Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Un jour de festivités
françaises, commémoratives d'un évènement historique colonial, Mahieddine Bachetarzi fut convié
à y prendre part en le célébrant avec éclat. L'administrateur superviseur de
ses productions scéniques lui enjoignant de chanter à la gloire de la France,
l'artiste algérien peiné devant le spectacle amer des siens suivant avec des
yeux impuissants le déploiement des fastes coloniales insultant l'état de
misère environnant des infortunés autochtones, répondit favorablement à la
demande. Et immédiatement, il entonna sur scène, l'hymne français de la
Marseillaise mais aux passages reprenant les expressions : «... Allons enfants
de la patrie, le jour de gloire est arrivé...», l'artiste insista
particulièrement sur la suite, braillant à tue-tête, les exhortations «...Dressons-nous
contre la tyrannie... pour la liberté, l'égalité et la fraternité...», etc. Ce
qui fit grincer des dents les représentant de l'establishment et sourire du
coin des lèvres de quelques fins esprits parmi l'assistance.
Un autre exemple de l'humour ironique de Mahieddine Bachetarzi Le problème du manque de personnages féminins : C'est bien connu qu'à ses débuts le théâtre des Maghrébins et du monde arabo-musulman, en général, se heurtait à de grandes difficultés de divers ordres auxquels venait s'ajouter le problème du manque cruel des personnages féminins. Et à l'occasion d'une représentation théâtrale de Mahieddine Bachetarzi qui faisait tenir un rôle féminin par un personnage masculin déguisé en femme, - et ce quelque temps avant que les illustres Marie Soussan (en 1932) et Keltoum (en 1936) fassent leurs premières apparitions sur scène,- un journaliste émit des remarques sur ce sujet dans le journal « Les Nouvelles » du 1er janvier 1923 : critique à propos de laquelle Mahieddine Bachetarzi rapporte en pages 43-44 de ses Mémoires (1) bien des choses édifiantes qu'il rappelle au chroniqueur et dont il nous fait part dans son remarquable ouvrage. Observant que ce «courriériste était européen», l'artiste algérien considère que «(...) c'est déjà bien beau qu'en 1922 il se soit trouvé une vingtaine de dames algériennes pour venir s'asseoir dans nos fauteuils», déplorant le fait que ce journaliste ait étayé son constat par ces jugements aux relents de fatalité, n'entrevoyant guère de possibilité d'évolution à ce problème de manque de personnages féminins dans les pays musulmans, estimant «(...) d'ailleurs les représentations théâtrales musulmanes sont extrêmement rares : la littérature arabe est très pauvre en drames, et si des tentatives ont été faites dans ce genre ces dernières années, le problème des personnages féminins à faire évoluer sur la scène est demeuré très difficile à résoudre. Ainsi, dans la pièce qui nous occupe, il n'y a qu'un rôle de femme et les organisateurs ont dû le faire tenir par un home ». Prenant acte des affirmations du courriériste, Mahieddine Bachetarzi réplique: «(...) Ici la critique mêle deux questions qui n'ont aucun rapport entre elles. Le «problème des personnages féminins » n'a jamais empêché les auteurs d'écrire des pièces, dans aucun pays. La tragédie grecque se passait très bien d'actrices. On sait qu'il n'y avait pas de femmes dans la troupe de SHAKESPEARE, JULIETTE, OPHELIE, DESDEMONE ont été créées par de jeunes garçons. Les premières actrices anglaises n'ont paru qu'après la Restauration de 1660. Un jour CHARLES II arrive au théâtre un peu trop tôt. Il s'impatiente. Le directeur se précipite : «Que Votre Majesté daigne nous excuser et nous accorder encore un moment : la Reine est en train de se raser » ! Il s'agissait en l'occurrence du très beau Edward KYNASTON qui était la grande jeune première du moment. En quoi l'Angleterre avait du retard sur la France où les hommes ne jouaient plus à cette époque les princesses de tragédie ni les timides ingénues. Il leur restait encore les femmes mûres. Dans la troupe de MOLIERE le comédien HUBERT s'en faisait une spécialité. Il a été Mme JOURDAIN du « Bourgeois Gentilhomme», Madame de SOTTENVILLE de «Georges Dandin», LISETTE de «Monsieur de POUCEAUGNAC», et aussi Madame PERNELLE du «Tartuffe» après BEJART. La première actrice française avait paru en 1466 à Metz dans un « Mystère de Sainte Catherine ». C'était une jeune fille de 18 ans, qui récita sans défaillance les 2.300 vers du rôle de la Sainte (...) Mais son exemple n'est pas rapidement suivi. Près de cent ans plus tard, quand Etienne JODELLE inaugure triomphalement la scène tragique française par sa «Cléopâtre» représentée à l'Hôtel de Reims à Paris, il se charge lui-même du rôle de CLEOPATRE. Cette coutume n'était pas particulière à l'Europe. Elle régnait sur le théâtre indien comme sur le théâtre japonais, et aussi bien en Chine jusqu'au jour où l'on vit se constituer des troupes exclusivement féminines. Mais elles ne se mêlaient pas aux troupes masculines, (...) simplement, les femmes jouaient les rôles des hommes. Toutefois ce cas-là est exceptionnel. La règle, dans tous les théâtres anciens du monde, était de faire jouer les rôles féminins par des jeunes gens. Et cela n'a jamais empêché l'éclosion des chefs-d'œuvre (...) » (2) Proposé par M. G. (1)Mahieddine Bachetarzi, Mémoires 1919-1939, pp. 43-44, Editions SNED, Alger 1968). (2) Ibid. |
|