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C'est quand les mots
commencent à prendre du sens que nous commençons à nous installer dans une
vraie indépendance, avons des chances d'accéder à la liberté d'esprit et
revendiquons notre "présence-ici".
Prendre sens, c'est (éprouver la joie de) ramener à sa réalité (quand il y a quelque part conscience de sa propre réalité - de nombreuses fois j'ai recouru à la notion d'«inconscience-de-soi » de Abderrahmane Hadj-Nacer qu'il évoque dans son livre " La martingale algérienne" pour expliquer mon idée de l'éloignement de l'être qui est en nous, parfois (ou souvent) différent de celui que nous laissons surgir dans notre rapport à l'autre), rattraper la réalité qui ne nous était pas jusque-là " vrai-semblable" (souvent ce fut mon cas à cause de la déformation du legs social et du système scolaire algérien), en saisir les contours, se libérer des décalages qui veulent que je persiste à expliquer ma réalité par la réalité de l'autre, et ne me sente pas tout à fait un " homme-du-lieu" . Ce n'est certainement pas du déracinement que quelque chose, qui relève du cryptage, d'un aveuglement sur sa propre condition d'être capable de se saisir de sa propre destinée. D'ailleurs, j'en viens à penser que l'indépendance (mot idéologique et idéologisé) est plus un dispositif politique de substitution coloniale qu'un dispositif social visant à la promotion des libertés individuelles et collectives ; puisqu'il a servi, a priori, à remplacer une colonisation par une autre (exemple : remplacement d'une classe européenne de la dépossession au nom de la supériorité raciale et civilisationnelle par une autre de l'accaparement des biens nationaux - on peut même penser, comme je l'ai écrit plusieurs fois, que nous sommes passés du colon de l'extérieur au colon de l'intérieur), à garder d'autres formes de colonisation en mode veille, comme celles se proclamant de l'islamisme obstinément radicalisé, sur fond de dépersonnalisation de l'être-collectif, principalement par l'empêchement de ce dernier d'accéder à la liberté d'esprit qui est le pivot central du bien-être. De la méconnaissance des mots Il se trouve que l'enseignement de l'architecture, comme l'enseignement de l'urbanisme (j'imagine que c'est le cas un peu partout, dans tous les domaines) n'échappe pas à ce constat ; il porte gravement les séquelles de la méconnaissance (particulièrement philosophique !) des mots (mais aussi des sigles, des acronymes, des expressions, etc.). Pour le moment je ne vois pas d'issue à cette situation dans laquelle se trouve piégé l'enseignement algérien (à tous les niveaux, du primaire à l'universitaire). L'administration, comme la politisation, abusive de l'appareil pédagogique a conduit à la rigidification des attitudes négativement défensives parmi l'ensemble du corps universitaire (ce n'est pas l'intérêt général qui compte, c'est l'intérêt individuel) ; en parallèle, il en a résulté le clanisme qui est la résurgence d'une sorte de tribalisme primitif et déguisé sous une forme intellectuelle, la constitution de groupes petits ou grands qui s'opposent spontanément et viscéralement aux esprits novateurs, jusqu'à les exclure si possible. Généralement, par égo excessif, la tendance au pouvoir et son accaparement plus que la recherche de la représentation responsable, déteint sur l'enseignement et va dans le sens de l'incarcération des esprits qui ont depuis longtemps pris l'habitude de l'habitude du retranchement. Les retranchements sont les meilleurs espaces de l'expression de la communion. Le groupe de la communion prétend le pouvoir de la ratiocination de la pensée comme de la démarche, il fonctionne par effet de cloisonnement, c'est de l'instinctif primaire, et ne permet pas du coup une grande affirmation des talents (le talent est par principe individuel). Je me retrouve donc à affirmer que chez l'Algérien, qu'il soit universitaire ou pas, il y a plus d'espace privé que d'espace public (dans l'un de mes articles portant sur l'urbanisme, j'ai dit que l'Algérien produit plus d'espace privé que d'espace public, avec quelques exemples à l'appui, et que l'Etat n'a jamais produit de l'espace public en dehors de celui qu'il appelle ainsi). Nous sommes encore à l'étape de l'emprunt des notions et des concepts. Le mot comme la langue est censé être de l'espace public où voyagent les idées sans que rien ne puisse les arrêter. Il est toutefois bizarre de constater que les langues se proclamant de livres sacrés ne permettent pas un haut niveau de liberté d'esprit, parce qu'elles sont encore portées par des populations qui se sentent garantes d'une mission sacrée, qu'elles y croient vraiment ou pas. Dans ces " contextes de la rigidification" , comme celui de l'enseignement (sur-) administré, on s'obstine à accorder plus d'espace au contrôle qu'à l'initiative, bien que ces deux attitudes ne soient pas antinomiques à la base. L'effet d'incarcération de la démarche sur-administrée favorise le recours à des mots adoptés par l'effet d'évidence qu'ils exercent sur les esprits, tout en limitant à l'extrême les " champs de questionnement". Enseigner à l'université Enseigner à l'université c'est montrer la voie du questionnement, qui est d'abord d'ordre intellectuel avant d'être pratique, ou professionnel (dans professionnel il y a l'ordre de la profession, éprouver un sentiment habituel en manipulant un objet abstrait ou matériel). C'est pour cela que, d'autre part, l'improvisation qui est aussi un sujet de réflexion doit être la première qualité d'un enseignant qui doit être capable de révéler la capacité de l'étudiant à s'exprimer au lieu de s'acharner à renforcer ou à exorciser les acquis de son vécu. Ainsi donc, il m'est apparu nécessaire d'affirmer à mes étudiants que l'architecture consiste à " propos-er" (au lieu d'imposer) un univers, qu'à partir de là, le dessin de l'architecte consiste à envisager les actions liées à l'acte de construire, que c'est planifier les choix de la maîtrise d'œuvre, c'est collaborer à un projet qui n'est pas que d'ordre technique et qu'il s'agit de contribuer à la réalisation d'une démarche d'ordre collaboratif de construction se devant être la plus honnête possible. Je me rends compte que les jeunes arrivent à l'université avec des bacs qui dépassent largement leurs capacités intellectuelles et culturelles, et les échanges que je permets avec eux me montrent leur inhabitude à exprimer leurs propres avis, qu'ils recourent généralement, disons, à des phrases clefs qu'ils vous sortent sans les comprendre eux-mêmes. Je crois que dans ces conditions où l'école algérienne n'a pas construit surtout un esprit critique du jeune Algérien, nous nous devons d'amener ce dernier à prendre conscience de sa capacité à être un chercheur permanent, que nous sommes tous comme l'affirmait Jiddu Krishnamurti, des étudiants à vie. Réfléchir c'est " aussi" un savoir-faire duquel ont joui les populations que nous avons pris l'habitude d'appeler anciennes (il doit en exister encore), et que ce savoir-faire est censé être lié à d'autres formes de savoir. En tout cas, notre émerveillement des constructions des anciens, comme le Mzab dont nous avons reçu la révélation grâce à l'œuvre littéraire d'André Ravéreau (le Mzab n'est plus ce qu'il était jusqu'aux années 1960. J'ai même affirmé que nous sommes en plein néo-mozabite qui n'est pas loin du néo-mauresque que vénèrent de nombreux architectes sans appliquer dessus un regard critique), m'a fait voir que le résultat de plusieurs siècles de transformation, repose sur le goupillage du triptyque : 1. Savoir-penser, 2. Savoir-vivre et enfin, 3. Savoir-faire. Isoler ce dernier savoir, des deux autres, c'est beaucoup trahir l'esprit du résultat nous étant parvenu. En guise de conclusion. Enseigner ou disposer d'un enseignement Depuis quelques années je m'interroge sur le fait d'enseigner, et la nécessité de disposer d'un enseignement. D'abord j'ai compris que n'est pas enseignant qui veut, à l'université, et que la question va au-delà des diplômes obtenus. Bien sûr les choses sont compliquées en Algérie où l'opportunisme politique et administratif a pourri l'espace universitaire. Tout est devenu statutaire et quantitatif. On ne se rend pas compte à quel point on a reproduit l'instinct de survie sociale au sein de l'université. Je garde bien dans l'esprit le cas d'un responsable universitaire qui m'a reproché la rédaction d'un article dans lequel j'ai émis un avis sévère sur une activité dont j'ai participé grandement à son lancement. De nombreux enseignants se voient plus administrateurs, au service du politique et du pouvoir en place, qu'enseignants (-chercheurs). La notion d'enseignement (acquis par la voie de l'intellectualisation et/ou de la pratique) n'existe pas vraiment dans nos universités ; tout se passe dans le cadre d'un programme devenu depuis quelque temps national. La velléité du contrôle par la centralisation des décisions n'a pas vraiment reculé, ce qui fait qu'il est peu probable, pour ne pas dire du tout, de parler d'une démocratisation de l'enseignement qui permet de révéler les exceptions. *Architecte (USTO) et docteur en urbanisme (IUP) |
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