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Confrontée à des
difficultés financières chroniques, l'entreprise ENIEM est en passe de devenir,
comme ce fut le cas autrefois de la SNVI, un exemple emblématique de
l'entreprise publique dont la survie nécessite l'intervention récurrente des
pouvoirs publics(1).
Et tout incite à penser que, cette fois-ci encore, ces derniers ne manqueront pas de répondre favorablement aux appels au secours, soit directement par le biais du Trésor (ce qui, vu la conjoncture budgétaire actuelle, est invraisemblable), soit par le biais d'injonctions faites aux banques publiques. Le caractère répétitif et systématique des mesures de soutien financier aux entreprises du secteur public industriel n'est pas sans nous interpeller. Il montre combien, en matière de politique de développement, la rationalité économique peine encore chez nous à s'émanciper de la logique clientéliste qui, fatalement, continue de guider les actions économiques de l'Etat. Signe pourtant d'un échec qui perdure, ces mesures de sauvetage sont souvent présentées, non sans un certain aplomb, comme expression de la volonté politique de doter le pays d'une industrie compétitive. Usant de formules en complet décalage avec les réalités économiques d'aujourd'hui, le discours économique officiel de l'Etat continue encore de véhiculer l'idée puérile selon laquelle il est possible de redresser durablement la situation des entreprises publiques, pour peu que l'Etat consente à mettre à leur disposition les ressources à même de combler leurs déficits. En attendant que les autorités en charge du secteur de l'industrie nous annoncent un énième plan de sauvetage des entreprises publiques, la situation présente de l'ENIEM nous fournit l'opportunité de revenir, encore une fois, sur le statut véritable du secteur public industriel en Algérie. L'entreprise publique, guichet de distribution de la rente Vieux et récurrent, le débat économique sur l'opportunité de recourir à l'assainissement financier des entreprises publiques (puisque c'est essentiellement de cela qu'il s'agit) a aujourd'hui perdu de sa vigueur. Revenir à ce débat, c'est verser dans l'économisme. Mais c'est aussi refuser de voir que, particulièrement dans notre pays, l'entreprise publique n'est pas un sujet économique. En Algérie, l'entreprise publique s'apparente davantage à un marché politique. Non seulement parce que ses gestionnaires sont souvent nommés sur des bases clientélistes, mais aussi parce que ses recrutements, son fonctionnement et ses activités obéissent moins aux impératifs de rentabilité qu'aux interférences et interventions directes d'une multitude de centres de pouvoir politique. Il est aujourd'hui unanimement admis (y compris dans les cercles des décideurs) que l'entreprise publique n'est pas ce lieu où la rationalité économique fait loi. Le secteur public est resté ce lieu où la gestion du capital peine à s'émanciper de la logique clientéliste qui traverse l'ensemble des rouages de l'économie. Ainsi, dans ce secteur, la situation n'a fondamentalement pas changé, comparée à celle qui prédominait dans les années 70 et 80. Les entreprises publiques sont restées majoritairement déstructurées et un grand nombre d'entre elles est structurellement déficitaire. Si elles arrivent à se maintenir en activité et à financer leur cycle d'exploitation, c'est, comme par le passé, grâce au recours systématique au découvert bancaire. Le mode de gestion des entreprises publiques n'a pas évolué ; ces dernières continuent toujours de subir les injonctions politico-administratives. Les entreprises publiques sont des entités davantage politiques qu'économiques. Les mesures à caractère juridique prises à partir de 1988 en vue de leur procurer davantage d'autonomie en matière de gestion se sont avérées vaines et purement formelles puisque les fonds de participation, transformés ultérieurement en holdings publics, puis en sociétés de gestion des participations (SGP) de l'Etat et autres structures, ne sont en réalité que des courroies de transmission des décisions des autorités politiques en charge des secteurs d'activité concernés. Pour ne prendre que cet aspect, le mode de désignation des responsables de l'ensemble des structures intervenant dans la gestion des portefeuilles publics (c'est-à-dire essentiellement la cooptation), et le caractère limité des prérogatives qui sont conférées à ces structures font que le secteur public est resté ce lieu où la gestion du capital s'apparente à une gestion des carrières et de la distribution de prébendes au profit de la clientèle politique du régime. La gestion des entreprises publiques n'a donc pas connu de changements notables par rapport à la situation qui prévalait dans le passé. Le statu quo et l'immobilisme qui y règnent font que la description qu'en fait Lahouari Addi dans L'impasse du populisme, bien qu'antérieure à la période dite des « réformes », demeure encore étonnamment valable de nos jours. Il va sans dire qu'une telle situation ne tient que parce que le pays dispose d'une manne financière (rente pétrolière) qui permet de combler les déficits chroniques d'exploitation, expression de l'inefficacité économique de ces entreprises. Il y a cependant lieu de préciser que l'entreprise publique n'est pas, en tant qu'organisation, un agent rentier, à l'instar des autres acteurs de l'accumulation (capital privé national, capital étranger). En tant qu'entité économique (si tant est qu'on puisse la considérer comme telle), elle n'a pas pour mobile le captage de la rente. Ce dernier s'opère à l'intérieur de l'organisation et est essentiellement l'œuvre d'individus ou de groupes d'individus qui instrumentalisent l'environnement institutionnel qui commande le fonctionnement de l'entreprise publique pour opérer des ponctions sur les ressources de l'organisation. Le déficit structurel de l'entreprise publique apparaît, de ce point de vue, comme l'expression d'un transfert de ressources qui s'opère à l'échelle interne, c'est-à-dire à l'intérieur même de l'organisation. L'immobilisme en guise de réforme En matière de changement, le statut quo général est tel que d'aucuns s'interrogent encore aujourd'hui sur la nature et le contenu de l'orientation économique et sociale du pays. Il n'est pas besoin de relever beaucoup d'éléments pour se prononcer sur l'ampleur de l'immobilisme régnant : le statut du secteur public en est le meilleur révélateur. C'est sur ce terrain particulièrement que le couple « populisme-clientélisme » semble en effet faire le plus de résistance, empêchant continuellement le curseur de la réforme économique de s'y poser. Après avoir été longuement acculé, par manque de ressources, à se délester de nombre d'entités économiques relevant de son patrimoine (années 90 et début des années 2000), l'Etat n'a pas tardé à reprendre son ancienne feuille de route depuis que les moyens financières se sont mis à se faire de plus en plus abondants. La réhabilitation du secteur public industriel comme principal outil de développement économique est remis, de nouveau, à l'ordre du jour. Outre son caractère anachronique, une telle option illustrait le retour en force du populisme dans la conduite des affaires économiques du pays. Lieu où pullulent les comportements de gaspillage, de gabegie et de corruption ; traversé, comme aucun autre espace public, par la logique clientéliste ; faisant supporter à la collectivité le coût de ses déficits dont personne n'ose imaginer ou dire le montant - qui connaît d'ailleurs le montant du découvert bancaire du secteur ? - le secteur public industriel est le lieu où l'immobilisme est érigé en règle de gestion. De tous les secteurs d'activité économique, le secteur public est en effet le seul, depuis le début des années 90, à avoir gardé pratiquement la même configuration de fonctionnement et les mêmes « travers » de non-gestion. Dans ces conditions, sa réhabilitation continuelle n'aurait de signification que si on l'inscrit en droite ligne de la logique populiste-clientéliste qui anime l'action de l'Etat, logique selon laquelle l'existence d'un secteur public n'a d'intérêt que si l'on en fait un instrument de distribution de prébendes à la clientèle politique, un lieu de négation du conflit capital-travail (d'où le refus obstiné d'admettre l'autonomie des organisations syndicales) et un guichet qui sert de lieu de distribution indirecte de la rente, sous forme de « salaires », « primes » et autres avantages. Par ailleurs, la réhabilitation continuelle du secteur public, outre qu'elle indique l'incapacité du décideur à se départir de la conception populiste de l'économie, signifie le report sine die de la réhabilitation du travail comme institution centrale de toute dynamique projetée de croissance économique. Dans le contexte mondial actuel caractérisé par l'exacerbation de la concurrence, à travers notamment l'adaptation des législations économiques et sociales prévalant dans chaque pays, il est illusoire d'espérer un décollage économique fiable et durable en misant sur un secteur public dont on sait que le fonctionnement repose fondamentalement sur une configuration clientéliste du rapport salarial. La réhabilitation de l'activité industrielle, pour ne prendre que cet impératif du moment, ne paraît pas être aujourd'hui un objectif réalisable si l'on continue à en envisager l'accomplissement par le biais exclusif du secteur public. Traversé continuellement par la logique clientéliste, ce dernier est foncièrement inapte à construire des arrangements organisationnels internes à même de lui permettre de survivre dans un environnement institutionnel externe des plus hostiles. Faute de subventions budgétaires, le secteur public n'est point viable, à fortiori dans un environnement où, du fait de l'exacerbation de la concurrence (relativement à la situation qui a prévalu dans les années 70 et 80 où les frontières économiques du pays étaient sous contrôle), toutes les organisations économiques sont amenées à fonctionner à la marge. Certaines des mesures préconisées ces derniers temps en matière de politique industrielle nous incitent à penser que le changement n'est toujours pas à l'ordre du jour. Effacer les dettes des entreprises dont les déficits sont structurels, les maintenir artificiellement en vie, laisser filer leur découvert sans réagir, en sont quelques-unes des meilleures illustrations. L'expérience de certains pays rentiers montre pourtant que si l'Etat doit peser sur l'orientation du système productif, il n'est pas forcément nécessaire que cela passe par l'exercice d'un contrôle direct sur la production, comme cela a souvent été tenté grâce à la mise en place et l'entretien, grâce à la rente, d'un secteur public étendu. L'industrialisation est un objectif que beaucoup de pays anciennement attardés ont réussi à atteindre (Corée du Sud, Inde, Chine, Brésil...). Leur expérience montre cependant qu'une politique industrielle volontariste est tout à fait compatible avec la mobilisation du secteur privé. Dans certains cas, c'est même l'alliance Capital privé - Etat qui a constitué l'élément moteur du décollage économique. Cependant, préconiser une telle alliance dans le contexte présent de l'Algérie, c'est manifestement sous-estimer le poids du conformisme idéologique dans le processus de prise de décision. Source de blocage du changement économique et social, le conformisme idéologique trouve son expression économique la plus éclatante dans l'entretien, à coup de milliards de dinars de subventions, d'un secteur public structurellement déficitaire. Quid de l'avenir ? Pour faire face au problème du chômage et relever le défi de la croissance économique, l'Etat algérien a, pour diverses raisons, toujours privilégié le recours aux méthodes les plus simplistes, les plus archaïques, les plus coûteuses et, économiquement, les moins efficaces. Vouloir réduire le chômage en injectant de l'argent public dans des projets d'investissements « productifs », dont l'opportunité est décidée par l'Administration et dont la concrétisation est confiée à des entités publiques boiteuses, est une démarche constante dans la pratique économique de l'Etat. Cette démarche trahit une conception « primitive », « morphologique », de l'activité industrielle, conception qui se résume à l'idée selon laquelle il suffit de réunir les éléments physiques constitutifs de la combinaison productive pour que cette dernière se mette à mouvoir dans le sens souhaité et produire, ainsi, le surplus escompté. Bien que l'expérience ait montré le caractère puéril d'une telle conception, nos décideurs politiques s'obstinent à reconduire les pratiques qui en découlent. Reproduire aujourd'hui des pratiques qui avaient cours dans les années 1970 témoigne d'une incapacité à concevoir des solutions en rupture avec les méthodes archaïques du passé. L'archaïsme réside, en l'occurrence, dans la croyance que l'entreprise publique peut encore constituer un outil de croissance, alors même que les promoteurs de l'étatisme admettent volontiers, aujourd'hui, que l'entreprise publique n'est utile que si elle sert à autre chose qu'à produire du profit. (*) : Professeur d'Economie - Université de Tizi-Ouzou. Notes 1- Selon des chiffres rendus publics, l'ENIEM aujourd 'hui, c'est un chiffre d'affaire de 40 millions de $, une perte annuelle de 04 millions de $ et un endettement de 50 millions de $, dont 35 millions à échéance de moins d'un an ! |
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