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Ces trois idées de la philosophie
politique d'Aristote furent successivement abandonnées au cours de l'histoire.
Prenons en premier lieu la valeur universelle de la classification des régimes politiques en fonction du nombre de détenteurs du pouvoir souverain. A la question classique : qui commande ? on admettait de façon dogmatique et péremptoire qu'il n'existait que trois réponses, et trois seulement. C'est dans « De l'esprit des lois » que la validité universelle de la classification des régimes politiques en fonction du nombre, un, plusieurs, tous, fut remise en cause. Montesquieu propose à cet effet une nouvelle classification de ces régimes : république, monarchie et despotisme avec cependant une différence essentielle qui les caractérise. Chaque régime définit un type social donné. Ainsi, la république est le régime ou le peuple en corps où une partie du peuple détient le pouvoir souverain ; la monarchie est le régime où un seul gouverne dans le cadre de lois bien définies ; enfin le despotisme est le gouvernement d'un seul, mais sans lois et de manière arbitraire. Pour Montesquieu ce n'est pas le critère du nombre qui caractérise un régime, mais plutôt son rapport aux lois et aux règles établies. Cependant, loin de nous l'idée de mythifier la démocratie athénienne qui recèle, somme toute, des vices apparents et latents. Il va sans dire que chaque système politique pensé et mis en œuvre par les hommes est déterminé par des conditions historiques qui lui donnent naissance, favorisent son essor, mais accélèrent son déclin dès l'amorce du processus de régression sociale. Ainsi, Athènes a subi l'épreuve de cette loi implacable de l'Histoire qui l'a sommée de s'adapter ou dépérir. Arnold Toynbee, le célèbre historien britannique, dans son livre « l'Histoire », met en évidence cette loi et la traduit par la capacité ou la déficience d'une civilisation à répondre au nouveau défi qui se présente à elle. Pour Toynbee, le rapport défi-et-réponse est la force motrice de l'Histoire, qui procure à chaque civilisation sa justification et sa continuité ou entraîne sa déchéance et son déclin. Le nouveau défi d'Athènes est sa rivale traditionnelle Sparte. Saura-t-elle y répondre et le surmonter ou sera-t-il l'effort de trop qu'elle ne peut fournir pour se transcender ? Le IVe siècle ou la montée des périls Que s'est-il donc passé au IVe siècle ? Une grave crise découlant du grand conflit qui a opposé les cités grecques de 431 à 404 a été la cause de l'arrêt du processus d'expansion de la civilisation hellénique. Elle se présente principalement comme une crise agraire résultant de la dévastation des champs et des vergers due à l'état de guerre permanent qui a sévi pendant tout le siècle et qui a pesé lourdement sur la reconstitution des cultures (essentiellement les vignobles et les oliveraies). Cet état de fait a entraîné l'abandon des terres agricoles par leurs propriétaires dont la plupart étaient dans l'incapacité financière d'assurer leur remise en exploitation. La misère touche la petite paysannerie dans tout le monde grec et même à Athènes, qui dispose encore d'un potentiel économique considérable. Les raisons de cette crise sont en réalité multiples : outre la crise agraire, la diminution de l'activité économique et des échanges, les guerres fréquentes, l'insécurité des mers, la perte de l'hégémonie en mer Egée ainsi que l'émergence en marge du monde grec de civilisations nouvelles, ont accentué la fracture sociale et, par ricochet, grippé les rouages du système politique. Quoi qu'il en soit, les implications de cette crise se traduisent par la transformation des rapports sociaux et la rupture de l'équilibre qui jusque-là avait permis l'ascension et le maintien d'Athènes au panthéon des cités éternelles. Ainsi, la société se polarise en deux classes opposées : les nouveaux riches opportunistes et spéculateurs sans repères culturels et moraux et la grande masse des pauvres à laquelle s'est jointe une paysannerie fraîchement prolétarisée. C'est l'aggravation de la misère du plus grand nombre qui a fait monter les périls. Cela s'est traduit partout en Grèce par une agitation politique et une lutte de classes sanglante qui a mis aux prises les riches contre les pauvres affectant ainsi le bon fonctionnement des institutions traditionnelles. Cette crise plurielle comme on l'a constaté précédemment résulte de causes éminemment internes qui ont été à l'origine du déclin du monde grec et particulièrement Athènes. Sa défaite contre Sparte dans la guerre du Péloponnèse, comme rapportée par Thucydide ne constitue en fait que le coup de grâce asséné à une Cité en pleine déliquescence civilisationnelle et qui était dans l'incapacité à un moment déterminé de son histoire, de relever le nouveau défi qui s'est dressé devant elle, en l'occurrence la crise sociale, économique, morale et politique d'une part, et le sabre des Spartiates d'autre part. Il est clair qu'on ne peut imputer le déclin d'Athènes simplement à une cause externe en l'occurrence Sparte, mais plutôt aux causes qui l'ont minée de l'intérieur et qui ont accéléré sa chute. A bien considérer le déroulement des événements historiques, les causes externes ne peuvent être que contingentes au regard de celles qui font imploser doucement mais sûrement toute civilisation arrivée au terme de son parcours inventif. Par la perte cruelle d'Athènes, la civilisation grecque a reçu un coup d'arrêt fatal à la progression de son histoire ou le passé a rattrapé le présent ; et ce présent a brisé l'élan de son avenir. La Méditerranée « ?c'est une rencontre constante du passé et du présent, le passage répété de l'un à l'autre, un récital sans fin conduit à deux voix franches ». (Fernand Braudel : « la Méditerranée : l'espace et l'histoire »). La démocratie est donc cet héritage impérissable, ce substratum sur lequel est venu se greffer sans cesse, le florilège des idées contemporaines et novatrices, depuis le siècle des Lumières à nos jours. La naissance des démocraties modernes en Occident Dans l'Europe médiévale, il n'existe pas d'Etat démocratique à proprement parler, néanmoins certaines villes, notamment en Italie, connaissent des expériences qui s'apparentent à la démocratie. Au niveau des nations il existe des assemblées représentatives élues par le peuple : à titre d'exemple, le parlement en Angleterre, les cortes en Espagne et les états généraux en France. Seules les assemblées anglaises disposent de réels pouvoirs consacrés par la Grande Charte de 1215. Fondé sur la valorisation de la personne humaine et sur l'égalité des droits, l'idéal démocratique moderne se manifeste à l'aube du XVIIIe siècle par une conception nouvelle de l'homme dans laquelle celui-ci n'est plus soumis à la divine Providence en raison de sa liberté chèrement conquise. La liberté est définie comme la faculté inhérente à la personne humaine et s'affirme entièrement à travers la reconnaissance des droits naturels, inaliénables et imprescriptibles. Cette conception qui secoue profondément la société d'ordres et de privilèges de l'Ancien régime est officiellement affirmée par la France de la Révolution et proclamée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 selon laquelle « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Mais c'est l'Angleterre qui a instauré, grâce aux révolutions du XVIIe siècle (première et deuxième révolutions), le premier régime démocratique basé sur les libertés fondamentales qui en sont le corollaire. Ainsi, l'Habeas Corpus Act (1679) et la déclaration des droits (Bill of Rights 1689) constituent les premiers jalons des libertés démocratiques. Dans son essai «Du gouvernement civil (1690)», le philosophe anglais John Locke décrit clairement la première formulation de la démocratie moderne ; elle doit s'inscrire dans le respect de la liberté qui est un droit naturel de l'homme et être légitimée par un contrat conclu entre le peuple et le gouvernement dont le principe fondamental s'articule autour de la séparation des pouvoirs. En d'autres termes celui qui a la charge de faire les lois doit être distinct de celui qui les applique. Ainsi, le principe de la séparation des pouvoirs, réaffirmé un peu plus tard par Montesquieu (De l'esprit des lois 1748), devient le trait distinctif qui caractérise le régime démocratique. Avec l'accroissement de la responsabilité gouvernementale et la diminution des pouvoirs de la royauté, la Grande-Bretagne consacre le premier régime parlementaire dont le fonctionnement devient un modèle. Montesquieu et la classification des régimes politiques La classification des régimes politiques de Montesquieu, comme nous l'avons vu précédemment, ne s'appuie pas exclusivement sur le critère aristotélicien du nombre, mais aussi sur leurs rapports aux lois et aux règles bien établies, selon qu'ils respectent la légalité ou la transgressent. Bien plus, Montesquieu affirme explicitement qu'il a pris pour modèles de la république les cités antiques, pour modèle de la monarchie les royaumes modernes de l'Europe, pour modèles du despotisme les empires asiatiques en ajoutant notamment : chacun de ces régimes émerge dans des conditions économiques, sociales et comme nous le dirions aujourd'hui démographiques déterminées. La république n'est réellement réalisable que dans de petites cités ; la monarchie, fondée sur l'honneur, n'est possible que dans des Etats de moyenne dimension alors que le despotisme s'exerce inévitablement sur des Etats de grande envergure. Outre le respect des lois, la classification des régimes politiques de Montesquieu comporte une double opposition. D'abord, l'opposition entre les régimes modérés et les régimes non modérés, puis entre les régimes respectueux des lois et ceux d'arbitraire c'est-à-dire d'un côté république et monarchie et, de l'autre, despotisme. Ensuite l'opposition entre la république d'une part et la monarchie et le despotisme de l'autre. Enfin, cette opposition a été transcendée par une autre qui est la suivante. C'est une première sorte de régime qui peut être démocratie ou aristocratie où le peuple en corps est le détenteur du pouvoir souverain et dont l'essence est l'égalité des citoyens devant la loi et le principe la vertu. Puis vient le régime monarchique qui est l'antithèse de la république, fondé sur l'inégalité des ordres et des personnes. Quant au despotisme où un seul gouverne avec un pouvoir absolu, personne n'est en sécurité et n'est à l'abri des exactions. Le sentiment de peur éprouvé par les citoyens est le principe égalitaire qui le caractérise, quel que soit le rang social de l'individu et sa position auprès du tyran. A ce sujet Montesquieu écrit : « Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu'un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l'un, le bras du prince toujours levé dans l'autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un Etat populaire, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU. » (Montesquieu : « De l'esprit des lois » tome I Livre III chap. III. Du principe de la démocratie). Dans sa classification, Montesquieu ne se demande pas, à la manière d'Aristote, du moins ouvertement, quel est le régime le meilleur. Cependant, il met l'accent sur deux types de régimes modérés, la république et la monarchie dont les principes fondateurs de chacun les font vivre et les maintiennent. Il s'agit pour l'un de la vertu, du sens de l'égalité et de l'obéissance aux lois, et pour l'autre de l'honneur c'est-à-dire le respect par chacun de ce qu'exige de lui la place qu'il occupe dans la société. A partir du moment où le régime politique est lié à une forme d'organisation sociale déterminée, la recherche du régime le meilleur semble a priori sans intérêt. La reconnaissance de la diversité des régimes sociaux et des principes qui les gouvernent, écarte à première vue aussi bien la recherche du régime le meilleur que la conception finaliste de la nature humaine, subséquente à la philosophie du devenir de l'homme par laquelle dans le passé, la question du régime le meilleur prenait toute sa signification. Mais on ne peut pas quitter Montesquieu sans aborder le principe de la séparation des pouvoirs, qui n'est que l'aboutissement pratique de sa philosophie politique. Alors qu'est-ce que la séparation des pouvoirs ? La théorie de la séparation des pouvoirs Le fondement de la théorie de la séparation des pouvoirs trouve son origine dans la pensée politique du philosophe britannique John Locke à la fin du XVIIe siècle qui, dans ses deux traités sur le gouvernement civil, expose son analyse sur les fonctions de l'Etat. Il en distingue trois : le pouvoir législatif qui fait la loi, le pouvoir exécutif qui l'exécute et, en fin, le pouvoir fédératif qui est en charge des relations extérieures de l'Etat incluant le pouvoir de faire la guerre ou la paix. Locke admet cependant que s'il est possible de confier les pouvoirs exécutifs et fédératifs à un seul organe, il n'est guère souhaitable, voire dangereux, que les personnes qui détiennent le pouvoir de faire les lois soient en même temps ceux qui les exécutent. Autrement dit, Locke admet que les différentes fonctions de l'Etat peuvent être exercées par des instances différentes. C'est dans le sillage de la pensée de Locke que Montesquieu élabore sa théorie de la séparation des pouvoirs, la développe en lui donnant une autre portée. C'est un penseur libéral dont la préoccupation essentielle est de rechercher le système politique qui est à même de procurer et de garantir la liberté individuelle et politique à tous les citoyens face au risque d'arbitraire. Pour Montesquieu, la liberté politique n'apparait que dans les gouvernements modérés et plus précisément dans ceux où l'on n'abuse pas du pouvoir : «C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est appelé à en abuser, il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites». Ainsi la limitation du pouvoir, assure la liberté et la sécurité du citoyen face à la dérive du despotisme : «Il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir» (De l'esprit des lois). A suivre... *juriste, Constantine |