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Nous avons commémoré hier le
65ème anniversaire du déclenchement de la Révolution de libération et le 37ème
vendredi de la Révolution du sourire. De l'une à l'autre, la continuité est
évidente : un seul et même peuple se soulève. Presque pour la même cause : la
lutte contre l'injustice et pour l'acquisition de sa souveraineté (hier,
nationale, aujourd'hui, populaire).
De l'une à l'autre, les acteurs ont changé. De l'une à l'autre, l'organisation de ces acteurs a changé. Du modèle centralisé de la première, la révolution est passée à celui décentralisé : le Hirak n'a aucun Zaïm, ni aucune instance dirigeante. Du modèle centralisé qui ne s'est réellement imposé que tard, lors du Congrès de la Soummam, il ne reste dans nos mémoires que ces âpres luttes entre les différents organes de direction (politique versus militaire ; extérieur versus intérieur ; etc.). Le modèle décentralisé du Hirak ne vivra pas de tels écueils. Parce qu'il est intrinsèquement pacifique. Il tourne le dos à toute forme de violence. Qu'il endigue en affirmant sa force : l'unité de ses revendications et ses protagonistes (quelle que soit leur couleur politique ou leur appartenance ethnique ou religieuse ou régionale...). Dans son 9ème mois, le Hirak ne générera aucune action d'éclat, à l'instar du 9ème mois de la guerre de libération : l'offensive du 26 août 1955 dans le Constantinois (un an, jour pour jour, avant le Congrès de la Soummam). Ce fait d'armes du FLN - ALN sera à l'origine de l'Appel pour une trêve civile, rédigé par Albert Camus (avec l'appui de toutes ces personnalités intellectuelles, religieuses et politiques de l'époque - Emmanuel Roblès, Louis Miquel, le Cardinal Duval, les avocats Dechézelles et Chentouf, le sociologue Abdelmalek Sayad - élève de Pierre Bourdieu - ou encore Ferhat Abbas, Mohamed Ledjaoui, Amar Ouzegane, Boualem Moussaoui, Mouloud Amrane). De cet Appel pour la trêve civile, l'historien Daniel Guerin (un des premiers soutiens de la révolution ; en 1960, il signera le Manifeste des 121, déclaration sur le « droit à l'insoumission ») dira dans «Quand l'Algérie s'insurgeait» (1979) : « Ne versons pas dans l'utopie. La «trêve civile» en Algérie dont avait rêvé un Albert Camus, pied-noir à la conscience déchirée, fait figure, rétrospectivement, de touchante chimère. Du côté algérien, le recours aux armes était, sans doute, le seul moyen qui restait pour émanciper un peuple si longtemps écrasé, berné, dépouillé et à qui l'on avait délibérément fermé toutes les autres voies menant à la liberté ». Plus tard, le président français dira à Constantine même (à l'université Mentouri) le 5 octobre 2007 : « Le déferlement de violence, le déchaînement de haine qui, ce jour-là (le 20 Août 1955), submergea Constantine et toute sa région et tua tant d'innocents étaient le produit de l'injustice que depuis plus de cent ans le système colonial avait infligée au peuple algérien. L'injustice attise toujours la violence et la haine ». L'offensive du 20 Août 1955 dans la Zone 2 (dirigée par Zighoud Youcef) est considérée aujourd'hui comme un tournant décisif pour la révolution. Il ne s'agissait pas de venger la mort de Didouche Mourad (tombé au champ d'honneur le 8 février 1955), mais plutôt de desserrer l'étau sur les Aurès, empreint à de fortes divisions (1). Et ce, même si (dans la Zone 1) le successeur de Mostefa Ben Boulaïd - arrêté en février 1955 - Bachir Chihani considère cette offensive comme « opération-suicide ». Neuf mois après le déclenchement de la révolution du sourire, il y a en Algérie ceux qui répondent à l'Appel pour le pacte civil - tenue des élections le 12 décembre - et ceux qui réclament leur droit à l'insoumission. De ces derniers, un sort du lot : le commandant de l'ALN Si Lakhdar Bouregaa dont on a dit aujourd'hui qu'il aurait usurpé le titre de moudjahid et l'identité de son frère, ce que démentent la presse ou Youcef Khatib ou Mohand Ouamar Benlhadj (SG par intérim de l'Organisation nationale des moudjahidines qui apportait son soutien au Hirak dès le 6 mars 2019). Comment peut-on confondre Si Lakhdar Bouregaa avec un chahid s'agissant de Si Lakhdar ou Si M'hamed de la Wilaya IV ? Comment peut-on télescoper des phases différentes de notre histoire : les années 50 avec en 1955 le colonel Amar Ouamrane, 1957 le colonel Slimane Dehilès (dit Si Sadek), 1958 le colonel Ahmed Bougara (dit Si M'hamed)... et les années 60 (4) : avec 1961 et le colonel Youcef Khatib (dit Si Hacène) ? Et ce n'est pas un inconnu dans les annales de l'histoire de l'Algérie : il a été non seulement un de nos premiers députés dans l'Assemblée Constituante de 1962 - figurant sur le numéro 64 sous le nom BOUROUGHAA LAKHDAR (2) - mais un des premiers opposants à Ben Bella puis à Boumédiène. Ainsi, après le coup d'Etat de juin 1965, il est de notoriété publique (3) qu'il a été arrêté le 3 juillet 1967, puis transféré à la prison de Sid El-Houari, à Oran ; et en juillet 1969, il est pour avoir participé à la tentative de coup d'État de Tahar Zbiri, en décembre 1967. Il passera sept ans en prison et il sera libéré en 1975. Lakhdar Bouregaâ a fait partie de l'OS. Mais avant de rejoindre l'ALN en 1956, il est appelé sous les drapeaux et fait son service militaire au centre d'instruction de Mostaghanem, puis est affecté à Briançon en France où il devient chasseur alpin (soit un soldat d'élite) et enfin à Safi au Maroc. Il déserte et rejoint l'ALN à Chebli dans la Mitidja. Il est combattant dans la Wilaya IV / Zone 2. Avec le grade de sous-lieutenant, il dirige la fameuse Katiba Zoubiriya. En 1959, il est adjoint du capitaine Othman Telba (dit Si Abdelatif) à la zone de Médéa (4). À la mi-1961, il devient commandant de la Zone 2 avec le grade de commandant. Les témoins sont le colonel El Khattib et d'autres cadres de l'ALN de la Wilaya IV que fut Mohamed Bousmaha. Comment peut-on se rappeler près de 67 ans plus tard que Bouregaa ne s'appelle plus LAKHDAR mais AHMED ? Et pire qu'il aurait usurpé le nom de SI LAKHDAR et vécu sous une fausse identité ? Aussi l'on peut s'interroger non pas sur la visée des confusions savamment entretenues à son propos - le discrédit aux yeux de la population - mais sur la connaissance des acteurs de notre histoire. Ne serait-il pas une occasion pour ouvrir le dossier des « faux moudjahidines » qui plus d'un demi-siècle après l'indépendance continuent de proliférer ? Car beaucoup d'Algériens ont partagé et partagent des informations erronées, diffamatoires, haineux sur les réseaux sociaux concernant diverses personnalités publiques. Ils nourrissent la manipulation voulue et le négationnisme d'un certain journalisme sans dignité. Ne faut-il pas alors croire qu'en neuf mois seulement le Hirak a fait perdre la boussole du temps aux chroniqueurs zélés des médias aux ordres ? Aussi mon propos ici était d'acter l'aujourd'hui - 9 mois de Hirak - avec hier - 9 mois après le 1er Novembre. Une mise en parallèle visant à révéler les similitudes au-delà du tragique, nos chouhadas et nos prisonniers politiques. Puis le comique : le déni de la vérité. Par toujours les mêmes : les zélateurs aux ordres. (*) Economiste Notes : (1) Pour une étude fouillée sur ce sujet, je renvoie à Ouanassa Siari-Tengour |(historienne et chercheuse au CRASC, Oran) : « Les dirigeants de l'Aurès-Nemencha (1954-1957) » colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l'histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007 (2)http://www.apn.dz/fr/les-membres/ancienne-legislature/liste-des-deputes-de-l-assemblee-constituante-1962 (3) Voir par exemple https://fr.wikipedia.org/wiki/Lakhdar_Bouregaa (4) Sur les événements de février 1960 à septembre 1960, l'affaire dite Si Salah (Mohamed Zaamoum), je laisse la parole à Si Lakhdar Bouregaa in https://www.lesoirdalgerie.com/hisoire/le-commandant-bouregaa-evoque-la-wilaya-iv-historique-7893/print/1? Pour rappel: *1- En route vers Tunis, pour y être jugé par le GPRA, le commandant Si Salah tomba dans une embuscade à M'chedellah, près de Bouira, le 20 juillet 1961; c'était un militant de l'OS et dès le 1er novembre 1954; un des organisateurs de groupes de combattants (que le colonel Ouamrane dirigera dans les attaques à Blida); puis commissaire politique de la Wilaya IV (sous la direction du colonel Bougara à qui il succédera); membre du CNRA en 1958. *2- Et en 1960, Bouregâa était lieutenant et fut chargé de contacter le capitaine Othman Telba (dit Si Abdelatif) et de le ramener pour être jugé; mais malgré l'intervention de Bouregaâ pour obtenir son acquittement, le capitaine fut exécuté en août 1960. |