![]() ![]() ![]() ![]() « On veut être
normal comme les autres et donc on affabule. On ne fait pas seulement
qu'occulter, on invente. Et puis les mensonges se mélangent et, à un moment
donné, on ne sait plus où on en est. Mais on vit, le temps passe et arrive un
jour le temps de la rupture où toutes ces choses-là se convergent vers une
explosion ».
« Rue Darwin », la vie presque tronquée de Boualem Sansal Interview à la radio par Pascal Paradou à «Culture vive» sur RFI, 19 septembre 2011 https://www.rfi.fr/fr/france/20110922-rue-darwin-vie-presque-tronquee-boualem-sansal On constatera que rien n'a vraiment changé. On est toujours confronté à une ruche médiatique française, une coalition composée de journalistes, d'intellectuels, de politiciens, de philosophes ; simples pantins aux ordres de leurs commanditaires, formatés pour monopoliser l'information, mystifier la réalité, manipuler l'opinion publique et in fine : manufacturer le consentement, l'adhésion, le ralliement. «La question est de savoir si des élites privilégiées devraient dominer la communication de masse, et devraient utiliser ce pouvoir de la manière qu'ils disent être obligés de le faire -en l'occurrence imposer des illusions nécessaires, manipuler et tromper la majorité stupide et les soustraire de la scène publique». 1 En 1996, le sociologue Pierre Bourdieu avait dénoncé cette tare qui rongeait la télévision française : «la circulation circulaire de l'information et son homogénéisation », un phénomène qui constituait un danger pour la vie politique et la démocratie. «La télévision qui prétend être un instrument d'enregistrement devient un instrument de création de réalité. On va de plus en plus vers des univers où le monde social est décrit-prescrit par la télévision. La télévision devient l'arbitre de l'accès à l'existence sociale et politique». 2 La France est réputée pour être un chenil du journalisme inféodé. En 1996, le journaliste et écrivain Serge Halimi publiera son pamphlet «Les Nouveaux chiens de garde», une virulente stigmatisation d'un empire médiatique français dominé par «un journalisme de révérence, des groupes industriels et financiers, une pensée de marché... l'impudence d'une société de connivence qui, dans un périmètre idéologique minuscule, multiplie les affrontements factices, les notoriétés indues, les services réciproques, les omniprésences à l'antenne. Metteurs en scène des réalités sociales et politiques, intérieures et extérieures, ils les déforment tour à tour. Ils servent les intérêts des maîtres du monde. Ils sont les nouveaux chiens de garde». 3 Personne n'a pu penser un seul instant que certains écrits du soldat Sansal, que ses déclarations sur les plateaux télévisés et ses innombrables discours lors de ses pérégrinations à travers l'Europe en qualité de pourfendeur de l'histoire algérienne, de l'Etat algérien et de la religion musulmane, pouvaient constituer des charges suffisantes pour la justice algérienne à même de le traduire devant un tribunal. Les raisons qui motivent ces «Chiens de garde» sont indignes. En s'arrogeant le droit de condamner de facto et de contester le bien-fondé des décisions judiciaires d'un Etat souverain, ils ne font que perpétuer comme toujours des traditions ancestrales : nuire à une Algérie qui renaît de ses cendres, parfaitement disposée à œuvrer laborieusement pour un positionnement géopolitique qui amenuise considérablement le leadership français sur le continent africain. On peut y voir comme autre raison de cette expédition punitive contre l'Algérie l'affront ressenti par ces Chiens de garde (Gallimard, Le Point...) suite à l'affaire scandaleuse du Goncourt distribué à Kamel Daoud. Cette déshonorable attitude de la machine médiatique française est symptomatique, encore une fois, de cette tare décrite par Pierre Bourdieu au sujet d'une circulation circulaire et d'une homogénéisation de l'information qui ne sont pas seulement motivées par la concurrence mais plutôt par une obéissance et une servile soumission aux Maîtres du Chenil. Est-ce vraiment ainsi qu'il conçoivent honnêtement la liberté d'expression et l'indépendance de la presse. Dans un monde multipolaire secoué par des rivalités économiques et politiques extrêmement violentes et d'où a émergé une nouvelle Amérique qui constitue la principale menace contre la paix dans le monde ; avec une Europe désemparée, à bout de souffle, à court de solutions sensées et pérennes et minée de l'intérieur ; avec une France schizophrénique, prête à tous les compromis, toujours à la recherche de boucs émissaires pour créer des diversions aussitôt discréditées ; comment peut-on imaginer un seul instant qu'un hypothétique islamisme gargantuesque menaçant (rampant, dormant ou vecteur d'un grand remplacement) décrit par le soldat Sansal puisse continuer à être un sujet d'actualité où qu'il puisse jouer un rôle de méchant dans cette guerre des Titans (USA-Russie-Chine-Europe chancelante et vassale de l'Amérique) qui sont les seuls à posséder les moyens qui nous garantissent l'ultime extinction de masse. Puisque la justice devrait être la même partout dans le monde, charité bien ordonnée commence par soi-même. Au lieu de forcer la justice algérienne à relâcher le soldat Sansal, il faut plutôt aider la Cour pénale internationale à faire exécuter son mandat d'arrêt à l'égard de Netanyahu et de son équipe. Il faut aider l'ONU à faire respecter ses résolutions qui n'ont rencontré depuis des dizaines d'années que mépris et indifférence. Au lieu de faire pression sur la justice algérienne, il faut s'interroger, à défaut de s'indigner, sur ce monde incapable d'empêcher un génocide condamné par une population mondiale ulcérée. Un génocide exécuté grâce à un soutien financier, logistique et militaire, massif et inconditionnel dont la France était hier partie prenante. Je ne connais aucun intellectuel, philosophe, écrivain, scientifique, politicien en France ou en Amérique qui se ferait inviter aussi fréquemment que le soldat Sansal pour débattre invariablement et inlassablement du même thème avec une fréquence inouïe. Quand il s'est aperçu que l'argument de la menace islamiste a cessé de fonctionner comme fonds de commerce, il s'est reconverti vers un révisionnisme ignoble car sans fondements hormis ce mystérieux désir d'offenser, de nuire et d'inciter à la haine. Cette littérature d'urgence des années1990 dans laquelle il s'est engouffré lui a fabriqué une audience, un prestige, une reconnaissance et une certaine dignité, lui, aux origines inconnues, obscures. On ne peut juger ses œuvres littéraires comme on le ferait pour un tableau et se contenter de dire c'est beau, c'est laid. Il serait naïf et imprudent de penser que les lecteurs se limitent à apprécier un livre pour ses qualités romanesques, esthétiques ou autres, on l'empoigne parce qu'on est déjà averti de ce qu'on pourrait y trouver. Le livre est porteur d'un message plein de sous-entendus, d'allusions, d'insinuations, d'avertissements, d'espoir. Il incite le lecteur à se faire une opinion, à transformer ses impressions et ses préjugés en vérité absolue. Une littérature de combat qui viserait un objectif défini perdra toujours sa crédibilité si elle venait à se transformer en pur instrument de vengeance, mue par une animosité aux mobiles obscurs. Toute la littérature du soldat Sansal consiste moins à faire en toute innocence l'esquisse d'une sociologie de l'islamisme et à en faire des prospectives alarmistes qu'à distiller à travers ses dizaines de discours un climat de défiance, de peur, voire de haine qui fera lit de toutes les politiques d'extrême droite, xénophobes, anti-arabes et antimusulmane. Ses discours ne se limitent pas à commenter ses propres œuvres ou sa pensée philosophique si tant est qu'il en est une. Ses discours se limitent à mettre en garde l'Occident contre cet hypothétique ennemi «essentiellement» malsain, à véhiculer une propagande de la menace. On ne peut donc dissocier sa littérature de ses discours qui rendent mieux compte de ses délires où se mêlent obsessions, mythes, désir de vengeance. Ce qui se passe actuellement dément avec force ses prédictions absurdes à la Nostradamus (2084 : la fin du monde, Gouverner au nom d'Allah, Le Village de l'Allemand...) au sujet d'un futur de l'humanité où l'islam et l'islamisme, immuables dans leurs dogmes et dans leurs gènes, tels des zombies incurables, finiront par phagocyter l'Occident. N'en déplaise au soldat Sansal, actuellement, il n'ya plus de monde arabe ou de monde musulman. Effrités, atomisés, réduits à des entités ectoplasmiques, de simples confettis sur une mappemonde pliée, dépliée, redessinée selon les humeurs et les appétits des véritables monstres. Le monde entier reste pétrifié et suspendu aux lèvres de l'Empereur Donald Trump. L'effet papillon des multiples décisions insensées de ce Caligula des temps modernes risque de créer un chaos mondial, des famines, des bouleversements sociaux et politiques dont l'Amérique ne sortira jamais indemne. Dans un entretien accordé au journal «L'Humanité» le 30 novembre 2016 à propos de Donald Trump, l'intellectuel américain Noam Chomsky dira «La seule chose tout à fait prévisible, c'est que Trump sera imprévisible en tout point. Il faut avoir cela en tête constamment. Il faut composer avec un très degré d'incertitude». Noam Chomsky passera ces dernières décennies à condamner les USA comme étant le plus grand Etat voyou, assassin et terroriste de la planète. Il en dressera un tableau exhaustif, avec des chiffres, des dates sur les crimes de masse causés par l'Amérique. S'il y a une prophétie auto-réalisatrice et une destinée manifeste apocalyptiques qui se déroulent sous nos yeux depuis des dizaines d'années, c'est bien la politique étrangère américaine criminelle et le sionisme génocidaire d'Israël. Le soldat Sansal aura passé sa vie à dénoncer et exécrer le Pouvoir algérien et l'islam et à gloser sur des prétendus mythes géographiques et historiques, mais en sa qualité d'écrivain engagé, on ne le verra jamais dénoncer une seule fois avec la même vigueur les mythes fondateurs de l'Etat sioniste ou condamner l'épuration ethnique de la Palestine. Les maîtres du chenil (Gallimard, Le Point) ne permettront jamais à leurs chiens de mordre la main qui les nourrit. Le soldat Sansal donne l'impression d'être un personnage fortement blessé et tourmenté à cause du bordel dont il est issu, aussi bien le bordel généalogique que le bordel existentiel. Le monde change, les menaces d'hier ne sont plus celles d'aujourd'hui et pourtant le soldat Sansal n'arrive pas à trouver la paix, refuse de quitter sa tour de guet et continue à faire les mêmes cauchemars, prédire les mêmes catastrophes et forcément prêcher les mêmes guerres préventives. N'a-t-il connu de son pays natal, de l'islam et de Dieu que déceptions. Le principal rempart contre les menaces islamistes, ce sont les musulmans eux-mêmes. Parfois, la prison parmi ses frères et ses compatriotes, est un lieu propice à des formes de quête intérieure restauratrice d'un ordre et d'une sérénité au sein d'une âme en souffrance. Parfois, la prison est une opportunité qui fera de vous ce héros que vous espériez tant, une opportunité pour votre nouvelle patrie qui s'empressera de vous combler davantage de reconnaissance, de prix et d'admiration. Le pari pour le soldat Sansal n'est pas de s'affranchir d'un passé dont il a honte ou de gagner des victoires contre des moulins à vents, il est urgent qu'il cesse de jouer volontairement ce rôle de patin masochiste au service d'une patrie qui ne sera jamais la sienne. «Vivre, c'est un peu cela, retrouver son passé et le revivre avec courage, ce que je n'ai pas su, pas osé faire..., j'ai fini par n'être rien, un être trouble et inconsistant sans avenir parce que sans passé et coupé de son présent...». 4 *Universitaire Notes : 1_ Noam Chomsky, Chomsky, les médias et les illusions nécessaires (1992), écrit par Mark Achbar et Peter Wintonick 2_ Pierre Bourdieu Sur la télévision, LIBER. Raisons d'agir, Paris, 1996, p.21 3_ Serge Halimi, «Les Nouveaux chiens de garde (NE) Broché 2005, p.11 4_ Boualem Sansal, Rue Darwin, Ed. Gallimard, Coll. Folio, Paris, 2011, pp 147, 165. |
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