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Nous sommes
passés du Hogra au Harraga en passant par l'Habelle (la folie) ; ces mots
portent en eux les malheurs des Algériens. Nos grands-parents ont su résister
au colonialisme et ont réussi à se libérer de ses fatalités. Nos parents ont
été bercés par les rêves et ont connu les terreurs du pouvoir
post-indépendance. Ils ont fait confiance à leurs frères, ils disaient «mieux
être maltraités par un frère que par un roumi». Nos frères ainés ont brisé le
silence de nos parents et les chaînes de la «Hogra» un 5 Octobre 1988. Ces
événements ont fait naître le «multipartisme». Une parenthèse s'est ouverte,
l'espoir a ressuscité et le peuple a pensé qu'il avait retrouvé sa dignité.
Hélas, la parenthèse s'est refermée et a laissé derrière elle des centaines de
milliers de morts, des orphelins, des femmes violées, des exilés, des gens
traumatisés,... Nos grands-parents ont quitté la vie sans avoir vu leur rêve se
réaliser : une Algérie démocratique et républicaine.
Qu'en est-il de notre génération et de celle qui nous a suivis ? Nous avons été les premiers «cobayes» de l'école fondamentale, formés par des profs à peine sortis du lycée, tiraillés entre l'obligation d'enseigner dans une langue qu'ils ne maîtrisaient guère et une langue devenue le signe du colonialisme. Une enfance marquée par la pénurie d'aliments de base, des heures, voire des journées entières à faire «la chaîne» (la queue) à Souk El-Fellah pour acheter un kilo de café ou 50 kg de semoule. Nos parents faisaient des stocks à la maison comme au temps de la guerre. Quand les événements du 5 Octobre ont éclaté, nous avons assisté au saccage des lieux publics et des institutions de l'Etat. La parole s'est libérée. Des partis politiques poussaient comme des champignons et le rêve d'une Algérie meilleure a ressuscité. L'Algérien espérait un changement durable ! Mais l'espoir était miné par des idéologies implantées par l'école depuis des années. L'assassinat du Président Boudiaf signala la fin du rêve. Notre génération s'est alors réfugiée à l'université pour échapper au service militaire et la mort qui prédominait la cité algérienne. Notre jeunesse fut ainsi marquée par la peur de voyage, la peur de parler, d'émettre une opinion, de chanter ou de danser ! Nous étions enfermés dans les résidences universitaires. D'autres n'ont pas eu la chance d'aller à l'université et se sont vus enrôlés, par la force ou la séduction, dans la violence qui a marqué, qui marque encore, tout le peuple. C'était ça les années de l'Habelle (la folie). L'année 2000 est arrivée et les portes se sont ouvertes ; des milliers de jeunes diplômés et de jeunes cadres se sont exilés, en emportant avec eux les souvenirs d'une décennie sanglante. Et d'autres jeunes qui n'avaient pas de diplôme se sont aventurés à quitter le territoire. Un nouveau phénomène est apparu : les «Harraga». Il y a des Harraga légaux, qui partent avec un diplôme ou de l'argent plein les poches. Il y a des Harraga par désespoir. Ils se jettent à la mer tout en sachant qu'ils ne seront pas les bienvenus dans l'autre rive ! L'envie de quitter le pays a touché l'ensemble de la société, la presse nous rapporte qu'on trouve parmi les Harraga des jeunes et des vieux, qui prennent le risque de leur vie. Un ami cadre m'a avoué dernièrement qu'il n'a jamais pensé quitter le pays mais, qu'au fil du temps, il regrette ce choix. Avant d'ajouter : «J'ai l'impression que les Algériens ont perdu leur humanité !». Chaque gouvernement vient avec ses commissions de réforme : une commission pour la réforme de la Justice, une autre pour l'Education, une autre pour la réforme des institutions de l'Etat, etc. Des rapports ne servent que les enquêteurs qui se rendent compte combien l'injustice est enracinée dans les pratiques quotidiennes, qui constatent que l'application de la loi n'a jamais fait partie des prérogatives de nos gouverneurs, que le népotisme est une pratique élargie, que l'officieux est plus officiel que l'officiel ! Pourquoi l'actuel gouvernement à l'instar des précédents ne pense-t-il pas au peuple ? Pourquoi qualifie-t-on les jeunes de criminels lorsqu'ils demandent du travail, un logement et... vivre en paix ? L'Equipe nationale de football est représentative de cette jeunesse qui espère. |