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«Si nous venons à mourir
défendez notre mémoire.» Didouche Mourad
Notre pays commémore le 66ème anniversaire du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 54, c'est une occasion de glorifier ceux qui se sont sacrifiés pour que vive notre pays dans le respect et la dignité. Cet évènement historique est le fruit d'une longue macération politique semée d'embûches. En France au début des années 1920, dans les milieux ouvriers étrangers (algériens, vietnamiens, africains...) germe une prise de conscience anticolonialiste, et c'est dans ce contexte, au sein de l'immigration algérienne composée essentiellement d'ouvriers que naquit un mouvement revendicatif anticolonial. Ils sont nombreux ces personnes qui ont fait don de leur personne à l'Algérie. Certains très connus ont marqué l'histoire, ils sont mêmes cités dans les manuels d'histoire, d'autres par contre sont méconnus et pourtant leur apport à l'émancipation de notre pays a été très décisif. Parmi ces figures emblématiques qui ont théorisé le mouvement national on peut citer Hadj Ali Abdelkader, révolutionnaire méconnu du grand public, fondateur de l'Etoile Nord-Africaine (ENA, 1926), premier parti politique algérien. Comment peut-on ignorer le parcours de ce militant de la première heure qui a incarné le mouvement nationaliste ? ?'Un peuple qui ne glorifie pas les grands hommes de son Histoire sera la proie des médiocres'' disait le président H. Boumédiène. Je vous propose de revisiter l'itinéraire remarquable de ce défenseur des peuples colonisés, un homme résolument engagé dans la voie du progrès social, un homme de rupture ! Sa bibliographie est rapportée dans un ouvrage1 publié en 2006 par Mr A. Righi. En 1897 à l'âge de 10 ans il est contraint de quitter son douar et sa famille, en effet les terres familiales des Hadj Ali sont spoliées par un usurier. Installé à Mascara, il travaille dans une quincaillerie, s'initie au commerce et apprend le français. Travailleur habile, il crée sa propre affaire et devient un jeune patron et épouse une jeune Mascarienne. De cette union naît une fille prénommée Maghnia qui vivra jusqu'en 1970 à Mascara. Apparemment une vie normale ! Mais Hadj Ali quitte précipitamment Mascara pour Paris, aucune information sur les motivations qui l'ont poussé à quitter subitement Mascara n'est disponible. Sitôt installé à Paris, il ambitionne de reconstruire sa vie, il réside d'abord auprès de la communauté magrébine, puis se relance dans le commerce et se marie avec une Française en 1912. Fait important, il acquiert à sa demande la nationalité française en 1911. Quelles sont alors les motivations qui ont poussé Hadj Ali à solliciter la citoyenneté française ? Il est clair qu'il ne s'agit pas d'un abandon de son patrimoine culturel car on le sait très proche et très solidaire de la communauté magrébine à Paris. Sa naturalisation, bien que surprenante à priori est le reflet de son caractère : homme entier, pragmatique, il veut tout simplement profiter d'une société rigide empreinte de démocratisme où prévalent les statuts sociaux et les privilèges. Conscient de son engagement politique, il veut s'affranchir du statut d'immigré afin de mener efficacement et librement son parcours militant. Il est mobilisé en 1914 à l'âge de 31 ans (1ère Guerre mondiale). Son engagement politique commence après sa démobilisation. La situation des émigrés est traumatisante en ce début de siècle, ignorance de la culture française, des lois, conditions de travail contraignantes et dangereuses. H. Alleg2 rend compte de cette situation dans un livre ?On les trouve partout où il y a de l'embauche. Dans les mines du Nord ou de fer de l'Est, aux fours des aciéries où la chaleur est suffocante, dans les usines de produits chimiques'. Il participe à des comités d'action pour la défense des indigènes algériens, il adhère au mouvement de bienfaisance « l'association de la fraternité musulmane ». L'activité associative lui permet de maintenir le contact avec la communauté émigrée de Paris, mais il la juge insuffisante pour l'émancipation des travailleurs. Séduit par le syndicalisme, il adhère à la CGT (Confédération Générale des Travailleurs) en 1908, très vite il découvre l'importance et l'efficacité de l'action syndicale, basée sur la revendication collective. Le syndicalisme s'avère un excellent moyen de défense des travailleurs émigrés, mais c'est surtout une école de préparation au militantisme et au combat politique. Demain ce combat sera transféré aux colonies et ainsi le système colonial sera combattu. Son parcours politique est remarquable3, il milite d'abord à la SFIO (Section Française de l'Internationale Socialiste 1910-1920), après restructuration de celle-ci (1920, Congrès de Tours), il devient membre de la CGTU (Confédération Générale du Travail Unitaire) d'obédience communiste, qui enregistre une adhésion massive des travailleurs des colonies en particulier des Algériens. Il rejoint le PCF (Parti Communiste Français) dont il devient le candidat aux élections législatives de mai 1924. Il rate le sacre à quelques suffrages selon B. Stora4, 20 voix le séparent du dernier candidat communiste élu. Le bloc socialiste se fissure, la question coloniale n'est pas perçue de la même façon, les socialistes originaires des colonies Indochine, Afrique noire, Maghreb, Guadeloupe, Martinique fondent un groupe autonome mais toujours d'obédience communiste. Ce groupe devient UIC (Union Inter-Coloniale), il regroupe l'élite militante de l'émigration, l'objectif était de s'organiser contre le colonialisme, il est doté d'un organe de presse : Le Paria Le noyau dur de l'UIC est composé de personnalités remarquables, dont la plus prodigieuse se nommait Nguyên Ai Quôc connu plus tard sous le nom Hô Chi Minh. Les principales figures : -Nguyên Ai Quôc (Hô Chi Minh), rédacteur en chef du Paria, figure légendaire de la résistance vietnamienne, futur président du Vietnam -Hadj Ali Abdelkader, 1er Algérien à intégrer l'UIC (1922), membre du Comité Central du PCF (1924), initiateur et fondateur de l'Etoile Nord-Africaine -Lamine Senghor, fondateur du comité de défense de la race nègre en 1926 -Henry Charles-Sarotte, représentant le PCF au sein de l'UIC -Samuel Stephany, instituteur malgache membre du comité de rédaction du Paria. Plus tard d'autres personnalités rejoindront l'UIC parmi lesquelles on peut citer les Algériens Akli Hammouche, Ben Lakhal Mahmoud (né en 1894 à Alger), membre du comité de rédaction du Paria, il mena une lutte contre l'envoi de troupes nord-africaines en Allemagne (Ruhr). Et la liste n'est pas exhaustive ! Hô Chi Minh et Hadj Ali dénoncent avec pertinence dans leurs nombreux articles signés sous des pseudonymes divers, les conditions de vie dans les colonies et la situation dramatiques des peuples colonisés. Ils revendiquent plus de liberté et d'égalité et appellent à une solidarité agissante entre les peuples colonisés. C'est la première fois que l'idée de décolonisation est posée publiquement. L'Emir Khaled, petit-fils de l'Emir Abdelkader, fera le procès du colonialisme lors de meetings organisés par Hadj Ali à Paris. Hadj Ali succèdera en 1923 à Hô Chi Minh à la tête de l'UIC, il devient membre de droit de la Commission Coloniale chargée essentiellement de réfléchir sur les questions coloniales. Hadj Ali alors membre de cette commission est très critique vis-à-vis du PCF (Parti Communiste Français) et juge insuffisante son action dans le progrès de la question des colonies. Il insiste sur la création d'un groupe politique nord-africain autonome afin de discuter les problèmes spécifiques du Maghreb, ainsi une sous-commission nord-africaine (SCNA, probablement l'ancêtre de l'ENA) présidée par Hadj Ali et composée d'Algériens est née en 1925. Hadj Ali entre en conflit avec la direction du PCF à laquelle il reproche son indolence vis-à-vis des questions coloniales. La question de l'émancipation du prolétariat indigène vis-à-vis de la tutelle européenne est enfin discutée lors du congrès du PCF de Lyon en 1924 où il est élu membre du Comité Central du PCF, il est ainsi le premier Algérien à faire partie de la direction du PCF. A l'occasion de la célébration du 130ème anniversaire de la naissance du leader vietnamien Hô Chi Minh, dans un communiqué de presse l'APS5 lui rend hommage en mentionnant son compagnon de lutte Hadj Ali Abdelkader : « Hô Chi Minh fut parmi les principaux animateurs du journal «Le Paria», un mensuel diffusé entre 1922 à 1926, par l'Union inter-coloniale, dépendant du Parti communiste français, au sein duquel activait également Abdelkader Hadj Ali, un militant ouvriériste et anticolonialiste algérien. » Ces deux hommes ne savaient pas encore à quel point ils étaient en train de bouleverser le monde, l'histoire le démontrera plus tard ! Comment expliquer l'étrange ressemblance entre la révolution vietnamienne et la révolution algérienne ? Il y a aussi cette rencontre prolifique avec un jeune travailleur algérien, c'était Messali Hadj, qui sera trésorier de la 1ère association : Etoile Nord-Africaine (ENA). Hadj Ali est manifestement l'initiateur de la création de l'Etoile, mais celui qui lui a donné ses lettres de noblesse c'est bien H. Messali. Au Congrès de Bruxelles (février 1927) organisé par la « Ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale », il fit une intervention exceptionnelle et très applaudie, il demanda au congrès de soutenir le combat de l'ENA pour les libertés démocratiques et l'indépendance de l'Algérie. La voix de l'Algérie commence à résonner sur le plan international : C'est le début d'une aventure qui mènera au 1er Novembre 1954 et aboutira à l'indépendance du pays. En 1927 H. Messali6 succède à Hadj Ali à la tête de l'ENA, la rencontre entre ces hommes fut fraternelle et très productive, plus tard les 2 hommes s'éloignent politiquement probablement en raison de divergences doctrinales. Voilà comment H. Messali qualifiait sa rencontre avec Hadj Ali : ?'Ali m'est apparu comme quelqu'un de très marqué par l'idéologie communiste, qu'il manifeste avec une grande dextérité. Originaire à la fois de Mascara et de Relizane, il était intelligent, bien élevé et bon vivant, trois mois après nous devenions de bons amis.'' Hadj Ali Abdelkader, Messali Hadj un même combat, une même passion : L'Algérie! * Pr Université Oran1 - Ahmed Ben Bella Bibliographie 1-A.Righi ?'Hadj Ali Abdelkader pionnier du mouvement révolutionnaire algérien'' Ed. Casbah Alger 2006. 2-H. Alleg ''La Guerre d'Algérie''. Op. Cité, T.L, p.208. 3- M. Kaddache ?'Histoire du nationalisme algérien, Tome I, Ed. SNED'' Alger 1980. 4-B. Stora, Dictionnaire biographique. Op. cité, p.52 5-Communiqué de l'agence de presse « Algérie Presse Service (APS) » 18 mai 2020. 6-Jacques Simon ?'Messali Hadj-la passion de l'Algérie libre'' Ed. Tirésias, Paris, 1998 |