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Débat :
L'Europe face au choc du retour de Trump et à la reconfiguration de l'ordre mondial : L'aveuglement stratégique de l'Europe, occasion manquée avec l'Afrique du Nord
par Salah Lakoues ![]() La Conférence de Munich sur la
sécurité est un forum annuel majeur dédié aux questions de politique de
sécurité internationale, réunissant des dirigeants mondiaux, des experts et des
décideurs pour discuter des défis actuels et futurs en matière de sécurité.
Deux éditions particulièrement significatives sont celles de 2007 et de 2025.
Conférence de Munich 2007 Lors de la 43e Conférence de Munich sur la sécurité, le 10 février 2007, le président russe Vladimir Poutine a prononcé un discours marquant qui a attiré l'attention internationale. Il a critiqué l'unilatéralisme des États-Unis et l'expansion de l'OTAN vers l'Est, affirmant que ces actions constituaient des menaces pour la sécurité mondiale et réduisaient la confiance mutuelle entre les nations. Poutine a également souligné la nécessité d'un multilatéralisme authentique et d'une solidarité internationale pour aborder les défis de sécurité contemporains. Ce discours a été perçu par beaucoup comme un tournant dans la politique étrangère russe, signalant une volonté de s'opposer plus fermement à l'influence occidentale et de réaffirmer le rôle de la Russie sur la scène internationale. Il a également mis en lumière les tensions croissantes entre la Russie et l'Occident, tensions qui se sont intensifiées dans les années suivantes. Conférence de Munich 2025 La 61e Conférence de Munich sur la sécurité se tient du 14 au 16 février 2025, à l'hôtel Bayerischer Hof à Munich. Cette édition intervient à un moment charnière, marqué par l'entrée en fonction d'une nouvelle administration américaine en janvier, le début d'un nouveau cycle législatif européen à Bruxelles, et des élections parlementaires allemandes prévues une semaine après la conférence. Parmi les participants notables figurent Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, António Costa, président du Conseil européen, Kaja Kallas, commissaire européenne aux affaires étrangères, Andrius Kubilius, commissaire européen à la défense et à l'espace, et Mark Rutte, secrétaire général de l'OTAN. Les discussions portent sur l'avenir de l'ordre international, les réformes de la gouvernance multilatérale, les conflits régionaux, ainsi que sur des défis transnationaux tels que la sécurité climatique et alimentaire. Cette édition de la conférence est particulièrement significative en raison des transitions politiques majeures en cours et des défis de sécurité complexes auxquels le monde est confronté. Elle offre une plateforme essentielle pour des débats de haut niveau visant à façonner les dynamiques de sécurité mondiale pour les années à venir. Analyse comparative En comparant les conférences de 2007 et de 2025, on observe une évolution notable des thématiques et des dynamiques de sécurité internationale. En 2007, le discours de Poutine mettait l'accent sur les tensions entre la Russie et l'Occident, en particulier concernant l'expansion de l'OTAN et l'unilatéralisme américain. Cette période était marquée par des préoccupations liées à l'après-guerre froide et à la réorganisation de l'ordre mondial. En revanche, la conférence de 2025 se déroule dans un contexte de transitions politiques significatives, tant aux États-Unis qu'en Europe, et aborde des défis de sécurité plus diversifiés et complexes, incluant non seulement les tensions géopolitiques traditionnelles, mais aussi des enjeux transnationaux tels que le changement climatique, la sécurité alimentaire et les réformes de la gouvernance mondiale. Cette évolution reflète une prise de conscience accrue de l'interdépendance mondiale et de la nécessité de solutions multilatérales pour aborder des défis de sécurité de plus en plus complexes et interconnectés. L'élection de Donald Trump en novembre 2024 a un impact majeur sur la Conférence de Munich 2025 et sur la géopolitique mondiale en général. Son retour à la Maison-Blanche marque un tournant par rapport aux politiques de l'administration Biden, notamment en ce qui concerne l'OTAN, l'Europe, la Russie et la Chine. Impact de Trump sur la Conférence de Munich 2025 Tensions avec l'Europe et l'OTAN Trump a toujours critiqué l'OTAN, exigeant que les Européens augmentent leurs dépenses militaires. Son retour crée des incertitudes sur l'engagement des États-Unis envers la défense collective, poussant l'Europe à envisager une autonomie stratégique plus poussée. À Munich, les dirigeants européens comme Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron insisteront probablement sur le renforcement de la défense européenne, indépendamment des États-Unis. Changement d'approche sur l'Ukraine et la Russie Contrairement à Biden, Trump adopte une posture plus conciliante envers la Russie et pourrait conditionner l'aide militaire à l'Ukraine à des négociations de paix. Cela change radicalement la dynamique du conflit, ce qui est un sujet central à Munich. Des tensions sont attendues entre les représentants américains et les dirigeants européens, notamment ceux des pays de l'Est comme la Pologne et les États baltes. Nouveaux rapports de force avec la Chine et le Moyen-Orient Trump durcit à nouveau le ton face à la Chine, relançant potentiellement la guerre commerciale et poussant les Européens à choisir entre Washington et Pékin. Sur le Moyen-Orient, il pourrait revenir à une approche plus alignée sur Israël, ce qui influencerait les discussions sur la sécurité régionale et les conflits, notamment à Gaza. Affaiblissement du multilatéralisme Contrairement à l'administration Biden, qui privilégiait la coopération internationale et les institutions multilatérales, Trump remet en cause plusieurs accords globaux, y compris sur le climat et le commerce. Cela affaiblit les discussions à Munich sur la réforme de la gouvernance mondiale et la lutte contre les défis transnationaux. Comparaison avec la Conférence de Munich 2007 Le retour de Trump en 2025 rappelle certains aspects du discours de Poutine en 2007, notamment la remise en cause de l'ordre international dominé par l'Occident. Alors que Poutine dénonçait l'unilatéralisme américain, Trump lui-même prône une forme d'unilatéralisme américain en rejetant les alliances traditionnelles. L'Europe, qui se sentait déjà visée par la montée de la multipolarité en 2007, doit aujourd'hui gérer une Amérique plus imprévisible et moins engagée. L'élection de Trump transforme la Conférence de Munich 2025 en un moment de repositionnement stratégique pour l'Europe et le monde. L'OTAN est fragilisée, la guerre en Ukraine entre dans une nouvelle phase, et la rivalité avec la Chine s'intensifie. L'Europe pourrait chercher à renforcer son autonomie stratégique, mais avec des divisions internes sur la manière d'interagir avec la Russie et la Chine. Munich 2025 pourrait être une conférence marquant la transition vers un monde encore plus fragmenté et multipolaire. Le discours de Vladimir Poutine en 2007¡ souligne la fin de l'unipolarité et critique l'Occident pour ne pas avoir pris en compte les préoccupations russes en matière de sécurité. L'ignorance des avertissements russes a conduit à la crise ukrainienne de 2014, et la non-application des accords de Minsk a exacerbé les tensions, menant à la guerre de 2022. Selon cette lecture, une reconnaissance plus précoce du monde multipolaire aurait pu éviter le conflit et favoriser un équilibre plus stable. Après l'effondrement de l'URSS, la Russie a traversé une crise profonde, marquée par l'humiliation et un affaiblissement économique, militaire et politique. Poutine a tenté de restaurer la puissance russe et d'imposer une vision multipolaire du monde, mais l'Occident n'a pas pris cette approche au sérieux, pensant que la Russie ne pourrait pas se relever. Cette sous-estimation a contribué aux tensions, notamment en Ukraine, où le non-respect des accords de Minsk et l'expansion de l'OTAN ont nourri la confrontation actuelle. L'Occident a sous-estimé la résilience de la Russie en ignorant sa puissance territoriale, ses vastes ressources naturelles et son capital humain. En plus, la personnalité de Poutine, déterminée à restaurer l'influence russe, n'a pas été prise au sérieux. L'arrogance occidentale s'est traduite par une politique d'expansion de l'OTAN et une marginalisation de Moscou, renforçant le sentiment d'humiliation postsoviétique. Cette attitude a contribué aux tensions géopolitiques, culminant avec la crise ukrainienne et la guerre de 2022, illustrant l'échec d'une diplomatie fondée sur l'exclusion plutôt que sur l'intégration. La résistance de la Russie à l'hégémonie occidentale a trouvé un fort écho dans le Sud global, où de nombreux pays rejettent la domination unipolaire et les doubles standards. La proposition d'un monde multipolaire, portée par Poutine et d'autres leaders, a séduit des nations cherchant plus d'autonomie dans les affaires internationales. Ce soutien s'est manifesté à travers le renforcement des BRICS, la montée des alliances non-occidentales et le rejet des sanctions contre Moscou, illustrant un basculement progressif de l'ordre mondial vers plus d'équilibre géopolitique. L'Occident a sous-estimé la capacité de résilience de la Russie en pensant que les sanctions suffiraient à l'affaiblir. Après l'annexion de la Crimée en 2014, ces mesures n'ont pas eu l'effet escompté et ont même renforcé certains secteurs de l'économie russe, notamment l'agriculture et l'industrie énergétique. En 2022, la même erreur d'évaluation s'est répétée : les sanctions massives n'ont pas provoqué l'effondrement espéré, mais ont accéléré l'intégration de la Russie au sein du Sud global et favorisé l'émergence d'alternatives aux systèmes financiers occidentaux. Les États-Unis ont encouragé l'Ukraine à refuser tout accord de paix avec la Russie, poussant ainsi l'Europe dans une confrontation prolongée. Cette stratégie leur permet de se repositionner dans le Pacifique, où leur principal rival reste la Chine. En exploitant la question taïwanaise, Washington cherche à contenir Pékin. Cependant, cette approche a eu un effet inverse : elle a renforcé les liens stratégiques entre la Russie et la Chine, consolidant un bloc eurasien opposé à l'hégémonie occidentale et accélérant la transition vers un ordre multipolaire. L'arrivée au pouvoir de Donald Trump a introduit une dynamique nouvelle dans le conflit ukrainien. Trump a exprimé sa sympathie envers la position russe s'opposant à l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN et a initié des négociations directes avec Vladimir Poutine pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Cette approche a suscité des inquiétudes en Europe, où l'on craint que les États-Unis ne concluent un accord défavorable à l'Ukraine, laissant à la Russie les territoires conquis et empêchant l'Ukraine de rejoindre l'OTAN. Les alliés européens redoutent d'être marginalisés dans le processus de paix et de devoir assumer seuls la responsabilité de la reconstruction et de la sécurité post-conflit. En conséquence, l'Europe pourrait être poussée à rechercher un arrangement avec Poutine pour mettre fin à la guerre, potentiellement en acceptant certaines des conditions russes, telles que la reconnaissance des territoires annexés et la neutralité de l'Ukraine. Cette situation souligne la nécessité pour les nations européennes de renforcer leur unité et leur autonomie stratégique face aux évolutions de la politique américaine. Dès le début du conflit, les analystes les plus sérieux avaient prévenu que l'Europe subirait des pertes économiques et politiques considérables. Pourtant, des dirigeants comme Emmanuel Macron, convaincus de pouvoir affaiblir la Russie, ont adopté une posture belliciste sans véritable compréhension historique et géopolitique. Cette stratégie a entraîné une dépendance accrue de l'Europe vis-à-vis des États-Unis pour sa sécurité, tout en affaiblissant son économie face aux conséquences des sanctions et des ruptures énergétiques. L'aveuglement stratégique de l'Europe, occasion manquée avec l'Afrique du Nord dans un monde multipolaire. Avec l'arrivée de Trump, qui privilégie une approche plus transactionnelle, l'Europe pourrait être contrainte de repenser sa politique de défense et son autonomie stratégique. Cette nécessité de renforcement pourrait accélérer sa transformation pour s'adapter au monde multipolaire émergent, où elle devra affirmer sa place sans compter exclusivement sur Washington. L'Europe, sous l'influence de dirigeants comme Emmanuel Macron, a manqué une occasion stratégique en négligeant un partenariat structurant avec l'Afrique du Nord. Aveuglée par une vision arrogante et paternaliste, et enfermée dans une logique de confrontation avec la Russie, elle s'est privée d'un axe géopolitique clé. L'Afrique du Nord, avec ses 200 millions d'habitants, ses ressources naturelles et sa position géographique idéale entre l'Europe, l'Afrique subsaharienne et le monde arabe, aurait pu être un allié de premier plan. Une approche coopérative aurait permis à l'Europe de renforcer son autonomie énergétique, d'accéder à de nouveaux marchés et de peser davantage dans le monde multipolaire en construction. Au lieu de cela, l'aveuglement stratégique et le suivisme atlantiste ont conduit l'Europe à l'isolement, fragilisée économiquement par la guerre en Ukraine et dépendante des États-Unis pour sa sécurité. Avec l'arrivée de Trump et le recentrage américain sur le Pacifique, l'Europe risque d'être contrainte de revoir ses priorités et d'adopter enfin une politique plus pragmatique. |
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