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2012-2022 :
Réformes ou ajustements ?
L'enjeu se situe à ce niveau Les conditions sont tout autant propices qu'elles l'étaient la dernière décennie tant sur le plan du cadre juridique et réglementaire que du cadre de l'offre en soins. L'engagement politique au sommet de l'Etat est au plus haut niveau depuis 2001 à travers les budgets consentis au domaine de la santé, équipements et fonctionnement. Budgets dans le cadre des programmes d'équipements : soutien à la relance économique 2001-2005 : 12.878.462.000 DA, complémentaire de soutien à la croissance 2005-2009 : 258.666.171.000 DA, consolidation à la croissance économique 2010-2014 : 95.891.715.000 DA, soit un total de 367.436.348.000 DA, avec une inscription de réalisation de 10 CHU ?!? Budgets de fonctionnement : 2000 : 35.143.906.000 DA, 2012 : 404.945.348.000 DA, 2016 : 379.400.000.000 DA, soit 10 fois plus ?!?, pondéré par l'inflation et l'augmentation de la masse salariale cela reste un engagement considérable. Et personne ne trouve son compte aujourd'hui : le citoyen, les professionnels de la santé, les corps secondaires, les gestionnaires et l'Etat dans toutes ses composantes. L'Etat qui, au sommet de la pyramide, dans la conjoncture actuelle, est en charge d'une problématique de stabilité nationale, d'une gestion d'enjeux géostratégiques régionaux, se retrouve avec une épine irritative dans un secteur purement technique mais de sensibilité sociale de premier niveau qui représente potentiellement le tendon d'Achille de la nation Algérie. Alors compte tenu de tout cela quelle est la solution ? Assurément une thérapeutique en adéquation avec le diagnostic !! Donc le pragmatisme, que le pragmatisme, rien que le pragmatisme. Ce d'autant que cette période semble se «calquer» sur la décennie 1982-1992, avec dans son premier quinquennat une aisance financière et donc des projets d'investissement onéreux sans étude réelle de retour positif d'investissement. Et en ce moment même, en 2016, comme en 1986, une réalité économique qui laisse augurer de lendemains douloureux en cas de gestion dogmatique et de «réformes» politiciennes. Il appartient à l'exécutif et au législatif de trouver les voies et moyens pour que les réformes à entreprendre puissent faire que l'investissement financier puisse être pertinent et efficient et définir le cadre pour répondre à l'obligation de qualité et d'équité du système de soins à venir. L'Algérie est en attente, en matière de santé, comme dans d'autres domaines du reste, d'une réforme radicale dont les grandes lignes imposent pour une compréhension et une adhésion à cette obligation vitale le traitement dans le détail des points forts, de blocage et de tiédeur par leur attrait médiatique ces dernières années : la gratuité des soins et le financement de la santé, le conventionnement et la contractualisation, le secteur privé, les transferts pour soins à l'étranger et les soins de haut niveau, l'activité complémentaire, le service civil. La gratuité des soins et le financement de la santé Il est purement scandaleux aujourd'hui de défendre la gratuité des soins pour tous ; il est triste de constater que des responsables administratifs, médicaux ou pédagogiques soient en décalage complet avec les lois de la République et les droits élémentaires des citoyens contenus dans les règles universelles de l'équité excellemment définies par Rousseau dans le Contrat social : «Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la justice qui libère». Comment peut-on imaginer que le citoyen lambda puisse avoir les mêmes chances d'accès aux soins que des introduits soit par leur surface financière, soit par leur statut social, soit par leurs fonctions administratives ou de représentativité, dans un système déstructuré ?! Comment peut-on accepter que les rentiers, et leur relais, de l'économie informelle, importateurs en tout genre, patrons de commerces multiples, détenteurs de registres de commerce aussi multiples, puissent être logés à la même enseigne de la solidarité nationale que les dépositaires du mauvais destin social ? Comment peut-on justifier que des nantis qui ne participent pas au financement de la santé ni par l'impôt ni par l'affiliation à la sécurité sociale puissent avoir les mêmes droits que ceux qui le font et partager la même offre de soins que ces derniers financent. Ces indus bénéficiaires sont, les permanents du terrain peuvent tous en témoigner, les plus vindicatifs, les plus inciviques et les prédateurs sans limites de la gratuité. «Toute tolérance devient à la longue un droit acquis», disait Clemenceau, mais pour les citoyens vulnérables cela devient de l'injustice. Comment peut-on occulter la réalité, connue de tous, que les vrais clients du privé soient les démunis et les non introduits dans la carambouille de l'accès aux soins publics. Ceux pour lesquels la médecine gratuite avait été mise en place en sont devenus les victimes. Au fil des ans la gratuité dans l'anarchie a généré une véritable gabegie financière. Les usagers comme les «travailleurs de la santé» ont désinscrit de leur mémoire collective la valeur des choses et le coût des produits et des prestations. L'extrême majorité des personnels, tous corps confondus, a grandi et évolué dans une «culture» de l'usage sans aucune procédure qui puisse les sensibiliser à l'abus et à la préservation du bien commun. Est-il permis que des gestionnaires de structures administratives ou médicales puissent occulter des dispositions constitutionnelles, légales et réglementaires par lesquelles ils sont et qu'ils sont censés respecter et défendre ? La gratuité anarchique n'a plus droit de cité depuis la Constitution de 1989. Elle ne doit concerner que les démunis sociaux tel que précisé dans le décret 01-12 du 21 janvier 2001 et les assurés sociaux tel que stipulé dans le décret 04-01 du 1 avril 2004. La dernière Constitution de 2016, est, dans son article 66.1, on ne peut plus explicite sur les obligations constitutionnelles : «Tous les citoyens ont droit à la protection de leur santé. L'Etat assure la prévention et la lutte contre les maladies épidémiques et endémiques. L'Etat veille à réunir les conditions de soins pour les personnes démunies» Les non démunis non assurés, les étrangers de passage, les vacanciers possédant pourtant une couverture assurance voyage, n'ont constitutionnellement pas droit à la gratuité des soins et pourtant ils y accèdent, et souvent en priorité ?! En langage populaire cela se nomme «dar el khla». La contractualisation et le conventionnement 1/ La contractualisation : Pour rappel, les lois des finances successives depuis 1992 disposaient que les relations entre les organismes de sécurité sociales et les établissements publics de santé devaient être du type contractuel. Lesquels organismes ne devaient subvenir qu'à la seule prise en charge des assurés sociaux. Il fallait donc trouver un mode de paiement qui soit également un moyen de calcul des coûts mais aussi d'évaluation des activités. Le groupe interministériel chargé de la contractualisation, installé le 16 mars 2002 a retenu le mode basé sur le coût moyen de la journée d'hospitalisation par type d'établissement et par groupe de spécialité, jugeant que le mode du forfait par pathologie représentait une démarche plus complexe, demandant plus de temps et qu'il fallait lancer les travaux d'approche de cette option au premier trimestre 2013. L'arrêté conjoint (Finances et Santé) fixant la nature et le montant des ressources propres des établissements publics de santé, prévu dans la loi des finances de 1995 et signé le 26 janvier 2002 comporte deux annexes, celle qui identifie lesdites ressources et celle des citoyens exonérés de contribution. Ainsi, les démunis non assurés sociaux sont exempts de toute contribution, les assurés sociaux n'entrant pas dans le cadre des personnes exonérées participent à hauteur de 50 DA pour une consultation de médecine générale ou dentaire, 100 DA pour une consultation spécialisée et 100 DA par journée d'hospitalisation. Les autres malades non inclus dans les catégories exonérées dûment spécifiées doivent s'acquitter soit eux-mêmes, soit par le biais de leur assurance économique en cas de dommage corporel, soit par le biais d'une clinique privée en cas de transfert secondaire, des frais de leurs soins aux montants suivants : -Consultation 250 et 450 DA, -Journées d'hospitalisation : variable en fonction de l'établissement daïra, wilaya, EHS et CHU ; médecine 3000, 3500 et 4000 DA, chirurgie 3500, 4000, 5000 DA, soins intensifs et réanimation 4000, 5000, 6000 DA, pathologies lourdes et services très spécialisé 9000 DA, -Prestations : imagerie allant de 200 DA le cliché standard à 7000 DA l'IRM ; radiothérapie allant de 2000 DA à 8000 DA ; examens biologiques allant de 450 à 4000 DA ; dérivées du sang ; stomatologie. Les actes chirurgicaux ne sont pas retrouvés du fait de l'absence de tarification. Cette opération qui a été menée dans une absence totale d'information et de médiatisation en direction des professionnels de santé, y compris pour le choix des 10 structures d'essais et le début de la simulation en 2003, a été un échec total. A ce jour l'approche du forfait par pathologie n'a pas été entamée, les hôpitaux n'ont aucune ressource propre, les régisseurs chargés de l'encaissement des frais selon le canevas de l'arrêté conjoint, arrivent une fois sur deux à le faire au tarif unique prévu pour la contribution des assurés sociaux. Par ailleurs, l'approche qui avait été privilégiée était considérée comme étant en mesure «d'apprécier la performance des établissements de santé et d'établir des comparaisons entre les différentes structures en vue d'une émulation vers l'efficience et l'efficacité» : séminaire du 26 janvier 2003 sur les procédures de la contractualisation. Ce qui est faux mais aussi dangereux car aboutissant à déclarer performantes les structures qui ne le sont pas. En effet, les paramètres pour apprécier la performance étaient : le nombre d'hospitalisés, la durée moyenne de séjour, le taux d'occupation moyen des lits et le coût moyen de la journée d'hospitalisation, ce dernier étant calculé par une division du total des charges du service par le nombre des journées d'hospitalisation ?! De ce fait, les services qui comptabiliseront le plus de journées d'hospitalisation et de malades hospitalisés auront un coût de journée inférieur à la moyenne fixée et une durée de séjour plus courte : ils seront donc déclarés performants ?! Ils le seront d'autant plus si les activités de soins sont réduites induisant une réduction conséquente des charges ?! Ceci parait, à juste titre, ridicule tout du moins pour les spécialités chirurgicales pour lesquelles il n'est pas admissible que la performance soit évaluée si les activités réelles ne sont pas valorisées. Seule l'évaluation basée sur des «recettes» engendrées par les activités selon le barème d'une nomenclature actualisée avec tarification indexée peut refléter la performance réelle d'un service de chirurgie. La méthodologie d'évaluation doit être rigoureuse avec des indicateurs univoques, homogènes, et objectivement vérifiables pour l'ensemble des services dans le groupe de spécialités concernées, faute de quoi l'évaluation, opération capitale pour la réforme du système de soins entérinera des résultats erronés et virtuels. 2/ Le conventionnement : Le conventionnement des structures privées n'a jamais fait partie des préoccupations des gestionnaires que ce soit de la santé ou des organismes de sécurité sociale. Cela atteste que, jusqu'à l'heure actuelle, il n'est pas appréhendé comme partie indissociable de la santé publique au sens large du terme, que ce soit dans les textes ou dans les mentalités. Le secteur privé n'a pas été concerné par l'opération de contractualisation, la sécurité sociale s'évertue à cantonner ses adhérents au seul secteur public, c'est dire le souci mono-idéiste de la réforme qui, d'ailleurs, a été qualifiée très justement d'hospitalière. Son statut de suppléant périodique pour pallier aux insuffisances du secteur public trouve sa preuve dans le fait que les seules activités conventionnées sont l'hémodialyse, la chirurgie cardiaque et les actes de cardiologie interventionnelle, avec très prochainement les activités de radiothérapie et d'oncologie. Le conventionnement (décret 09-116 du 7 avril 2009) dans le cadre de la carte Chifa est, il faut le dire, un fiasco pour plusieurs raisons. La première réside dans l'absence de concertation préalable à la mise en application et la volonté de vouloir imposer un système dont le principe général est bon, sans prendre en compte les angoisses des principaux concernés et les réalités de l'exercice. Le montant des honoraires fixés unilatéralement sans indexation sur le coût de la vie et l'évolution globale des prix, la non prise en compte l'inflation ont fait le lit de l'absence massive d'adhésion des privés. En plus un dispositif réglementaire figé, qui ne prévoit pas la liberté comme sous d'autres cieux d'exercer en statut « honoraires hors convention» et la liberté aux citoyens d'y recourir moyennant contribution personnelle, figé mais aussi répressif avec risque de poursuites judiciaires pour les contrevenants. Et pour finir une procédure administrative «paperassière» qui transforme le médecin privé en fonctionnaire ayant obligation, après des heures passées à remplir des formulaires électroniques, d'attendre le bon vouloir du chargé administratif pour lui «virer» son dû mensuel. Les raisons de tout cela ? Trois raisons. La première est que le secteur privé ne possède pas de cadre d'expression et d'organe de représentativité pour défendre ses intérêts matériels : on parle de lui, on parle pour lui mais aussi on pense et on agit pour lui. La seconde réside dans la défaillance totale du Conseil national de l'ordre des médecins qui, en 17 ans d'exercice, n'a pas exercé les missions qui lui sont dévolues par la loi 90-17 et le décret 92-276 portant code de déontologie. La troisième est celle de l'argumentaire avancé par les responsables administratifs : préserver l'équilibre de la sécurité sociale. Cet argumentaire est fallacieux car non basé sur des évaluations actuelles et prospectives qui puissent constituer des indicateurs objectivement vérifiables et opposables dans le cadre d'un débat contradictoire. Personne aujourd'hui n'est en mesure de donner le coût réel d'une appendicite, d'une césarienne ou d'une fracture de jambe. Plus grave encore, une enquête indépendante administrera la preuve que le tarif appliqué en secteur privé est 10 fois, oui 10 fois moins cher que le prix de revient en secteur public. Comme pour l'évaluation des activités du secteur public, seule la tarification des actes et le principe du forfait par pathologie sont à même d'appréhender la valeur des choses et surtout d'assurer une promotion de la qualité des soins en permettant au secteur privé de se développer et de constituer une offre en soins pérenne, indispensable dans un système de santé cohérent. Avant de clore ce chapitre il nous parait important de revenir sur le conventionnement des soins tertiaires et les dommages collatéraux potentiels que cette option comporte. Pour la chirurgie cardiaque, pratiquée dans l'extrême majorité des cas par des «équipes» étrangères, le problème réel réside dans la sélection inévitable et légitime des patients, ceux dont le statut ASA 4 comporte un risque majeur de décès sont réfutés mais ne trouvent pas leur place dans le secteur public faute de développement de ces activités et des structures idoines en parallèle. A suivre... * Professeur en chirurgie orthopédique |