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Le sentiment
d'appartenance à une nation, à une patrie ne peut être décrété par voie
administrative. Certes, être Allemand, Français ou Espagnol «administratif», c'est-à-dire
de papiers, ouvre, théoriquement, l'espace des droits de base à l'heureux
détenteur du titre, mais aucunement celui de l'émotionnel et de l'affectif.
Le monde a changé. Les empires et les royaumes de l'antiquité qui l'ont façonné un jour ont complètement disparu. Au meilleur des cas, ils sont réduits à de simples pays. Les empires grec, perse, romain, byzantin ou plus récents encore, britannique, espagnol, français, portugais ou islamique ne sont, désormais, que les vestiges de leurs gloires passées, l'ombre d'un empire révolu, dont ils cultivent encore les mythes et chantent les épopées de leurs légendes antiques et de leurs héros souvent sanguinaires. Le temps où ils sillonnaient les mers pour annexer des territoires à la gloire de leurs couronnes, en exploitant l'homme et ses terres et en imposant leur foi aux autochtones, ce temps-là est révolu. D'autres pays ont vu le jour, de nouvelles nations ont émergé du néant. À l'autre bout de l'Atlantique, les pays d'Amérique latine ont pu enfin donner un nom à leur identité après un étouffement qui a duré de 1492 à 1898. De ce côté de la Méditerranée, les guerres de libération, surtout l'algérienne, ont donné naissance aux pays du Maghreb. Plus au sud, des pays africains ont été créés et reconnus. Depuis 1990, ce sont plus d'une trentaine de pays qui sont reconnus par l'ONU. Aucune entité politique n'est à l'abri, c'est le mouvement naturel de l'histoire. Des pays naissent, d'autres disparaissent, des drapeaux se dressent et d'autres se rabaissent. La crise catalane n'est pas nouvelle, elle était toujours là, en veille. Les Catalans, tout comme les Basques d'ailleurs, cultivent depuis des lustres le rêve d'indépendance. Ce n'est pas nouveau et ce n'est pas la position officielle espagnole qui va le changer ou persuader les Catalans à renoncer à leur rêve ou le réduire à de vulgaires revendications budgétaires. Aucune constitution, aussi consensuelle soit-elle, ne peut, à elle seule, statuer, imposer ou garantir le vivre ensemble entre des pans entiers de la société, si ceux-ci ne manifestent pas démocratiquement leur libre volonté à le faire. Surtout, si l'Etat de droit est faible ou ambigu. Concernant le cas espagnol, beaucoup de choses peuvent être dites au sujet de la santé démocratique de ce pays. D'aucuns affirment que la démocratie espagnole est une réalité vécue ; que ce pays est un exemple de tolérance et de convivialité. Pour d'autres, au contraire, ce pays n'a pas plus de droit qu'un Chinois au Tibet et que l'Etat de droit espagnol n'est qu'une chimère. Il suffit de voir les abus contre les droits fondamentaux des individus, harcelés par le système policer de la péninsule pour un prétexte ou un autre. Selon eux, le tic «inquisitionniste» et franquiste perdure par-delà les politiques de façade démocratiques par lesquelles l'Espagne cherche à tromper le monde. Que l'Espagne utilise sa justice comme moyen de vengeance, une extension du tout sécuritaire et de l'arbitraire moyenâgeux. Chez les sociétés primitives sans Etat, le balbutiement de la cohésion sociale étaient la famille, le clan, la tribu, la religion ou la région. Cette homogénéisation cultuelle ou culturelle va à l'encontre des sociétés dites modernes, dotées d'Etats ou, mieux encore, d'Etat de droit, bien structuré et fort de lois qui assurent l'égalité et l'équité entres toutes les composantes sociales qui forment la Nation. Dans ces sociétés modernes, la famille, le clan, la tribu ou la région ne forment plus le seul ciment qui assure la cohésion sociale. En effet, face aux lois de l'Etat de droit, on cesse d'être d'une ethnie ou d'une autre, d'une religion ou d'une autre, d'une région ou d'une autre, mai uniquement des citoyens à plein droit et égal devoir. Le cas espagnol est singulier. Ce pays en est sorti d'une guerre civile meurtrière de 36-39, l'un des événements majeurs du 20e siècle, suivi d'une transition démocratique (1975-1982) sous contrôle et chapeautée par la couronne. Pour intégrer pleinement l'EU, il lui fallait accomplir, en plus, des critères de convergence économique, ceux inhérents aux exigences démocratiques. Valeurs minimales sur lesquelles repose le socle de cette nouvelle géosphère politique, intégrée par l'Espagne un certain 1er janvier en 1986. L'Espagne fit face à des revendications violentes des séparatistes basques «los Etarras», (ceux de l'ETA), qui a duré 43 ans et qui a cessé officiellement en 2010. En se dotant de Comité des Régions, une sorte d'assemblée politique composée d'élus régionaux et locaux au service de l'intégration arrive à assurer la représentation institutionnelle de l'ensemble des territoires, régions, villes et communes ; l'Union européenne à atténuer considérablement les expressions revendicatrices violentes des séparatistes basques, surtout. Les Catalans, quant à eux, n'ont jamais recouru à la violence pour revendiquer leurs choix. En Espagne comme ailleurs en Europe, la religion catholique n'étant plus en mesure, à elle seule, d'assurer la cohésion sociale et «le vouloir vivre ensemble». En Espagne, plus particulièrement, l'Etat de droit a été trop affaibli par des tics sécuritaires relevant d'un autre âge et surtout par une bipolarité politique PP/PSOE, incompréhensible qui, pour beaucoup, prenait en otage la vie politique dans ce pays et la met dans une configuration hermétique, sans aucun droit de regard de l'opposition, des institutions de l'Etat et encore moins de la société civile espagnole. Grâce à la Constitution de 1978, l'Espagne a choisi d'être un Etat des autonomies. Elle fit un grand pas dans la reconnaissance des droits des 17 autonomies et de deux villes autonomes (Ceuta et Melilla) qui la composent. Elle reconnaît et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et régions qui la composent dans le cadre de l'unité indissoluble de la nation espagnole et la solidarité entres elles. Elle autorise donc un traitement différencié de la décentralisation : l'un purement administratif (limité du point de vue des compétences concédées par l'Etat), l'autre, qui concernait pus particulièrement les communautés historiques comme la Catalogne, le pays basque et la Galice qui ouvrait la porte à une autonomie culturelle et linguistique. Quant à la reconnaissance du plurilinguisme par l'Etat, l'article 3 de cette Constitution dit que «le castillan est la langue officielle de l'Etat» et rajoutait : «Les autres langues de l'Espagne seront également officielles dans les communautés autonomes respectives, conformément à leur statut» À travers le référendum, plus que symbolique que juridique du 1er octobre 2017, interdit par la justice espagnole, les Catalans ont voulu transmettre à Madrid et au monde un message fort et mettre à l'épreuve l'Etat de droit espagnol. Selon les observateurs, ce referendum a été tacheté d'irrégularités et de manque de rigueur. Les Catalans ont joué au chat et à la sourie avec la police espagnole pour pouvoir voter. Ils ne visaient pas, du moins à mon avis et au court terme, l'indépendance, mais une sorte de fédéralisme ou d'autonomie plus élargie par laquelle ils espéraient recouvrir les avantages qui leur ont été ôtés en 2010, à la demande du Parti populaire (conservateur). En effet, la Cour constitutionnelle annule en 2010 quatorze articles du statut d'autonomie, retoquant le concept de «nation catalane» et rejetant l'usage «préférentiel» du catalan dans les administrations et les médias. En novembre 2014, la Catalogne organise une consultation sur l'indépendance, elle aussi symbolique et sans conséquence légale, et ce malgré l'interdiction de la Cour constitutionnelle. Le «oui» obtient 80% des votes, avec un taux de participation de 33%. La réaction viscérale du PP, qui courut vers la force publique et l'application textuelle du 155 et de ce qu'il ne cessa d'appeler l'Etat droit. Cette réaction a été, je le pense, à l'origine de ce qui se passe actuellement en Espagne comme déchirement. Des ministres et des activistes politiques qui n'ont jamais prôné la violence ont été jetés en prison, provocant une vive tension et grand émoi dans toute la région catalane et ailleurs. Même si juridiquement l'Espagne ne s'est pas déchirée géographiquement, il n'en demeure pas moins qu'au jour même où une Espagne s'est mise face à l'autre pour la museler, le déchirement, émotionnellement, est devenu un fait. L'approche judiciaire de Madrid à des questions politiques est incompréhensible, voire inadmissible ! Qu'on le veuille ou non, ceci est un fiasco de l'Etat de droit espagnol et de sa démocratie inachevée, à laquelle aussi bien le PP que les ultras indépendantistes venaient de donner le coup de grâce. Un fiasco pour l'Union européenne qui fait l'autruche sans pouvoir bouger le petit doigt pour dénouer ce problème qui oppose souvent la légalité à la légitimité et qui s'exprime au cœur même de son propre corps. Un corps supposé être celui du droit et de la démocratie. Alors qu'elle n'éprouve aucun mal à s'immiscer dans les affaires des autres pays pour défendre les minorités ethniques et dresser des constats périodiques sur l'état des droits de ces derniers. Pour finir, aucun pays n'est à l'abri de cette agitation, si son état des droit se retrouverait un jour profondément affaibli, d'autant plus, un pays comme le nôtre ou le Maroc par exemple où la composition tribale et ethnique arrive pour le moment à s'exprimer politiquement dans le sens de l'establishment, de sa volonté et de ses règles de jeu. Quoique le Maroc soit plus exposé, car les tensions ethniques sont plus virulentes dans une monarchie que dans une république, mais à chacun son tour, si ce qui cimente la société n'est pas consolidé et je parle ici de l'Etat de droit, la faiblisse majeur de nos pays. Revoir la configuration sociopolitique de nos contrées et étudier la possibilité d'aller vers une sorte d'une large autonomie pour contrer plus dans le droit que dans la stratégie, certaines revendications identitaires qui, fortes d'un contexte international favorable, haussent le ton ! Un roi sage comprendra vite qu'avant de conquérir les territoires, il doit conquérir les cœurs, sinon son pouvoir sera tôt ou tard disputé et remis en question. |