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Suite et fin
Mais ce que l'on peut souligner est qu'au-delà du juridique et des lois qui l'interdisent, ce financement non conventionnel était un impératif. Il passait par l'obligation de sauver la zone euro. Sans le financement non conventionnel par la BCE, et peu importe le procédé utilisé ? lancement des emprunts d'État par les pays en crise comme la Grèce, l'Espagne, le Portugal, l'Irlande..., emprunter au marché secondaire, vendre ces titres à la BCE au marché primaire dans le cadre des opérations monétaires sur titres (OMT) ? il était clair que tous ces pays allaient s'enfoncer dans la récession, et à la fin, le seul recours acceptable pour eux serait de sortir de la zone euro. «Ce serait alors l'éclatement de la zone euro, la fin de l'euro.» Donc, le financement non conventionnel a été une «protection», nonobstant ceux qui le vilipendent. Ceux-là, économistes, politiques ou non, n'ont tout simplement pas compris la portée de la monnaie européenne, l'euro. Quelle que soit la forme dans le processus de mise en œuvre, le financement no conventionnel, il faut le répéter, a été, l'est encore et pourrait l'être (en cas d'arrêt de QE) une bouée de sauvetage, une condition de survie même pour la zone euro. D'autre part, ce financement non conventionnel ex nihilo n'est pas venu de ex nihilo, i.e. du néant, il est venu dans un cadre historique déterminé et nécessaire. Il est venu aussi parce que la zone euro qui a vu le jour en 1999 était prédestinée à cette crise, à cette «opération financière d'envergure dans le monde.» Parce que le financement non conventionnel de la zone euro n'a été possible que par la place qu'occupe aujourd'hui la monnaie européenne, l'euro, dans le monde. L'euro est la deuxième monnaie mondiale, après le dollar américain. Ce qui signifie que si les dix-neuf pays de la zone euro, soit 340 millions d'Européens, utilisent l'euro, plus de six milliards d'êtres humains, i.e. le monde hors-Occident, utilisent directement ou indirectement l'euro. Toutes les Banques centrales du monde utilisent l'euro dans leurs réserves de change, en particulier les pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud ? l'euro sert d'ancrage dans le panier de monnaies qui définit leurs monnaies locales. On comprend dès lors l'importance de la monnaie européenne qui est d'abord mondiale avant d'être européenne. Et se comprend aussi pourquoi le financement non conventionnel par la Banque centrale européenne, en rachetant les dettes souveraines des pays de la zone euro, a «un impact considérable dans le commerce mondial et dans la croissance économique du reste du monde.» 5. Conclusion de la cinquième partie -Le financement non conventionnel, une «norme monétaire» devenue un «dilemme» pour les Banques centrales et le monde Le monde aujourd'hui est-il sorti du financement non conventionnel ? Ou s'apprête-t-il à en sortir ? Il est évident que dès lors qu'il a fait son apparition, et qu'il a rempli très bien sa fonction puisqu'il a permis à l'ensemble des pays du monde de dépasser la crise, même si le dépassement n'est pas total, il est devenu une «norme monétaire» pour le monde. Certes, il existe beaucoup de zones d'ombre comme, par exemple, l'arrêt des QE aux États-Unis, la dernière tranche des 10 milliards de dollars s'est effectuée en septembre 2014, et comme par hasard, avec cet arrêt du QE américain, a commencé une chute vertigineuse du prix du baril de pétrole. Un vrai mystère. Et en économie, le hasard dans les opérations macroéconomiques à l'échelle mondiale n'existe pas. Tout relève de la stratégie économique, de la finance mondiale. Comment alors comprendre ce retournement pétrolier ? N'est-il qu'un réajustement de l'économie mondiale suite à une abondance de capitaux injectés par les Banques centrales occidentales pour lutter contre la dépression économique qui a suivi la crise de 2008 ? Le financement non conventionnel est-il suffisant pour asseoir de nouveau la croissance économique en Occident et dans le reste du monde ? Une autre question se pose : «Pourquoi le reste du monde, contrairement à l'Occident qui était fortement touché par la crise financière, se voit à son tour, depuis 2013, pris dans une spirale de crise économique, qui ne cesse de s'accentuer ?» Alors que l'économie occidentale est en train de se redresser. Un effet dans un certain sens boomerang puisque, dans un premier temps, ce sont les pays occidentaux qui se sont fortement endettés avec la crise, et le reste du monde amassant des réserves de change, et aujourd'hui, l'inverse. Qu'en est-il réellement ? Et si le financement non conventionnel opéré par les grands pays occidentaux renferme un «mystère» ? Qu'en fait, il est une «arme à double tranchant» tant pour l'Occident -qui donne un peu raison aux économistes occidentaux qui sont contre les «quantitative easing», mais néanmoins ces politiques sont nécessaires et vitales- que pour le reste du monde, dont il a besoin pour sa croissance. Donc une arme monétaire qui est à la fois «bonne» mais aussi «mauvaise». Une «arme-dilemme» pour ainsi dire, et aujourd'hui le gouverneur de la BCE, Mario Draghi, ne cesse de dire de l'importance des quantitative easing. Lit-on dans un texte rapporté par AFP : «M. Draghi a cependant maintenu le flou sur le terme de ce programme baptisé «quantitative easing» (QE), qui mêle les achats de dette publique et privée, promettant seulement qu'il ne s'arrêterait pas «soudainement». Dans le même temps, la BCE estime qu'«un degré élevé de stimulation monétaire demeure indispensable», a prévenu le banquier italien, dans une formule codifiée reflétant la position d'équilibriste de l'institution. [...] Entamé en septembre, le débat sur la stratégie de sortie des mesures de crise revêtait un caractère inédit pour la BCE, qui n'a pas voulu se fermer la porte à un nouvel assouplissement si nécessaire.» (9) Donc arrêter les QE signifie aussi laisser la porte ouverte au QE «si nécessaire» comme l'annonce l'institution de Frankfort. Le gouverneur de la BCE, prudemment, annonce de réduire les rachats de dette publique et privée, qui étaient effectués au rythme de 60 milliards d'euros par mois, à 30 milliards d'euros, de janvier 2018, à septembre 2018. En spécifiant «au-delà si nécessaire.» Ce qui est très important, signifiant aussi que Mario Draghi est dans l'expectative. Il faut le dire, «il y a trop d'aléas, en 2018, qui peuvent changer la politique monétaire de la zone euro, et donc la donne mondiale.» La position d'équilibriste de l'institution européenne est tout à fait justifiée avec les forces en cours. De même pour Janet Yellen, la présidente de la Fed américaine, elle a «averti vendredi qu'il était «probable» qu'on ait besoin de réutiliser dans les années à venir une politique monétaire super-accommodante pour soutenir l'économie. Janet Yellen, qui a eu jeudi un entretien avec le président Trump à propos de la fin de son mandat à la tête de la Fed, a défendu vendredi la politique de soutien monétaire exceptionnelle menée par la Banque centrale après la crise de 2008-2009. [...] En cas de ralentissement économique, sans même une récession, la Fed peut devoir réenclencher sa politique monétaire «non-conventionnelle», a affirmé Mme Yellen faisant référence aux achats d'actifs. «Si nous vivons dans un monde de taux naturel bas, un ralentissement d'activité bien moins sévère qu'une grande récession peut suffire à faire revenir les taux au jour le jour à zéro», a-t-elle ajouté.» (10) Cela est évident que le financement monétaire non conventionnel va désormais être une norme, une «norme monétaire» mais aussi un «dilemme» pour le sauvetage que l'on pourrait dire presque en permanence ou par à-coup si nécessaire. La Fed sera obligée d'y recourir, et Jérôme Powell, le successeur de Janet Yellen, qui prendra ses fonctions le 1er février 2018, sera obligé d'y recourir, «si nécessaire». C'est la nouvelle trajectoire qu'a prise l'économie mondiale. Une précision cependant importante, il ne faut pas assimiler le financement non conventionnel, à l'échelle mondiale, au financement non conventionnel à l'échelle d'une nation, a fortiori un pays du reste du monde. Si le même principe est utilisé, i.e. le recours à la «planche à billet», il demeure que l'impact du financement sur l'économie est complètement autre. A l'échelle d'une nation, il provoque de l'«inflation», donc une hausse des prix des biens et services et diminue le pouvoir d'achat des ménages. Alors que le financement non conventionnel opéré par les grandes Banques centrales provoque plutôt l'inverse, la «déflation». Le financement non conventionnel que l'Algérie s'apprête à mettre en œuvre pour les exercices à venir, pour une durée de cinq années, de 2018 à 2022, doit être mené avec une grande prudence. D'autre part, en tant que moyen pour répondre à une situation difficile, il ne saurait être une solution viable pour l'économie à terme. Ce point souligné, il reste que le financement non conventionnel à l'échelle mondiale et la déflation qu'il produit dans les économies occidentales n'est pas toujours compréhensible. Il est difficilement recevable une situation où des liquidités massives sont injectées périodiquement alors que, tant en Europe qu'aux États-Unis, l'inflation ne décolle pas. La situation dans ces pays est plutôt déflationniste. Aussi devons-nous nous interroger pourquoi les politiques de financement non conventionnel menées par les quatre grandes Banques centrales du monde (Fed, BCE, BoE, BoJ) et la Banque de Chine -elle fait partie aujourd'hui des Cinq grands du monde-, sont «déflationnistes». Il est important d'élucider ce «mystère» si l'on veut comprendre, ne serait-ce qu'en partie, la marche à venir de l'économie européenne, américaine, chinoise et évidemment des pays du reste du monde. *Auteur et chercheur indépendant en économie mondiale, relations internationales et prospective Notes : 9. «La BCE réduit son programme anti-crise de soutien à l'économie de la zone euro», par le Monde.fr. Le 26 octobre 2017 http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/10/26/la-bce-reduit-son-programme-anti-crise-de-soutien-a-l-economie-de-la-zone-euo 10. «Pour la patronne de la Fed, «l'économie fonctionne sur des taux plus bas qu'autrefois», par la Tribune. Le 21 octobre 2017 http://www.latribune.fr/economie/international/pour-la-patronne-de-la-fed-l-economie-fonctionne-sur-des-taux-plus-bas-qu-autrefois |