![]() ![]() ![]() Les pays du Sud paieront pour la guerre commerciale de Trump
par Jayati Ghosh* ![]() NEW
DELHI - Les tarifs douaniers massifs du président américain Donald Trump ont provoqué un chaos économique, ébranlé les marchés
boursiers et obligataires, et déclenché la panique dans le monde entier, en
particulier dans les pays à faible revenu qui dépendent fortement des
exportations vers les États-Unis. Il pourrait en résulter une récession
mondiale entièrement artificielle, dont les pays en développement seront les
premiers impactés.
La brève accalmie sur les marchés financiers qui a suivi l'annonce abrupte de Trump d'une «pause» de 90 jours sur la plupart de ses droits de douane «réciproques» - à l'exception de ceux sur les importations chinoises, qu'il a portés à 145 % - s'est avérée prématurée. Si quelques milliardaires et certains de ses partisans ont pu faire des fortunes en interprétant correctement les messages de Trump sur les réseaux sociaux avant son revirement soudain, les perturbations du commerce mondial et de la finance causées par ses droits de douane continuent de poser de sérieux risques. En outre, malgré la suspension de certains droits de douane, un droit de douane universel de 10 % sur toutes les importations américaines reste en vigueur, ainsi que des droits de douane sectoriels de 25 % sur l'acier, l'aluminium, les automobiles et les pièces détachées. De nouvelles exemptions sont prévues pour les smartphones, les ordinateurs et d'autres appareils électroniques, tandis que Trump a également menacé d'imposer de nouveaux droits sur les produits pharmaceutiques, les semi-conducteurs, le cuivre et le bois de construction. Dans l'ensemble, ces mesures réduiront l'offre de produits importés, augmenteront les prix pour les consommateurs américains et imposeront des coûts élevés aux pays exportateurs. En fin de compte, les droits de douane imposés à chaque pays dépendront des négociations à venir, au cours desquelles les États-Unis devraient se montrer intransigeants. Trump a déjà fait part de son mépris pour les dirigeants étrangers, se vantant que nombre d'entre eux «me lèchent le cul» (sic) et sont prêts à «faire n'importe quoi» pour annuler les droits de douane. La portée finale des droits de douane de Trump reste incertaine. Plus grave encore, la dernière hausse des droits de douane de Trump sur les importations chinoises garantit que la guerre commerciale sino-américaine va au moins se poursuivre, voire s'intensifier. L'augmentation à 145 % est largement symbolique - une mesure de riposte après que la Chine a augmenté ses propres droits de douane - puisque le taux précédent de 104 % avait déjà rendu la plupart des importations chinoises non viables d'un point de vue commercial. En réalité, l'administration a ainsi exprimé de son intention de mettre un terme aux échanges avec la Chine. Les conséquences pour les consommateurs américains et les producteurs nationaux qui dépendent des importations chinoises sont profondes. La méfiance affichée de Trump à l'égard des produits issus d'usines chinoises - même lorsqu'ils sont acheminés par l'intermédiaire de pays tiers - a contraint les gouvernements qui espèrent conserver l'accès au marché américain à chercher d'autres options d'approvisionnement et de production. La simple anticipation de ces changements a déjà gravement perturbé les chaînes d'approvisionnement mondiales. L'incertitude a toujours constitué un facteur dissuasif majeur pour l'activité économique, et l'imprévisibilité des politiques de l'administration Trump - marquée par des décisions erratiques, des revirements soudains et des annonces répétées - a rendu les évolutions futures presque impossibles à anticiper à l'aide de modèles de risque standard. La préférence de Trump pour les tactiques de choc, qui rappelle celle d'autres «hommes forts» comme le Premier ministre indien Narendra Modi, aggrave le problème. La montée de l'incertitude découragera inévitablement les investissements, car les entreprises suspendront leurs nouveaux projets et reporteront les expansions prévues dans l'attente de voir comment les événements se dérouleront. Le ralentissement qui s'ensuivra pourrait peser lourdement sur la croissance et l'emploi aux États-Unis, avec des conséquences qui dépasseront largement l'impact économique direct des droits de douane de Trump. Pire encore, les États-Unis ne peuvent pas gagner leur guerre commerciale avec la Chine. Le gouvernement chinois en est conscient et joue le long terme. À tout moment, la guerre d'usure économique que se livrent les deux superpuissances pourrait dégénérer en une crise financière majeure, voire en une confrontation militaire. La sonnette d'alarme est déjà tirée. La chute de la demande de bons du Trésor américain, longtemps considérés comme l'actif le plus sûr au monde, est le signe d'une perte de confiance dans le leadership économique des États-Unis. En outre, la chute simultanée des actions américaines, des obligations et du dollar laisse entrevoir des doutes croissants quant à la capacité des bons du Trésor américain à servir de référence mondiale pour les prix des actifs, même s'ils restent le véhicule privilégié pour les transactions financières à fort volume. Comme lors des précédentes crises économiques auto-infligées, l'économie américaine souffrira sans aucun doute, mais ce sont les pays en développement qui en subiront les conséquences les plus néfastes. Les commandes à l'exportation annulées ou retardées sapent déjà la production et alimentent le chômage. Par ailleurs, la volatilité financière menace la stabilité économique bien avant que l'impact des tarifs douaniers de Trump ne se fasse pleinement sentir. Ces évolutions se reflètent déjà dans les écarts de rendement des obligations souveraines des pays en développement, en particulier de celles des économies à revenu faible ou intermédiaire. Au cours du mois qui précède le 9 avril, la valeur de la dette souveraine en dollars des marchés émergents a chuté en moyenne de 2,9 %, tandis que les rendements moyens ont atteint 7,4 %. Les obligations souveraines de pays surendettés comme les Maldives, le Sri Lanka, le Gabon et la Zambie ont chuté de plus de 10 %. Malheureusement, les pays en développement ne connaissent que trop bien ce genre de turbulences financières et économiques. Pendant des décennies, nombre d'entre eux ont été pris au piège d'un cycle de dépréciation de la monnaie, de hausse des coûts d'emprunt, de finances publiques tendues, de réductions forcées des dépenses et d'instabilité du marché intérieur qui a freiné l'investissement et l'activité du secteur privé. Les leçons à tirer pour les économies en développement sont claires. Non seulement le commerce mondialisé est bouleversé, mais la mondialisation financière est appelée à devenir encore moins attrayante pour les pays à la recherche d'un financement stable et à long terme pour atteindre leurs objectifs de développement. Trump est déterminé à démanteler l'ordre économique mondial qui, selon lui, permet à d'autres pays de prendre l'avantage sur les États-Unis. En réponse, de nombreuses économies en développement commenceront probablement à reconsidérer leur participation - et leur subordination - à un système inégal qui ne sert plus leurs intérêts. Le chemin à parcourir restera toutefois périlleux jusqu'à ce qu'une alternative crédible se mette en place. *Professeur d'économie à l'université du Massachusetts Amherst, est membre de la Commission économique transformationnelle du Club de Rome et coprésidente de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises |
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