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Naoufel Brahimi
El Mili est docteur en sciences politiques et enseignant à Sciences Po à Paris.
Il est l'auteur notamment de «Le Printemps arabe : une manipulation ?» (éditions Max Milo) ainsi que de «Algérie / France : 50 ans
d'histoires secrètes 1962 / 1992» chez l'éditeur parisien Fayard. Son tout
dernier ouvrage «Histoire secrète de la chute de Bouteflika» paraîtra à la fin
du mois de février prochain, aux éditions L'Archipel, en France. Naoufel Brahimi El Mili a bien
voulu répondre aux questions du Quotidien d'Oran.
Le Quotidien d'Oran : M. Naoufel Brahimi El Mili, vous avez publié en 2017 et 2018, successivement sur deux tomes, « France-Algérie : 50 ans d'histoires secrètes ». Comment expliquez-vous la rencontre quasi-furtive entre les présidents algérien et français, ce dimanche 19 janvier à la conférence de Berlin sur la Libye ? Naoufel Brahimi El Mili : Ce qui est notable, M. Abdelmadjid Tebboune est le premier président algérien dont la première visite à l'étranger n'est pas réservée à un pays arabe, pays frère selon la terminologie officielle. Cela dénote une souplesse du nouvel élan diplomatique algérien mais en même temps le regain de la centralité d'Alger dans les enjeux régionaux. Entre la France et l'Algérie, la Libye était depuis longtemps un sujet de discorde dans les relations entre les deux capitales. Déjà sous l'ère de Sarkozy, en plein « Printemps arabe », les tensions ont frôlé un affrontement militaire entre l'aviation algérienne et française. Jusqu'à ce jour, c'est un secret. En effet, à la fin du mois d'aout 2011, les Algériens savaient que certains membres de la famille de Kadhafi allaient se réfugier sur son territoire. Les Français aussi. Le convoi « Kadhafi » était poursuivi par les forces du CNT (Conseil national de transition libyen. NDLR) et l'aviation française voulait le faire stopper. L'enjeu était les documents éventuels. Sans oublier l'argent ni l'or et encore moins les armes. Intervient l'aviation algérienne pour protéger les colonnes des voitures. Si la famille de Kadhafi a pu entrer en Algérie, c'est grâce à la détermination de l'aviation de l'ANP qui n'excluait pas d'engager le combat. Sous l'ère de François Hollande, la conférence sous l'égide de l'ONU s'était tenue à Skhirat au Maroc, en décembre 2015, suite aux pressions françaises et au grand désagrément d'Alger. Sous l'ère d'Emmanuel Macron, la rencontre entre le colonel Haftar et Sarraj à Sèvres, près de Paris, en juillet 2017, était modérément appréciée par Alger. Le contentieux sur la Libye est donc très lourd et très ancien. A Berlin, la donne a changé, le président Tebboune est invité au moment où le Maroc est ignoré, ce n'est pas rien. M. Abdelmadjid Tebboune savait déjà que le ministre des Affaires étrangères français, Le Drian, allait se rendre à Alger, je pense qu'il avait laissé le soin aux diplomates des deux pays de baliser le terrain sur les sujets bilatéraux et sa présence à Berlin est centrée sur la question libyenne exclusivement. Je ne connais ni la teneur ni la durée de la rencontre en Allemagne entre les deux présidents mais ils se sont parlés. Imaginons qu'ils s'étaient ignorés, qu'aurait-on dit ? Le Quotidien d'Oran : Après les premiers couacs entre les deux présidents Macron et Tebboune, comment voyez-vous, plus généralement, l'évolution des relations franco-algériennes ? Naoufel Brahimi El Mili : La lecture du communiqué de Le Drian lors de sa visite à Alger (21 janvier 2020) confirme le retour de l'Algérie sur la scène internationale : « L'Algérie est une puissance dont la voix compte au plan international? C'est une puissance d'équilibre et de paix? » Le Quai d'Orsay joue l'apaisement et Alger sait recevoir. Le ministre français a même été reçu par Abdelmadjid Tebboune, ce qui signifie que les deux pays entament une nouvelle ère. Evidemment, entre Paris et Alger, rien n'est simple et cela peut éventuellement changer mais les bonnes volontés sont affichées de part et d'autre. Je serai par ailleurs surpris si la question de la Mosquée de Paris n'a pas été évoquée par Le Drian. Cette affaire n'a pas encore livré tous ses secrets comme tant d'autres. Maintenant que la primeur de la visite présidentielle algérienne est réservée à l'Allemagne, pourquoi ne pas envisager dans un avenir pas très lointain une visite d'Etat ou de travail à Paris ou à Alger. J'évoque dans le premier tome de mon livre, la visite de Chadli Bendjedid à Bruxelles avant de se rendre à Paris. La France ne peut encore être la première destination d'un président algérien. Et l'inverse est aussi vrai. Le Quotidien d'Oran : Votre prochain livre est consacré à la chute de l'ex-président Bouteflika. Quel regard portez-vous sur sa succession à la tête de l'Etat algérien et l'élection du président Abdelmadjid Tebboune ? Naoufel Brahimi El Mili : L'élection de Tebboune marque la fin de la crise du régime et cela laisse augurer un traitement profond et durable de la crise politique. Un régime en crise ne peut rien faire. C'est un premier pas. Toutefois, la crise de confiance est profonde, le nouveau président en a conscience, il a pris des mesures d'apaisement, notamment en libérant un grand nombre de détenus. Cela est nécessaire mais insuffisant. L'ouverture des médias lourds à tous les courants politiques est toujours attendue. Les derniers changements à la tête de la télévision nationale sont prometteurs. Attendons les actes. Par ailleurs, après vingt années de règne de Bouteflika, la transition ne supportera aucun faux pas. Le nouveau pouvoir le sait. Il est sous observation. Le regard que je porte sur les premiers pas du président Tebboune inclut son entrée réussie sur la scène internationale. Sur le plan intérieur, je note que la gestion de la symbolique est sans faute. M. Tebboune a enterré, dès son investiture, l'ère de « Fakhamatou ». Il a lui-même évoqué, lors de cette cérémonie, la nécessité d'une révision constitutionnelle pour réduire les pouvoirs du Président dans un souci d'équilibre plus démocratique. Des experts sont appointés à cette mission. Cependant, rien n'est encore gagné. L'Algérie revient de loin, de très loin. Le Quotidien d'Oran : Comment voyez-vous, aujourd'hui, l'avenir du Hirak ? Naoufel Brahimi El Mili : Le passé du Hirak est glorieux et déjà historique. Par la silmya, il n'y a pas eu de cinquième mandat. Au bilan du Hirak s'inscrit un pan et non des moindres, de la population carcérale d'El Harrach. Personne ne peut enterrer le Hirak (et je ne pense pas que Kamal Daoud l'ait fait dans une de ses chroniques qui a fait polémique) car, avec un agenda précis, il peut jouer le rôle d'aiguillon qui empêche le pouvoir de tout égarement possible. Je pense que certaines des pratiques passées sont ou seront bientôt enterrées grâce au Hirak. Désormais, aucun responsable fût-il local, ne peut ignorer la force de frappe d'un Hirak vigilant. Reste la question de sa structuration. Les avis sont partagés. Néanmoins, dans un champ politique en friche, le Hirak a toute sa place en faisant émerger une représentation. J'entends parfois des sons de cloche contraires. A croire que la non organisation est une force en soi. Si tel est le cas, c'est une nouveauté historique. Le Quotidien d'Oran : Quelles sont, selon-vous, les conditions pour assurer la réussite du dialogue prôné par le président Tebboune ? Naoufel Brahimi El Mili : Ici aussi, les premiers pas de Tebboune sont notables. Il a reçu des personnalités politiques et surtout, il s'est déplacé en personne pour rencontrer le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi. Mais au-delà de ces leaders politiques, est-ce un hasard si certaines des figures du Hirak apportent leur concours à la nouvelle dynamique présidentielle ? Toutefois, certains partis politiques restent incontournables. Je me contente de citer le RCD qui refuse (pour le moment ?) de rencontrer M. Tebboune. Les raisons (voire les conditions) évoquées méritent examen et réflexion. Mohcine Belabbas explique : « Pourquoi je n'irai pas voir Tebboune ». Il souhaite vivement une conférence nationale ouverte et diffusée en direct à partir d'un ordre du jour précis. Une telle position qui reste selon moi, une position d'ouverture certes conditionnée, ne peut être ignorée pour la réussite d'un dialogue. Pour ma part, j'ajoute que la dissolution de l'Assemblée populaire nationale, suivie d'élections libres, donnerait une nouvelle cartographie des forces politiques algériennes. Finalement, le dialogue ne peut s'instaurer qu'avec des forces représentatives, et des élections propres sont un passage obligé. |
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