|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
2ème partie
Des voix en Egypte et des écrits en Algérie en sont arrivés à insinuer, suggérer ou, carrément demander la révision des rapports entre les deux pays, à défaut de leur rupture, pure et simple, aidés en cela par de puissants porte-voix de va-t-en guerre. Révision oui, coupure non, parce que cela n'est jamais bon pour personne. En ce qui nous concerne, nous sommes déjà coupés à l'Ouest, et les relations qui devaient être exceptionnelles avec le Nord sont synthétisées par le tout dernier petit mot de monsieur Kouchner «Pas terribles», et c'est le moins qu'on puisse dire. A ce rythme, nous contribuerons, nous-même, à accélérer, notre propre isolement. Il y a eu aussi, parfois, des attitudes et des déclarations blâmables, des deux côtés. Cependant, les dépassements condamnables qui devront être, à terme, assumés par leurs auteurs, ne doivent pas escamoter le caractère positif du «déballage», pour les deux pays. Ils auraient, toutefois, énormément gagné à le mener plus discrètement et plus sereinement. Mais il vaut mieux tard que jamais et on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs. Il arrive, souvent, que la passion, pourtant mauvaise conseillère en général, nous libère des inhibitions d'un politiquement correct, c'est une bonne opportunité lorsque le protocole devient inutile. On s'explique mieux, alors, entre amis, en fratrie. On se dit des choses désagréables qu'on ne peut se dévoiler en temps ordinaire. A ce moment, la forme importe peu. A la retombée de la poussière du stade, les esprits seront plus affranchis, apaisés, clairvoyants, et le nouveau départ pourra se faire d'un meilleur pied. Les protagonistes seront alors plus disposés à endosser les agissements fâcheux, par l'alchimie diplomatique sur un terrain désormais re-balisé. «L'oued ne garde jamais que ses bonnes pierres» dit un proverbe bien de chez nous. L'aide de frères arabes et africains, d'amis étrangers, et le sang-froid qui prévalait, malgré tout, au plus haut de la décision politique, ont pu éviter le pire. Côté algérien surtout, la volonté d'apaisement, en dépit des incidents moins graves ici que là-bas, a été manifeste et de rigueur, par égard, devrait-on comprendre, aux liens forts avec le grand peuple d'Egypte et son vieux Président, non moins ami, débordé par sa turbulente progéniture aux dents longues. Les deux pays se sont expliqué, sous l'arbitrage du Soudan, sans aller à l'extrême auquel des voix hargneuses, d'un autre âge, ont appelé, suggérant l'envoi de troupes spéciales à Khartoum et même en Algérie. Le choc a pu être contenu dans ses limites médiatico-sportivo-diplomatique, nonobstant la gravité des lésions infligées. «El ?Afou ?And el Maqdira» dit un proverbe arabe (traduire par «magnanimité du vainqueur»). Le clash des nations n'aura pas lieu. Espérons que, demain, la critique et l'autocritique apaisées, ne se limiteront pas aux chamailleries autour du seul match sportif, ses soubresauts et ses répercussions politiques. Monsieur Bill Clinton, ex-président de la puissante Amérique, a publié, il y a quelques temps, un article au Times dans lequel il relève que, au moment où les nations développées se battent autour des Sciences et la haute Technologie, les peuples de notre région apprennent à faire des frites. Il observe que les années 1950, c'est-à-dire au moment où l'Algérie commençait à peine à se réveiller de son coma colonial, l'Egypte était au même niveau économique que la Corée du sud. La comparaison aujourd'hui donne le tournis. On pourra rétorquer qu'à la différence de la Corée du sud, celle du Nord, l'Egypte et l'Algérie se sont trompés de camp économique durant la guerre froide. N'empêche que la Corée du nord produit elle-même son nucléaire et ses fusées dans des conditions quasiment autarciques alors que les deux autres pays en sont loin, très loin. Lorsque le Président égyptien avait réaffirmé ce qui existe dans toutes les constitutions du monde, y compris la nôtre, à savoir ; que l'Etat est garant de la dignité du citoyen, tout le monde a compris qu'il visait l'Algérie, à cause du ton utilisé. L'intention y était certes, pour amortir le choc de la défaite, mais les commentaires médiatiques qui ont suivi ont étonné. Tout le monde a redécouvert, sur «orientation», que la dignité de l'Egyptien commence en Egypte avant l'étranger, même les commentateurs qui ont versé dans l'ignominie pour atteindre l'Algérie. L'arroseur était arrosé. Il se passait des choses qui ne transparaissaient pas dans les écrits et les images. La revendication de dignité est ancienne en Egypte post-Nassérienne qui est dans un Etat d'exception très contraignant depuis l'assassinat de Sadate il y a 18 ans. L'exploitation politicienne outrancière du match d'appui par le fils-dauphin, son frère et leur cour, au mépris du petit peuple des supporters réels scandalisés, s'est retournée contre le pouvoir, ravivant une revendication longtemps réprimée. Il n'y avait pas que des manifestations tolérées, voire encouragées, selon de grands journaux britanniques et américains étant donné le quadrillage policier le plus efficace de toute la région, devant l'ambassade algérienne. Il y en avait d'autres, aux mots d'ordre de justice et de dignité, qui sont inaudibles parce que étouffées ou censurées. Des intellectuels et des artistes aussi, se sont exprimés, même des journalistes lorsqu'ils ont pu le faire, à l'instar de Ahmed Mansour dont l'article reproduit par le quotidien algérien El Chourouk est antérieur au match. Il lui a valu un appel au lynchage, à peine déguisé par les gardiens du temple. Ce qu'il est convenu d'appeler le monde arabe compte 100 millions d'analphabètes et beaucoup plus d'illettrés. Le chômage et l'oisiveté et la hogra rongent la jeunesse, la démocratie est un concept creux et la pauvreté bat des records. La dignité des peuples commence par là. Les évènements collatéraux des matchs retour et d'appui ont pris des proportions inhabituelles. Les raisons à cela sont à chercher dans ce qui s'est passé dans la capitale des Fatimides bien plus que dans les méandres d'une vieille rivalité algéro-égyptienne. La joie des Algériens devait être grande si l'équipe nationale venait à arracher sa qualification à l'issue de la première rencontre ou même après la seconde. Elle avait toutes les chances d'y parvenir. L'important, après le ticket pour Luanda, c'était Johannesburg, au détriment d'un adversaire de taille. Au départ, la qualification en coupe d'Afrique paraissait consoler les Algériens d'un élimination éventuelle au mondial. Mais la victoire à l'aller avait complètement changé la donne et le coup bas du Caire a fait de la victoire un point d'honneur. L'idée de la présence à la réunion mondiale populaire la plus importante, suivie par des milliards de téléspectateurs et de nombreux observateurs mondiaux qui ne manqueront pas d'en amplifier l'impact dans la durée, relègue au second plan tout autre considération. L'enjeu est trop important, même pour les maîtres actuels du monde ; les Etats-Unis qui ont mis fin, récemment, à l'autarcie de leur football spécifique (ou soccer en américain) en s'ouvrant aussi sur le football mondialisé qui draine autant de monde à travers le globe. La mise rapporte gros, très très gros, bien plus que la concurrence dans l'espace. La déception, à l'inverse, devait être, évidemment, tout aussi grande. Ce ne sont pas les Egyptiens qui diront le contraire. L'injuste souffrance endurée quelques jours auparavant et la compassion de la quasi-totalité de l'opinion médiatico-sportive mondiale ont finalement fait de ce qui devait être une joie intense mais presque ordinaire, l'euphorie rarement observée de tout un peuple. Le résultat de Khartoum n'est pas une simple victoire, c'est un exploit, un triomphe et bien plus; une gloire qui se fête dans l'allégresse d'une justice rétablie. Peu importe les réactions de vengeance qui sont, après tout, contre productif. Le refus égyptien d'organiser la coupe africaine de hand-ball pour le boycott algérien s'est retourné contre la mère du monde. Les pays maghrébins, y compris l'Algérie, se sont portés candidats. La fédération africaine a promis d'étudier la demande algérienne au même plan que les deux autres. C'est finalement l'Egypte qui devra s'absenter au cas où. L'arroseur arrosé encore une fois. Le Soudan, et le monde arabe en général Le choix du Soudan est une aubaine, bien méritée, pour un pays longtemps enfermé dans le cliché de la guerre civile, la crise humanitaire au Darfour et la menace du «devoir d'ingérence» d'un certain droit-de-l'hommisme, à géométrie variable, devenu belliqueux. Un humanitarisme, à la limite de l'activisme, qui regarde ailleurs lorsqu'il est question de Palestine mais un peu trop méticuleux lorsqu'il s'agit de l'Afrique. La réussite du Soudan à relever le défi d'organiser cette rencontre, hors du commun, en si peu de temps (4 jours seulement) lui a valu les félicitations officielles et/ou médiatiques du monde entier, à commencer par la Fifa, l'Algérie et l'Egypte. Comme il l'a fait lui-même, tous les pays frères et amis du peuple soudanais devraient remercier l'Egypte pour ce choix. Si affable, pacifique et chaleureux, il s'est révélé en plus si efficace dans son entreprise. Son exploit a permis aux Algériens de redécouvrir la proximité et la cordialité de cet autre pays arabo-africain frère. Le professionnalisme et l'honnêteté dont il a fait montre dans ses relations équidistantes avec les deux adversaires l'ont propulsé au rang des prétendants à l'organisation d'une coupe d'Afrique à venir. Les chaînes satellitaires, arabes et africaines notamment, n'ont eu aucun mal à couvrir objectivement la compétition «surchargée et explosive» grâce à une gestion de main de maître. Comblé, le chef de l'organisation sécuritaire du match, blotti de fatigue dans son fauteuil, dans une posture de repos du guerrier, au lendemain de l'évènement, pouvait lancer sur toutes les chaînes, avec un sourire de sa satisfaction, bien mérité, qu'il allait de ce pas prendre l'avion du pèlerinage à la Mecque. L'accusation d'animosité collective des pays arabes, incluant le Soudan, par plusieurs commentateurs égyptiens est incompréhensible. La réaction du pays, hôte, fraternel et affable mais néanmoins ferme ne s'est pas fait attendre. Les excuses de circonstances, les contorsions expertes et les pressions de très hautes délégations n'ont pas suffi à le faire céder d'un seul iota. Pendant et au lendemain de la soirée folle de Khartoum, Dubaï Sport a interviewé dans les rues arabes proche-orientales. On entendait partout «Hard Luck El Djazaïr !» (Bonne chance à l'Algérie en anglo-arabe). Du Maghreb au Machrek, les pays arabes ne cessent d'envoyer des messages au «frère» égyptien pour un peu plus de retenue, apparemment sans résultats. Ces commentateurs ont trouvé en cela un complot contre leur pays et une preuve de haine arabe générale injustifiée. Le Qatar et la Tunisie, deux petits pays par la géographie mais deux grands géants médiatico-sportifs d'un bout à l'autre du Middle East and North Africa, viennent de boycotter le championnat arabe de volley dames organisé par l'Egypte, en solidarité avec l'Algérie qui a peur pour ses athlètes vu qu'elle a encore sur les bras des plaintes d'étudiants et autres expatriés dans ce pays. Le geste se veut aussi un avertissement que les menaces de boycott égyptien de l'Algérie risque d'être contreproductif pour les pharaons, l'arroseur arrosé en somme. Mais leurs faiseurs d'opinions ne veulent pas, ou ne peuvent pas, voir le nouveau monde évoluer. L'Amérique contemporaine a moins de 2 siècles et demi d'histoire, elle polarise le rêve immigratoire planétaire des plus anciennes civilisations, l'empire du milieu, l'Inde du Gange, la Mésopotamie, le Nil, la Grèce, la Méditerranée et les 5 continents sans exception. Le football a été codifié par les anglais au 19ème siècle. Les States qui, un siècle auparavant étaient sous domination britannique, et qui sont restés longtemps culturellement dépendants n'ont réellement investi le football que très récemment, bien après tous les pays du monde. Les premiers jeux olympiques du monde contemporain, incluant le football datent de 1900 à Paris. Créée en 1928, dans la commune de Villefranche-sur-Mer, sur la Côte d'Azur, par Jules Rimet Président de la toute jeune Fifa, la Coupe du Monde est une création européenne. Mais sa première édition eut lieu en 1930 en Uruguay, en Amérique du sud. L'Amérique du nord, juste à côté était repliée sur son soccer et ne pratiquait le football mondialisé que de façon très marginal. Il a fallu attendre 1994 pour qu'elle organise, pour la première fois, la coupe du monde de football en vue d'ancrer plus profondément ce sport chez eux et y étendre leur leadership. En une quinzaine d'années, ils se sont hissés au rang le plus élevé du hit-parade, rivalisant avec les plus grandes équipes européennes. Sa qualification régulière depuis n'a rien à voir avec l'âge du Sphinx égyptien ni même celui des jeux olympiques dont l'invention remonte à 776 avant J.C., par les Grecs, du nom de la montagne de Thessalie tenue pour être le séjour des Dieux aux yeux du paganisme gréco-romain. La cause palestinienne En Egypte comme en Algérie, il s'est trouvé des voix et des plumes pour annoncer la fin de l'arabité et de la fraternité arabe qui se serait avérée vide de sens. En Algérie on a appelé à enseigner l'Algérien et à se détourner de l'arabité, en Egypte on a prôné l'alliance avec le cousin Israélien au détriment du lointain Berbère, au moment où le président de l'Etat Hébreu foulait le sol de Foustat. Cette affirmation a sonné comme un choix, par dépit, entre le cousin israélien, en visite ce jour-là, et le frère palestinien qui fêtait bruyamment la victoire algérienne, de l'autre côté de la porte de Rafah. La déconvenue égyptienne est compréhensible, l'Algérie, par contre, est victorieuse. Dans un combat chevaleresque, l'humilité du vainqueur doit trouver écho dans la reconnaissance du vaincu. Quel bel exemple que cette phrase qui orne, à l'infini, les murs intérieurs du palais de l'Alhambra, de la main d'artistes andalous arabo-islamisés il y a près de mille ans : «La Ghaliba illa Allah» (Il n'y a de vainqueur que Dieu). Sur la question palestinienne, la position algérienne a, pourtant, évolué. Du célèbre aphorisme: «Avec la Palestine; juste ou injuste», attribué au deuxième président de l'Algérie indépendante, à l'offre de normalisation arabe en 2000 à Beyrouth à la condition: «Terre contre paix», que d'eaux ont coulé sous les ponts. A suivre |