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Dans un communiqué rendu
public le 7 décembre, le ministère de la Culture a annoncé l'annulation de la
présentation en avant-première, du film de «La dernière reine» coréalisé par
Damien Ounouri et Adila Bendimerad et qui devait avoir lieu le 10 décembre à la
salle Ibn Zeydoun, car il n'avait pas encore reçu de
visa de diffusion.
Le film qui a reçu des éloges dans la pesse spécialisée française avait été, notamment, financé par le fonds du ministère de la Culture, le FDATIC. La question qui se pose est de savoir comment un film qui est bâti sur un mythe colonial et qui essaie de travestir l'histoire puisse bénéficier d'une aide publique en période de crise ? Radio France internationale parle en effet « d'épopée algérienne »1, le site Algérie 360 qualifie Arroudj Barberousse qui a libéré Jijel, a perdu son bras dans une tentative de libération de Bejaia et qui est tombé au champ d'honneur en répondant à l'appel de détresse des habitants de Tlemcen de « l'infâme pirate Barberousse »2. Le même site donne ensuite la parole à Damien Ounouri qui nous apprend des faits qu'aucun historien n'a rapportés, à propos de son film : « Il se déroule à un moment historique de l'histoire d'Alger où tout a basculé lorsque la domination berbère a été écrasée et remplacée par l'empire ottoman ».2 Le film s'appuie sur un mythe fabriqué par un officier hollandais : Dans une interview au journal ?Horizons' Adila Bendimerad préfère laisser planer le doute : « le point de vue de la reine Zaphira est contesté par certains historiens et soutenu par d'autres. Est-ce une légende ou une réalité ? La comédienne maintient le suspense et met la question en suspens.» (Horizons du 5/9/2022) Zaphira est une des femmes de Salim Toumi, elle n'est pas reine car elle n'est pas sa seule femme et lui-même n'est pas roi mais un simple cheikh, chef d'une tribu. Elle est algérienne et arabe probablement de la tribu des Thaâliba, son mari est le chef de la tribu des Thaâliba qui habitait Alger au moment de la prise du Penon par les Espagnols. De Tassy, un officier de la marine hollandaise, dans son histoire du Royaume d'Alger en a fait un roman d'horreur pour discréditer Arroudj qui avait libéré Jijel et qui venait de perdre un bras en se battant pour libérer Bejaia. Il est le seul auteur à raconter cette histoire, qui a ensuite été reprise et amplifiée par les auteurs coloniaux pour devenir un véritable mythe. L'auteur avance d'abord la thèse du coup d'Etat, Arroudj s'appropriant la ville d'Alger : « Selim Eutemi ne fut pas longtemps à s'apercevoir de la faute qu'il avait faite, d'appeler au secours d'Alger, le fier Barberousse qui ne faisait aucun cas de lui, et ne prenait jamais son avis. Les habitants traités avec autant de hauteur et de tyrannie par la soldatesque, reconnurent aussi le dessein du pirate, et le publièrent ouvertement. Barberousse se voyant découvert ne garda plus de mesures, et s'abandonnant à son naturel violent, il résolut d'ôter la vie au prince Selim, de se faire proclamer roi par ses troupes, et reconnaître, de gré ou de force, par les habitants. » (De Tassy Laugier, Histoire du Royaume d'Alger, 1725, p. 11) Dans un second temps, c'est Zaphira la femme de Sélim qui lui fait perdre la tête et l'amène à commettre son forfait : « Le pirate ayant été d'abord vivement touché de la beauté et du mérite de la princesse Zaphira, se servit inutilement de toutes sortes de voies de douceur pour se rendre maître de son cœur. Le mépris avec lequel Barberousse en fut reçu, alluma toute sa rage, et lui fit prendre la résolution d'acquérir Zaphira par un crime, dont son ambition avait commencé de lui inspirer. Il se flattait d'épouser la princesse dès qu'elle serait veuve, et qu'il serait souverain du pays. » (De Tassy Laugier, 1725, p. 12) De Tassy monte ensuite un scénario imaginaire du déroulement du crime, parce qu'à cette époque il n'y avait pas de palais à Alger : « Barberousse ne différa pas longtemps l'exécution de ce projet. Il avait observé que le prince arabe restait ordinairement quelque temps seul dans son bain, avant la prière du midi. Comme Barberousse était logé dans son palais, il eut un jour la commodité d'y entrer sans être vu par le prince. Il le surprit nu et sans armes, et l'étrangla avec une serviette, sans lui donner le temps de se reconnaître. » (De Tassy Laugier, 1725, p. 13) Doué d'une imagination féconde, il fait tourner autour d'Arroudj les soupçons. Ce dernier essaie de se disculper à travers des lettres échangées avec Zaphira et que l'auteur imagine et écrit. Pour renforcer le caractère barbare de son héros et son côté violent, il le fait commettre plus d'une trentaine de crimes sur des soldats ottomans et sur son conseiller, le vieux Ramadan Choulak, afin de se disculper aux yeux de Zaphira. Croyant s'être blanchi, il décide de prendre Zaphira de force mais celle-ci se donne la mort en absorbant un poison. Fou de rage, Arroudj tue alors toutes les femmes de sa suite et les enterre avec Zaphira dans le jardin du palais. De Tassy nous apprend, chemin faisant, que le fils de Sélim Toumi à qui il donne l'âge de 12 ans s'est enfui chez les Espagnols d'Oran, pourquoi faire un si long chemin plein de dangers alors qu'il aurait pu rejoindre le Penon où il y avait une garnison espagnole à quelques centaines de mètres de la ville ?: « Le fils du prince Selim, encore jeune, craignant pour lui-même le sort de son père, prit la fuite secrètement avec l'aide d'un arabe officier de sa maison, et d'un esclave affectionné. Il se réfugia à Oran sous la protection de l'Espagne, et sur la parole du marquis de Comarez gouverneur de cette place, qui le reçut avec honneur, et le traita avec beaucoup de distinction. » (De Tassy Laugier, 1725, p. 13) Contrairement à Damien Ounouri et Adila Bendimerad, De Tassy a eu, cependant, l'honnêteté de reconnaitre dans la préface du livre qu'il s'agit presque d'un roman inspiré par un manuscrit qu'il a pu avoir auprès d'un marabout de Constantine se disant parent de Sélim Toumi : « Pour celle des amours d'Arroudj Barberousse avec la Princesse Zaphira, il y a peu de personnes qui la sache dans le pays même. Elle pourrait passer pour un roman, et je ne voudrais pas être garant de sa véracité. Je l'ai mise telle qu'on la traduite d'un manuscrit en Vélin, qui est entre les mains de Sidi Ahmed ben Haraam, marabout du territoire de Constantine, qui prétend descendre de la famille du Prince arabe Selim Eutemi, mari de Zaphira. » (De Tassy Laugier, 1725) Bien sûr toute cette explication est fausse, se peut-il qu'un marabout se nomme ben Haraam (fils du péché) ? La réalité historique met en relief la trahison de Sélim : La réalité était bien sûr toute différente. En 1510, les Espagnols sous le règne de Ferdinand le Catholique, assiégèrent la ville d'Alger. Des pourparlers sont engagés avec Salim El-Toumi, chef de la tribu des Thaaliba. Alger était encore une ville auto-administrée par une tribu nomade arabe sédentarisée dans la Mitidja, la tribu des « Thaâliba », dont le royaume s'étendait de Cherchell jusqu'aux environs de l'actuel Cap Sigli. Les Thaâliba appartiennent à une tribu d'origine yéménite qahtanite appelée les Banou Makil qui ont suivi les Banou Hilal et les Banou Soulaym dans leur émigration vers le Maghreb. Les Banou Malik sont les dernières tribus arabes venues s'installer en Afrique du Nord. (Ibn Khaldoun, l'histoire des Arabes et des Berbères) Salim est sommé par les Espagnols d'aller se soumettre à Pedro Navarro, le chef de garnison qui commande l'ancienne capitale hammadide, Bejaia. Il se présente chez lui, le 31 janvier 1510, celui-ci exige de lui une aide pour la construction du Penon sur les îlots de la baie d'Alger comme preuve de bonne volonté avant de pouvoir rencontrer le roi d'Espagne. El-Toumi s'exécute et le Penon est construit en deux ans. Le Penon asphyxiait la ville d'Alger car aucun bateau ne pouvait ni entrer, ni sortir du port sans l'autorisation des Espagnols. Une fois leur projet achevé, El-Toumi est autorisé, en 1515, à aller en Espagne, à Burgos plus précisément selon Gramaye, pour y rencontrer le roi Ferdinand d'Aragon en personne. Il est accompagné de Moulay Ben Abdallah, cheikh de Ténès à qui est aussi imposée cette humiliante démarche. Les deux chefs sont munis de riches présents. Une trêve leur est concédée par le monarque espagnol en contrepartie du versement d'un tribut annuel, auquel s'ajoute pour Alger d'être sous le contrôle permanent de la garnison espagnole installée au niveau du Penon. L'Algérie était gouvernée par une multitude de dynasties divisées et souvent en guerre, les unes contre les autres. Isolées les unes des autres, elles ne faisaient pas le poids devant les envahisseurs du fait de leur affaiblissement, secondaire aux guéguerres qu'elles se livraient entre elles. La plupart des villes côtières d'Algérie s'autogéraient sous forme de principautés. Aucune ne disposait de flotte ou ne pratiquait la course. Voyant ce qui arrivait à leurs coreligionnaires ?Moriscos' qui déferlaient par vagues successives chez eux, les Algériens ne savaient que faire. Jijel qui était occupée par les Génois, a lancé un appel au secours aux frères Barberousse, lesquels venaient de se distinguer à Tunis par plusieurs coups portés notamment aux navires espagnols. Baba-Arroudj arrive et libère la ville en 1514. Un irrésistible mouvement d'opposition aux envahisseurs s'amorce, Alger a fait appel à son tour aux frères Barberousse en 1519 et met ainsi fin au traité humiliant signé par le Cheikh de la ville Salim El-Toumi qui avait cédé le môle d'Alger aux Espagnols. C'est sous la pression des notables, que Salim El-Toumi, Cheikh de la ville, depuis plus de cinq ans, a fini par demander l'aide de Barberousse. Cette demande faite par El Toumi lui-même, sous forme d'une lettre adressée au Sultan ottoman, Sélim 1er, vers le début du mois The El Ki'da 925 (entre le 26 octobre et le 3 novembre 1519) est conservée dans les archives ottomanes. Une copie est disponible au niveau des Archives nationales à Alger. C'est Abou El Abbes Ibn Ahmed Ibn El Kadi qui a conduit la délégation algérienne, il était le prince de Koukou dans les Monts du Djurdjura. (Bouaziz Y., Alger 2007) La délégation comprenait en outre des représentants de Bejaia, de Ténès et de Dellys comme le suggère implicitement la lettre de Sélim. Cette invitation a rendu caduque, le serment qui liait Sélim d'Alger au roi catholique d'Espagne Ferdinand d'Aragon. Les Espagnols tenaient alors « la ville sous la menace constante de leurs canons et pouvaient, tout à loisir, contrôler non seulement tous les mouvements de la flotte mais presque tous les faits et gestes de chaque Algérois ». (Gramay, ibid) Alger était à l'époque, un marché de moyenne importance, c'est son port qu'il lui a donné tout son intérêt. Arroudj meurt en mai 1518 en quittant Tlemcen vers Alger lors d'un combat contre les Espagnols. Ainsi, Arroudj est mort avant la mort de Sélim, avant que la délégation d'Alger ne parte pour Istanbul et donc avant que les Turcs accompagnés des contingents Jijéliens ne la pénètrent. Arroudj qui s'était marié à Jijel était surtout obsédé par la lutte contre les mécréants. Il n'est pas resté longtemps à Alger car les habitants de Ténès et de Tlemcen l'appelaient au secours. Les affabulations de De Tassy n'avaient pour objectif que de discrétiser l'un des fondateurs de l'Algérie ottomane. Son frère Kheireddine prend la relève, il fortifie les défenses de la ville d'Alger et organise l'administration, l'armée et la marine puis commence à assener des coups durs aux Espagnols : reprise de Collo en 1521, d'Annaba et de Constantine en 1522, occupation de la Mitidja en 1525, reprise du Penon d'Alger en 1529, reconquête de Bejaïa en 1555, Tlemcen est rattachée à Alger, la même année. Les frères Barberousse dont deux sont tombés en martyrs en Algérie (Arroudj et Ishek) et le troisième Kheireddine a unifié le pays et empêché sa colonisation par les Espagnols doivent être salués comme des Algériens. La statue d'Arroudj érigée à Ain Témouchent rend hommage au sacrifice de cet homme. L'historiographie coloniale aborde l'histoire de l'Algérie tant médiévale, qu'ottomane ou durant la colonisation française avec beaucoup de contre-vérités. Il est urgent que des historiens algériens accordent plus d'intérêt à l'histoire de leur pays et que les hommes de culture notamment les cinéastes vérifient leurs sources avant de se lancer dans des œuvres au service du colonisateur. *Pr Médecin chercheur Références: 1- https://www.rfi.fr/fr/culture/20220905-mostra-de-venise-el-akhira-une-%C3%A9 pop%C3%A9e-alg%C3%A9rienne 2- https://www.algerie360.com/la-derniere-reine-le-ministere-annule-le-film-a-la-derniere-minute/ |