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![]() ![]() ![]() ![]() Le 6 août 1945, un éclair
au-dessus d'Hiroshima bouleversa l'ordre mondial, révélant la puissance inédite
de la bombe atomique. Staline, lucide face à cette rupture historique, mobilisa
immédiatement les ressources de l'URSS pour rattraper son retard nucléaire. En
1949, l'Union soviétique brisait le monopole américain sur l'atome, marquant l'entrée
dans une ère de rivalité bipolaire.
Une décennie plus tard, en 1961, Youri Gagarine devenait le premier homme dans l'espace, provoquant un choc stratégique à Washington. La réponse américaine, incarnée par le discours visionnaire de John F. Kennedy en 1962, aboutit à l'alunissage de Neil Armstrong en 1969, scellant la suprématie spatiale des États-Unis. Aujourd'hui, nous sommes témoins d'une révolution d'une ampleur potentiellement plus grande: l'avènement de l'intelligence artificielle (IA). En termes simples, l'IA désigne la capacité des machines, notamment des ordinateurs ou des robots, à imiter certaines fonctions de l'esprit humain, comme la compréhension du langage, la reconnaissance des images ou encore la prise de décision. À terme, une IA non réglementée pourrait, en améliorant ses propres capacités, dépasser l'intelligence humaine dans tous les domaines. Ce scénario soulève des questions éthiques et des craintes sur le contrôle que l'homme pourrait encore exercer sur une telle technologie. Les États-Unis, longtemps persuadés de dominer ce domaine grâce à des modèles comme ChatGPT, Gemini ou Claude, ont tenté de freiner la Chine en limitant son accès aux puces GPU avancées, essentielles pour traiter des volumes massifs de données, comme les mille milliards de mots ayant servi à entraîner ChatGPT. Pourtant, la Chine a répondu en développant DeepSeek, un modèle d'IA open source, démontrant qu'aucune nation ne peut verrouiller l'innovation durablement. Cette situation rappelle que, comme après Hiroshima ou le vol de Gagarine, le progrès technologique finit par se diffuser, redessinant constamment les équilibres mondiaux. En réaction, les États-Unis ont annoncé un investissement massif de 500 milliards de dollars dans le développement de l'IA, lançant ainsi une nouvelle guerre froide technologique. L'IA comme arme géopolitique Comparer l'IA à l'arme nucléaire n'est pas exagéré tant elle bouleverse la hiérarchie de la puissance mondiale. Les drones militaires autonomes, par exemple, réduisent les temps de réaction à quelques millisecondes, rendant la prise de décision humaine secondaire (1). Une autre illustration de l'impact de l'IA est AlphaFold, développé par DeepMind en 2020, qui a révolutionné la biologie en prédisant avec une précision inégalée la structure tridimensionnelle des protéines, ouvrant ainsi la voie à des traitements innovants contre des maladies complexes (2). Dans le même temps, des algorithmes sophistiqués permettent de déstabiliser des monnaies nationales ou de manipuler des infrastructures critiques. Les géants technologiques américains (GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et chinois (BATX : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) continuent de collecter massivement les données, qualifiées de « pétrole du XXII siècle ». Sans une souveraineté numérique, les nations risquent de devenir de simples réservoirs d'information exploités par des acteurs étrangers (3). La France et les Émirats arabes unis viennent d'annoncer un partenariat ambitieux pour construire un centre de données d'IA d'une capacité de 1 gigawatt, avec des investissements estimés entre 30 et 50 milliards de dollars (4). Cette capacité gigantesque, équivalente à l'énergie nécessaire pour alimenter une ville moyenne, souligne l'intensité énergétique des technologies d'IA. Ce projet inclut l'acquisition de puces de pointe, la création de data centers massifs et des infrastructures souveraines de cloud et d'IA. Pour l'Algérie, cette initiative franco-émiratie représente un signal d'alarme. Si nous ne réagissons pas rapidement, notre souveraineté numérique et notre sécurité nationale pourraient être compromises. Faire face au défi de notre souveraineté numérique Notre pays a pris conscience du rôle clé de l'IA et du numérique en adoptant deux stratégies ambitieuses : l'une visant à faire du pays un acteur majeur de l'IA d'ici 2031, et l'autre axée sur la transformation numérique à l'horizon 2025-2030 (5). Dans ce cadre, la création de centres de données nationaux et d'un cloud algérien piloté par Algérie Télécom et ICOSNET est déjà en cours. L'idée est de garantir la souveraineté des données sensibles, de simplifier les démarches administratives via une plateforme d'interopérabilité et de renforcer la sécurité informatique pour protéger nos infrastructures critiques. Des initiatives concrètes ont vu le jour, à l'exemple d'un Institut National d'Intelligence Artificielle dont l'objectif est de former des milliers de spécialistes d'ici 2030 et d'installer des laboratoires de recherche de pointe à Alger, Oran, Constantine ou Tlemcen. Des solutions locales sont aussi encouragées, qu'il s'agisse de robots agricoles adaptés aux défis sahariens ou d'algorithmes gérant l'eau et l'énergie dans les régions arides. Mais ces projets se heurtent à divers obstacles : la fuite des cerveaux, le manque d'infrastructures dans certaines zones reculées et la nécessité de mobiliser des budgets conséquents. Si la coordination entre les ministères et les acteurs socio-économiques fait défaut, si les financements ne suivent pas, la modernisation risque de rester à l'état de promesse. Vers un nouvel ordre mondial Pendant que la Chine et les États-Unis bataillent pour imposer leurs standards technologiques, d'autres pays comme l'Inde, le Brésil, la Turquie ou l'Afrique du Sud misent sur l'open source et sur leurs propres approches pour ne pas dépendre uniquement des GAFAM américains et BATX chinois. L'Algérie pourrait tirer parti de ces modèles pour bâtir des alliances équilibrées et affermir sa résilience numérique. L'enjeu est d'éviter qu'une seule puissance, étrangère de surcroît, ne maîtrise totalement nos infrastructures, nos réseaux et nos données. Le temps presse : l'IA et ses algorithmes évoluent à une vitesse inouïe. Devenir un simple client de technologies créées et hébergées ailleurs reviendrait à abandonner un pan essentiel de notre souveraineté. Comment pourrions-nous prétendre décider de nos politiques publiques, de notre sécurité ou de notre culture si, en dernière instance, les outils digitaux qui régissent notre quotidien appartiennent à d'autres ? Choisir plutôt que subir L'intelligence artificielle dépasse la seule question technique. Elle incarne une nouvelle forme de pouvoir, qui touche à la fois la défense, l'économie, la société et même l'imaginaire collectif. L'Histoire l'a déjà maintes fois démontré : refuser de s'approprier les révolutions technologiques du moment, c'est s'exposer à la tutelle de ceux qui les maîtrisent. Il n'est pas garanti que l'Algérie deviendra le prochain champion de l'IA en Afrique. Mais nous pouvons éviter de devenir l'arrière-cour numérique d'autres puissances. Les précédents, qu'il s'agisse de la conquête spatiale ou de la course à l'atome, montrent qu'avec une volonté politique tenace et un effort collectif, des bonds spectaculaires sont possibles. Encore faut-il s'armer d'une vision claire, d'un réel engagement budgétaire et d'une collaboration efficace entre l'État, les universités, les start-up et les industriels. Faute de quoi, nous ne serions qu'un réservoir de données bradées à l'étranger, en échange de services numériques sur mesure. Dans quelques années, nous repenserons sans doute à l'émergence de DeepSeek ou à la gigantesque alliance franco-émiratie comme à des rappels cinglants : aucune nation n'est à l'abri d'une surprise stratégique. À l'instar d'Hiroshima ou du vol de Gagarine, ces signaux nous exhortent à ne pas nous endormir sur nos lauriers. Soit nous participons à l'édification d'une Algérie souveraine dans l'ère de l'IA, soit nous subissons la domination de ceux qui tiennent les clés de l'algorithme. Le temps passe vite, et les algorithmes, eux, ne dorment jamais. 1. https://cset.georgetown.edu/ 2. https://www.publicaffairsbooks.com/titles/shoshana-zuboff/the-age-of-surveillance-capitalism/9781610395694/ 3. https://deepmind.google/discover/blog/alphafold-using-ai-for-scientific-discovery/ 4. https://www.reuters.com/technology/artificial-intelligence/france-uae-agree-develop-1-gigawatt-ai-data-centre-2025-02-06/ 5. https://www.elmoudjahid.dz/fr/actualite/objectif-d-un-ecosysteme-robuste-en-2025-algerie-numerique-en-action-228825 |
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