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Nous
avons constaté lors de cette dernière campagne électorale, combien les
candidats, jeunes et moins jeunes, instruits ou pas, sont ignorants des
démarches scientifiques pour appréhender la gestion et le développement des
collectivités locales. Des listes de projets envisagés pour le développement
local sont égrenées par des candidats de tout bord, militants de partis ou
indépendants sans vision, sans diagnostics, sans s'interroger sur les
priorités, sur le financement... C'est ce qui nous a motivé
pour rédiger cette contribution en espérant qu'elle suscitera de l'intérêt
auprès des candidats très nombreux qui se proposent de gérer nos villes (en
l'occurrence la ville d'Aïn Témouchent
où demeure l'auteur de ces lignes).
Le développement durable au plan national ou local ne peut être fondé sur des processus décisionnels empiriques. Pour être rationnellement entrepris, il doit être fondé sur une démarche scientifiquement établie. Cette démarche n'est autre que la planification stratégique, outil conceptuel et opérationnel de développement ayant fait ses preuves depuis longtemps déjà dans de nombreux pays ou les collectivités locales l'ont adopté à l'instar des entreprises industrielles et commerciales. Les démarches planificatrices au niveau des collectivités locales (principale partie prenante concernée par la promotion du développement durable local) sont fondées en effet sur une vision claire du futur souhaité, partagée par la population et les principaux intervenants concernés. En planification, l'approche stratégique incite les élus d'une collectivité à porter leurs efforts vers les orientations, les objectifs, les grands enjeux et un plan d'action pour la collectivité tout en gardant en vue les finalités de cette dernière. Après avoir dégagé une vision d'aménagement et de développement durable partagée avec la population et avoir identifié les principales cibles visées, ils peuvent définir les options stratégiques et les grandes lignes du plan d'attaque permettant d'atteindre ces cibles. Les moyens identifiés pour atteindre le ou les buts visés seront d'autant plus efficaces qu'ils s'appuieront sur les forces de la collectivité (les atouts dont disposent les communes) et sur les occasions qui s'offrent à elle et que l'approche stratégique aura permis de distinguer. Ces forces peuvent résider dans les caractéristiques du milieu naturel, dans celles du milieu bâti, dans l'attrait des activités humaines pratiquées dans la région, dans la capacité d'innovation et d'organisation de la population locale, etc. Dans cette contribution, nous souhaitons présenter très synthétiquement le contenu théorique de la planification stratégique du développement durable local, tout en considérant les difficultés pratiques rencontrées au niveau de l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan stratégique (de développement durable local). Pour commencer, il faudrait sans doute s'entendre sur ce qu'on entend par stratégique avant de définir la planification stratégique. - Est stratégique toute démarche qui repose sur la définition de buts (objectifs) à long terme; et la détermination des moyens pour les réaliser. Ce type de définition s'intéresse plutôt aux problèmes de politique générale de l'organisation. - Est stratégique toute décision impliquant des changements importants, structurels, dans le management de l'organisation, en l'occurrence la collectivité locale (ses buts, ses activités, son organisation...). En regroupant, on peut arriver à la formulation suivante : la stratégie consiste à planifier le changement dans le but d'adapter les ressources de la collectivité locale aux exigences de l'environnement, pour réaliser les objectifs et les buts fondamentaux poursuivis en matière de gestion et de développement. Ainsi donc, la stratégie est définie souvent comme « l'ensemble constitué par les réflexions, les décisions, les actions ayant pour objet de définir les buts généraux puis les objectifs, de fixer le choix des moyens pour réaliser ses objectifs, de mettre en œuvre les actions et les activités en conséquence, de contrôler les performances attachées à cette exécution et à la réalisation des buts». La plupart des manuels, notamment américains, sont conçus dans cet esprit : on définit d'abord les buts et la politique générale puis on pose les éléments du diagnostic sur l'environnement (environnement externe) et sur l'organisation (environnement interne), avant de mettre en œuvre une planification des moyens pour réaliser des stratégies d'activités dont on contrôlera les performances. C'est aussi sur cette base conceptuelle que plusieurs définitions ont été données à la planification stratégique selon l'angle que les auteurs veulent privilégier. Parmi ces définitions, on peut citer : «La planification stratégique est un processus de gestion visant à assurer, d'une manière continue, une concordance entre une organisation et les circonstances internes et externes qui lui sont favorables. Elle s'accomplit en adaptant la mission, en définissant des objectifs, en développant des stratégies et en élaborant un plan global qui indique comment les ressources seront utilisées pour répondre aux besoins des intéressés et aux exigences de l'environnement». La planification stratégique est aussi «un processus systématique qui détermine ce que vous êtes, où vous en êtes, quel but vous voulez atteindre, comment et à quel moment vous voulez l'atteindre, qui effectuera le travail et quels en sont les coûts» ? On peut remarquer que la planification stratégique va plus loin que la simple planification. Elle consiste, en partie, «à examiner les ressources internes pour ensuite se tourner vers le monde extérieur, ce qui aidera à déterminer de quelle manière on doit s'y prendre pour concrétiser une vision». La planification stratégique permet : - de clarifier les rôles; - de partager la vision, la mission, les objectifs et les activités du groupe (le collectif des élus locaux); - de fournir des points de référence (des indicateurs) permettant de mesurer les progrès accomplis; - de résoudre les problèmes. Le processus de planification en lui-même peut contribuer à la résolution des problèmes. ... La méthodologie de la planification stratégique développée à la Harvard Business School s'est d'abord diffusée en Amérique grâce au soutien financier de l'État fédéral, avant d'être adoptée en Europe et au-delà. Depuis 1982, le Department of Housing and Urban Development aux USA encourage l'application de la démarche stratégique aux collectivités locales. Lors de l'expérience pionnière de San Francisco, une courte note décrivait en ces termes les principales attentes du projet de planification stratégique : «À l'intention des décideurs municipaux et du monde économique, établir la liste des problèmes cruciaux de la ville, fournir un inventaire des actions susceptibles d'y faire face; prévoir les moyens d'éviter les crises urbaines typiques...; donner l'occasion d'un dialogue permanent entre la municipalité et le monde des affaires». L'attention porte notamment sur les facteurs externes influençant le système local. Il s'agit de fournir à partir d'une série d'indicateurs sociodémographiques (pyramide des âges, niveaux d'instruction, migrations), économiques (répartition par secteurs, taux de chômage, taux de mortalité, etc.), physiques (climat, accès routiers et ferroviaires, etc.), politiques (tendances et attentes des citoyens, rapports avec l'administration (wilaya...), etc.). Des images globales du futur de la collectivité grâce à la mise en rapport des indicateurs. Les indicateurs de synthèse, diachroniques et comparatifs qui sont élaborés sont interprétés dans un langage de contrainte et d'opportunités. Par exemple, si la présence d'une main-d'œuvre peu qualifiée réduit l'attrait d'une ville (contrainte), elle lui donne l'occasion d'entreprendre des politiques de formation (opportunité). Ces images globales permettent de sélectionner quelques problèmes prioritaires, souvent controversés et perçus comme déterminants. Au terme de sa radiographie, une collectivité peut retenir certains problèmes (logement, emploi, transports, santé). Une autre ville, plus ambitieuse, y ajoute le cadre de vie, la criminalité, l'aménagement urbain. Puis l'analyse externe étudie les variables de l'environnement de la collectivité eu égard à leurs impacts potentiels sur les problèmes. Dans l'ensemble, ces facteurs ne sont pas tous sous le contrôle direct des acteurs locaux car il s'agit de dispositions législatives et réglementaires, changements sociaux, politiques, techniques, démographiques. L'analyse externe conduit à établir des matrices accompagnées de notes d'explication croisant deux dimensions : les probabilités d'occurrence des facteurs et l'intensité des impacts. Le plan d'action concrétise et détaille les options stratégiques retenues en allouant les ressources nécessaires (personnel, budgets). La mise en œuvre d'une planification stratégique lie étroitement celle-ci avec le cycle budgétaire. Cette pratique familière à certaines entreprises permet aussi aux collectivités locales de guider les décisions budgétaires et de suivre le déroulement du plan. Dans ces circonstances, le contrôle et l'évaluation d'une politique s'effectuent naturellement par l'intermédiaire d'un double réglage dû au cycle budgétaire et à la direction par objectifs, sauf événements imprévus traités par des audits de contrôle et d'évaluation dont les avis permettront d'éclairer les décideurs. Ceux-ci sont supposés d'accord entre eux, ce qui conduit à limiter la prise en compte des différents partenaires de l'action. Dès lors, l'efficacité de la planification stratégique réside sans doute moins dans des performances immédiates et des résultats tangibles que dans des efforts de façonnage et de retouche de modalités essentielles de l'action publique urbaine. En réalité, l'exercice stratégique devrait permettre à la municipalité d'orienter l'amélioration de son milieu de vie vers le mieux-être tout en s'inspirant de ce qui se fait ailleurs. Pour pouvoir réaliser leur vision ou plus précisément la mission qui leur incombe, les élus doivent établir : - un diagnostic des conditions internes (forces et faiblesses de la collectivité) et externes (occasions et contraintes extérieures) conditions qui déterminent largement les conditions de réalisation des objectifs de développement et d'amélioration des conditions de vie des citoyens de la commune. Cette phase du processus de planification est extrêmement importante. Un bon diagnostic permet en effet de révéler les forces et les faiblesses de la collectivité locale et par conséquent orienter les choix stratégiques en matière de développement socioéconomique. Le diagnostic est établi sur la base de la collecte de nombreuses données démographiques, économiques, environnementales et sociales... Dans une démarche de développement durable, c'est le moment de préciser les besoins des populations d'aujourd'hui et de demain : besoins en matière de développement économique, d'aménagement de l'espace, d'environnement, d'équilibre social de l'habitat, de transport, d'équipements et de services, etc. Le conseil municipal peut ensuite dégager une vision d'avenir de la collectivité, en répondant aux questions fondamentales relatives à sa mission et à ses orientations à moyen et long terme. L'élaboration d'une vision ou d'une mission municipale constitue généralement le point de départ d'un plan stratégique. Après avoir dégagé une vision d'aménagement et de développement durable partagée avec la population et identifié les principales cibles visées, ils peuvent définir les options stratégiques et les grandes lignes du plan d'attaque permettant d'atteindre ces cibles. Le plan stratégique contient les cibles prioritaires visées en quantifiant, si possible, les résultats à atteindre. Veut-on par exemple : 1. Assurer des emplois aux jeunes dans la municipalité ? 2. Améliorer les services à la population actuelle (qualité de l'eau, entretien des routes, propreté de lieux, loisirs, etc.) ? 3. Accueillir des commerces et des services inexistants ? 4. Accueillir plus de touristes ? 5. Créer des débouchés sur place pour les produits agricoles ou d'artisanat et de pêche locaux ? 6. Renforcer le nombre de logements à prix abordables ? 7. Embellir les avenues de la ville en procédant au nettoyage ordonné et au découpage régulier des arbres ornementaux, entretien des espaces verts (tous ceux qui visitent la ville de Aïn Témouchent pourront constater l'état de dépotoir que sont devenus les rares espaces verts, à l'image de celui situé en face de l'hôtel Bel Air et celui situé à l'entrée de la ville nouvelle face à la clinique Ibn Sina, etc. ? ... Le plan stratégique devrait déboucher dans ces conditions sur un plan d'action précisant comment on entend atteindre ces résultats : les projets prioritaires et leurs étapes de réalisation, les partenaires et leurs rôles, les moyens d'harmonisation des actions, les échéances, la localisation des projets, les coûts et leur partage. La planification stratégique se caractérise par définition par sa flexibilité. On peut en effet prévoir des ajustements en fonction de ce qui peut arriver en cours de réalisation des objectifs. Un suivi des résultats obtenus par rapport aux buts visés permettra aux décideurs de juger périodiquement de l'à-propos de modifier certains éléments de la stratégie. La planification stratégique constitue donc un processus continu permettant aux élus d'orienter leur collectivité vers des cibles convenues avec la population tout en tenant compte de l'évolution des éléments internes de l'organisation et de son environnement externe. Pour conclure cette contribution, il importe de relever que, face aux mutations économiques, politiques, technologiques, socioculturelles, les organisations, en l'occurrence les collectivités locales, se doivent, en permanence, de mobiliser l'intelligence collective afin d'élaborer un instrument d'orientation et de pilotage stratégique permettant de répondre, de manière efficiente et efficace, aux demandes et attentes multiples et diversifiées des citoyens. Comme on peut l'imaginer, la planification stratégique nécessite beaucoup de savoir-faire et donc de formation pour ceux qui seront en charge de gérer et de développer nos villes et villages. Les universités et les instituts de formation sont interpellés pour répondre à cette exigence fondamentale de la formation et de l'aide à l'élaboration de plans stratégiques quinquennaux (durée du mandat des élus) notamment en impliquant les nombreux laboratoires de recherches domiciliés au sein des universités. Dans la ville d'Aïn Témouchent (où réside l'auteur de cette contribution), un laboratoire de recherche sur le développement local, domicilié au sein de l'université de la ville, regroupant de nombreux jeunes chercheurs, peut parfaitement s'impliquer dans ces tâches de formation des élus des collectivités locales de la wilaya et apporter toute l'aide nécessaire à la confection des plans stratégiques de développement. *Pr en Sciences économiques |