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Aussi
paradoxale que soit l'affirmation suivante: «ce gouvernement
a un fondement constitutionnel indéniable, mais ses pouvoirs n'en sont pas
moins légalement limités,» elle n'en reflète pas moins la réalité juridique qui
entoure ses décisions.
Un gouvernement légal, mais frappé d'obsolescence politique On ne s'appesantira pas trop sur le fait que c'est un gouvernement qui a été désigné par l'ex-président, démissionnaire, mais non encore déchu, et que, donc, les critères sur la base desquels ses membres ont été nommés ont certainement dû faire la part belle au degré de fidélité de ces «heureux élus» à cet ex-président. Il est difficile de prouver que c'est un gouvernement de rupture, ou même un gouvernement de transition, composé de femmes et d'hommes ayant derrière eux une vie de militants décidés à mettre l'Algérie sur le chemin de la rupture avec le mode de gouvernance propre à l'ex-président, c'est-à-dire un mélange de roublardise et de fourberie, enveloppé dans un faux patriotisme et un moralisme verbal, mais dont l'objectif unique était de faire d'un «programme présidentiel» une entreprise officielle de pillage des ressources du pays par une petite minorité. Ces femmes et ces hommes n'ont pas été choisis pour modifier de fonds en comble la politique suivie par l'ex-président, mais simplement pour gérer les affaires courantes du pays, en attendant l'élection d'un chef d'Etat bénéficiant de la légitimité nécessaires pour changer le cours de choses, et porteur d'un programme de redressement national, largement soutenu par la majorité qui lui aura donné ses voix. Mieux vaut un ordre constitutionnellement contestable que le chaos L'échec de la première tentative de s'en tenir aux dispositions de la Constitution relatives à la vacance du poste présidentiel a abouti à un prolongement du mandat de ce gouvernement, qui était censé ne durer que quatre vingt dix jours. Il faut souligner qu'il ne s'agit pas ici d'argumenter pour refuser toute légalité au pouvoir de décision de la présente équipe gouvernementale, pour la simple raison de bon sens qu'un gouvernement dont les assises constitutionnelles sont fragiles, mais qui maintient le minimum d'ordre nécessaire pour que les citoyennes et citoyens puissent vaquer à leurs affaires routinières, vaut mieux que le chaos qu'aurait créé l'absence totale de gouvernement et la substitution de la loi de la rue à la loi de l'Etat. «Irrouhou gaa» est tout simplement un slogan suicidaire même pour ceux qui y ajoutent foi. Donc , on ne saurait nier que ce gouvernement a un rôle essentiel, non seulement comme barrage à l'anarchie et au chaos, mais également comme étape indispensable pour une sortie de crise pacifique et ordonnée ,qui ne conduirait pas le pays à une crise encore plus dévastatrice et , sans aucun doute, autrement plus violente. Quelles affaires sont réellement «courantes?» Une question facile à la réponse impossible La question qui se pose est moins de se demander si ce gouvernement est légal ou non, que de s'interroger sur les limites de son mandat. C'est, par définition, un gouvernement dont la mission est restreinte à la gestion des affaires courantes. On peut, cependant, arguer ad infinitum qu'il est difficile de faire la distinction entre «affaires courantes» et «problèmes de long terme,» qui pourraient dicter une intervention immédiate des autorités publiques. Effectivement, dans la gestion quotidienne de l'Etat, toute décision prise, si banale soit-elle, peut avoir des répercussions de long terme, si ce n'est sur le pays, du moins sur le secteur que cette décision touche. Et, de fil en aiguille, on peut se demander si le terme «affaires courantes» peut servir à définir quelque action que ce soit du gouvernement en charge. Quel cordeau employer pour éviter qu'une institution aux attributions limitées n'usurpe les compétences d'un futur gouvernement mieux assis constitutionnellement et bénéficiant d'une légitimité sans faute? S'en tenir à la lettre de leur mandat doit-il être le souci majeur des ministres au détriment des intérêts des citoyennes et des citoyens, intérêts qui dictent que le futur soit déjà dans le présent sous une forme ou une autre, et que, donc, aucun décision présente ne saurait être prise sans projection de ses effets dans le futur? Ce gouvernement, en toute bonne foi, ne peut pas être à la fois attaqué pour ne pas vouloir, ou ne pas oser, aller au fonds des problèmes qui rendent insoutenable la vie quotidienne des citoyennes et des citoyens, et critiqué pour ne pas être capable de régler d'autres problèmes que ceux que créent les circonstance difficiles actuelles. La durée de vie de ce gouvernement et les limitations données à son mandat le condamnent à ne pas dépasser le niveau de la superficialité des incidents du quotidien; et on ne saurait lui reprocher d'aller plus loin que ce que lui dictent ces deux importants facteurs limitant. Une exigence de cohérence qui n'apparait pas dans la démarche gouvernementale On ne peut donc pas appeler les autorités publiques à restreindre, d'une façon ou d'une autre, le domaine de leurs prises de décisions, afin qu'elles restent fidèles à la description des termes de référence de leur mandat. Cependant, on peut exiger d'elles une certaine cohérence dans leur démarche. Elles ne peuvent pas à la fois afficher une ambition d'entamer les réformes profondes qu'exige la situation du pays et que dicte le mouvement populaire, et de l'autre, s'en tenir au statuquo prudent qu'imposent les limitations de leur mandat. Cette remarque n'a rien de gratuit lorsqu'on tente de saisir la ligne politique adoptée par ce gouvernement dans le domaine économique, particulièrement perturbé par les conséquences négatives de la mondialisation et de l'émergence d'une classe de prédateurs qu'elle a facilitée. Or, on constate, dans ce domaine, une certaine passivité de la part de ces autorités, passivité largement prouvée par le contenu de la loi des finances qui ne prévoit rien d'autre que la continuation, sans modifications aucune, de la politique héritée de l'ancien mode de gouvernance. Il n'est question ni de renégocier le désastreux accord d'association avec l'Union européenne, ni d'abandonner le projet d'adhésion à l'Organisation mondiale du Commerce, ni de limiter les activités des sociétés de services étrangères, telles que les banques, les sociétés d'assurance, les firmes de consultations, pour les mettre en conformité avec le principe de réciprocité. Aucun allusion n'est faite, également, à des changements dans la politique des subventions, supposées aider les plus pauvres, mais dont on a maintenant la preuve, établie même au niveau des instances judiciaires, qu'elles ont largement servi à l'enrichissement des prédateurs. Il est impossible d'affirmer que ce gouvernement ait montré une quelconque volonté de s'attaquer aux distorsions de l'économie causées par une politique de prédation généralisée, sous le couvert de l'ouverture et de l'économie de marché. Une réforme de la loi sur les hydrocarbures, un changement marginal facile qui ignore l'environnement économique. De l'autre côté, et en totale contradiction avec la passivité observée en matière de politique économique, on est surpris par l'audace «réformatrice» dans le domaine de l'exploitation des ressources en hydrocarbures. On sait la place qu'elles occupent, et d'autres ont souligné cette prépondérance du secteur, au grand dam des autres secteurs de l'économie,au point où il demeure le seul point quelque peu brillant dans le paysage désolé du système économique algérien. Il est incompréhensible que ce gouvernement se lance dans une réforme des textes réglementant les activités de ce secteur, tout en ne touchant pas à l'environnement économique qui le rend de moins en moins capable de couvrir les besoins en sources de devises nécessaires à la continuation de la politique d'ouverture. Une analyse profonde de la place des hydrocarbures dans l'économie laisse déceler une certaine incohérence dans la démarche du gouvernement, quels que soient par ailleurs les arguments qu'il présente pour défendre l'importance de la réforme de la loi pétrolière. On constate, en effet, que le problème de la définition de la place des hydrocarbures dans l'économie se trouve en aval de ce secteur, et que toute réforme qui y serait introduite sans toucher à cet aval ne peut que compliquer l'avenir économique du pays. En effet, il y a un constat troublant qui doit être pris en compte si l'on veut aborder le sujet dans son aspect global, et pas seulement dans ses spécificités sectorielles, quelque importantes qu'elles puissent paraitre aux yeux des spécialistes du domaine. Ce constat crucial est que la consommation interne des hydrocarbures a augmenté, et qu'elle est appelée à croitre encore dans le futur, et que, donc, l'apport des hydrocarbures en devises va se réduire avec le temps, au point où il pourrait devenir inexistant dans les proches années à venir. De l'autre côté, aucune mesure n'est prévue soit pour réduire cette consommation interne, soit pour diminuer les dépenses d'importation, soit pour orienter délibérément l'économie vers les productions destinées à substituer aux recettes pétrolières des recettes en provenance des exportations hors hydrocarbures. Dans une vision globale du futur économique du pays, s'attaquer à freiner le rétrécissement des ressources en hydrocarbures apparait comme marginal par rapport à la maitrise de la demande intérieure tant dans les produits pétroliers que dans les produits de consommation importés pour couvrir les besoins croissants d'une population croissante. La crise économique du pays est abordée par le mauvais côté de la jumelle, et par son aspect, à la fois le plus facile, mais également le plus marginal, car il s'agit seulement de toucher à des textes législatifs, sans mettre en cause les intérêts politiques et sociaux qui distordent la distribution des richesses nationales, et qui grèvent la rente pétrolière et en font un instrument d'encouragement à la consommation interne, à l'exclusion de tout apport à l'appareil de production nationale. (voir l'article chiffré de Abdelatif Rebah, économiste https://www.lesoirdalgerie.com/contribution/debat-sur-le-projet-de-loi-hydrocarbures-des-non-dits-qui-en-disent-long-32667) Face à la passivité observée par ce gouvernement dans les aspects les plus importants du reste de l'économie, on ne peut s'empêcher de conclure que ce projet de texte est imposé par des acteurs extérieurs qui profitent de ce passage à vide du pays pour renforcer leur emprise sur le secteur, non pas stratégique, mais vital, car toute la vie tant économique, que financière, monétaire, politique et sociale repose sur lui. Et on s'aperçoit, avec autant de honte que de surprise, en marge de cet activisme réformiste du gouvernement actuel, que, bien que les hydrocarbures soient au centre de la société algérienne et de la survie de l'Algérie comme du système politique encore en place, notre pays n'a même pas été capable de développer des capacités nationales en matière de législation et de technologie dans ce domaine, et qu'il continue à être captif de l'apport en matière grise en provenance de l'étranger! En conclusion: Bien que le gouvernement actuel soit censé régler exclusivement les «affaires courantes» relatives à la gestion de la collectivité nationale, il est difficile, si ce n'est insensé, de tenter de lui tracer un périmètre d'influence précis, compte tenu des limites de son mandat, car l'impact de toutes les décisions gouvernementales dépasse le problème touché, et se répercute , d'une manière plus ou moins sensible, sur tout le reste de la collectivité nationale. Il est tout simplement impossible de donner au terme «affaires courantes» une définition pratique qui puisse guider le gouvernement actuel dans ses prises de décisions. Malgré le caractère quelque peu discutable de sa légalité, ou même de sa légitimité, ce gouvernement assure la continuité de l'Etat, permettant d'éviter non seulement la perturbation des activités quotidiennes des simples citoyennes et citoyens, mais également le chaos qui suit l'effondrement de cet appareil. Donc, le gouvernement peut, et doit, prendre toutes mesures qu'il juge utile, pour mener à bien sa mission de gestion des affaires de la collectivité nationale. On constate, malgré tout, qu'il y a des incohérences dans les décisions gouvernementales, donnant l'impression qu'on a affaire , non à un gouvernement dont les activités sont coordonnées, et reflètent un programme, même non écrit, mais à une addition de responsables de structures spécialisées, qui agissent au gré de leurs propres visions et de leurs propres objectifs, politiques ou autres. Cette incohérence est encore plus accentuée dans le domaine économique; on a , d'un côté, un projet de loi des finances qui ne fait que continuer l'ancienne ligne dans la gestion budgétaire et financière du pays, comme dans sa politique économique, sans modifications aucunes, quels que soient les failles et les pertes causées par cette ligne à la bonne utilisation des ressources naturelles et humaines du pays, et de l'autre, une volonté de réformer la loi des hydrocarbures, dans le but exclusif d'accroitre la production dans ce domaine, sans toucher à l'impact négatif de la politique économique et financière, ainsi reconduite, sur les équilibres globaux qui reposent essentiellement sur l'exploitation de cette ressource. Ce projet de loi sur les hydrocarbures apparait comme une fuite de responsabilités de la part des autorités publiques, car il est d'autant plus facile à entreprendre qu'il ne touche à aucune des distorsions dont souffre l'économie nationale du fait de la politique économique héritée totalement de l'ancien mode de gouvernance. On pourrait conclure, donc, que le bénéfice de cette loi est défini pour servir exclusivement les intérêts des opérateurs étrangers, alors que le pays continuera à être sous la menace d'un tarissement de cette source quasi unique de devises comme de fiscalité. Ce projet de loi, qui fait l'impasse sur les conséquences de la politique économique passée, apparait comme dicté par des impératifs de politique étrangère, et par les intérêts de ce qu'on pourrait appeler, sans forcer les termes, les «saigneurs de la terre;» il pose directement la question de savoir si ce gouvernement est sincèrement convaincu qu'il dispose de la légitimité nécessaire pour faire passer cette loi, alors qu'il évite de s'attaquer, même marginalement, aux distorsions profondes que connait l'économie, et dont profitent massivement «les puissances économiques avancées». Si ce gouvernement estime avoir l'obligation de modifier la loi sur les hydrocarbures pour en corriger les lacunes, et disposer du mandat nécessaire pour la ratifier, il ne peut prétexter des limites de ce mandat pour faire l'impasse sur les autres aspects de la politique économique, qu'il a tout simplement décidé de reconduire, sans modifications, et qui ont plus de répercussions négatives sur l'avenir du pays qu'un éventuel maintien de la loi actuelle. |