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Décédé le 11 avril 2012 - Le tonnerre de la liberté : l'Odyssée d'Ahmed Ben Bella

par Salah Lakoues

Dans le firmament d'un crépuscule éternel, un souffle de liberté continue de murmurer à travers les âges. Ce soir-là, sous un ciel constellé d'étoiles en mémoire, le vent fredonne la légende d'un homme dont l'âme ardente n'a cessé d'illuminer l'horizon de son peuple.

Il y a treize ans, la terre accueillit en silence le dernier départ de ce phare d'espérance, et depuis, chaque aube semblait peindre en nuances d'or et d'argent la traces indélébiles de son passage. L'histoire se déroule dans un paysage onirique, où la réalité s'entremêle aux songes, et où la vie et l'oubli se confondent en une danse mystique. Ahmed, tel un voyageur aux sandales de poussière d'étoiles, a traversé les étendues arides d'un destin façonné par la lutte et la passion, laissant, derrière lui, un sillage de courage qui éclaire encore les sentiers de la liberté. À chaque pas, le murmure des ancêtres se mêlait aux chants du vent, témoignant de la force inébranlable d'un homme devenu légende. Dans ce récit, la disparition d'Ahmed n'est point une fin, mais la métamorphose en une constellation de souvenirs et d'idées qui vibrent dans le cœur des hommes. Ses batailles, menées avec la fougue d'un orage d'été, se transformèrent en éclairs de vie, éphémères mais éternels, gravant dans l'azur de l'histoire le récit d'un combat pour la dignité et la justice. À l'image d'un roseau ployant sans se briser sous la tempête, il sut puiser sa force dans la douceur même de l'espoir, offrant à ceux qui lui succédèrent la clé d'une aube nouvelle. Le temps, ce maître discret, fait danser les saisons et colorer les souvenirs. Ainsi, lors de ce treizième anniversaire, les murmures de la terre et le clapotis d'une rivière poétique conjuguent leur mélodie en hommage à sa présence. Les arbres, gardiens silencieux des secrets et des vertus, étendent leurs branches telles des mains ouvertes, rappelant l'étreinte fraternelle qu'Ahmed a semée au gré de ses errances héroïques. Chaque feuille, caressée par la brise, renaît en écho de ses idéaux, et les ruelles de l'âme s'animent d'un ballet silencieux en son honneur. Dans cet univers métaphorique, la disparition se fait pont entre les mondes, un passage sacré où le tangible et l'idéel se fondent en une éternelle communion. Ahmed reste pour toujours le vent libérateur, l'éclat vibrant d'un matin où l'horizon se pare de promesses de renouveau. Sa légende se raconte en murmures, en battements de cœur et en rêves d'un avenir façonné par la foi inébranlable en la liberté. Ainsi se perpétue, dans un souffle mystique, l'hommage à celui qui, en traversant la brume du temps, a laissé une empreinte lumineuse sur l'âme du monde. Ce récit, tissé d'émotions et de symboles, se veut une prière silencieuse pour célébrer non pas l'absence mais la présence vivante d'un esprit indomptable, un esprit dont l'écho traverse encore les ténèbres pour illuminer le chemin de tous ceux qui rêvent d'un horizon plus vaste et juste.

Ahmed Ben Bella : le semeur d'étoiles

Dans le vaste désert du destin algérien, une étoile s'est levée un matin d'hiver, un 25 décembre 1916, à Maghnia, ville frontière où les sables côtoient les rêves d'horizons lointains. Ahmed Ben Bella, fils de cette terre éprise de liberté, allait tracer sa route entre les lignes de l'histoire, le cœur battant au rythme des révoltes et des espérances de son peuple. À Tlemcen, au lycée, il fut déjà un corps en éveil et un esprit rebelle, un jeune homme au regard profond, conscient des chaînes invisibles qui enserraient son peuple. Mais l'histoire avait d'abord voulu faire de lui un joueur d'élite : l'Olympique de Marseille lui ouvrit les bras. Là, sur le rectangle vert, il apprit à dominer l'adversité, à manier la ruse et la vitesse, à orchestrer l'effort collectif. Le ballon rond fut sa première arme, et le stade, un champ d'honneur. Puis vint la Seconde Guerre mondiale, et avec elle le vacarme des canons et la menace du fascisme. Dans les rangs de l'armée française libre, il gravit les collines sanglantes de Monte Cassino, ce bastion nazi que l'Armée d'Afrique contribua à faire tomber. Il y fut décoré pour sa bravoure, mais c'est surtout là, au milieu des ruines de l'Europe en feu, qu'il comprit que l'Algérie ne serait jamais libre tant que le colon s'y croirait maître. La guerre mondiale terminée, il retourne dans son pays, mais c'est une autre guerre, plus souterraine et sourde, qui l'attend. Le 8 mai 1945, alors que l'Europe célèbre la victoire contre le nazisme, les cris de Sétif, Guelma et Kherrata résonnent de douleur. Ces massacres, cette trahison sanglante, réveillent en lui une colère sacrée. Il quitte alors définitivement la voie des compromis. Revenu à Maghnia, il se jette dans la politique nationale, adhérant au PPA-MTLD. Il se présente aux élections municipales, mais comprend vite que les urnes coloniales n'accouchent jamais de justice.

Alors il change de terrain de combat. En 1947, il devient l'un des fondateurs et le responsable de l'Organisation Spéciale (OS) pour l'Oranie. Le combat armé n'est plus une idée lointaine, il devient nécessité. Et c'est là que son génie éclate : il conçoit l'attaque de la poste d'Oran, en 1949, pour financer l'achat d'armes. L'opération est un succès, digne des grandes actions de résistance. Les billets volés deviennent balles, les sacs de courrier deviennent caisses d'espoir. Mais le sabre colonial veille. L'OS est démantelée. Ben Bella est arrêté en 1950 et condamné à 7 ans de prison. Enfermé, il rêve encore, non pas d'évasion mais de libération. En 1952, comme un oiseau qui refuse la cage, il s'évade. Direction Paris, où il retrouve Mohamed Boudiaf. Ensemble, dans l'ombre des ruelles grises de la capitale française, ils soufflent sur les braises de l'insurrection. Là commence la lente préparation de ce qui deviendra le 1er Novembre 1954, le cri de liberté des damnés de la terre. Ben Bella n'était pas qu'un homme, il était un feu. De Monte Cassino à Oran, de Maghnia à Paris, chaque étape de sa vie fut une métaphore de la libération : le footballeur qui apprend la stratégie, le soldat décoré qui comprend la duplicité, le militant arrêté qui rêve d'évasion collective. Il fut le semeur d'étoiles, celles qui brillent encore aujourd'hui dans le ciel algérien, rappelant que la liberté n'est jamais donnée, elle est toujours conquise. Dans le sillage de l'audacieuse attaque de la poste d'Oran, alors que l'argent subtil était converti en armes de libération, un nouveau chapitre s'ouvrit pour Ahmed Ben Bella, ce visionnaire dont la destinée oscillait entre les ombres et la lumière d'un avenir en révolte. Tel un chef d'orchestre invisible, il prit la tête des destinées de l'Organisation Spéciale (OS), guidant ses camarades à travers les méandres d'un combat aussi discret qu'impétueux.

Le destin, toujours joueur, le mena bientôt à la prison de Blida, où il était confiné derrière des barreaux froids et impitoyables. Mais la flamme de la liberté, telle une braise inextinguible, ne pouvait être contenue. Un commando d'élite de l'OS, mené par le redoutable Safi Boudissa, ourdit avec minutie et courage une évasion légendaire, libérant Ben Bella de sa geôle. Cet envol audacieux marqua non seulement la fin d'un emprisonnement, mais aussi l'aube d'une campagne de résistance où les chaînes invisibles du colonialisme se brisaient sous la force d'une volonté indomptable. Une fois libre, Ben Bella retrouva à Paris Mohamed Boudiaf pour élaborer une stratégie politique imparable, une trame de solidarité et d'ingéniosité qui devait transcender les frontières. Ensemble, ils mirent en place une vision révolutionnaire : faire de la libération de l'Algérie non pas une lutte confinée à un territoire, mais une affaire mondiale, portée par l'union des cœurs insurgés. Boudiaf, animé d'une détermination farouche, reprit la route vers l'Algérie afin de mobiliser les cadres de l'OS qui, par un précieux hasard, avaient échappé à la répression. Au bout de plusieurs mois d'efforts acharnés, ils se réunirent lors de l'emblématique « Réunion des 22 » ; vingt-deux âmes rebelles chacune, portant en elle la promesse d'un renouveau, se rassemblèrent dans un frisson de fraternité conspiratrice. Après cette réunion de Paris, véritable carrefour des espérances, Ben Bella prit la direction du Caire. Là, dans la cité millénaire du Nil, l'attendaient ses compagnons d'armes, Aït Ahmed et Khider, dont la présence symbolisait l'union sacrée des esprits combattants. Dans le tumulte de cette rencontre, le travail le plus important prit forme : celui de transformer la libération algérienne en une épopée planétaire, une lutte qui appellerait le soutien de tous ceux dont le cœur bat pour la justice. C'est dans ce théâtre d'ombres et de lumières que l'intelligence exceptionnelle de Ben Bella se dévoila. Par ses mots et ses gestes, il sut convaincre le président Djamel Abdel Nasser que la stratégie adoptée par les révolutionnaires algériens était profondément ancrée dans la réalité des terrains, loin des théories abstraites et fumeuses que certains tentaient d'imposer. Dans un dialogue vibrant où se mêlaient passions et convictions, il démontra que la Révolution devait être à la fois une œuvre politique et militaire, à l'image du courage des combattants qui, chaque jour, défiaient l'injustice par leur présence et leur détermination.

 Ainsi, guidé par la lumière incandescente de ses idéaux, Ben Bella inscrit son nom dans l'histoire non seulement comme un libérateur, mais comme un architecte de rêves éveillés. Son parcours, ponctué de destins brisés et de renaissances audacieuses, résonne encore aujourd'hui comme un hymne à la liberté, une métaphore vivante où chaque étape – de la prison de Blida à la réunion des 22, du Caire aux conseils de Nasser – est le reflet d'un combat éternel pour la dignité et l'indépendance. Sous un ciel d'encre, où l'obscurité semblait éternelle, se dessinait l'aube d'une révolution. Dans le fracas sourd de l'injustice coloniale, six chefs de wilaya, tels des sentinelles d'un rêve inassouvi, se dressaient, porteurs d'un message sacré. Leur guide, Mohamed Boudiaf, le coordinateur aux yeux de foudre, avait reçu pour mission de rejoindre le Caire afin de faire résonner la voix des Arabes à travers les ondes de la radio éponyme.

C'est là, dans le tumulte des ruelles de la capitale égyptienne, que la Déclaration du Premier Novembre devait être lue, comme une prophétie pour réveiller les âmes assoupies. Dans l'ombre de cette conspiration exaltée, Ahmed Ben Bella, avec l'appui déterminé d'un Nacer, illuminé de son accord, avait tissé les fils d'une stratégie politique et militaire qui ébranlerait les fondations du joug colonial. Le ‘1er Novembre 1954, le destin se mua en un tonnerre céleste qui traversa, tel un éclair incandescent, chacune des cinq wilayas, pour ceux qui, dans le secret de la nuit, avaient juré de rompre les chaînes de l'esclavage.

À minuit, le silence de la terre fut fendu par le rugissement de voix que l'on eût cru nées des entrailles mêmes du tonnerre. Debout, tel des lions défiant l'obscurité, se tenaient les noms gravés dans le sang de la révolte : Ben Boulaid, Ben Mehidi, Didouche, Krim, Bitat. Chaque nom, porteur d'un héritage héroïque, commandait le fracas du tonnerre, faisant vibrer l'air d'un espoir incandescent.

Pour l'État colonial, habitué aux promesses de faibles feux, cette clameur fut d'abord perçue comme un pétard mouillé – une rumeur sans éclat – alors qu'en réalité, la braise de la révolte brûlait avec une intensité inouïe. Les six chefs de wilaya, animés par l'ardeur du sacrifice et par l'amour indéfectible de leur patrie, avaient uni leurs forces pour que la liberté ne soit plus un vain mot, mais une réalité palpable, une lumière qui balaierait les ténèbres séculaires. Le message, diffusé par la voix vibrante de la radio du Caire, se répandit tel un cri divin, incitant chaque frère et chaque sœur à se lever contre l'oppression. Ce fut le début d'une épopée historique où le courage se mua en légende. Dans un ballet de stratégies fines et de sacrifices immenses, la Révolution algérienne devint une affaire mondiale, transcendant les frontières et faisant écho dans les cœurs de tous ceux qui rêvaient de justice. Les hurlements du tonnerre résonnèrent jusque dans les replis les plus secrets de l'âme, annonçant qu'en ce soir glorieux, l'espoir avait pris le dessus sur la fatalité, et qu'un nouveau jour de liberté, forgé par le sang et l'amour de la patrie, était sur le point de naître. Sous un ciel d'orage et de révolte, les événements se succédaient, implacables, comme les chapitres d'un livre épique où chaque page saignait de courage et de destin.

À chaque nouvelle tragique, lorsqu'un chef tombait au champ d'honneur, l'ennemi, dans son arrogance, criait victoire, persuadé d'avoir percé les remparts de la rébellion. Mais c'est dans ce moment de désespoir apparent que Ben Mehidi, tel un magicien des ombres, récitait sans relâche un sort de renouveau, arrachait à l'obscurité l'essence même de la résistance pour prendre sa place et perpétuer la flamme sacro-sainte de la liberté. Au cœur même des bastions du pouvoir colonial, le danger se rapprochait insidieusement. Les colonisateurs, en proie à leur propre défaite, avaient perdu la partie qu'ils refusaient d'avouer. Ils comprirent alors, avec une amertume glaciale, que le Héros Ahmed Ben Bella était la pièce maîtresse qui transfigurait le destin du peuple, l'âme vibrante d'une nation décidée à vivre libre. Dans l'effervescence feutrée des bureaux parisiens, des cerveaux inquisiteurs planifièrent ce qu'ils nommèrent un « assainissement », une purge destinée à neutraliser cette étoile rebelle qui illuminait le chemin de la libération. Les tentatives d'assassinats se multiplièrent, ourdies dans les ombres du Caire et de Tripoli, comme autant de coups de poignard lancés dans le secret de la nuit. Mais, face à ces complots ourdis par la main rouge, symbole macabre des ambitions clandestines, le courage physique et spirituel de Ben Bella se révéla invincible. Son cœur battait d'une force indomptable, défiant les lois de l'obscurité et renversant les coups bas avec la solennité d'un guerrier de lumière. Les colonialistes, incapables de saisir que le véritable pouvoir résidait dans la volonté inébranlable d'un peuple affranchi, virent s'écrouler leur arrogance devant une vérité trop grande pour être niée : quand le peuple décide de vivre libre, il arrive à déplacer des montagnes, même celles dressées en remparts contre l'Espoir. Comme des mauvais élèves repentis, les oppresseurs procédèrent alors à ce qui serait le premier détournement d'avion de l'histoire, un acte désespéré pour tenter de renverser l'ordre des choses.

En octobre 1956, le ciel au-dessus d'Alger fut le théâtre d'un drame inouï : un avion, chargé des cinq leaders de la Révolution, fut détourné et, à l'issue d'un chaos impitoyable, les cinq héros furent arrêtés. Ce scandale international, retentissant comme l'écho d'un glas, marqua un tournant décisif, offrant à l'Algérie une victoire symbolique plus éclatante que de nombreux bataillons entamés dans les djebels où la montagne elle-même semblait être devenue complice de la lutte. Ainsi se dessinait, dans le tumulte des conspirations et des exploits insensés, l'épopée d'un peuple en marche. Dans chaque épreuve, dans chaque attaque de l'ennemi, résonnait l'appel des âmes vaillantes qui, malgré les tourments, refusaient de plier. Au cœur de cette tempête, l'esprit de Ben Bella et celui de ses compagnons s'élevaient, indomptables et éternels, comme une légende vivante gravée dans la mémoire collective de toute une nation. Sous le joug des barreaux et dans le silence assourdissant des geôles coloniales, les leaders de la lutte, prisonniers mais invaincus, faisaient vibrer l'espoir par la seule force de leur volonté. Dans chacun des lieux de détention, là où l'ombre du supplice semblait vouloir étouffer la flamme de la révolte, ces âmes vaillantes menaient la grève de la faim. Par ce geste de défi, elles parvenaient à mobiliser des centaines de milliers de prisonniers politiques, transformant les prisons françaises en véritables bastions de la résistance collective. Même lors des derniers transferts, alors que leurs corps fatigués étaient acheminés vers des destinations obscures, ils n'abandonnaient pas le combat. Dans ces corridors de l'oubli, ils prodiguaient, avec la sagesse des anciens, des conseils inestimables à la délégation du FLN. C'était là, à Evian, dans les négociations de dernière retouche portant sur la défense de l'intégrité du territoire national – du littoral jusqu'aux étendues arides du Sahara – que se dessinaient, presque comme par miracle, les contours d'une Algérie libre et souveraine. Le 19 mars, alors que l'horizon semblait encore voilé de ténèbres, un nouveau jour se levait en une victoire politique et militaire éclatante. Les hommes et les femmes qui avaient longtemps souffert derrière les barreaux sortirent de détention acclamés dans le monde entier.

Leur émancipation fut célébrée comme le triomphe d'une justice longtemps refoulée. Dans ce tumulte triomphant, le stratège de l'attaque de la poste d'Oran – dont l'audace avait transformé l'argent en armes, et les armes en espoir – fut élu président de la République algérienne libre et indépendante. Ce moment historique marqua une étape décisive qui allait au-delà de la simple lutte armée. Pour Ahmed Ben Bella, désormais à la tête d'une nation renaissante, d'immenses défis l'attendaient : bâtir la paix, restaurer la dignité d'un peuple et ériger les fondations d'un État en marche vers l'avenir. Tandis qu'une Algérie tout entière reprenait son souffle et se relevait, il semblait que, dans le bruissement des foules en liesse et dans le fracas des armes qui se taisaient enfin, le destin tout entier avait choisi la voie de la liberté. Aujourd'hui, alors que la mémoire se fait écho de ces jours de lutte et d'extrême détermination, c'est une prière silencieuse que l'on adresse à l'âme d'Ahmed Ben Bella. Que sa vision, son courage et sa stratégie éclairée continuent d'inspirer chacun de ceux qui, avec passion et ténacité, œuvrent pour que le peuple vive enfin libre, porté par la force inaltérable de la justice et de l'espoir.