Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

POST-APOCALYPE NOW

par T. H.

En compétition officielle au Caire le court métrage «Memories of an Unborn Sun» du jeune artiste contemporain Marcel Mrejen revient sur les conséquences des essais nucléaires français dans le Sahara algérien.

Le contexte mondial nous pousse à nous poser des questions sur la fin de l'humanité (demain ou après-demain) voire de la planète Terre, mais esthétiquement parlant, est-ce qu'elle sera belle la fin du monde ? La question peut sembler incongrue, mais elle hante le documentaire du jeune (30 ans) Marcel Mrejen.

Autant dire d'emblée qu'on n'est pas certain d'avoir compris ce film expérimental. Que signifie cet étrange titre, Memories of an Unborn Sun» -Souvenirs d'un soleil à naître ? Qu'est-ce qu'il veut nous dire au juste ce film, où veut-il nous entraîner ? Un travailleur chinois raconte sa journée de forçat dans le désert algérien. Des images d'archives vantent les essais nucléaires français dans le Sahara. Un ciel poussiéreux rouge sang, des détonations aussi insupportables que les silences d'après apocalypse.

Comme devant une pièce d'Art Contemporain qui nous touche, on n'ose pas trop s'avancer dans l'exercice périlleux du décryptage de l'oeuvre. Autre mystère, comment se fait-il que ce jeune réalisateur avec sa bonne bouille de frenchy et son nom exotique (Marcel Mrejen) soit «Algérien» ?

Au moins, pour cette dernière question, la toute dernière image du film nous apporte un élément de réponse : «Ce film est dédié à ma grand-mère Fanny Colonna».

Fanny Colonna (1934-2014), sociologue et anthropologue née dans un village des Hauts-Plateaux algériens d'une famille de colons a pris fait et cause pour l'indépendance de l'Algérie. En 1962, alors que la plupart des pieds-noirs quittent le pays, Fanny Colonna et son mari ont fait le choix de rester et de prendre la nationalité algérienne. Elle a tenu à ce que ses enfants et ses petits-enfants conservent la nationalité algérienne;

LE QUOTIDIEN D'ORAN : Quel est le message de votre film ?

MARCEL MREJEN: Ce film porte beaucoup de messages, certains plus explicites que d'autres, mais je crois que s'il fallait n'en retenir qu'un, ça serait les derniers vers du film déclamés (et écrits) par le poète touareg Hawad:

Jusqu'à quand allons-nous exister sans aujourd'hui écartelés entre hier et demain

LE QUOTIDIEN D'ORAN: Ah, nous voilà qui ne nous avance guère, mais s'il fallait partir du titre, pourquoi «Souvenirs d'un soleil à naître»

MARCEL MREJEN: Le titre du film, Memories of an Unborn Sun, fait écho à la porosité entre les différentes strates temporelles du film. Les témoignages/mémoires (contemporains) des ouvriers chinois se juxtaposent aux images d'archives des essais nucléaires français de Béryl, ainsi qu'à celles d'un futur spéculé, celui d'une Algérie sans nuit, éclairée en permanence par un soleil artificiel. L'histoire se répète, et l'exploitation du territoire algérien évolue. J'ai voulu un titre qui puisse exprimer la construction temporelle en spirale du film, et proposer une approche métaphysique de la lumière comme vecteur de mémoire. Par ailleurs, ce titre est aussi une référence à un morceau de l'artiste américaine Midwife, intitulé Songs for an Unborn Sun, dont la musique m'a beaucoup inspiré pendant l'écriture de ce film.

LE QUOTIDIEN D'ORAN: À l'origine, ce film fait partie d'un projet d'art contemporain, pouvez-vous nous en parler ?

MARCEL MREJEN: Je suis artiste plasticien. Le film était à la base conçu pour être présenté dans une exposition, avec un format et une sonorisation différente. Les choses se sont passées autrement et j'ai dû monter une version court métrage afin de pouvoir faire exister le film à travers une distribution en festival d'abord. Je travaille actuellement sur la version d'exposition du film qui le présentera sous une forme différente.

LE QUOTIDIEN D'ORAN: Où avez-vous tourné ce film et pourquoi ce choix du désert algérien ?

MARCEL MREJEN: Le film a été tourné sur la route entre Djanet, In Amenas et Djelfa. Afin de pouvoir lier les différents arcs narratifs du film, je souhaitais filmer l'Algérie de manière anonyme, mettre en lumière les marges et infrastructures énergétiques de ce territoire. Dans son film Lessons of Darkness, Werner Herzog filme le Koweït au lendemain de la guerre du Golfe à la manière d'un extraterrestre qui explore notre planète. Je crois que j'ai cherché à reproduire une forme d'aliénation similaire dans ma manière de filmer ces paysages.

LE QUOTIDIEN D'ORAN: Où avez-vous trouvé ces images sur les essais nucléaires français dans le Sahara algérien ?

MARCEL MREJEN: Les images d'archives proviennent d'un film de propagande militaire intitulé Hoggar Jour J. Réalisé en 1962, soit la même année que l'accident de Béryl –un essai nucléaire souterrain qui laissa s'échapper un nuage radioactif de la galerie de confinement– ce court métrage américain destiné à la télévision française vante les vertus économiques et écologiques des essais nucléaires tout en rassurant également les populations sur les risques potentiels de ces essais. Dans le film, le narrateur du film affirme que les essais nucléaires ne présentent absolument aucun risque.