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« Les Algériens sont tous des racistes. Nous sommes confrontés quotidiennement à des actes racistes. Quand nous montons au bus tout le monde ou presque se bouche le nez. Les femmes sortent leurs déodorants. D’autres font des gestes de ventilation avec la main. Le message est simple : descend le nègre, tu pue ! Souvent quand nous marchons dans le centre-ville des passants crachent au sol. J’ai vécu en France où on m’a expulsé à deux reprises et je peux vous assurer que les Algériens sont plus racistes que les Européens. La majorité de la population cautionne le racisme et les actes racistes ne sont nullement condamnés ni par les pouvoirs publics ni par la société civile. Ici les préjugés sur les Africains noirs se répandent et se banalisent. Nous sommes considérés comme des délinquants, des réservoirs de virus mortels (sida, Ebola, fièvre jaune…)… et pour les plus tolérants parmi vous, nous sommes des esclaves bons pour les sales besognes». Ces quelques extraits de témoignages de jeunes migrants africains recueillis à Oran ne racontent pas uniquement le dur quotidien de ces réfugiés subsahariens dans notre pays, mais ils mettent à nu une société xénophobe, fermée, complexée qui rejette tout ce qui est étranger.
Qui n’a pas entendu les offenses dédaigneuses «négro», «khalechs» ou «el abids»? Le racisme s’est tellement banalisé qu’on ne se rend pas compte de tout le mal que nous faisons à ses pauvres migrants subsahariens. L’Algérie, qui était jadis un pays de transit pour les migrants subsahariens qui espéraient se rendre à l’eldorado européen, est devenue, au fil du temps et suite au durcissement de la politique de contrôle migratoire et la restriction du droit d’asile dans le vieux continent, un pays d’accueil pour des milliers de réfugiés venus des pays subsahariens qui fuient la misère et les conflits armés. Ces migrants subsahariens, qui débarquent souvent en Algérie hors des procédures légales, vivent dans la clandestinité totale. Ils vivent de petits boulots peu rémunérateurs (ouvriers manœuvres de chantiers, plâtrier, carreleurs, porteurs...), de petites combines, de commerce illicite ou de mendicité. Pour ces jeunes migrants africains chaque jour à son lot de misère. Ils se débrouillent chaque jour pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Ces migrants qui ont traversé le désert au péril de leur vie pour atterrir dans l’une des grandes villes du nord de l’Algérie voient leur situation empirer de jour en jour. Ils sont confrontés ces dernières années à une montée de xénophobie. Les relations entre Algériens et migrants subsahariens se sont envenimées rendant la cohabitation presque impossible. A Oran, dans certains quartiers défavorisés et notamment à Haï Bouamama (Hassi), un faubourg construit à la hâte durant la décennie noire par des « réfugiés » des zones rurales qui ont fui les massacres perpétrés par les terroristes, la chasse aux Africains noirs est ouverte. «La peur d’être agressé ou d’être surpris par un coup de couteau dans la rue fait partie de notre quotidien. Des criminels profitent de notre situation clandestine pour nous attaquer en plein jour. Il y a quelques jours seulement un compatriote camerounais a été mortellement poignardé au quartier des Amandiers. Il a été laissé gisant dans son sang sans secours», raconte Mario un Camerounais qui réside à Oran depuis neuf mois. Pour ce jeune bachelier originaire de la ville portuaire de Douala, son long voyage a commencé au début de cette année. Il lui a fallu un périple d’un mois par route et une petite fortune de 150.000 francs CFA (franc des Communautés Financières d’Afrique) l’équivalent de 230 euros pour rallier les frontières sud de l’Algérie. «Je prenais le bus tôt le matin et la nuit tombée je dormais dans les agences routières. Pour atteindre les frontières algériennes, il a fallu passer par le Nigeria puis le Niger. Nous étions des centaines de clandestins à prendre d’assaut la frontière. Nous avons été accueillis par les gardes-frontières algériens qui nous ont fouillés systématiquement avant de nous laisser entrer sur le territoire algérien. J’avais projeté de me rendre en Europe, mais je me trouve coincé ici où je survis avec des petits boulots dans le bâtiment. J’ai même appris grâce à Nourredine, un entrepreneur algérien, la pose des plaques de plâtre BA 13 et de faux plafonds», raconte ce jeune camerounais. Mario espère avoir un jour assez d’argent pour se rendre en Europe. En attendant il fait le pied de grue avec une trentaine de ses compatriotes dans un rond-point à Oran Est avec l’espoir d’être embauché dans l’un des chantiers qui poussent comme des champignons à Oran. Après quelques mois seulement à Oran, Mario connaît presque les moindres recoins de la ville et sa périphérie. Il a travaillé pour le compte de particuliers dans la construction de villas à Canastel, mais aussi dans des chantiers de réalisation de logements sociaux à Oued Tlélat. Avec un bac en poche et une maîtrise parfaite du français, il s’est résigné à faire des petits boulots dans le bâtiment. Mario n’est pas un cas isolé, mais une bonne partie de ces Subsahariens sont instruits et parfois avec des diplômes universitaires. Ils maîtrisent au minimum deux langues à commencer par le français et l’anglais. Pour vous faire une confidence j’étais, comme la majorité des Algériens, plein de préjugés en abordant ce groupe de jeunes Subsahariens, mais après avoir échangé quelques phrases avec ces jeunes migrants j’ai été surpris non seulement par leur niveau d’instruction mais par leur conscience aiguë de la réalité. La discussion qui s’en est suivie avec ces jeunes migrants m’a permis d’ouvrir l’esprit sur l’urgence d’éduquer sur le «vivre-ensemble». Les regards désabusés et les critiques sévères de ces jeunes migrants venus du Sud, au-delà du grand désert, doivent éveiller nos consciences sur la nécessité de reconstruire et réhabiliter notre société disloquée par la corruption, dévorée par l’appétit du gain facile et traumatisée par la violence. Jean-Paul Sartre n’a-t-il pas dit un jour que le vrai miroir c’est le regard de l’autre. Cet autre jeune Camerounais, qui préfère s’appeler du nom de son joueur préféré, Samuel Eto, est plein de colère et d’amertume. Tout en regrettant ses illusions perdues, il juge sévèrement les Algériens. «L’Algérie est un très beau pays avec plein de ressources, mais vous être en train de détruire ce beau pays». Poursuivant son réquisitoire ce jeune Camerounais, avec un BTS en informatique option maintenance en poche, affirme que la solution réside dans l’éducation civique et la formation aux valeurs universelles. «Le changement des mentalités est possible. Il faut apprendre le civisme aux enfants dès la maternité», lance ce jeune migrant. La discussion est rapidement interrompue par un autre jeune : «C’est vraiment stupide. Vous vivez en Afrique mais vous vous considéré meilleurs que les Africains. Si vous n’êtes pas africains alors vous êtes qui ?». Ce jeune, qui s’emporte facilement, est un artiste qui a déjà produit un album pour raconter ces vicissitudes en Algérie, une terre d’exil et d’asile. «Je suis comme vous. Arrêtez de dénigrer la peau noire» est le titre de son single. Le jeune artiste, qui est à la recherche d’une maison de disques pour éditer son single, reste toutefois optimiste. Il a un haut-le-cœur mais il dit toujours croire en l’humanité et qu’il n’a jamais perdu espoir. «Malgré tout nous vous aimons», est le titre d’une autre chanson de son album. Cependant d’autres se montrent revanchards vis-à-vis des Algériens à l’exemple de ce jeune qui n’a pas voulu donner son nom. «Vous savez, il y a beaucoup d’Algériens qui vivent au Cameroun où ils tiennent des commerces. Ils vivent parmi nous en toute sécurité, mais si je suis de retour je ferais tout pour leur empoisonner la vie», lance sur un air revanchard ce jeune. Les migrants dénoncent surtout l’amalgame dangereux entretenu par des pans entiers de la société qui confondent africains subsahariens et virus. «Pour nombre d’entre vous nous sommes des porteurs potentiels de virus. Depuis la propagation du virus Ebola certains gérants de cafétérias ou de restaurants n’hésitent pas à nous chasser. Nous sommes des Africains noirs. Nous ne sommes pas des virus», lâche avec colère ce migrant. Ces regards désabusés et profonds d’authenticité et d’intelligence de ces jeunes migrants africains sur notre société doivent nous alerter sur la nécessité de revoir entièrement notre vision du monde et des autres. La xénophobie nous concerne tous. Il y a urgence à agir contre le racisme des Algériens qui a dépassé toutes les frontières. |