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Le vendredi 2 juillet 2021
décède à l'hôpital d'Oran le Professeur Hadj Miliani.
L'illustre chercheur s'est éteint léguant un véritable patrimoine
anthropologique, culturel et littéraire. Une perte irremplaçable, ses œuvres et
son érudition détonnent d'analyses, de critiques dans une panoplie de
spécialités. Littérature, sociologie, histoire, théâtre, enseignement et
recherche illuminent le parcours d'un véritable prospecteur acharné.
A l'initiative du professeur Ouardi Brahim, un hommage appuyé lui a été rendu à l'Université ?Moulay Tahar' de Saida ce 14 novembre, en présence de ses ex-étudiants(es), devenus enseignants universitaires, ses collaborateurs-chercheurs du Centre de recherches en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) et une foule de spécialistes, qui ont connu le défunt professeur. Hommage qui reflète la reconnaissance envers un homme, qui s'est dépensé pour que l'abnégation et l'engagement dans le savoir transmis, puissent continuer leur aventure humaine. L'expression chère et redondante du Professeur Miliani dans ses discours pédagogiques «je vais vous faire passer à la moulinette» sonnait comme un avertissement préalable de ce qu'il nous réservait dans la dispense de ses enseignements étoffés de champs disciplinaires multiples. Les conséquences du savoir transmis retrouvent toutes leur splendeur dans cette rencontre à la vue du gratin académique réuni, venu exprimer sa reconnaissance à un homme, dont l'énergie féconde imprégnait ses orientations, son dévouement et ses innombrables interventions pragmatiques et pertinentes. Valeurs qu'il inculquait tout au long de son parcours à ses étudiants, aux masterants, aux doctorants et aux enseignants. Hadj Miliani, de par son rayonnement, a guidé des ambitions, a contribué à l'émergence et à la construction de tant de nouvelles connaissances linguistiques, sociologiques et littéraires. Paternel de l'Ecole doctorale de français dès 2004, il a offert l'opportunité à des milliers de licenciés, de percevoir de nouvelles perspectives, de nouveaux horizons dans les hautes études et la recherche. Désormais chaque promu de l'Ecole doctorale en particulier et de l'Université algérienne en général, portera à jamais gravée dans son diplôme, une part d'essence de sa quintessence. Son abondante érudition ne peut être en reste, couvrant les différentes études: littéraires, anthropologiques, études sur les chants et musiques d'Algérie d'hier et d'aujourd'hui, essais d'histoire culturelle, articles, communications, conférences et multiples directions de thèses, de doctorat. Éruditions qui étayent le parcours de ce penseur et critique contemporain exceptionnel. Comment ne pas lui rendre hommage ; sans citer dans cet écrit, la réémergence des traces scripturaires et analytiques d'une partie de sa prolixe bibliographie. Détours anthropologique, sociologique, littéraire et culturelle, entremêlés de valeurs d'engagement, de révolte, de résistance, de dénonciation et de dignité. Ses dires ancrés entre les lignes, détonnent de vérité à travers ses réflexions. Dans son ouvrage «Une littérature en sursis? Le champ littéraire de langue française en Algérie» HadjMiliani s'interroge, dans cet ouvrage, sur le fait littéraire, sa vitalité et son activité dans un bilan dressé sur une vingtaine d'années. Une littérature traitée comme une proéminence réelle se balançant entre l'antagonisme de la parole et de sa survivance. «Une littérature se faisant dans l'urgence de dire et le péril d'exister. C'est un sursis qui lui est donné pour s'affranchir d'une sorte de mission tacite, celle de donner sens à l'incertain et au transitoire, cet espace littéraire réduit en peau de chagrin. Une littérature désignée, selon les acceptions des uns et des autres de : «butin de guerre», «gueule du loup «ou ««outil d'aliénation» (2002, p.14) L'engagement, la résistance et la dénonciation continuent d'imprégner le discours de l'intellectuel dans l'ouvrage «Arts et transculturalité au Maghreb. Ces maîtres -mots du discours de Hadj Miliani montrent l'évidence d'une réalité toujours en gestation ou l'artistique continue à broyer son pain noir face aux multiples contraintes, à chaque fois rénovées et renouvelées de l'emprise bureaucratique. «Il est évident que les expressions artistiques ont eu à résister à plusieurs types de contraintes. Les plus classiques sont celles qui ont trait aux rapports qu'elles ont eu à entretenir avec les institutions culturelles publiques et/ou politiques. Alors que la bureaucratie, la censure idéologique ou économique sont les obstacles les plus courants à la pratique culturelle. Mais on peut considérer aussi que la routinisation, les préjugés ou l'autocensure présentent autant de contraintes diffuses, imprévisibles contre lesquelles les pratiques artistiques doivent lutter pour imposer leur existence» (2007, p.26) En véritable visionnaire Hadj Miliani décortique dans cet ouvrage l'agonie programmée des expressions artistiques traditionnelles et l'insertion de ses inédites formes dans les nouveaux contextes de la mondialisation et les différents processus qui en résultent. «Il n'en demeure pas moins, dans un champ dominé par la déterritorialisation des productions (en particulier à travers les NTIC) et le déploiement de nouvelles expressions culturelles mondiales, on peut constater, dans les pays du Maghreb, la lente disparition des espaces de production et de réception des anciennes activités culturelles traditionnelles» (2007 p.24). Sous la direction de Hadj Miliani et celle de Gilles Ladkany l'œuvre «Alger-Beyrouth capitales de la douleur», questionne l'entrecroisement tragique connu par les deux pays au cours de la décennie meurtrière. Des prises de parole achalandées, écrivains et poètes rapportent leurs contributions. Hadj Miliani régit ce contexte où la résistance à la douleur occupe une place prépondérante. Ombre et soleil s'y alternent. Les divisions et les déchirements s'y amoncellent, puis c'est un retour mythique et lumineux à une Méditerranée sereine où les plumes viennent illustrer un avenir, certes incertain, mais dans lequel ils mettent ardemment tous leurs espoirs. Dans «Des louangeurs au home cinéma en Algérie», l'auteur en véritable investigateur socio-anthropologue insiste sur la place de la dédicace (tébriha) dans la culture populaire en Algerie : «La parole publique est une parole à la fois contrainte et libre. Contrainte par le fait même qu'elle traduit des codes et valeurs reconnus par les groupes et les individus au cours de circonstances établies et dans des espaces qui la légitiment et la particularisent» (2010, p.15) Une recherche fondée sur une interrogation des lieux de croisement de certaines conduites et pratiques culturelles du présent et du passé en Algérie. Enfin dans un registre sur la thématique musicale, l'ouvrage collaboratif «l'aventure du Rai : musique et société» de Hadj Miliani et Bouziane Daoudi ; dresse des compilations musicologiques basées sur les nombreux extraits de paroles de chansons qu'expriment la jeune génération. Cette aventure du rai est harmonisée par l'analyse sociologique de Hadj Miliani qui élucide les fondations du mouvement, son histoire et son originalité. Thèmes colportés par les différents extraits transgressant le rituel allégorique et allusif édicté par la tradition populaire et la culture savante sur les interdits. Ce bref tour d'horizon sur le parcours et les quelques travaux de l'un des auteurs les plus prolifiques de sa génération où les différents champs se rejoignent et tracent le parchemin d'un héritage qui sera, à coup sûr, à chaque fois renouvelé et réapproprié par les générations qui l'ont connu et celles qui le connaîtront. Ce sera au moins le mérite et la reconnaissance de la grandeur de cet homme et de son œuvre. Paix à son âme Références bibliographiques Hadj Milianiet Lionel Obadia, (2007) Arts et transculturalité au Maghreb, Éditions des archives contemporaines et en partenariat avec l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) Hadj Miliani (2002), Une littérature en sursis ? Le champ littéraire de langue française en Algérie.- Paris, Editions l'Harmattan, collection Critiques Littéraires Hadj Miliani et Gilles Ladcany, (2011) Alger-Beyrouth ; capitales de la douleur,Editions L'Harmattan, Paris. Hadj Miliani et Bouziane Daoudi (1996) «l'aventure du rai. Musique et société», édition Seuil, coll. «Inédit Point Virgule» Paris *Docteur en Didactique des Langues - Centre universitaire de Naâma |