudrait par ailleurs avoir prévu ou pouvoir réaliser une augmentation des biens et services produits localement, fortement demandés par les ménages, sinon, c'est par l'importation que se réalisera l'équilibre et le problème demeurera, car non seulement il faut financer ce surplus de monnaie injecté par voie d'augmentation des salaire en monnaie nationale (emprunts ou carrément création de monnaie, ce qui est cause d'inflation avec son cortège de conséquences nocives qui reposera le problème d'augmentation salariale de manière récurrente) mais aussi l'importation de biens et services (financement en devises, ce qui ne fera que rogner sur le solde en devises du pays). Ce fut ensuite le Professeur Ahmed Touil, (un des meilleurs conférenciers qu'a connus la faculté des Sciences économiques de Tlemcen) , qui présenta une communication sur la « problématique des égalités salariales au niveau des entreprises » qu'il présenta comme une interrogation sur le principe « à formation égale et à travail égal, salaire égal » et son application que ce soit dans le cadre de la problématique genre ou celui d'ordre général à savoir intra et inter branches et secteurs économiques d'une part et par-delà sur les perspectives du salariat ou du moins sur la proportion des salariés dans la population active d'autre part. En s'appuyant sur une documentation récente l'auteur arrive à constater que les études effectuées sur le sujet que les salaires n'évoluent pas selon les seules considérations et variables économiques tels que le niveau de la productivité marginale du travail, ou le niveau de formation reçue, mais le sont en fonction d'autres appréhensions politiques, sociales, culturelles,? dans la continuité de la théorie du «job research». Sinon, fondamentalement les inégalités salariales ne sont que les conséquences de la nature des sociétés ?lesquelles sont par définition inégalitaires (théorie de Rawls), des inégalités d'opportunité qui s'offrent aux individus et par extension de démocratie (théorie d'A.Sen) ou de la contradiction entre capital et travail (théorie de T. Piketty). Mais la plus intéressante approche, selon le professeur Ahmed Touil, est celle puisée dans la philosophie de Saint Thomas d'Aquin, à partir de sa conception du juste prix. En conséquence de quoi un juste salaire, ou a contrario le fondement des inégalités salariales sont à la fois d'ordre politique et donc relèveraient de la justice distributive (en respect de la hiérarchie et de la cohésion sociale) et d'ordre marchand - en fonction de l'entente entre offreur et demandeur, sans vice de forme sur l'objet de l'échange- et relèveraient en ce cas de la justice commutative. Ajoutant à ces approches celle d'A. Smith pour qui les salaires dépendent de la générosité de l'employeur qui peut, le cas échéant, attribuer un subside au-delà à de ce qui est « naturellement » concédé comme salaire au travailleur. In fine pour le Pr Ahmed Touil, au-delà de l'approche hédoniste qui met en exergue le risque encouru par le travailleur et par conséquent un salaire fonction du risque, l'existence des inégalités salariales (à travail égal, formation égale,...) sont dues au comportement propre de chaque entreprise à l'égard de ses travailleurs, comportement déterminé par : - le sentier technologique et la position de l'entreprise dans la branche économique à laquelle elle appartient ; - les effets d'agglomération des entreprises et la nature du capital technique (moderne, ultra moderne,..) -le pouvoir de négociation des syndicats puisque les salaires relèvent des conventions collectives de branches ou de secteurs économiques. - du cycle économique, - du dualisme des marchés de travail (théorie de Doering et Pior). Troisième intervenant, Mohammed Boutouba, Maitre de conférence exerçant à l'Université de Ain-Temouchent, qui fut la cheville ouvrière dans l'organisation et la réussite de cette journée d'étude, s'est intéressé, quant à lui, à l'estimation des écarts salariaux, durant la période 2000/2019, qui caractérisent les différents secteurs économiques à partir des données relatives à l'économie algérienne et notamment des données ONS obtenues par enquêtes auprès des entreprises économiques. En usant d'une méthode économétrique, appliquant le coefficient de Pearson notamment, il est allé disséquer les secteurs non seulement sous leur aspect juridique, privé et public, mais sous leur aspect activités économiques telles que « nomenclaturées » par l'ONS. A cet effet, les calculs matriciels, par croisement des données de manière transversale, lui font retenir 11 activités économiques pour le secteur public et 09 activités économiques pour le secteur privé. A partir de là il arrive à déterminer l'ampleur de l'écart entre les activités économiques qui sont de long terme pour le secteur public et de court terme pour le secteur privé. Tout comme il a également insisté sur l'importance des effectifs de main-d'œuvre et la valeur ajoutée par travailleur dans la détermination de la grandeur de l'écart entre les activités de chaque secteur. A l'échelle macro-économique donc les inégalités salariales entre travailleurs de même niveau de formation sont typiquement flagrantes. En outre lorsque le salaire dans une activité donnée augmente dans une proportion déterminée automatiquement cette augmentation est répercutée sur le salaire des autres activités mais avec des amplitudes significativement différentes. - Kara TERKI Assia, dont l'intervention a consisté en un questionnement sur les inégalités salariales en Algérie et en particulier dans le secteur de la Santé (domaine d'étude dont elle s'est spécialisée), ce qui expliquerait entre autres la fuite des médecins algériens à l'étranger et donc quels seraient les déterminants et variables balisant le champ de la confection de la politique salariale qui aurait pour but de freiner ce phénomène d'émigration de nos cadres vers l'étranger. C'est dire de l'importance de la rétribution non seulement en fonction du principe à travail égal salaire égal mais en fonction aussi et surtout d'un salaire « décent » pour reprendre les notions de l'OIT élaboré dans le cadre du travail décent, non seulement un salaire qui permet de vivre dignement mais aussi un salaire qui permet de garder la tête à hauteur de sa/son collègue de même formation mais qui elle/lui bénéficie d'opportunité marchande ou politique beaucoup plus propice. Une approche qui peut à défaut d'annihiler les inégalités, du moins les réduire. - Ghardaine Houssem a présenté une étude visant à déterminer l'ampleur de la disparité de la répartition des revenus entre les différents segments de la société algérienne, ainsi qu'à identifier comment les pouvoirs publics algériens traitent la question de la disparité des revenus, à travers une étude, une analyse et une mesure de l'impact des politiques de redistribution des revenus appliquées en Algérie. Il est parvenu à la conclusion que les politiques de redistribution des revenus en Algérie sont inefficaces et qui favorisent les riches au détriment des pauvres. - Radia Bouchaoura a présenté une analyse du relèvement des salaires des fonctionnaires décidé en 2021, à travers le relèvement du point indiciaire et la baisse de l'IRG, ce qui a pour conséquence une augmentation généralisée des salaires même si elle est inégalement perçue. Elle s'est interrogée sur l'ambiguïté entourant la source des ressources financières qui couvriront ces augmentations, surtout au vu de la situation économique de l'Algérie et de son déficit budgétaire attendu, estimé a plus de 25 milliards de dollars, sans compter la baisse des recettes fiscales directes due à la baisse de l'impôt sur le revenu. Boumediene Mohamed et Boumediene El Hussein, de l'Université de Tlemcen ont présenté, pour leur part, une communication fort intéressante où ils ont ont tenté de clarifier les paramètres d'une fiscalité équitable dans le contexte du système économique et politique en Algérie. Pour ce faire, les intervenants ont commencé par présenter les concepts théoriques et les composantes de la justice fiscale, et les moyens de la mettre en œuvre avant de traiter la place de l'équité dans la pratique fiscale algérienne à travers l'impôt sur le revenu brut des salaires et traitements. Sur une argumentation chiffrée les auteurs démontrent que des efforts sont encore nécessaires principalement dans la mesure où « l'enfoncement » fiscal (versus recettes fiscales) incombe pratiquement aux seuls traitements et salaires. Khaldoun Youcef et Bouazza Abid Imene, deux jeunes doctorants de l'Université d'Ain-Temouchent ont ensuite abordé l'évolution des salaires et du pouvoir d'achat sur la période 2000/2020 en Algérie. L'analyse cerne typiquement l'évolution du Smig parallèlement à celle de l'indice des prix à la consommation. Sur cette base les auteurs constatent que toutes les politiques salariales initiées jusqu'à présent par les pouvoirs publics n'ont donné de résultats tangibles et que les salaires de la majorité des travailleurs ne se juxtaposent pas avec un pouvoir d'achat «décent» qui leur permet de satisfaire leurs besoins économiques élémentaires. Nasreddine Hammouda, sans doute le plus qualifié sur l'échiquier national pour parler des Statistiques du monde du travail, qui a participé, via le Net, à partir d'Alger, a axé son intervention sur la problématique des Statistiques du monde du travail et de leur fiabilité. Il a affirmé, en sa qualité d'expert, dont les compétences sont internationalement reconnues que: 1/ Parmi les statistiques les plus anciennes en dehors des recensements, on retrouve une enquête semestrielle sur les salaires (mensuels et horaires) par zones que réalisaient les services du Plan. Ce qui prouve l'intérêt des pouvoirs publics de l'époque à la question des salaires. 2/ Que l'ONS ayant été créée à la fin de l'année 1982 et dès 1983 on lui avait demandé de réfléchir à monter un indice des salaires. Le Pr Hammouda a ainsi publié une note méthodologique sur le sujet dans la revue ?STATISTIQUES' que publiait l'ONS, en ayant fait une série de réunions avec la direction générale des Salaires du ministère du Travail et des Affaires sociales. 3/ A partir des années 90 l'enquête emploi-salaires va supprimer le volet salaire car l'ONS voulait négocier avec la CNAS l'exploitation des déclarations annuelles des salaires jugées moins coûteuses, plus fiables et plus exhaustives. Nasreddine Hammouda a conclu son intervention en estimant que l'accès à la base de données « anonymisées » de la CNAS permettrait aux chercheurs de mieux appréhender la question de la distribution des salaires et leur évolution dans le secteur formel. Le dernier intervenant fut notre collègue, le Pr Beddi Nasreddine, qui bien que malade (Rabi yechfih) a fait le déplacement pour participer à cette journée d'étude. Et comme d'habitude, le Pr Beddi a tenu à réaffirmer ses principes qui souvent sortent des stéréotypes connus. Adepte d'une authentique économie libérale, il a réaffirmé qu'en matière de salaire, l'efficience ne peut être atteinte que par les lois économiques qui gouvernent le marché du travail. Nous ne pouvons terminer, sans évoquer Achour Tani Yemna, chef d'équipe de recherche au sein du Labo GPES, qui a brillamment résumé, clairement et de façon très synthétique, toutes les interventions, les unes après les autres, ainsi que la présence de nos collègues, les Prs Lemrini- Mekkioui Soumia, Chaib Baghdad qui a tenu à faire acte de présence malgré son emploi du temps chargé, et Bensahla qui ont pris la parole pour marquer leur point de vue sur l'importance que revêt la quête d'efficience de la politique des salaires en Algérie. Ce qui ressort en définitive des communications qui furent présentées ainsi que du débat qui s'en est suivi c'est la mise en exergue de la complexité de l'efficience salariale en Algérie, qui ne relève pas, présentement, de la sphère économique, autrement dit répondant au souci de l'emploi (si les salaires s'ajustent par rapport à l'offre et la demande d'emploi, le marché du travail s'équilibre, absence de chômage involontaire, conformément aux thèses libérales, or le chômage involontaire notamment chez les jeunes est très élevé), de la productivité du travail (la productivité du travail selon des études parcellaires est quasiment stagnante, en moyenne) de l'équité (les inégalités salariales s'amplifient). Et pour clore ce compte-rendu très synthétique, cette journée d'étude fut une réussite selon l'avis partagé de tous les participants qui sont à féliciter pour leurs remarquables contributions *Chercheur associé CREAD - GPES |