
La 67éme édition
du Festival International du Film s'achève ce soir avec un Palmarès avancé
d'une journée pour permettre aux festivaliers français d'aller voter aux
élections européennes de ce dimanche où le Front National est donné gagnant.
Notre envoyé spécial s'adonne au traditionnel jeu des pronostics.
La palme sera
soufie, oui la palme d'or sera mystique, cosmique et consacrera ce cinéma
contemplatif et poétique qui sonde nos âmes souillées, voilà ce que confiait
notre envoyé spécial passablement éméché à des clochards célestes rencontrés
dans une plage mouillée par des pluies moyennement passagères. «Timbuktu» du
frère Abderhamane Sissako tient la corde, même si on a aperçu, pas plus tard
qu'hier vendredi, dans le mausolée de Sidi Abderahmane un certain Mohamed-Le
Vert-Hamina implorant tous les Dieux de toutes les décennies pour que le
mauritanien ne soit pas primé. Deux autres merveilleux films, tout aussi
exténuants de beauté sont venus éclairer les perverses nuits cannoises. Le
toujours brillant turc Nuri Bilge Ceylan, régulièrement récompensé à Cannes
(Uzak, Les Climats, Les Trois Singes, Il était une fois en Anatolie)
finira-t-il pour décrocher enfin la palme d'or avec Winter Sleep (Kis Uykusu),
chef d'oeuvre d'une durée de 3H25? Aydin, comédien à la retraite, tient un
petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, dont il s'est
éloigné sentimentalement, et sa sœur Necla qui souffre encore de son récent
divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l'hôtel devient
leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements tchekoviens.
Vertigineusement magistral. Mais cette étude en profondeur de la condition
humaine, du rapport aux autres, au monde et à l'au-delà, est aussi au programme
d'un film japonais réalisé par une femme inspirée Naomie Kawasé. Les plus
belles images tournées dans l'eau dans toute l'histoire du Festival de Cannes
(qui avait pourtant primé le commandant Cousteau en son temps) sont dans ce
merveilleux «Still the water».
A peine eut-il
énoncé son palmarès idéal, que deux bolides de dernières minute sont venus tout
éclabousser. A ce stade on peut même parler d'un attentat planifié contre
l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran à Cannes. Deux drames contemporains qui n'ont
rien de mystique sont venus en fin de course perturber un pronostiqueur sachant
pronostiquer. «Mommy», le monumental film du jeune prodige Québécois, Xavier
Dolan, 25 ans, et l'incroyable «Leviathan» du russe Andrey Zviaguintsev»
renouvellent un genre, le mélodrame à caractère sociologique, et illustrent
chacun à sa manière qu'un autre cinéma contemporain est possible. Et du coup,
notre coup de coeur à mi-parcours du Festival pour le dernier opus, simple et
sensationnel des frères Dardenne, «Deux jours, une nuit», semble avoir pris en
quelques jours un sacré coup de vieux. De même nous sommes dans l'obligation de
retirer notre prix de l'interprétation féminine à Marion Cotillard pour le
remettre illico presto à la sensationnelle Anne Dorval, la plus géniale des
Mommy, et on laisse aux Américains le prix du meilleur acteur, Steve Carell
largement au dessus du lot pour sa prestation dans «Foxcatcher». Le grand prix
spécial «on ne sait vraiment plus quoi faire de lui» devrait aller à ce vieux
singe savant et chieur qu'est Jean-Luc Godard. Quand au vrai jury présidé par
Jane Campion, un seul message: bonne chance pour trouver un truc à donner aux
français.