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Les phénomènes
économiques qui se sont développés avant la crise économique de 2008, et durant
la crise, et vont se développer après la crise, c'est-à-dire à l'horizon
2018-2020, nous interpellent parce qu'il en va de l'avenir du monde, de notre
avenir, de nos emplois, de la stabilité économique pour chaque nation.
Les sentences que l'on entend çà et là, ou les analyses des médias, en Europe, aux Etats-Unis, qui annoncent, par exemple, que «l'économie va bien, la reprise est là» ou «l'Europe se désendette» ou encore «l'économie mondiale va à une nouvelle crise», «le pétrole de schiste américain pousse pour longtemps le prix du baril à la baisse», n'expriment que des incertitudes sur une situation économique mondiale difficilement déchiffrable. Et ces «Sujets sont si complexes qu'ils déchaînent les antagonismes de pensées des spécialistes». Comment alors comprendre cette situation économique du monde ? Des économistes de renom affirment que le monde est entré dans une «stagnation séculaire». Peut-on penser que l'humanité est réellement condamnée à la stagnation séculaire ? Comme l'énonce l'ancien secrétaire d'Etat au Trésor, Larry Summers. Et avant lui, ce concept a été énoncé par l'économiste Alvin Hansen lors de la Grande Dépression des années 1930. Dès lors peut-on penser que l'histoire se répète ? Et si la crise financière de 2007-2008 n'a pas dévoilé tous ses secrets ? Comme les redoutables événements qui ont surgi, dix années après la crise de 1929, c'est-à-dire la déflagration mondiale qui a retenti en 1939, entraînant le monde dans une spirale de guerres qui a changé le cours de l'humanité. Depuis déjà quelques années, et surtout aujourd'hui, une guerre invisible et sourde est en train de se jouer entre l'Occident, d'un côté, et la Russie et la Chine, de l'autre. Au milieu, les pays arabo-musulmans exportateurs de pétrole en payent le prix parce qu'ils détiennent les plus grands gisements de pétrole du monde. Qu'en est-il de cette situation du monde ? L'analyse de Jézabel Couppey-Soubeyran, membre du Comité d'Experts Yomoni Une analyse très pertinente (1) de Jézabel Couppey-Soubeyran, membre du Comité d'Experts Yomoni, éclaire bien ce problème qu'elle étaye par des arguments forts. «Et si les économies des pays avancés étaient devenues incapables de fabriquer de la croissance et de retrouver le plein emploi ? Et si cette situation d'inflation très basse que nous connaissons était amenée à durer ? Et si les seuls soubresauts possibles de croissance n'étaient plus que ceux provoqués par des bulles spéculatives sur le marché immobilier ou quelque autre marché financier ? [...] Au sortir de la crise financière enclenchée en 2007-2008, la plupart des économies dites «avancées» se sont retrouvées dans une situation de dépression auto-entretenue, dans laquelle la reprise ne parvient guère à s'installer, l'activité reste faible et l'investissement ne redémarre pas. Les Banques centrales ont eu beau se démener dans tous les sens, baisser leurs taux de refinancement en territoire négatif (pour ainsi dire au-delà de l'entendement puisque la plupart des manuels de finance étaient bien incapables de considérer comme possible il y a encore quelques années), l'investissement productif peine encore à repartir. [...] La stagnation séculaire est d'abord, comme l'explique Larry Summers, le fruit d'un déséquilibre persistant, au niveau global, entre l'épargne qui abonde et l'investissement qui s'atrophie. Alors, pourquoi l'épargne abonde au niveau global, quand bien même vous pouvez avoir individuellement des difficultés à mettre chaque mois un peu d'argent de côté ? C'est en partie lié à la montée en puissance des pays émergents dans les années 1990-2000: le développement de la capacité de production de ces pays, alors très tournés vers l'exportation, a accru leur revenu sans que la dépense de consommation n'y soit encore développée; résultat, le revenu non dépensé des émergents s'est déversé sur le monde entier, participant à ce que Ben Bernanke, l'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed), avait qualifié de «saving glut» (excès d'épargne). D'autres facteurs viennent accroître la propension à épargner. L'analyse en mentionne quatre: 1 - Aux écarts de revenus... 1% de la population mondiale possède près de la moitié des richesses et possèdera donc bientôt plus que les 99% restants. Or, la propension à consommer décroît avec le revenu, ce qui signifie que la part des hauts revenus qui va à l'épargne est nécessairement plus élevée. 2 - A la montée de l'incertitude... Autre facteur majeur et très actuel, le retour de l'incertitude, celle qui affecte à la fois l'avenir de l'emploi, des revenus, des retraites... tout cela incite à constituer une épargne de précaution et à reporter, quand on le peut, ses dépenses de consommation. 3 - Aux politiques des Banques centrales. Parallèlement, les Banques centrales ont géré la crise en accumulant des actifs achetés aux banques dans le cadre du quantitative easing, augmentant la demande de titres sur les marchés, c'est-à-dire l'offre de fonds prêtables. De ce point de vue, la politique d'achat d'actifs par la Banque centrale tend à maintenir le déséquilibre entre l'épargne (abondante) et l'investissement productif (rare), à moins que les liquidités obtenues par les banques dans le cadre du quantitative easing ne facilitent leur contribution au financement de l'investissement productif. Mais cela n'a guère été le cas jusqu'à présent en Europe. 4 - A la démographie. Le vieillissement de la population fait aussi partie des facteurs de la stagnation séculaire. Intuitivement, on se représente assez aisément une population qui vieillit comme étant plus parcimonieuse que dispendieuse, moins active, moins productive et donc aussi moins innovante. Epargne-t-elle plus pour autant ? Ce n'est pas si clair. Les économistes adeptes de la théorie du cycle de vie diraient même, au contraire, que les retraités puisent dans leur épargne constituée pendant leur vie active et que leur propension à épargner est moindre que pendant leur vie active. Jésabel conclut: «Rien qui ne puisse empêcher cette stagnation ? Cette abondance d'épargne ne serait au fond pas un problème si l'activité des intermédiaires financiers consistait à l'acheminer vers des investissements productifs de long terme. Or ce n'est plus guère l'orientation de l'intermédiation financière, celle des banques en particulier. Peut-être aussi parce que, dans le même temps, l'expansion de la sphère financière a détourné les ressources de la sphère productive, déformé l'allocation des talents, et ce faisant affaibli la capacité de nos économies à investir dans la sphère productive. Quant aux technologies de l'information dans leur ensemble, elles permettent de fonctionner avec moins de papiers, moins d'imprimantes, moins de photocopieurs, voire aussi moins d'espaces de bureau. C'est aussi, prévient Summers, la rapidité du développement technologique qui peut tout à fait justifier de reporter l'investissement de peur que la nouvelle technologie rende bientôt l'ancienne obsolète. Bref, la stagnation séculaire a de beaux jours devant elle. Vivra-t-on nécessairement plus mal dans un monde de croissance faible ? Pas forcément ! Un gâteau petit, mais bien partagé vaut souvent mieux qu'un plus gros ne profitant qu'à quelques-uns. Une question de partage donc ! Probablement aussi de moindre gaspillage.» Que peut-on dire de cette analyse ? Certes que les arguments forts mentionnés expliquent bien cette conceptualisation du monde par la «stagnation séculaire». Cependant, tout n'est pas dit. Comme l'énonce l'auteure de cette analyse. Pourquoi ne pas empêcher la stagnation séculaire ? Pourquoi les intermédiaires financiers occidentaux n'acheminaient pas cette abondance d'épargne vers des investissements productifs de long terme ? Pourquoi l'expansion de la sphère financière a détourné les ressources de la sphère productive, et ce faisant affaibli la capacité de nos économies à investir dans la sphère productive ? Il y a certainement une cause. Comme on ne peut penser que la politique d'achat d'actifs par la Banque centrale tend à maintenir le déséquilibre entre l'épargne (abondante) et les intermédiaires financiers, s'il n'y a pas une cause véritable, impérieuse qui commande cette politique. Et qui explique pourquoi l'auteure s'interroge. «A moins que les liquidités obtenues par les banques dans le cadre du quantitative easing ne facilitent leur contribution au financement de l'investissement productif. Mais cela n'a guère été le cas jusqu'à présent en Europe.» Comment alors comprendre ces financements non conventionnels ? La double dépendance entre l'Occident et les pays émergents-exportateurs de pétrole Après cette présentation du problème «des liquidités massives injectées» par la Réserve fédérale américaine, les Banques centrales européenne, d'Angleterre et du Japon, «qui ne relancent pas concrètement l'économie», il reste à comprendre ce mystère du financement non conventionnel ? Un bref rappel sur la situation économique mondiale qui a prévalu et qui a été l'origine de la grande crise financière de 2008 peut nous apporter les éléments de réponse sur cette «inondation monétaire, jugée par certains analystes, comme très dangereuse car inefficiente». Qu'en est-il ? Pour les besoins d'une analyse serrée, on ne prendra en compte que les crises immédiates qui ont précédé les crises immobilières et financières de 2007 à 2008. Donc, on peut dire que tout a commencé en 2000, avec l'éclatement de la bulle boursière des valeurs high-tech et Internet. Cette crise financière fut suivie de crises boursières en cascade entre 2001 et 2002, qui se sont étendues à l'ensemble des Bourses mondiales. Le XXIe siècle débutait mal. Ce n'est qu'en 2003, après une correction généralisée des valeurs boursières dans le monde, que l'économie américaine est repartie à la hausse, entraînant avec elle l'économie européenne et le reste du monde. Cette reprise économique eut deux moteurs, rappelons-le, comme en 2008, le premier moteur fut la baisse du taux d'intérêt directeur de la Fed, en 2001, qui est passé de 6,5%, en janvier 2001, à 1%, en juin 2003. La Banque centrale européenne emboîta le pas sur la Fed et fit passer son taux d'intérêt directeur de 4,75%, en mai 2001, à 2%, en juin 2003. Le différentiel de taux entre les Banques centrales américaine et européenne n'était plus que de 1%. Le deuxième moteur fut le financement tous azimuts par la Fed de l'économie américaine, relayé par le système bancaire, et qui a pris des proportions massives après les attentats du World Trade Center, en septembre 2001, suivi immédiatement de l'entrée en guerre des Etats-Unis en Afghanistan, en 2001. En 2003, c'est au tour de l'Irak d'être envahi et occupé par les Etats-Unis. Pour éviter une spirale inflationniste, c'est-à-dire une hausse des prix par un marché inondé de dollars, ces liquidités monétaires émises ex nihilo par la Fed nécessitaient des contreparties physiques. C'est ainsi que le cours du prix du pétrole a fortement augmenté, il a atteint 73,94 dollars, le 1er juin 2006. (2) Pour éviter que le prix du pétrole explose, il a fallu le recours d'augmenter le prix du métal-or. L'once d'or est passée de 266,10 dollars, le 17 janvier 2001, à 625,63 dollars, le 18 avril 2006. (3) D'autre part, on ne peut oublier que la baisse des taux d'intérêt directeur des grandes Banques centrales occidentales comme les financements sont «synchronisés». A suivre *Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective. www.sens-du-monde.com Notes : 1. «Une inévitable stagnation séculaire ?» par Jézabel Couppey-Soubeyran / Membre du Comité d'Experts Yomoni. Le 28/10/2016 https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-162046-une-inevitable-stagnation-seculaire 2. «Prix du baril - Le cours officiel du baril de pétrole» http://prixdubaril.com/ 3. Graphique historique de l'or https://www.goldbroker.fr/cours/or/usd |