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ROME
? Le monde n'est pas encore suffisamment alarmé par l'ampleur des ravages
causés par la pandémie de la COVID-19 sur l'économie mondiale. Nous suivons le
nombre quotidien d'infections et de victimes, mais nous ignorons les pertes
d'emplois et les vies bouleversées, en particulier dans les pays en
développement, où la pandémie a à peine suscité une intervention de santé
publique.
L'impact de la pandémie sur les économies dominantes a été jusqu'à présent quatre fois pire que celui de la crise financière mondiale de 2008. Au second trimestre de 2020, le PIB des États-Unis a chuté de 9,1 % par rapport aux trois mois précédents, éclipsant la contraction trimestrielle de 2 % enregistrée au cours de la même période en 2009. L'économie de la zone euro est encore plus mal-en-point, avec une contraction de 11,8 %. Entre-temps, de nombreux pays en développement ont vu des pans entiers de leur économie anéantis, comme en temps de guerre. La planification, l'investissement et la reconstruction nécessitent donc un état d'esprit digne de l'après-guerre. Les pays du G20 ont en effet dépensé 7 600 milliards de dollars (et ce chiffre continue d'augmenter) pour la relance budgétaire, et les principales banques centrales débloquent des fonds pour relancer l'économie mondiale. La Réserve fédérale américaine débourse 2 300 milliards de dollars pour soutenir les entreprises et les marchés financiers, ce qui dépasse de loin son plan de sauvetage de 700 milliards de dollars de 2008. Ces mesures constituent une aide vitale pour de nombreuses personnes, des travailleurs licenciés de la restauration aux propriétaires de petites entreprises, qui ont désormais accès à l'assurance chômage et aux programmes de sécurité sociale. Il est toutefois moins question de la manière dont les mesures de relance budgétaire et monétaire adoptées dans les pays riches ont aggravé la situation de ceux à faible revenu. Même avant la pandémie, une grande partie des pays en voie de développement étaient aux prises avec une dette record, une faible croissance et des problèmes liés au climat. Par conséquent, les citoyens disposaient de peu de protection lorsque les temps étaient durs. Aujourd'hui, le relâchement des politiques dans les économies développées entraîne une hausse de la monnaie des pays en développement, ce qui se traduit par une perte de compétitivité des exportations et des investissements étrangers, de l'inflation et une déstabilisation économique. Les pays pauvres dépendent largement des économies parallèles, des exportations de matières premières, du tourisme et des envois de fonds, qui ont tous été durement touchés par la pandémie. Avec l'effondrement des prix du pétrole, les plans de relance des économies développées ont laissé des pays comme l'Équateur et le Nigeria en proie à des difficultés économiques. Les politiques des pays riches contribuent également à la hausse des prix des denrées alimentaires dans les pays pauvres. Alors que les rayons des supermarchés des pays développés sont remplis d'aliments à des prix abordables, près de 700 millions de personnes dans le monde souffraient déjà de faim chronique avant la pandémie ? et plus de 130 millions pourraient désormais rejoindre leurs rangs en conséquence de la COVID-19. Dans des pays comme l'Ouganda, le prix des aliments de base a augmenté de 15 % depuis le mois de mars. Les gens déclarent consommer moins de repas et une nourriture moins variée et moins saine ? une véritable recette pour de futures maladies. Les personnes de condition modeste dans des pays à faible revenu ne peuvent généralement pas travailler à domicile; et si elles ne travaillent pas, elles ne mangent pas. C'est un secret de polichinelle que la grande majorité des pays en voie de développement subissent des répercussions économiques de la COVID-19 bien plus dévastatrices que le virus lui-même. Nous n'avons qu'à constater qu'en six mois seulement, la pandémie a effacé une décennie de progrès dans la réduction de la pauvreté. Entre 1990 et 2017, le nombre de personnes en situation d'extrême pauvreté dans le monde est passé de près de deux milliards à 689 millions. Mais la COVID-19 a fait remonter ce nombre à nouveau pour la première fois depuis 1998. Plus de 140 millions de personnes pourraient tomber dans la misère cette année, l'Asie du Sud et l'Afrique étant les régions les plus touchées. À peine 3 % des sommes dépensées à ce jour par les pays du G20 pour leur plan de relance économique suffiraient à mettre un terme à ces sombres scénarios. Une taxe humanitaire ponctuelle et volontaire payée par les pays du G20, qui récolterait 230 milliards de dollars, pourrait améliorer les infrastructures et les technologies de communication afin de nourrir les populations rurales qui ne mangent pas à leur faim. Par exemple, un investissement annuel de 10 milliards de dollars sur dix ans pour construire de meilleures routes et installations d'entreposage pourrait réduire les déperditions alimentaires pour 34 millions de personnes. Par ailleurs, un investissement de 26 milliards de dollars pourrait améliorer l'accès aux téléphones portables pour près de 30 millions de résidents ruraux, leur permettant ainsi d'augmenter leurs revenus en accédant à des informations sur les prix des récoltes et les prévisions météorologiques. Une aide extérieure est un investissement judicieux, mais la volonté politique fait actuellement défaut. Les États-Unis, de loin le plus grand donateur aux programmes mondiaux de santé et de développement, versent des dizaines de milliards de dollars aux sociétés pharmaceutiques pour obtenir un vaccin contre la COVID-19 pour ses citoyens exclusivement, alors même que d'autres pays unissent leurs forces pour élargir l'accès mondial aux vaccins. Le Royaume-Uni réduit son budget d'aide de 2,9 milliards de livres (3,9 milliards de dollars) cette année et a fusionné son agence de développement avec son bureau des affaires étrangères. Ces mesures sont de courte vue. En 2003, en revanche, le président américain George W. Bush a lancé le Plan d'urgence du président pour l'aide contre le sida afin de fournir des médicaments antirétroviraux aux personnes atteintes du VIH et du sida en Afrique. Avec un budget de 85 milliards de dollars, ce programme a permis de sauver jusqu'à présent quelque 18 millions de vies. En outre, il a renforcé l'ensemble des infrastructures sanitaires dans des pays comme le Botswana, ce qui aide sans aucun doute ce pays à lutter contre la COVID-19 aujourd'hui. De la même manière, l'économie mondiale a prospéré après la Seconde Guerre mondiale grâce au plan Marshall, qui a permis aux États-Unis de relancer l'Europe occidentale ravagée par la guerre. Nous sommes aujourd'hui confrontés à un scénario comparable. Toute intervention politique devrait traiter la lutte contre la COVID-19 comme une guerre et les économies les plus durement touchées comme des zones de conflit. Le monde doit saisir toute l'ampleur des dégâts et le défi que représente la reconstruction. Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier *Economiste en chef de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture |