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«Qui n'a point de
ressources en lui-même, l'ennui le guette et bientôt le tient.» Alain
Nos villes, nos villages s'ennuient. Les jeunes, les moins jeunes, écoliers, collégiens, lycéens, étudiants, chômeurs, retraités?ne savent pas quoi faire. Où aller? Salles de cinéma, parcs de loisirs, espaces verts, concerts, conférences, expositions, pièces théâtrales font défaut. Les bibliothèques, complexes sportifs, piscines sont insuffisants, vu le grand nombre croissant de notre jeunesse. Ces cités dortoirs nommées " villes nouvelles ", demeurent sans âme, sans vie culturelle, que de la grisaille, du béton à perte de vue, quelle tristesse ! Nos jeunes y végètent. L'ennui est leur compagnon de tous les jours. Le sentiment de l'ennui est l'occupation involontaire des hommes oisifs. Il est insupportable aux âmes actives. C'est une maladie dont le travail est le remède, la soif sans pouvoir se désaltérer. Il est une souffrance. " Qu'on laisse un roi tout seul, sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnies et sans divertissement, penser à lui tout à loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissements est un homme plein de misères. " Pascal. (Pensées) L'ENFER DE L'ENNUI Théophile Gautier(1811-1872) a eu un jour ce mot : " Mieux vaut la barbarie que l'ennui ! " Cette phrase, pour terrible qu'elle soit, porte en elle une vérité. Pascal (1623-1662), comme Schopenhauer (1788-1860), l'ont souligné : l'ennui est un fléau qui ronge l'humanité. Car celle-ci a tendance à passer de la souffrance à l'ennui. Le manque fait souffrir, car, quand il surgit, il plonge le corps, l'âme et finalement l'être tout entier dans un état de détresse. Qu'on vienne à manquer de nourriture, de compagnie ou de sens, on ne vit pas longtemps. Le manque réclame d'être soulagé pour que la vie soit. Ou il n'y a plus de vie. On ne vit pas bien sans désir. On est comme " blasé ". "Le peuple s'ennuie ? Etonnez-le, sinon il se distraira lui-même à vos dépens. Il ira chercher l'étonnement ailleurs s'il ne le trouve pas sur la scène politique. L'étonnement reste la grande passion des individus et des peuples. Et rien de ce que vous avez fait ne l'a étonné. " Jean Baudrillard. Dans le manque, on rêvait. On avait des projets. On avait envie de faire quelque chose de sa vie. Dans la satisfaction, on ne sait plus quoi faire de sa vie. Car on n'a plus de projets, plus de rêves, la satisfaction ayant tué les rêves comme les projets. " L'ennui fait le fond de la vie, c'est l'ennui qui a inventé les jeux, les distractions, les romans et l'amour. " Miguel de Unamuno. Pour s'inventer de nouveaux rêves comme de nouveaux projets, la tentation devient grande de s'inventer toutes sortes de faux besoins en faisant vivre de faux désirs. Ce qui peut conduire à s'inventer de faux drames qui, à la longue, deviennent de vrais drames. Ainsi, pourquoi les hommes pensent-ils continuellement à jouer, chasser ou se battre en se faisant la guerre, interrogeait Pascal, sinon parce qu'ils cherchent à tromper leur ennui ? Tel le pompier pyromane qui allume des incendies pour avoir le plaisir de les éteindre ; une partie de l'humanité a tendance à créer des catastrophes pour se donner le plaisir d'inventer des solutions. D'où les tragédies que nous connaissons. Bien des guerres ou des conflits pourraient être évités. Ce n'est pas le cas, car le désir réclame ses droits. Une guerre n'a-t-elle pas cessé, qu'une autre s'allume. Afin que l'appétit de l'imaginaire soit satisfait et que les hommes puissent se donner l'impression d'exister. Ainsi, pour échapper à l'ennui, on ne cesse de fabriquer toutes sortes d'ennuis, en créant un univers d'ennuis en expansion croissant, de façon à masquer l'ennui. Si bien qu'au bout du compte le résultat escompté ne se fait pas attendre. Les ennuis sont tels qu'on ne s'ennuie jamais. LA FACE CACHEE DE L'ENNUI Tout est-il dès lors condamné et sommes-nous à jamais voués à l'absurde ? Non. Car l'ennui n'est pas simplement destructeur. Il arrive que l'on trouve les ennuis lassants. Si l'ennui renvoie à un désir qui ne sait plus quoi faire de lui-même, il renvoie à notre capacité étonnante de savoir nous lasser de ce qui est vide. Alors, le désir revenant à la raison, on en vient à se souvenir qu'une autre vie est possible. Les hommes ont la nostalgie de l'infini. S'ils savaient davantage se tourner vers une autre vie, ils ne demanderaient pas au monde de leur donner ce que celui-ci ne possède pas. Une vie infinie est possible. Pour peu qu'on ne se trompe pas de vie. Il suffit pour cela de laisser parler la vie qui est en nous, sous la forme d'un trésor que l'on ignore."Ô libres oiseaux, fiers, charmants, purs, sans ennuis, Vous dites à l'aurore, aux fleurs, à l'astre, aux nuits : Est-ce qu'on ne peut pas aimer quand est homme? " V.Hugo (La légende des siècles.) |