|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
WASHINGTON,
DC Pour les pays en voie de développement à travers le monde en particulier
pour les plus pauvres le terrain économique a rarement été aussi glissant.
Les pays à revenu faible ont d'ores et déjà perdu une décennie, enregistrant
une croissance du revenu par habitant quasiment nulle depuis 2010. De nombreux
pays à revenu intermédiaire sont confrontés à un changement démographique qui
les expose au risque de vieillir avant d'avoir pu s'enrichir. Enfin, de
nombreux pays à revenu élevé pourraient connaître la stagnation en raison d'une
dette astronomique et d'une croissance anémique de la productivité.
Ces conditions sont peu propices à l'entente au niveau international, du moins pas à celle qui permit de réaliser tant d'avancées après la chute du mur de Berlin en 1989. Les économies en voie de développement vont devoir mieux se débrouiller seules, et si certaines s'y préparent déjà, elles le font dans un cadre politique obsolète. En cette troisième décennie du XXIe siècle, est-il réellement judicieux pour les pays en voie de développement de tout miser sur l'industrie manufacturière ? La réponse est non, comme le démontrent de nouvelles recherches publiées par la Banque mondiale. Les pays en voie de développement auraient en effet bien davantage intérêt à confier le premier rôle aux services, en reléguant au second plan la fabrication et l'agriculture. Les services englobent une multitude d'activités finance, santé, tourisme, logistique dont les bénéfices se répercutent sur d'autres secteurs. Or, en comparaison avec l'industrie manufacturière, ils continuent d'avoir mauvaise presse. Ils se voient reprocher leur lenteur sur le plan de l'innovation, et sont décrits comme difficiles à commercialiser ainsi qu'à libérer des contraintes réglementaires. Il n'en demeure pas moins que les services représentent aujourd'hui plus de deux tiers du PIB mondial, et la moitié du commerce mondial (une fois pris en compte les services utilisés dans l'industrie manufacturière et l'agriculture). Parmi ceux qui saisissent les opportunités offertes par le commerce des services, les exemples les plus frappants proviennent des pays berceaux du « miracle asiatique». Bien que le classique modèle de croissance économique fondé sur l'industrie manufacturière ait par le passé fait des merveilles en Asie de l'Est, la situation et les besoins de ces pays ont changé. Leur population connaît un vieillissement rapide, l'économie mondiale est de plus en plus fragmentée, et ces pays s'adaptent en conséquence. Comme le révèlent nos recherches, au cours des dix dernières années, la part des services dans l'activité économique est passée de 44% à 53% en Chine, et de 44% à 48% dans d'autres économies d'Asie de l'Est. Ces secteurs représentent aujourd'hui près de 50% de l'emploi dans la région, contre 42% il y a dix ans. Cette évolution reflète l'essor rapide des technologies numériques près des trois quarts des habitants de l'Asie de l'Est et du Pacifique ont désormais accès à l'internet, soit sept fois plus qu'en l'an 2000 et une certaine libéralisation des échanges dans le domaine des services, avec pour résultat une renaissance économique de l'Asie. L'ouverture des services à la concurrence a favorisé l'augmentation de la productivité du travail, au sein même des secteurs manufacturier et agricole, dans lesquels les entreprises peuvent vérifier les prix, livrer les marchandises et recevoir les paiements de manière beaucoup plus efficace. Dans toutes les grandes économies d'Asie de l'Est et du Pacifique, les services contribuent désormais davantage que l'industrie manufacturière à la croissance globale de la productivité du travail, une condition essentielle à l'augmentation des salaires. Au Vietnam, par exemple, la productivité du travail a augmenté de 2,9% après l'assouplissement par le gouvernement des restrictions sur l'entrée et la propriété d'entités étrangères dans plusieurs secteurs de services entre 2008 et 2016 des engagements de réforme qui s'inscrivaient dans le cadre de l'adhésion du pays à l'Organisation mondiale du commerce. Par ailleurs, les entreprises manufacturières qui recourent à ces services libéralisés ont enregistré une augmentation annuelle de 3,1% de la productivité du travail, les principaux bénéficiaires étant les petites et moyennes entreprises privées. L'essor des services en Asie de l'Est produit d'autres avantages importants. Les investissements directs étrangers s'en trouvent stimulés, le taux de croissance des IDE dans les services étant cinq fois supérieur à celui des IDE dans l'industrie manufacturière. Cette montée en puissance des services stimule également la demande de travailleurs plus qualifiés. Près de 40% des travailleurs formels dans les services numériques en Asie de l'Est sont aujourd'hui titulaires d'un diplôme universitaire ou supérieur. C'est deux fois plus que dans les autres secteurs. Cette même tendance ouvre de nouvelles perspectives économiques aux femmes, dans la mesure où la proportion de travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins est généralement plus élevée dans le secteur des services que dans le secteur manufacturier, et où la proportion de femmes dans la main-d'œuvre progresse à mesure que le niveau de développement économique augmente. Ce sont autant d'ingrédients essentiels pour la croissance à long terme. Seulement voilà, la trajectoire des services étant étroitement liée à la diffusion des technologies numériques, les économies en voie développement n'en bénéficient pas tous dans une même mesure. Celles qui enregistrent la croissance la plus rapide dans le secteur des services sont généralement des économies à revenu intermédiaire supérieur notamment en Asie de l'Est. Au sein de ces économies, la part des services dans le PIB est passée de 40% en 1970 à environ 50% aujourd'hui. Dans les pays à revenu faible, en revanche, cette part demeure aux alentours de 40%, proche du niveau de 1970. Il n'en demeure pas moins qu'au sein même des pays les plus pauvres, les services constituent un chemin prometteur vers la prospérité future. Ils peuvent aider tous les États à passer du statut de pays à revenu faible à celui de pays à revenu intermédiaire, puis élevé. Nous devons cependant commencer par nous affranchir d'un faux dilemme entre soutenir les services et soutenir l'industrie manufacturière. Les dirigeants politiques doivent œuvrer sur les deux plans, tout en maximisant la capacité du secteur des services à générer de la croissance et des emplois. 1. Economiste en chef et premier vice-président pour l'économie du développement au sein de la Banque mondiale. 2. Economiste en chef pour la région Asie de l'Est et Pacifique au sein de la Banque mondiale. |
|