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Loin d'être de simples faits
divers ou des actes isolés de délinquance, liés à des sexualités déséquilibrées
ou débridées, les viols, lors des conflits ethniques, intercommunautaires,
hégémoniques, d'inféodation et des guerres ordinaires, revêtent une dimension
plus affirmée sub-consciemment, telle une véritable
disposition préméditée de violence extrême et finale infligée à l'Autre. Cet
essai et contribution pourront, peut-être, nous aider à mieux définir les clés
pour une juste analyse et meilleure compréhension de ce phénomène qui persiste
de nos jours parce que non encore dénoué de manière psycho-ethnologique.
De la même façon de parler de terres fertiles, les hommes parlent de femmes fécondes ou fertiles ! Il est admis donc que femmes et terres tiennent de la même merveilleuse puissance d'abondance par leur pouvoir de faire germer la Graine, puis de créer et faire croître, jusqu'à leurs termes, de nouvelles vies. Les hommes ou les mâles sont réduits au rôle de semenciers, pseudo-géniteurs appelés à s'effacer juste après s'être délestés de leurs Graines. Se pose, alors, encore à nous, sans aucune réponse catégorique et unanime jusqu'à nos jours, la signification et symbolique exactes du viol. Cependant, ce dont on soit sûr, aujourd'hui, c'est que de tout temps, à toute époque, dans toutes les cultures sans exception, et depuis la nuit des temps, le viol a été et est, souvent et encore, utilisé comme arme suprême de guerre. C'est une véritable arme de destruction massive utilisant une forme de sublimation génocidaire, par l'accaparement subconscient du pouvoir reproducteur et géniteur de ce qui représente l'Autre. De ce qui symbolise l'ennemi ; de ce qui représente le danger pour la conservation, l'extension et pérennisation hégémonique du pouvoir du groupe, du clan, de la communauté, de la nation ? Dans l'acte du viol, il y a, outre le processus subconscient de démolition des valeurs, certitudes et dispositions d'adhésion de l'être à un groupe, un clan, une ethnie, une culture ou communauté nationale, il constitue un moyen d'accaparement sub-conscient et d'appropriation, à son profit, de son pouvoir, de ses moyens et richesses reproductifs qui semblent pouvoir assurer et pérenniser l'abondance, donc, une certaine prospérité, continuité et, pourquoi pas, éternité rêvée ! A travers les dernières et toutes récentes guerres civiles et de campagnes de génocide ethnique on remarquera que si les hommes et jeunes garçons sont systématiquement et sommairement exécutés par les agresseurs-génocidaires, les femmes jeunes ou âgées sont, le plus souvent violées, laissées vivantes avec parfois la mutilation et détérioration de leurs organes génitaux (Cf. manifeste et témoignage du Dr Denis Mukwege1 gynécologue «réparateur» et «reconstructeur «des organes intimes des femmes violées et mutilées, en RDC et récompensé, en 2014, du Prix Sakharov, décerné par le Parlement européen). Pas loin de nous, ces quelques éléments d'actualité et leurs utiles explorations et significations qui persistent autour des ambiguïtés et non-dits, lors des campagnes dirigées contre le port du foulard au lycée puis, quelques années après, du voile dans les lieux publics. Est-ce, véritablement pour libérer ces femmes d'un joug masculin quelconque ou plutôt et spécifiquement de leurs compatriotes autochtones, indigènes ou plus précisément colonisés ? La question reste toujours de mise et la réponse bien loin de ce qui est, médiatiquement, privilégié par le concours conjugué de la désinformation et manipulation recherchées ! Certains aspects occultés de l'aliénation masculine dirigée vers l'accaparement du pouvoir de procréation féminin de l'ennemi A noter, en effet, que durant des siècles, les orientalistes, même ceux qui semblaient avoir «Changé de Camp», un moment de leur vie tel Etienne Nasréddine Dinet1 , se sont évertués dans de parfaits fantasmes, non pas à dévoiler, mais à dénuder les femmes arabes pour le pseudo-artifice de les peindre mais presque toujours dans leur subconscient et fantasmes profonds de les violer, de s'en emparer, durablement, et d'en faire, en définitive leurs biens reproductifs. Nous avons voulu, pour relater et décrire ce phénomène insidieux, car en partie subconscient, de viol et violation de l'intégrité de personnes réduites à la condition de sujets colonisés, choisir l'étude du cas d'Etienne-Nasréddine DINET, un orientaliste qui semble faire exception à la règle ce qui confirmera, certainement, la généralité de cette déviation mentale caractérisée chez une plus large majorité des orientalistes. D'après la synthèse biographique de Pierre PRIER2 Étienne Nasreddine DINET, peintre orientaliste (1861-1929) converti à l'Islam, écrivait, en 1918, une biographie en français du prophète Mohammed, dédicacée, en son temps aux musulmans «morts au Champ d'honneur» de la Grande Guerre. Sa récente réédition remet en lumière la vie et l'œuvre d'un critique acharné de «l'orientalisme moderne» qui compte parmi les tout premiers utilisateurs du terme «islamophobie» pour dénoncer l'idéologie colonialiste. Étienne-Auguste DINET est né dans la bourgeoisie parisienne du Second empire. Illustrateur d'une Algérie intemporelle, il s'est converti à l'Islam et a été enterré sous le nom de Nasreddine DINET : ainsi pourrait-on résumer la trajectoire de ce peintre orientaliste français (1861-1929) passé «de l'autre côté» comme nombre de ses contemporains, artistes, écrivains ou scientifiques. Mais l'histoire d'Étienne-Nasreddine reste singulière. En 1918, il est le premier auteur d'une biographie en français du Prophète de l'Islam. Un récit écrit à la demande de la République (française), pour honorer les soldats musulmans, tués au combat, pendant la Grande guerre. Ce beau livre, écrit en collaboration avec Sliman BEN IBRAHIM, ami de DINET, illustré d'œuvres du peintre et de magnifiques calligraphies de l'artiste algérois Mohammed RACIM, est aujourd'hui réédité. Une «vie de Mohammed, Prophète d'Allah» commissionnée par le ministère des Armées, dédicacée «à la mémoire des musulmans morts pour la France»: on voit qu'il s'agit d'un autre temps. La mission du Centenaire de la Grande guerre n'a d'ailleurs pas souhaité lui accorder son label. Le paradoxe ne s'arrête pas là. DINET a eu deux vies, celle d'Étienne et celle de Nasreddine, et il semble qu'elles continuent, chacune, leur chemin par-delà la mort. Peintre, aujourd'hui encore très coté (une toile intitulée «Sous les lauriers roses» a été vendue 745.000 euros par Christie's à Paris en juin 2013), il est devenu, parallèlement, une sorte d'artiste officiel du régime algérien. Cet écheveau d'ambiguïtés ne peut se démêler que dans le cadre de l'histoire de la colonisation et de ses conséquences. Palmiers verts, ciels bleus et danseuses nues : Commençons par Étienne. Lycée Henri IV, Ecole des beaux-arts. Peintre académique. La révolution impressionniste ne l'intéresse pas. Il aime le dessin, la couleur. À 23 ans, il voyage en Algérie, s'éprend de ses paysages et s'inscrit dans la tradition orientaliste, jeunes filles nubiles et dévêtues comprises. Avec un succès qui ne se démentira plus. «DINET, avec ses corps nus, le vert de ses palmiers, le bleu de ses ciels et l'ocre de ses déserts, séduit une clientèle nombreuse», nous disent Ysabel SAIAH-BAUDIS et Dominique BAUDIS3 dans leur préface. L'artiste a pour sujet favori les Ouled Naïl de Bou Saâda, aux portes du Sahara, communauté de danseuses nues qui vendent leurs corps, à qui il consacre des tableaux d'un érotisme exotique. Le même style imprègne ses premières œuvres littéraires. Étienne DINET publie des contes sahariens, un roman, Khadra danseuse ouled naïl. Il les cosigne avec Sliman BEN IBRAHIM, le fils de ses logeurs, qui l'a tiré d'une mauvaise rencontre avec les souteneurs des belles danseuses. Puis DINET dépasse l'exotisme. La conversion à l'Islam : Au fur et à mesure de ses voyages, le peuple, le pays, sa langue et sa religion entrent dans son âme. Il apprend l'arabe à l'Ecole spéciale des Langues orientales4, puis passe le plus clair de son temps à Bou-Saâda, où il a emménagé avec Mohammed BEN SLIMAN et sa famille, dans la maison arabe qu'il a achetée. En 1913, Étienne DINET rend publique sa conversion et son nouveau prénom, qui signifie «victoire de la religion». Il effectuera, plus tard, en compagnie de BEN SLIMAN, le pèlerinage à La Mecque. Le nouveau converti représente, désormais des hommes et des femmes en prière, des pasteurs à l'écoute du muezzin. Son islam n'a, toutefois, rien de rigoriste. À côté de ses sujets religieux, Il continue à peindre des nus et signe toujours «E. DINET» ses tableaux, qui restent appréciés du public et des acheteurs. Les seules allusions à l'Algérie réelle sont contenues dans des tableaux montrant des Algériens partant pour le front, en 1914. Nasreddine devient alors militant, se fait l'ardent avocat de ses coreligionnaires. Plus de 200.000 Maghrébins furent mobilisés, ainsi que 134.000 Africains subsahariens, dont de nombreux musulmans. Pour eux, DINET obtiendra, entre autres, qu'il y ait au sein de l'armée des officiers du culte. Il dessinera une stèle pour les musulmans morts au Champ d'honneur et fera partie du comité pour la construction de la grande mosquée de Paris, dans le Ve arrondissement, inaugurée en 1926 et financée par l'argent public, malgré la loi de séparation de l'Eglise. Edouard Herriot, rapporteur à la Chambre de la loi autorisant ce financement expliquera : «Nous ne violons pas la loi de 1905, puisque nous faisons là pour les musulmans ce qu'en 1905 on a fait pour les protestants et les catholiques5». À la fin de la guerre, Nasreddine DINET bénéficie du patronage du ministère des Armées pour publier la biographie du Prophète. Il se veut Français et musulman. Son ouvrage est celui d'un croyant. S'appuyant sur la sunna, la tradition islamique, le récit respecte une stricte orthodoxie, dès les premiers chapitres : «Notre Seigneur Mohammed (Qu'Allah répande sur lui Ses Bénédictions et lui accorde le Salut !) naquit quelques instants avant le lever de l'Étoile du Matin, un Lundi, le douzième jour du mois de Rabiâ el Aouel, en l'année de l'Éléphant?Il était net de toute souillure, circoncis naturellement, et son cordon ombilical avait été tranché par les soins de l'Ange Djebraïl». Orientalisme et islamophobie : Cette approche littérale entre en collision avec les études scientifiques de l'époque. DINET entame un deuxième combat, celui de la foi. Il prévient dans sa préface : le lecteur «ne trouvera, dans cet ouvrage, aucun des doctes paradoxes, destructeurs de traditions, dont se sont engoués les orientalistes modernes, dans leur passion de «l'Inédit»». Dans un ouvrage ultérieur, DINET et BEN IBRAHIM nommeront leurs cibles ; sont visés, en premier lieu «les islamologues chrétiens tels le jésuite arabisant Henri LAMMENS (1862 -1937), bon historien de l'Islam, qui ne reconnaît pas Dieu comme rédacteur du Coran6». Pour dénoncer ces «innovations ainsi introduites dans l'histoire du Prophète» Étienne-Nasreddine emploie le mot d' «islamophobie», thème qu'il développera dans plusieurs ouvrages ultérieurs, toujours cosignés avec Sliman BEN IBRAHIM7. Sous leurs plumes, le mot désigne le décryptage des textes sacrés mais aussi l'idéologie de conquête8 inutile selon DINET si l'on réalise «l'union complète des cœurs entre la Mère patrie et l'Algérie». La seule solution, selon lui. Il avertit : «si la situation actuelle durait trop longtemps, elle pourrait créer des ferments de révolte.» «Trésor national» en Algérie : Le converti entrevoit une histoire qu'il désapprouve. La décolonisation ne fait pas partie de ses rêves, mais toutes ses œuvres ont un point commun : on n'y voit aucun Européen. Il a le sentiment de préserver un univers en danger. «Il fallait fixer ce qui allait inéluctablement disparaître», écrira-t-il. Une autre interprétation peut s'imposer. Si l'on excepte ses images de tirailleurs mobilisés, l'artiste peint comme si la colonisation de peuplement n'existait pas. Son biographe François Pouillon9 soulèvera cette ambiguïté. Pouillon analyse, aussi, avec sagacité, la curieuse récupération du peintre par l'Algérie indépendante, qui le considère comme un trésor national. La vente parisienne de juin 2013 chez Christie's de tableaux d'Étienne DINET provenant, apparemment, d'une collection privée algérienne a déclenché la dénonciation d'une «exportation frauduleuse d'œuvres d'art relevant du patrimoine national». Le régime algérien a construit un musée à Bou Saada et le présente comme un artiste mis au ban de la société française après sa conversion, alors qu'il a continué à exposer comme avant et que le gouverneur général de l'Algérie française était présent à ses obsèques. Pour François Pouillon, l'appropriation officielle tient, justement, au caractère conventionnel de l'œuvre d'Étienne-Nasreddine et à son univers d'où les colons sont absents. «L'Algérie moderne, orientée vers l'authenticité, les racines, le patrimoine, au moment où elle cherche à oblitérer la présence de la France, l'inscription omniprésente de la colonie, dispose là d'une imagerie toute prête, parfaitement configurée pour un réemploi». Et voilà comment l'Algérie réelle continue à nourrir le rêve orientaliste? L'antagoniste aliéné, orientaliste libertaire où le colonialiste ne se considère définitivement vainqueur que lorsqu'il a la certitude subconsciente de s'être emparé, entièrement et de s'être approprié définitivement, les femmes de ceux qu'il considère comme ennemis ou comme sous-hommes? De la même manière qu'il s'est approprié les terres de l'indigène vaincu et de leurs fertilités sacrées. D'où, femmes et terres partagent les mêmes qualités et véritables enjeux de spoliation de la prospérité, dans nos sociétés encore masculines et porteuses de tant d'injustices ! «La mort du colonialisme est à la fois mort du colonisé et mort du colonisateur» (Frantz FANON, in Sociologie d'une Révolution, Edition Maspero, 1959). Rien d'essentiel n'a changé depuis 5 siècles de colonisation, avec ou sans les Droits de l'Homme ou tous les droits proclamés ostensiblement et leurs simagrées de l'émancipation des peuples, des femmes et des personnes. La Démocratie, l'autodétermination et l'acception de libération des peuples et des individus ne sont que des slogans vidés de sens mais bien utiles aux nécessités de redéploiement stratégique des nantis et impérialistes. Les promues de la pseudo-intégration de la République ou le syndrome «Cléopâtre-Antoine» revisité au 21ème siècle Depuis une dizaine d'années nous assistons, subjugués, à l'intronisation sur la scène politique visible, des différents exécutifs de Droite comme de Gauche, de femmes issues de l'immigration exogène et non-européenne. Cela a, en effet, le mérite de conférer une excellente image de démocratie et une pseudo-reconnaissance de la diversité dite acceptable ou choisie. Le plus souvent ces promues de la diversité et mixité sociale, choisies uniquement dans le lot féminin, ne dérogent cependant point à la Règle du jeu de l'accaparement final des biens et moyens matériels et immatériels de l'ennemi. Car il est, hélas, bien admis et historiquement établi que le conquérant utilise les femmes du vaincu comme des prises de guerre. Et ce, depuis le plus haut passé barbare à nos jours. Rien n'a changé fondamentalement ! A suivre... *Professeur - Directeur de Recherches universitaires NOTES : (1) Dr Denis MUKWEGE gynécologue «réparateur» et «reconstructeur» des organes intimes des femmes violées et mutilées, en RDC et récompensé en 2014 du Prix Sakharov décerné par le Parlement européen : http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/10/21/le-docteur-mukwege-recoit-le-prix-sakharov-pour-son-soutien-aux-femmes-violees-en-rdc_4510098_3214.html) (2) D'après la synthèse biographique de Pierre PRIER (http://orientxxi.info/lu-vu-entendu/etienne-dinet-peintre-francais,0637) consacrée à Étienne Nasreddine DINET, peintre orientaliste (1861-1929), converti à l'Islam (3) Dominique BAUDIS, journaliste connaisseur du monde arabe, homme politique, président de l'Institut du monde arabe de 2007 à 2010, mort à Paris le 10 avril 2014 (4) À l'époque École spéciale des langues orientales, aujourd'hui Institut national des langues et civilisations orientales (5) Cité par Alain GRESH, La République, l'islam et le monde, Hachette, Pluriel, 2006, p.198. (6) Les ouvrages d'Henri LAMMENS parmi lesquels L'Islam, croyances et institutions peuvent être téléchargés gratuitement sur Gallica, le site de la Bibliothèque nationale (7) Dont L'Orient vu de l'Occident, Piazza et Geuthner, Paris, 1922 (8) Voir Abdellali HAJJAT et Marwan MOHAMMED, «Islamophobie» : une invention française, hypotheses.org, 23 mai 2012 (9) Les deux vies d'Étienne DINET, peintre en Islam. L'Algérie et l'héritage colonial, Balland, Paris, 1997. ? 313 p. Sur cet ouvrage, voir l'excellente analyse d'Alain MESSAOUDI |