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Pour commencer, il nous a paru
utile, ne serait-ce qu'a titre d'information, de
rappeler qu'au-delà de leur valeur historique et patrimoniale, les archives
quel que soit leur âge, revêtent une valeur probatoire et un rôle de témoignage
qui étaye les droits des uns et des autres.
Elles assurent, par la même occasion l'imputabilité des décideurs et la transparence du processus décisionnel, ainsi que toutes les conditions indispensables à l'instauration et au maintien de la démocratie. Enfin, leur valeur administrative affermit la continuité des institutions et des personnes dans la conduite de leurs affaires. En revanche, leur « rapt », que Fouad Soufi n'hésite pas, à qualifier, à juste titre, de « mémoricide » (1) - dans le sens d'un acte de spoliation de la mémoire d'un peuple- doit être considéré, comme une « atteinte caractérisée à la souveraineté nationale ». Car, comment un Etat nouvellement indépendant peut-il mener à bien, la conduite des affaires courantes de ses citoyens, s'il ne dispose pas, des documents ayant servi, dans un passé proche, à la gestion courante des préoccupations quotidiennes de ces mêmes citoyens. Plus grave encore, comment un Etat qui vient de sortir d'une guerre, peut-il assurer la sécurité de ses citoyens, s'il n'est pas en possession des plans de pose des mines, indiquant avec précision les lieux où ont été posées les 12 millions de mines anti-personnel, à moins de déclarer, comme l'avaient fait les Français avant lui : « zone interdite » toute la zone frontalière. Et dans ce cas, de quelle indépendance et de quelle souveraineté, jouit cet Etat ? Quoiqu'il en soit, ces rapts d'archives, résultent généralement, d'une multitude de raisons, tel qu'il a été relevé par Léopold Auer, dans son étude relative aux contentieux archivistiques (2), initiée par l'Unesco dans le but de recenser les conflits existant entre ses membres tout en essayant de rapprocher les belligérants et trouver des solutions au problème. Les raisons invoquées peuvent être résumées à ce qui suit : - Désintégration d'entités politiques - Décolonisation - Première Guerre mondiale - Deuxième Guerre mondiale - Divers Ces contentieux archivistiques « sont de tous temps et de tous les lieux » avait déclaré, Mohamed Bedjaoui (3), lors de la conférence qu'il avait donnée à Alger en 1995, sur le Thème : « Les contentieux d'archives entre Etats ».(4) En outre, il est toujours utile de savoir « qu'avec l'appui financier de l'UNESCO, le Conseil international des Archives (CIA) a compulsé une liste de plus de deux cents traités, conventions, actes, ententes et autres instruments juridiques portant sur la cession et le transfert d'archives, entre 1601 et 1977 »(5). Dans le même ordre idée, J-P Wallot avait note : « que du XVIIe siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, les traités bilatéraux qui mettaient fin aux conflits armés mentionnaient généralement le sort des archives: la valeur probatoire et administrative de ces dernières imposait, en effet, aux parties impliquées de résoudre les contentieux de façon à ce que les États puissent continuer à gouverner. » (6) Est-ce que ce fut le cas, à la fin de la guerre qui avait opposé, l'armée et le gouvernement français au peuple algérien ? Apparemment non ! Puisque toutes les négociations ayant réuni les Algériens et les Français autour d'une même table entre 1961 et 1962, ont tourné autour d'une multitude de sujets importants pour les deux pays sauf, celui des archives !!!!!!!!!! Est-ce dû au manque d'expérience des négociateurs algériens qui avaient d'autres priorités que le sort des archives produites sur leur territoire? (7). Ou est-ce une ruse des Français qui ont su, délibérément et en connaissance de cause, passé sous silence le sujet des archives, en sachant qu'ils jouissaient d'une grande culture en la matière ?C'est d'ailleurs de cette culture que s'est targué Gérard Ermisse, quand il avait écrit en 2004 que : « le fait est que nous (il faudrait comprendre par cela : La France) disposons de nombreux atouts, à commencer par notre tradition, notre « culture » et notre pratique archivistique anciennes : n'avons-nous pas des archives nationales depuis le XVIIIe siècle, une formation professionnelle dédiée depuis le XIXe siècle ? »(8) Tout bien réfléchi, ce ne serait-ce pas, « cette tradition », « cette culture » et « cette pratique archivistique » anciennes qui ont poussé la France à « spolier la mémoire de tout un peuple », en transférant ses archives à des milliers de kilomètres, du « territoire où elles sont nées »,en sachant qu'il est universellement reconnu que la France est le pays fondateur du principe de provenance et des autres principes archivistiques qui en découlent ? Est-ce que ce ne serait pas toujours, cette tradition qui avait poussé les Français à kidnapper les archives, plus d'une année avant la fin des négociations et de la guerre de Libération nationale ?Est-il besoin de rappeler ici, que le peuple algérien, a subi pendant 132 ans la domination française et qu'il ne s'est libéré du joug colonial, qu'au mois de juillet 1962, à l'issue d'une guerre sanglante ayant duré 7 ans, 7 mois et 5 jours, pour se voir coloniser, une fois de plus, via « sa mémoire ». Quelles sont les raisons invoquées par la partie française pour justifier cet acte ? Dans quelles conditions s'est déroulé ce rapt d'archives, magistralement préparé par les Français? Quelle est la quantité approximative des documents transférés selon les déclarations de chacune des deux parties? Quel est le contenu sommaire des archives transférées ? Sur quels arguments se base la partie algérienne pour réclamer la restitution de ses archives ? Comment les Français ont-ils réagi à la demande des Algériens et derrière quel système de défense se sont-ils refugiés pour justifier leur acte, en sachant qu'ils ont réussi, par le passé à récupérer, les archives dont ils ont été spoliés à leur tour, au même titre que les Algériens et dans des conditions historiques identiques ? Y a-t-il eu des rapatriements d'archives depuis la France ? Si Tel est le cas, dans quelles conditions se sont-ils faits et quelle est leur importance ? Quelle est la réalité de ce contentieux et a-t-il évolué depuis les premières négociations, des années 80 à ce jour ? Toutes ces questions et bien d'autres, seront traitées, le long de ce bilan à travers lequel, nous essayerons de faire le point sur la question de ce contentieux qui continue toujours à faire couler de l'encre. ETAT DES LIEUX DU CONTENTIEUX 1. Dans quelles conditions s'est effectué le rapt ? Comme nous l'avions signalé plus haut, dès que le gouvernement français s'est aperçu que l'issue de la guerre ne pouvait être autre que l'indépendance de l'Algérie, l'une des premières actions à laquelle, il avait pensé, c'était de transférer le maximum de documents vers la France, à n'importe quel prix et pour n'importe quelle raison même s'il faut l'inventer pour la circonstance, comme on le verra. En revanche, il semblerait également que la France, en tant que puissance coloniale, rompue aux négociations de décolonisation (Vietnam, Afrique de l'Ouest, Tunisie, Maroc) avait prémédité les transferts d'archives avant les débuts des négociations, en 1961, de crainte que le sort des archives ne soit soulevé par les négociateurs algériens. Et puisque ce ne fut pas le cas, elle avait poursuivi l'opération de « rapt des archives », en toute impunité, après les négociations d'Evian (mars 1962), à quelques mois de l'indépendance de l'Algérie. 1.1 Les raisons des transferts évoquées par les Français : a)- la première raison évoquée était celle du microfilmage des documents produits en Algérie afin d'en garder une copie en France, et les rapatrier en Algérie après cela ! D'abord, il faudrait noter que ces archives n'ont pas été rapatriées depuis 1961 à ce jour. Ensuite, comme l'avait si bien remarqué, avec un zeste d'humour - soit dit en passant-, Djaider Kamel, journaliste d'Afrique-Asie dans un article qui date du 13 novembre 1984 : « L'explication selon laquelle les archives ont été transportées en France, afin d'y être reproduites ne tient pas...A moins que l'on estime que l'envoi d'une caméra en Algérie est plus problématique que le transfert de 400 tonnes de dossier.» (9). Cela prouve tout simplement que cette histoire de microfilmage est dénuée de tout sens et démontre, une fois de plus, la mauvaise foi des colonisateurs. b)- la seconde raison avancée relevait de la sécurité des personnes. En d'autres termes, cela sous-entend que les documents objet du rapt contiennent des informations qui pouvaient compromettre des gens. On y trouve, comme le rappelle Akbal Mehenni dans la thèse qu'il avait consacrée au contentieux archivistique : « des renseignements confidentiels sur la guerre de Libération nationale (fiches du SDECE: service de documentation extérieure et de contre-espionnage) et de la DST (direction de la sécurité du territoire) relatifs à des diplomates, des officiels français, des harkis et des notables algériens... » (10). Sauf qu'il y a lieu de signaler, que ce type de documents est très réduit en matière de quantité, par rapport aux centaines de tonnes de documents ayant été transférées. En revanche, leur communication relève de la loi et l'Algérie, en tant que pays souverain était en mesure de s'en doter, au même titre que la France. Est-il besoin de rappeler à ce sujet que la loi française sur les archives remonte à 1979 et celle de l'Algérie en janvier 1988. Et comme on peut le constater, l'écart temporel entre les deux lois n'est pas trop grand. c)- La troisième raison avait trait à la sécurité physique des documents: En effet, le pays vivait en temps de guerre mais, en ce qui concerne les Archives départementales d'Oran, d'Alger et de Constantine, mis à part l'agression caractérisée dont elles ont été victimes par l'opération de transfert, elles n'ont subi aucun autre dommage. Et par conséquent, on peut affirmer que cette raison comme toutes les autres d'ailleurs, a été inventée pour la consommation locale. 1.2 Le déroulement des opérations de transfert : Cette opération qui est bien connue s'est effectuée en 2 temps : 1.2.1 Un premier transfert en 1961: Prétextant, le micro-filmage des archives en France afin de les sauver de la destruction, comme on vient juste de le signaler, le Délégué du Gouvernement de l'Algérie dans une note datée du 02 mars 1961, invite les conservateurs régionaux d'archives à préparer le travail en signalant que : « les destructions effectuées au cours d'émeutes et qui ont provoqué en 1958 notamment, l'élimination des fichiers et de la plupart des répertoires et inventaires d'archives, les menaces qui ont sur certains dépôts comme ceux d'Oran et d'Orlèansville, font apparaitre le nécessité de prendre des mesures de sécurité... Par ailleurs, la direction des archives de France possède une importante organisation de micro-filmage et a décidé de commencer prochainement, les opérations de ce genre, concernant les archives d'Algérie. Aussi est-il indispensable de faire un choix des documents susceptibles d'être rassemblés aux archives régionales. »(11). La décision politique étant acquise, il ne manquait plus que la bénédiction des professionnels. En effet, quatre jours après, le Directeur des Archives de France diffusait, à l'intention des Conservateurs Régionaux, des archives Algériennes, une note datée du 6 mars 1961(12), dans laquelle, il confirmait et approuvait, - en tant que représentant de la plus haute autorité en France en matière d'archives-, la décision de transfert des archives. Et c'est ainsi, que la première étape du « rapt », voire le premier démembrement du fonds des archives de l'Algérie qui se dirigeait vers son indépendante, était amorcée. En fait, il faut préciser que le transfert effectif des documents n'est survenu que le 16 mai 1961, à partir d'Oran et le 17 mai, à partir de Constantine, pour ne citer que ces 2 exemples (13) sur lesquels, nous possédons des informations plus ou moins précises. A suivre *Archiviste /Enseignant retraité de l'enseignement supérieur/Enseignant contractuel - Université d'Oran Ahmed Ben Bella Notes 1- Fouad SOUFI. Les archives algériennes en 1962: héritage et spoliation, Insanyat/[En ligne], 65-66l2014, mis en ligne le 31 aout 2016, consulté le 16 décembre 2017. URL: http//journals.openedition.org/insanyat/14873 2- Léopold AUER. Les contentieux archivistiques. Analyse d'une enquête internationale. Une étude RAMP/Etablie par Léopold Auer/pour le Programme général d'information et 1'UNISIST - Paris : UNESCO, 1998. 3- Mohamed Bedjaoui, ancien ministre de la Justice (1964-1970), avait été membre de la commission du droit international des Nations Unies (1965-1982) et rapporteur spécial sur « la succession d'Etats en matière de biens, dettes et archives d'Etats » de la convention de Vienne en 1983. 4- Cité par Badjadja A., Hachi O. et Soufi. Synthèse du contentieux archivistique algéro-français. Publication des Archives Nationales, n° 03, 1996, p.10 5- Un des premiers traités contenant des stipulations relatives au transfert des archives est le Traité de Turin de 1601. Voir la liste de ces traités dans Actes de la XVIIe Conférence internationale de la Table ronde des archives (CIA 1980,41-69). 6- WALLOT Jean-Pierre. Les grands principes internationaux concernant les migrations des archives. ARCHIVES, VOLUME 28, NUMÉRO 2, 1996-1997, p.3 7- « Et pour cause, comme l'avait signalé Réda Malek, même les questions économiques étaient secondaires. La question fondamentale était l'indépendance et l'intégrité territoriale et la partie française ajoutait celle du statut des Européens et de ses intérêts économiques » SOUFI Fouad. Les archives algériennes en 1962. Op. cit. 8- GERARD Ermisse, MARTINEZ Christine. Archives, archivistes, et archivistique françaises, a l'épreuve des relations internationales in La Gazette des archives, n. 204,2006. Les archives en France. p.96 9- Cité par Akbal MEHENNI. Problématique générale du contentieux archivistique algéro-français In Revue du CERIST, Vol. 2, n°1,1992, p.30 10- Akbal Mehenni. Le contentieux archivistique algéro-français. p.168 11- Fouad SOUFI. En Algérie : l'Etat et ses archives. p.169 12- Note du 6 mars 1961 émanant du Directeur General des Archives de France a MM. Les conservateurs régionaux des archives algériennes : « Dans le cadre du programme de microfilmage systématique des fonds de valeurs historique des archives publiques et à l'occasion de la réorganisation du service du Microfilm à la Direction des Archives de France, j'ai décidé de comprendre dans une première tranche réglée par l'ordre alphabétique des départements, à la fois l'achèvement du microfilmage des documents de l'Ain de l'Aisne et la prise de vues dans les ateliers des Archives nationales de l'ensemble des fonds des Archives de l'Algérie présentant un intérêt historique... » Service des Archives de la Wilaya d'Oran, Liasse n. 6452 citée par Fouad Soufi . En Algérie : l'Etat et ses archives. Op. cit. p. 170 13- idem. |